La France, « patrie des droits de l’homme » a flétri son image internationale par la répression violente des manifestations des gilets jaunes, mais c’est seulement après avoir soulevé une fronde dans les rangs des syndicats policiers par ses déclarations sur les contrôles au faciès qu’Emmanuel Macron a estimé qu’il y avait « urgence à agir ». Dans un courrier adressé à un dirigeant syndicaliste, il a annoncé un « Beauvau de la sécurité » pour une réforme de la police.
Ce Beauvau de la sécurité devrait, selon le communiqué du ministre de l’Intérieur, s’étendre sur plusieurs mois au rythme de débats citoyens hebdomadaires et d’une réunion de travail tous les quinze jours regroupant, outre les représentants syndicaux, des élus et des experts français et internationaux. Ces travaux, dit Gérard Darmanin, « permettront de dessiner des réponses à court terme, mais également de poser les bases de la future loi de programmation de la sécurité intérieure pour 2022 ».
En décortiquant les thèmes retenus, on peut penser que pour le court-terme il s’agit de tenter de calmer les syndicats en revisitant la formation, l’encadrement, les effectifs, les conditions matérielles d’exercice et l’utilisation de la vidéo. Les échanges sur ce dernier point risquent d’être houleux, puisque cela pourrait aussi bien concerner la généralisation des caméras portables pour les forces de l’ordre que l’interdiction (de fait) de les filmer, comme il ressort de la sulfureuse loi sur la sécurité globale.
On s’acheminerait donc vers une réformette, d’autant qu’il n’est plus question de toucher à la monolithique préfecture de police. Pourtant, la création à Paris d’une police municipale ne serait-elle pas l’occasion idéale pour une refonte de ses services afin de mieux assurer la sécurité de l’agglomération parisienne, tout en diminuant les coûts ?
Mais heureusement deux autres points, s’ils étaient menés à terme, pourraient modifier la donne, et même marquer ce quinquennat. D’autant qu’en filigrane, ils sont raccords avec les propos du président de la République, même si ceux-ci ont fait bondir les syndicats : une refonte de l’IGPN et la volonté de rapprocher la police de la population.
Il y aurait, paraît-il, un gentil budget à la clé de cette réforme. C’est la carotte – pour 2022, of course, mais c’est de bonne guerre.
La route sera longue. L’institution policière (ce n’est pas spécial à la France) a toujours du mal à se remettre en cause. On peut dire que les policiers montrent un certain conservatisme qui freine les réformes, celles-ci étant ressenties comme une critique de leur quotidien professionnel.
Pourtant, la plupart des pays occidentaux ont réussi (plus ou moins bien) à mettre en place des réformes profondes des services de sécurité publique. Dès les années 1980, il est apparu que l’on allait vers la fin du traditionnel modèle policier, pour de multiples raisons liées aux changements profonds de nos sociétés, mais principalement, me semble-t-il, parce que la modernité nous incite à moins de risques et plus de sécurité.
Pour le professeur Jacques de Maillard*, il faut pointer deux réformes majeures dans des pays similaires au nôtre : la community policing que, sans doute pour éviter l’ambiguïté du mot communauté, on a traduit par police de proximité, et le management des forces de sécurité, que les policiers ont traduit par la « bâtonnite ». Durant son passage place Beauvau, Nicolas Sarkozy s’est illustré sur les deux tableaux, supprimant la police de proximité pour une police d’interpellation et créant une gestion comptable de l’activité là où il aurait fallu parler d’efficacité. Comme disait Mitterrand : « Après moi, il n’y aura plus que des financiers et des comptables… »
Le rapprochement police/population – Pour améliorer les relations entre la police et la population, il faut se référer aux expériences d’autres pays, dont les plus anciennes, aux États-Unis, ont un demi-siècle. Je vais vous dire, j’ai eu un pincement au cœur lorsque j’ai vu des chefs de la police de plusieurs villes mettre un genou à terre devant les manifestants de Black lives matter, après la mise à mort de George Floyd. Un geste symbolique qui a étonné en France. Et pourquoi c’est impensable chez nous ? L’esprit de corps est-il devenu si prégnant dans la police française qu’il fausse le jugement individuel…
Un bon début serait de virer ceux qui pensent avec leur… matraque. Ceux-là se sont trompés de métier et l’administration s’est trompée en les recrutant.
