LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Le masque et la plume

2020 s’achève. Rien à regretter. Et, même s’il y a quelques mois, on a pu voir des libraires afficher « la vente de livres est interdite », le bouquin reste notre plus fidèle compagnon, toujours prêt à nous aider à « faire le mur ». Des murs de plus en plus hauts, de plus en plus gris. C’est aussi le cadeau de dernière minute. Le plaisir de partager avec un proche le livre que l’on a aimé va bien au-delà de l’objet-papier, c’est un peu une communion de pensées : à défaut de se prendre la main, on se touche les idées.

Aussi, dans l’esprit de ce blog, je me permets quelques suggestions piochées dans mes lectures de l’année écoulée.

Si vous cherchez un livre sur la police, la gendarmerie, les affaires criminelles, le banditisme, etc., les éditions Mareuil sont incontournables, avec un nombre impressionnant de publications sur le sujet : GIGN, RAID, BRI, Brigade criminelle, PJ de Marseille…

Histoire du RAID est un beau livre cartonné, illustré de nombreuses photos inédites, dont le récit est centré sur l’intervention de police à haut risque. Pierre Joxe, qui l’a préfacé, revendique la paternité du RAID. S’il est vrai qu’il a eu le mérite de le mettre en œuvre, contre l’avis de certains hauts cadres de la police, l’idée en revient à Robert Broussard et à Ange Mancini. C’est en Corse, alors qu’ils sont en charge de lutter contre le terrorisme, que tous deux méditent sur la conception d’un service de police équivalent au GIGN, ou plutôt concurrent. Il faut dire que sur l’Île, l’action underground du capitaine de gendarmerie Paul Barril, alors en charge de l’aspect opérationnel de la cellule élyséenne, leur donne des boutons. Le préfet Broussard devra cependant attendre une opportunité politique pour faire passer son projet. Attendre, un truc qu’il a appris à l’antigang. En 1984, Pierre Joxe est nommé à l’Intérieur par le nouveau premier ministre Laurent Fabius. La réforme est dans l’air, sauf qu’avec lui, ce n’est pas du vent. Il donne son feu vert : le 23 octobre 1985, l’unité de recherche, assistance, intervention et dissuasion (RAID) est officiellement créée. Ange Mancini en devient le premier patron. Dans un récit aéré, les auteurs nous entraînent au cœur de ce service d’exception.

Histoire du RAID illustrée de Charles Diaz et Ange Mancini

 

Jean-Marc Simon, historien et romancier, est l’auteur de plusieurs livres sur l’ennemi public des années 1970, dont un ouvrage de référence paru en 2015. Dans Mesrine, les sept cercles de la mort, il décortique la vie de Jacques Mesrine tout en se livrant à une analyse sociétale et, in fine, il s’interroge : Mesrine était-il à un tournant de son action criminelle ? Allait-il basculer dans le terrorisme ? Et, sous-entendue, cette crainte a-t-elle influé sur la décision politique de l’arrêter par tous les moyens ? « Après tout, nous dit l’auteur, n’aurait-il pas tenté d’approcher l’OLP en Algérie pour intégrer l’un de ses camps d’entraînement ? N’avait-il pas approché les felquistes du FLQ [Front de libération du Québec] au Québec ? Aurait-il été capable de passer à l’acte, pour peu que l’on ait vraiment cherché à l’instrumentaliser… ? »  Mais tout aussitôt, Simon se reprend, en appuyant sur l’individualisme et l’égocentrisme du personnage. « Et, ajoute-t-il, même si cela peut étonner, l’homme Mesrine demeure sensible et attaché à certaines valeurs familiales […] Il paraît plus que douteux qu’il ait pu se lancer dans des tueries de masse, avec bombe et mitraillage, qui auraient du reste anéanti ce qu’il lui restait de popularité. »

Mesrine, les sept cercles de la mort, Jean-Marc Simon

 

Dans les années 1970, les enlèvements de personnalités fortunées se succèdent, dans une mode qui nous vient tout droit d’Italie. En France, la motivation n’est pas la politique, mais le fric. Claude Cancès qui était à l’époque jeune commissaire à la brigade criminelle et Jean-Pierre Birot qui était procédurier, nous racontent leur première affaire d’enlèvement. Depuis le Quai des Orfèvres, les mains dans le cambouis, ils nous font revivre cette enquête, menée sous la direction du patron, le commissaire Pierre Ottavioli, que les médias surnommeront « Monsieur anti-rapt », après l’enlèvement du baron Empain.

