LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Anticor et à cri

Depuis 18 ans, l’association Anticor s’est imposée comme l’acteur principal de la lutte anticorruption. Elle est sur tous les fronts : l’affaire de l’ancien PDG de Radio France Mathieu Gallet, qui vient d’être condamné en appel pour favoritisme, l’enquête sur les Mutuelles de Bretagne, qui a valu à Richard Ferrand une mise en examen et son portefeuille de ministre ; la saisine de la Cour de justice de la République concernant Éric Dupond-Moretti ; l’affaire Alstom, les milliards du Grand Paris, les fraudes aux subventions agricoles en Corse, Sarkozy, Buisson, Benalla… (voir la liste des affaires) ou encore l’enquête sur les manquements du maire de Pourrières, dans le Var,  après le décès de deux jeunes filles lors de l’accident d’une navette scolaire…

Inutile de dire combien cette association empoisonne le panthéon de la politique en s’appliquant à combattre un mal bien implanté en France : la corruption. Un mal qui, selon une étude du parlement européen, coûte 120 milliards d’euros par an aux contribuables que nous sommes, soit l’équivalent du budget de l’Éducation nationale, et qui mine la confiance dans les institutions (3 Français sur 4 estiment la société politique « plutôt » corrompue).

Le fait de profiter de sa fonction pour obtenir un avantage personnel, quel qu’il soit, est un acte de corruption. Ce délit (et son avatar le trafic d’influence) est donc lié au pouvoir. Il ne concerne pas que les élus ou les membres du gouvernement, mais toutes les personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargées d’une mission de service public. On parle là de corruption publique, car une loi de 2005 a introduit la corruption privée dans le code pénal (art. 445-1 et 445-2). Cela concerne aussi bien les salariés, que les dirigeants, et même les entreprises en tant que personnes morales.

Mais pour qu’une association puisse ester en justice, il faut qu’elle ait intérêt à agir, et en matière de corruption ou autres délits proches, qu’elle obtienne un agrément ministériel. Tout est dit dans l’article 2-23 du code de procédure pénale qui autorise les associations anticorruption déclarées depuis au moins cinq ans à exercer les droits reconnus aux parties civiles – sous réserve d’être agréées selon les conditions fixées par décret en Conseil d’État. Ce qui se traduit par une décision ministérielle renouvelable tous les trois ans.

Il faut donc l’accord du pouvoir exécutif pour lutter contre la corruption.

« L’action associative devant les juridictions traduit de façon modeste la possibilité d’un autre rapport au pouvoir. Elle a permis à une citoyenneté vigilante d’entrer dans les prétoires », dit Éric Alt. Il sait de quoi il parle puisqu’il assume à la fois son rôle de vice-président de l’association et ses fonctions de magistrat (ce qui lui a valu de faire l’objet d’une enquête interne). Mais les associations sont poil à gratter et il y a une volonté constante de mieux les contrôler. Ainsi le projet de loi sur le respect des principes de la République va dans le sens d’une plus grande souplesse dans la dissolution d’une association – le droit associatif étant pourtant, il faut le rappeler, l’un des fondements de notre République. Et si cette loi « dissimulait une loi anti-association ? » s’interroge sur son compte Twitter la présidente d’Anticor, l’avocate Élise Van Beneden. Pour mémoire, même si c’est symbolique, le droit pour les citoyens de s’assembler et de former entre eux des sociétés libres, a été formulé pour la première fois en 1790, lors de la première assemblée nationale constituante. La liberté d’association a une valeur constitutionnelle depuis 1971, après que le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin se soit fait retoquer pour avoir voulu soumettre le droit associatif à une autorisation préalable.

