Au rythme d’une pandémie qui n’en finit pas, sous un joug accepté, nous nous éloignons les uns des autres. Mais en fait, ce virus nous éclaire sur le monde de demain : un monde sans contact. Et la nouvelle carte nationale d’identité électronique nous fait faire un pas vers l’ère de l’identité numérique, sans trop savoir s’il sera grand ou petit pour l’homme et pour l’humanité.
Ce n’est pas une particularité française : environ 150 pays de par le monde auraient déjà adopté le passeport électronique et biométrique et plusieurs dizaines, dont la Belgique, l’année dernière, auraient opté pour la CNI du même tonneau, se pliant ainsi à la volonté de l’Union européenne.
Dans un règlement (2019/1157) applicable au 2 août 2021, l’UE fait en effet obligation aux États membres de mettre en circulation « des cartes d’identité intégrant un composant électronique hautement sécurisé contenant des données biométriques, à savoir une image numérisée du visage du titulaire de la carte et celle de deux empreintes digitales dans des formats numériques interopérables. » Autrement dit, cette carte doit être capable de communiquer avec d’autres systèmes.
Pour l’UE, cette réglementation est destinée à « accroître la sécurité dans un monde de mobilité », et notamment, bien sûr, de mieux lutter contre le terrorisme.
C’est un marché colossal qui s’ouvre aux entreprises et bon nombre l’ont anticipé. En deux mots, ça va dépoter, car la sécurité, c’est un peu comme l’écologie, ça marche mieux quand il y a du fric à faire.
C’est le cas de Thales. Après l’acquisition de Gemalto, en 2019, pour la modique somme de 4,8 milliards d’euros, ce géant de la « défense », qui flirte avec nos secrets (son site d’Élancourt, dans les Yvelines, héberge la plateforme des écoutes téléphoniques), est devenu un leader mondial en identité et en sécurité numériques. L’entreprise est présente dans 64 pays où elle prospecte ce domaine très… protégé, terrain de chasse tendance des services de renseignement du monde entier.
Cette année, 3,6 milliards de citoyens disposeront d’une CNI électronique, affirme Thales dans sa brochure. On comprend bien que l’enjeu économique va au-delà du petit bout de plastique que nous aurons bientôt dans notre poche. Il s’agit de proposer aux secteurs privés et publics une sécurité – invisible -, clé en main, qui touche aussi bien la finance, les transports… que l’ordre public.
Mais, bien entendu, de l’autre côté de la CNI, il y a un fichier : le fichier des titres électroniques sécurisés (TES). L’image numérisée du visage et de la signature, et l’empreinte de chaque index, seront conservées dans le TES, ainsi que l’identité le sexe, la taille, la couleur des yeux, l’état civil des parents, l’adresse postale, l’adresse de messagerie, le téléphone, etc. Ce fichier, tenu par le ministère de l’Intérieur, qui abrite déjà les informations des passeports « bio » ne sera consultable que par les personnels des services habilités – mais ils sont nombreux, et il reste de la place sur les disques durs de Beauvau.
La nouvelle CNI comporte une zone de lecture automatique. Pour nous, simples pékin, ce sera un sésame au format d’une carte de crédit qui va nous permettre de passer les points de contrôle des aéroports, des gares…, sans même avoir à s’arrêter ; qui va nous permettre de s’identifier en ligne et d’avoir accès, via l’application Alicem (qui utilise la reconnaissance faciale), développée par le ministère de l’Intérieur, à la signature électronique (banques, impôts, santé, retraite…), ou qui pourra servir lors de la prochaine pandémie à repérer les cas contacts. Mais pour le secteur des entreprises, la gestion numérique des identités – de nos identités – est au centre d’une économie nouvelle qui fait rêver les investisseurs.
Encore faut-il que la sauce prenne ! Pour cela, il va falloir communiquer avec intelligence, car la plupart d’entre nous ne comprennent rien à la « sécurité électronique » et, il ne faut pas s’y tromper, nos dirigeants politiques non plus. Ils se contentent de la promesse d’un résultat sans chercher plus loin, ni en amont ni en aval, sans même être conscients qu’ils délèguent ainsi au « capital privé », pas nécessairement bienveillant, les activités régaliennes d’un état démocratique.
Car tout est basé sur la confiance réciproque : confiance des pouvoirs publics dans les entreprises privées, confiance des utilisateurs dans les pouvoirs publics. Pour rassurer les citoyens belges, le gouvernement met à leur disposition une application qui permet à ceux qui le souhaitent d’accéder à leur dossier au registre national. Il est ainsi possible à l’utilisateur de connaître, entre autres, les organismes qui ont consulté ses données personnelles.
L’idée a-t-elle effleuré une tête pensante française ?
Et pourtant, il faut des garanties, car cette puce que nous allons trimballer sur nous est aussi une porte ouverte sur notre intimité. Elle pourra, même si tout le monde aujourd’hui s’en défend, permettre la reconnaissance faciale via les caméras de vidéosurveillance, ou des contrôles d’identité invisibles via des capteurs comme ceux qui existent déjà pour le contrôle des passeports électroniques. Le piratage de la photo ou des empreintes numérisées pourrait même donner la possibilité à un esprit malveillant d’ouvrir un smartphone ! La liste est longue de tout ce qui ne sera pas fait… officiellement. Car il y a fort à parier que les services de renseignement et d’enquête, curieux de nos petits secrets, vont trouver les moyens de récupérer à notre insu nos données numérisées sur le processeur de la CNI. Un peu comme cela se passe avec nos téléphones portables.