C’était il y a 45 ans, puisque les faits se sont déroulés le 31 décembre 1975. En pleine réunion, avant je suppose le pot de fin d’année, plusieurs individus font irruption dans les lieux porteurs d’une immense malle en osier. « Lequel de vous est Louis Hazan ? » questionne l’un d’eux. Puis, cette phrase sibylline : « On vient pour le solde. » Et ils repartent avec le PDG dans le panier. En fait, il apparaîtra par la suite que, antérieurement, l’entreprise avait fait l’objet d’une tentative d’escroquerie à grande échelle sous forme d’un faux virement de 3 600 000 francs (1975). Louis Hazan, par le biais de la société Phonogram, est le producteur des grandes stars du moment : Johnny Hallyday, Georges Brassens, Charles Aznavour, Nana Mouskouri, Serge Gainsbourg, et bien d’autres. Les deux anciens policiers nous exposent au fil des pages, le déroulé de leurs investigations, jusqu’à l’arrestation de deux individus, au moment où ils pensaient récupérer la rançon. Un peu cabossés par les hommes de la BRI, ils sont ramenés au 36. Pince-sans-rire, en voyant leur visage tuméfié, le procureur dira : « Je constate que les malfaiteurs ont dû opposer une forte résistance lors de votre intervention… » Dans la soirée du 7 janvier, à la limite de l’heure légale, les inspecteurs du groupe de répression du banditisme de la PJ de Versailles, que j’avais l’honneur de diriger à l’époque, pénètrent dans une résidence de l’Eure-et-Loir et libèrent Louis Hazan de ses chaînes.

L’affaire Hazan, Claude Cancès et Jean-Pierre Birot

 

Aux éditions JPOBonjour, on vient pour l’affaire ! nous dit Alain Hamon. Dans une nouvelle collection dirigée par Jacques Pradel, il nous relate les faits divers qu’il a couvert en 50 ans de carrière, notamment à RTL. Et il en a couvert beaucoup : Michel Fourniret, Jacques Mesrine, Patrick Henry… Ou, en se plaçant du côté des victimes, la mort du petit Gregory, l’assassinat du prince de Broglie, la suspicion autour du « suicide » de Robert Boulin, le meurtre non élucidé du ministre Joseph Fontanet, l’enlèvement du baron Empain, etc. Hamon faisait partie de cette poignée de reporters que l’on retrouvait systématiquement sur les affaires criminelles. Du temps où les policiers ne vivaient pas repliés sur eux-mêmes et n’avaient pas de crainte à parler à un journaliste et, lorsqu’ils le connaissaient, à lui faire confiance.

Ces journalistes, surtout ceux de la radio, ils en passaient des heures de planque, à la recherche de l’info pour alimenter le prochain flash. Parfois, ils « tapaient le voisinage », prenant bien soin de ne pas se présenter comme des policiers, se contentant de cette phrase ambiguë : « On vient pour l’affaire ! ». Comme j’ai dit à vos collègues, répondait le témoin… Et paf, c’était dans la boîte ! Des fois, ils étaient même là avant les enquêteurs. Notamment, nous dit Alain Hamon, grâce aux « grandes oreilles » de RTL, un mystérieux collaborateur, Monsieur Jean, qui suivait les liaisons radio de la police : « Platon 83 à tous les Velours, Autorité 1 vous rejoint… » Si le patron de l’office du grand banditisme va sur le terrain, c’est que ça doit être chaud. C’est Monsieur Jean qui a informé la station de l’assassinat de Jean de Broglie, de Joseph Fontanet, et de bien d’autres, ou de l’accident mortel de Lady Di. A l’époque, les flashes de RTL étaient redoutés des services enquêteurs. Ils arrivaient souvent avant l’appel du procureur.