Cela fait maintenant six mois qu’Anticor attend le renouvellement de son agrément dont l’instruction est menée par les services du ministère de la Justice, mais, en raison de la plainte visant le garde des Sceaux, c’est au Premier ministre à qui il revient de prendre la décision. Où sont mes lunettes, doit se dire Castex…

La décision du chef du pouvoir exécutif va donc influer sur l’avenir de certains de ses collègues. En effet, en cas de refus d’agrément, la validité des enquêtes actuellement à l’instruction à la seule demande d’Anticor risquerait de s’arrêter nette, puisque l’association n’aurait plus qualité pour agir.

Cela ressemblerait comme deux gouttes d’eau à une amnistie gouvernementale. Une première en démocratie.

On ne veut pas le croire… Pas en France ! Pourtant, ces dernières années, certains élus, à défaut d’autoflagellation, pratiquent à l’envie l’autoprotection, avec parfois des effets boomerang.

Ainsi, en 2016 alors que les parlementaires débattent de la prescription, ils se penchent sur la définition des infractions occultes ou dissimulées, c’est-à-dire des crimes ou des délits dont il est impossible de connaître l’existence avant… d’en connaître l’existence. C’est donc la découverte de l’infraction et non la commission de l’infraction qui fait partir le délai de prescription, ce qui la rend de fait pratiquement imprescriptible. Hop-là ! a dit le législateur, dorénavant il y aura un délai butoir : 12 ans pour les délits et 30 ans pour les crimes. C’est ainsi que le 24 février 2017, le parquet national financier ouvre une information judiciaire contre François Fillon pour des faits anciens, avant que la loi du 27 février 2017 ne fasse jouer la prescription par l’application du délai butoir de 12 ans. Avec le résultat que l’on connaît : Fillon ne passe pas le premier tour des élections présidentielles, laissant la place à un duel Macron / Le Pen.

 Sur ce blog : La patate cachée derrière l’infraction cachée

Anticor est une association apolitique qui n’accepte ni subvention publique ni don d’entreprises. Elle vit des cotisations de ses 5000 adhérents (dont moi) et des dons de personnes privées. Au-delà des dossiers nationaux très médiatisés, 92 groupes locaux couvrent la plupart des départements et territoires de métropole et d’outre-mer, traçant la malversation même locale, comme c’est parfois le cas dans les décisions d’urbanisme, pour mieux saisir les juges.

Place vendôme, on traîne les pieds. Et ça commence à se voir. Dans un premier temps, il semble que le dossier se soit égaré dans le dédale administratif du ministère de la Justice. Début octobre 2020, il arrive enfin à l’instruction. Après avoir vainement tenté de connaître l’identité des donateurs, notamment des plus gros d’entre eux, et pinaillé autant que faire se peut, la direction des affaires criminelles et des grâces, il y a quelques jours encore, convoque la présidente de l’association pour lui demander des éclaircissements de dernière minute.

Le Premier ministre devrait se prononcer la semaine prochaine sur le renouvellement ou non de l’agrément d’Anticor. Mais plutôt que de tuer le médecin, ne serait-il pas préférable de s’en prendre à la maladie et de tout faire pour récupérer le butin colossal de la corruption ! Alors que demain nous devrons nous serrer la ceinture pour rembourser la dette abyssale creusée par la lutte contre la Covid-19, écoutons l’ancien juge Renaud Van Ruymbeke, qui, lors d’une récente interview sur France inter, a déclaré : « Je dis aux États : Allez chercher l’argent, il est à vos portes ! »

8 Comments

  1. Dellinger

    Début avril Anticor a obtenu son agrément. Quid de leur donateur mystère un certain Vinciguerra Quid de sa Présidente? Pas un mot de tout cela. De Georges Washington «peu d’hommes si vertueux soient-ils résistent au plus offrant ». En tout cette prolifération d’associations, lobbys, comités, et autres machins montre à quel point l’Etat est faible. À quand la République de Savonarole où la dictature de Calvin?

  2. daniel Gaillard

    Les rats et l’e- monde quittent le navire…

    La macronie serait-elle en péril?