D’après l’expérience d’autres polices, pour assurer un rapprochement avec la population, deux constantes émergent : un découpage des zones de compétence, non pas administratif, mais qui tient compte des particularités locales, et la décentralisation du commandement au profit du terrain.
Pour être franc, je crois que la création d’une nouvelle police de proximité serait un faux-semblant, car ce sont toutes les forces de sécurité publique qui doivent se rapprocher « du peuple ». Et cela non par obligation, mais parce que c’est leur job, revenant ainsi à leurs missions premières d’écoute, d’aide et d’assistance ; la répression de la délinquance ne constituant qu’une couleur sur la palette du flic.
C’est donc une réforme sans bourse délier à mettre en route. Elle démarrerait au recrutement des policiers et des gendarmes et serait basée sur la formation. Quant à ceux qui préfèrent le saute-dessus, il existe d’autres services que la sécurité publique. Je dis ça, mais je dis rien, lorsque je vois, non sans amertume, que les agents des polices municipales rechignent à remplir ces missions.
La réforme de l’IGPN – Dans sa forme actuelle, l’Inspection générale de la Police nationale résulte d’un décret de 2013 qui a renforcé la fusion entre Paris et province. Fusion qui existait sur le papier depuis 1986. Auparavant, sur Paris et la petite couronne, la police des polices était assurée par l’IGS, qui, de mémoire d’anciens, ne faisait pas de cadeaux. Les « bœufs-carottes » dont on parle encore dans certaines fictions, c’étaient eux. En province, l’IGPN n’avait en revanche qu’un rôle de contrôle et d’enquêtes administratives. Ce service était alors constitué essentiellement de contrôleurs généraux qui n’étaient plus en cour, d’où son surnom de « cimetière des éléphants ». (On parle d’une époque où il y avait encore un peu d’humour dans la police.) Les enquêtes pénales étaient menées par les services de police judiciaire traditionnels de la police ou de la gendarmerie.
Aujourd’hui, en dehors de son rôle d’audit, de contrôle et d’études, l’IGPN effectue les enquêtes qui lui sont confiées par les autorités administratives et judiciaires. Les procureurs et les magistrats, qui ont pourtant la liberté de saisir qui ils veulent, confient systématiquement leurs enquêtes à l’IGPN. Et c’est là où le bât blesse. D’abord, par la surcharge de travail et ensuite par la remise en cause de l’objectivité des enquêteurs.
Le pendant dans la gendarmerie, c’est l’IGGN. L’inspection générale de la gendarmerie nationale existe dans sa forme actuelle depuis 2002. Lors du rattachement de la gendarmerie à l’Intérieur, en 2009, il n’y a pas eu volonté politique de fusionner les deux « inspections générales ». Et le système perdure : les policiers enquêtent sur les policiers et les gendarmes sur les gendarmes.
En ce qui concerne les enquêtes administratives sur les fonctionnaires ou sur les militaires, qui sont souvent des enquêtes disciplinaires, il n’y a là rien d’anormal. Mais on peut s’interroger sur les enquêtes judiciaires… Même si elles sont faites avec objectivité, le doute est là. Il ne peut en être autrement : n’y a-t-il pas volonté de « couvrir » ? Et le secret qui les entoure, surtout lorsqu’elles sont faites à la demande du parquet, n’est pas de nature à conforter la confiance. Mais alors, à qui confier ces enquêtes judiciaires ?