Bonjour, on vient pour l’affaire ! de Alain Hamon

 

Et pour finir, aux éditions AO – André Odemard, un livre dont l’auteur n’est pas flic, ou alors de cinéma, il s’agit du scénariste et réalisateur Philippe Setbon. Je ne sais pas s’il a pris sa retraite, mais il a écrit un récit de souvenirs, ou plus exactement des instants qui l’ont marqué en travaillant avec des comédiens ou des gens de spectacle. Ce sont près de 80 noms, avec à chaque fois une anecdote et souvent une photo personnelle de l’auteur. Pour les cinéphiles, comme pour les autres d’ailleurs, ces petits clins d’œil de personnages célèbres sont un régal. Au fil des pages, j’ai ainsi découvert qu’Olivier Marchal avait le sens de l’humour. « Il traîne dans son sillage depuis des années une réputation plutôt sombre, voire dépressive, sans doute à cause de ses polars, d’une noirceur sans égale (…) Pourtant, c’est avec lui que j’ai connu quelques-uns de mes plus énormes fous rires. ». Pas à dire, il cache bien son jeu, le Marchal !

Mais en cette période pandémique où chacun devrait se sentir humble, je ne peux m’empêcher de citer Alain Delon. C’était sur le tournage de Franck Riva. Philippe Setbon était à la recherche de Delon pour le pot du dernier clap et la « photo de famille ». Il le trouve songeur, les mains dans le dos, planté devant une affiche agrafée au mur, celle du Cercle rouge de Jean-Pierre Melville. « Regarde bien cette affiche, lui dit Alain Delon, tout le monde est mort sauf moi. Montand, Bourvil, Melville, Périer, Volonte… Tous morts ! Alors, à quoi ça sert de faire une photo de fin de film ? Pour que dans quelques années, on retombe dessus, par hasard et qu’on se mette à compter les morts ? »

C’est un très beau livre cartonné, un beau cadeau, qui se feuillette comme on feuillette d’anciens agendas, avec nostalgie.

Mémorabilia, les rencontres d’un scénariste-réalisateur, de Philippe Setbon

 

 

Chers amis lecteurs,

je me permets de vous souhaiter, euh… une bonne année 2021.

5 Comments

  1. Simplette

    Bonne année (pourquoi pas ?) et longue vie à ce blog indispensable même au lecteur lambda non spécialisé 🙂

    • G.Moréas

      Merci, c’est trop gentil 🙂

  2. Dany

    Mes meilleurs voeux à tous avec un article pour les non professionnels comme moi.
    http://desmaretzgerard.blogspot.com/2020/06/tir-pourquoi-autant-de-positions.html

  3. Janssen J-J

    Merci pour vos vœux, commissaire, et pour l’humour de vos chroniques qui pétillent sans jamais désarmer.
    Je me permets de suggérer mes masque et plume, coups de cœur 2020 peut-être utiles à votre lectorat spécialisé et surtout à notre technocratie dirigeante un brin erratique et égarée, ces derniers temps :
    1 – Milliot Vincent et alii (dir), Histoire des polices en France (Belin)
    2 – Fillieule Olivier, Jobard Fabien, Politiques du désordre (Seuil)
    3 – Dufresne David, Un pays qui se tient sage (film)
    4 – Skogan W., de Maillard J. (ed.), Policing in France, (Routledge).
    2021 ne pourra pas être pire que 2020 en général, et chez nos polices en particulier,… Voilà mon espoir.
    Mes vœux de longévité et d’inspirations à votre indispensable blog !

    • Rey de los Huevones

      Sauf horreur et incompetence politiques (mais on doit -toucher le fond) , 2021 ne peut pas être pire que 2020:
      2020 avait 366 jours.

      Pour les livres, Springer a mis à disposition … des centaines de livres gratuits : https://statsandr.com/blog/a-package-to-download-free-springer-books-during-covid-19-quarantine/#download-all-books-at-once .
      Sachant que ces livres sont scientifiques, assez longs à lire, j’ai calculé qu’empilés et convertis en papier, ils feraient 12 mètres de haut; si j’ai besoin de trois mois pour lire un de ces livres, j’ai le temps de devenir centenaire … (ou aveugle, avant de pouvoir tout lire)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2024 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