  3. Tunique de Nessos

    Un neo petainiste sans grande envergure (son père, notaire plein de sagesse, conscient du professionalisme de son rejeton, lui avait proposé, pour ménager ses clients , de faire de la politique; au millénaire dernier, il était ainsi devenu le plus jeune dépité de fRance) a été victime

    a) d’un journaliste du Canard Enchaîné, frustré de ne pas trouver trace du Travail de Pénélope, membre de la Famille du candidat à la présidence, et qui aurait dû servir sa Patrie.

    b) de la charité d’un Chretien d’Orient, qui a offert au Grand Homme deux costumes à 5000 E$.
    Ce chretien d’Orient est un ancien porteur de valises bien dodues, sous Jacquou le Ripou -et il n’en a jamais fait mystère, le Barreau ne s’en est pas inquiété-)
    Quand il a décrit, en termes assez fleuris, son aumône, le Barreau est sorti de sa mort cérébrale et l’a viré de l’ordre des avocats (se vanter d’avoir taillé un costard à Monsieur Probe en employant des termes à connotation sexuelle est donc, pour la fine fleur du Barreau, plus grave que le recel de corruption ouvertement assumé).
    La croisade contre Anticor, initiée par un « avocat »
    * très cher -il a renoncé par pur dévouement à 70KE$ mensuels,
    * très menteur (il est à l’origine, dans les années 2000-2010, du bruit -l’ancêtre des « fakenews- selon lequel il était impossible pour un homme de prendre un ascenseur avec une femme, sans qu’elle ne déchire son chemisier, ébouriffe ses cheveux pour porter plainte pour viol: c’est pour ça que les hommes , au pays des gratte ciels, ont les articulations HS ; cette idée a été reprise par Weinstein et son déambulateur, sans succès: une fois condamné, Weinstein a jeté son déambulateur aux orties; on se serait cru à Lourdes) et
    * qui fait l’objet d’une enquête pour conflit d’intérets initiée par …. Anticor…

    Est ce que les instances corporatrices vont sortir de leur mort cérébrale chronique? (Giuliani a été viré de l’ordre des avocats de New York pour avoir défendu Possygrabber …., avoir vendu du matériel électoral pour ledit Trump, et fait l’objet de plaintes pour diffamation liées au zèle pittoresque avec lequel il défendait son client: cela me semble plus bénin que des conflits d’interet chroniques et obscènes, caractéristiques de la Macronie)

  4. Janssen J-J

    Je profite de votre blog pour mettre en lien ce rapport alternatif visant à améliorer les rapports des policiers aux citoyens, prétendu thème du « Beauvau de la sécurité »…, (entre nous, une caricature de consultation dont les travaux restent déplorablement et géraldement politiciens pour le moment)… Je pense que les lecteurs de police etc… méritent un peu plus de respect.
    S’agissant d’Anticor, on attend les conditions du renouvellement de l’agrément, s’il aura lieu un jour… Mais l’enfant se présente mal, apparemment, à ce jour, hélas…
    https://www.aefinfo.fr/assets/medias/documents/5/0/503768.pdf

  5. Janssen J-J

    Et c’est pas la police des polices qui va y faire quelque chose, hélas… Sait jamais trop où commence le corrupteur du corrompu, surtout dans ses propres rangs, D. D. ! Un peu de bonne lecture, peut-être… ?
    https://laviedesidees.fr/La-police-des-polices-en-democratie.html

  6. Daniel Douguet

    ça me mine de voir que celui qui corrompt ne reste pas sur le carreau.

  7. Janssen J-J

    Ce gouvernement signera sa mort, s’il ne renouvelle pas l’agrément ANTICOR… Et, sans vouloir faire de procès d’intention, cette hésitation en dit long…
    Voici le papier d’une belle indignation… Il remet quelques vérités en perspective. Quand sera-t-on convaincu que la progression de la corruption dans les pratiques et les consciences, est cent mille fois plus mortifère pour une société comme la nôtre que les quelques crimes de sang dont le niveau historique n’a fait que baisser sur le long terme ?

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