Il y aurait bien une solution : créer une « inspection générale judiciaire de la police et de la gendarmerie ». Un corps composé de policiers et de gendarmes, qui serait dirigé par un haut magistrat. Cela peut faire sourire, pourtant le directeur général de la gendarmerie nationale a pendant longtemps été un magistrat. Elle n’est dirigée par un général de gendarmerie que depuis 2004.
Pas à dire, des services de sécurité publique qui se rapprochent des citoyens, une police des polices sous la houlette d’un haut magistrat, tout cela aurait quelque chose de rassérénant. Il soufflerait sur la France un petit air de confiance dans les institutions dont elle a bien besoin. – « J’ai fait un rêve… »
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Pour aller plus loin* :
- Dominique Monjardet, Ce que fait la police, Sociologie de la force publique, Paris, La Découverte, 1996
- Frédéric Ocqueteau, Mais qui donc dirige la police ? Sociologie des commissaires, Paris, Armand Colin, 2006
- Jacques de Maillard, Réforme des polices dans les pays occidentaux, Revue française de science politique, 2009/6, vol. 59
- Olivier Cahn, Un état de (la) police, Dalloz, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, n° 4, 2019
- Pascale Dufour, Francis Dupuis-Déri et Anaïk Purenne, La police à l’épreuve de la démocratie, Lien social et politiques, n° 84, 2020
Bonjour,
Je ne comprends pas le passage suivant :
« Quant à ceux qui préfèrent le saute-dessus, il existe d’autres services que la sécurité publique. Je dis ça, mais je dis rien, lorsque je vois, non sans amertume, que les agents des polices municipales rechignent à remplir ces missions. ».
Que voulez-vous dire à propos de la sécurité publique et des polices municipales ?
Je suis d’accord avec Evariste. Pour moi, ce n’est pas clair non plus.
Merci, Georges, de nous mettre les points sur les i.
Bonjour,
Si vous vous mettez à deux, alors…
Police et la gendarmerie couvrent en fait des métiers bien différents dont la finalité devrait être la sécurité (du) publique : notre sécurité. Dans un monde parfait, les « services » de sécurité publique, contrairement à l’opinion d’un ancien Président, ne seraient pas là pour réprimer systématiquement, mais pour aider les gens et les protéger si besoin. C’est d’ailleurs ce qui justifie le port d’arme.
Je crois que c’est la définition d’une police de proximité. Cela devrait être un boulevard pour les polices municipales, qui sont là, en principe, pour assurer la mission de police des maires et concourir à la prévention de la délinquance – et pas pour faire le job des policiers et gendarmes nationaux sous la houlette du ministre de l’Intérieur.
Quant à ceux qui embrassent la carrière à la recherche d’autres choses (et je les comprends), il existe plein de possibilités, même s’il n’est pas toujours facile d’ouvrir la porte : action, renseignement, recherche…
Mais c’est juste une réflexion… quasi philosophique 🙂
Je vous remercie pour ces précisions. Je souscris à vos propos.
Je pense qu’il faut inscrire toutes ces questions dans le cadre de la future loi ô combien liberticide dite de la « sécurité globale », disséquée dans sa diachronie par quelques-un.es de nos meilleurs analystes dans ce petit film pédagogique
https://kparrot.gitlab.io/securite-globale-de-quel-droit/
Elle devrait être méditée par tous nos élus qui ne font plus vraiment leur boulot et par les quelques penseurs de nos « polices » qui ne prennent plus le temps de penser, hormis… Georges M., l’un de nos anciens fonctionnaires qui tienne encore à la barre de la raison…
Je pense que le problème de fond vient du recrutement des fonctionnaires de police, avec sans doute en arrière plan une société qui change. Les écoles de police sont insuffisamment hiérarchisées; passé 17 heures 30 il n’y a quasiment plus de cadres. En outre, la sélection aujourd’hui est telle que les policiers « de base » sont presqu’autant diplômés que les officiers/inspecteurs d’il y a 40 ans, et que ces officiers/inspecteurs autant que les commissaires pour la même période, chacun revendiquant, à juste titre, son niveau universitaire pour son évolution de carrière.