Alors, les Français vont-ils marcher ou bien bouder, comme ils ont boudé l’application StopCovid ? Pas sûr qu’ils acceptent ce traçage de gaieté de cœur : trop de mensonges, trop de cachotteries, trop de non-dits et de délibérations secrètes. En France, les murs du pouvoir sont trop épais pour ne pas inspirer la méfiance.
Il est normal de se méfier de ce que l’on ne comprend pas.
Bien sûr, du moins pour l’instant, la CNI n’est pas obligatoire, mais très vite elle va devenir quasi indispensable au quotidien, comme c’est le cas déjà du smartphone. D’ailleurs les deux vont rapidement se compléter, pour la signature électronique déjà, et demain par l’apparition du permis de conduire virtuel, un document entièrement numérisé qui sera mis à jour instantanément. Et bientôt l’identité mobile (mID) deviendra la norme. Il n’est pas loin le temps où lors d’un excès de vitesse vous recevrez en live un texto de votre banque vous informant du débit du montant de l’amende. Faut avouer que ce serait dissuasif…
Pour parler aussi peu clair que le philosophe Henri Bergson, il est à craindre que notre présent devienne un passé qui ronge notre avenir.
Comment les forces de l’ordre vivent elles les mesures de distanciation sociale et les gestes barrières pour eux-mêmes ? Ont-elles le même zèle à le faire respecter ? (pas sûr quand on voit comment le masque est porté dans les véhicules)
En Belgique le bourgmestre de Liège fait le pari que la lassitude des forces de l’ordre permettra à son appel à la désobéissance civile du 1er mai d’être suivi d’effet.
Le 02 juin dernier Denis Robert interviewait Jean louis Arajol , retraité, ancien secrétaire du SGP, syndicat général de la police. Il appelait à une police républicaine : https://www.lemediatv.fr/emissions/2020/nous-devons-etre-des-policiers-republicains-et-non-des-mercenaires-WnNNGSyNQ-STAUQ6YcfyIA
Cette carte « capable de communiquer avec d’autres systèmes » arrive de loin avec ses gros sabots. Déjà, la loi qui impose aux employés de mairie d’informer les demandeurs de carte d’identité que la numérisation de leurs empreintes sur le fichier informatisé n’est pas obligatoire est parfaitement ignorée par les fonctionnaires. Tout le monde tombe des nues, pourtant nul n’est censé ignorer la loi. C’est dire que les oppositions doivent être rares. Je doute que les français réagissent à ce nouveau fichage. Pourvu qu’ils passent les frontières en 30 secondes… Jusqu’à présent les lois les plus restrictives d’Europe passent sans douleurs en France. Les allemands par exemple sont plus vigilants quand il s’agit de leurs libertés je trouve.
Merci d’avoir publié mon commentaire précédent ( en espérant que celui-ci inspire quelque billet ???).
Je reviens pour vous signaler quelquechose qui n’a pas directement à voir avec le sujet du présent billet. Mais c’est super intéressant : une série d’émission de France Culture , des entretiens avec François Besse ( ex « lieutenant de Mesrine » comme il n’aime pas qu’on le désigne) https://www.franceculture.fr/emissions/a-voix-nue/francois-besse-ou-lartisan-de-la-liberte-15-etre-ou-devenir
Allez, c’est Pâques ; une surprise pour se dérider : des galopinades http://www.topfferiana.fr/2018/06/films-lumiere-les-cases-avant-lecran/
Bonjour cher Maître et Commissaire honoraire,
Que sauriez-vous nous dire au sujet de l’asso. Police for Freedom ?
Viens de découvrir l’icelle via une recherche sur une personne apparaissant sur cette page : https://www.policeforfreedom.org/who-are-we.html
Les biais ethniques ou d’apprentissage des reseaux de neurones qui servent de base à lea reconnaissance (faciale ou autre ) sont parfois très hilarants:
une chanteuse kurde était reconnue comme … une cruche par un reseau de neurone, un cheval etait vu comme un berger des pyreneées (pas de gestion de la taille, même si la photo était faite apr un pro de l’AFP).
https://www.nextinpact.com/article/43651/identite-numerique-alicem-a-seum
dit
« L’appel d’offres admet donc d’emblée qu’un utilisateur sur cinq pourra se voir refuser, à tort, l’enrôlement, mais également qu’un sur cent pourra, a contrario, faire valider à tort la délivrance de son identité numérique. La biométrie repose en effet sur des algorithmes statistiques, et ne peut donc être fiable à 100 %. D’un point de vue pratique, et sécuritaire, ces pourcentages de faux refus ou acceptations, rapportés à l’échelle de la population, pourraient dès lors concerner des millions de citoyens… »
En effet, un taux de rejet de 20% et un taux de faux non detectés de 1% sont difficiles à obtenir avec un DNN.
Mais le fait que la sécurité automatique ne marche pas à tous les coups (cas de la ville où les frères Kouachi n’auraient pas fait 10 mètres) fait que les gens, un peu comme les drogués, demandent davantage de doses de « sécurité » , ne serait ce que pour « perfectionner » à grands frais les bouses informatiques très chères….:
un site a comme principal sujet d’études le traitement d’images et la reconnaissance faciale (avec d’autres exemples amusants -s’ils n’avaient pas coûté cher)
https://www.callingbullshit.org/ est entièrement dédié à la bousologie…. (ça commence à être enseigné)
Quant à StopCovid: comme son nom l’indique, a-t-il jamais fonctionné?
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