Cette course au diplôme qui affecte d’ailleurs l’ensemble de l’administration civile et militaire dynamite me semble t il le principe de la compétence et de la performance dans l’exercice du métier de policier. L’idée d’une grande académie de police formant des exécutants et des hauts fonctionnaires (peut être à l’instar de certaines polices européennes), avec des passerelles internes me semble interessantes. NB ces passerelles existes depuis quelques années (formation internes de commissaires pour les capitaines de police) mais elles doivent se poursuivre.
Bref envisager à terme une disparition des concours catégoriels, mais les remplacer par des examens de passage en interne.
Un diplômé serait donc, si on vous suit, incompétent? « dynamite me semble t il le principe de la compétence »..
Vivement une révo-cul à faire frémir le Grand Timonier dans sa tombe….
Je suppose et j’espère qu’il y a des critères un peu moins reducteurs.
En attendant, avec la crise économique et sociale qui se pointe (elle est masquée pour le moment par le fait que les demandeurs d’emploi ne peuvent plus traverser LA rue, confinement caporaliste oblige et par le lancer d’argent par les fenêtres pour soutenir les Saintes Entreprises -le charme du capitalisme réside dans la prise de risque, pas dans l’assistanat-),
il va y avoir de superbes occasions de renouveller les corps de police, en les débarrassant de leurs membres les plus pourris et d’une hiérarchie ultra -complaisante :
* les violeurs du Quai des Orfèvres ont pu continuer à toucher leur salaire jusqu’à leur condamnation en Cour d’Assises en janvier 2019,
* Claude Gueant, définitivement condamné, a bénéficié de subventions de l’Elysée pour payer ses frais de justice.
Nulle part ailleurs, dans la fonction publique de telles pratiques (littérallement pousse au crime) ne seraient tolérées, présomption d’innocence ou pas -la circulaire Royal a poussé pas mal d’enseignants au suicide, dénoncés dans le climat d’hystérie de l’affaire d’Outreaux par des ados à qui ils avaient donné une mauvaise note… Il y a une exception policière qui jure avec tous les grands principes d’équité… Dans le secteur privé, les policiers peuvent aller chercher sur son lieu de travail un présumé pédophile, qui se retrouvera libre , ruiné et en chômage un an après, le temps -passé en prison, pas à faire du travail de bureau au quai des Orfèvres!- .
Il va y avoir un grand nombre de jeunes, prêts à être bien formés, n’ayant pas d’ancienneté -ça coûte un pognon de dingue, l’ancienneté- et parfaitement disponibles pour le métier de policier… à condition d’être aussi impitoyables pour les policiers véreux que notre société l’est pour les autres délinquants… Celà demande un minimum de courage politique… qui ne manque pas de se trouver dans la Macronie, vue l’énergie ronflante avec laquelle elle agite le menton et lève les bras au ciel.
Confier les enquêtes sur les policiers aux gendarmes et les enquêtes sur les gendarmes aux policiers, ça ça serait drôle, si je puis dire 🙂
Ca s’est déjà fait, et des officiers de marine avaient accès aux rapports des gendarmes sur les policiers nationaux… ce qui les égayait, effectivement…. et leur ôtait toute illusion sur un corps censé être au service de leurs concitoyens (les officiers de marine ne sont pas tendres vis à vis de délits ou crimes, fûssent ils commis par un des leurs; ils ont par ailleurs un esprit de corps d’un autre temps, mais qui n’est pas caricatural ni dévoyé au point d’en devenir mafieux).
Bonjour,
le problème de l’IGPN est-il réellement l’IGPN? Dans l’enquête de Nante sur la mort de Steve, l’IGPN mandaté par le ministre a rendu un rapport pour blanchir.
Sous direction judiciare le rapport disait tout autre chose.
Le problème ne vient il pas de ce qu’une fois encore les médias ne font pas leur travail et présentent des enquêtes internes comme des décisions alors que la seule vraie décision devrait être judiciaire?