LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Cour d’assises : dans le secret du délibéré

Le procès d’assises qui a conduit à la condamnation de Jonathann Daval, le 21 novembre 2020, pour le meurtre de son épouse Alexia, s’est tenu à Vesoul sous le feu des projecteurs, mais le verdict a été élaboré à l’abri des regards, dans le secret du délibéré.

Personne ne saura ce qui s’est dit derrière la porte de la chambre des délibérations, mais il n’est pas inintéressant de connaître la démarche qui a amené la cour à prononcer une peine de 25 ans de réclusion criminelle, alors que l’avocat général, Emmanuel Dupic, avait conclu son réquisitoire en demandant la perpétuité (art. 221-4 du code pénal, qui dans son 9° ter vise le meurtre commis par le conjoint de la victime, son concubin ou son partenaire pacsé).

Une peine, comme l’a souligné Randall Schwerdorffer, l’avocat de Daval, « qu’on prononce contre les criminels les plus dangereux de la société : Francis Heaulme, tueur d’enfants, Fourniret, Marc Dutroux, Guy Georges… ».

Néanmoins, si l’avocat général requiert une condamnation au nom de la société, si les avocats plaident au nom de leurs clients, c’est finalement la cour qui décide : trois magistrats et six personnes « ordinaires » (neuf en appel) tirées au sort plusieurs fois pour participer à une aventure dont ils garderont à jamais le souvenir.

Ils auront la lourde tâche de se forger une opinion sur une enquête judiciaire, longue de plusieurs années, qu’ils découvriront au fil du procès. En l’espace de quelques jours ou de quelques semaines, ils vont devoir se glisser dans la peau d’un citoyen-juge avec pour tout bagage juridique une formation de quelques heures au cours de laquelle ils auront reçu des notions de procédure pénale et le canevas du déroulement du procès. Pour mieux comprendre, lors des débats, ils peuvent poser des questions aux accusés et aux témoins, en prenant garde toutefois de ne pas manifester leur opinion. Les jurés s’intègrent très vite et sont rapidement en phase avec le ministère public, disait il y a quelques jours l’ancien président de cour d’assises de Paris Dominique Coujard, lors d’une conférence aux avocats du barreau de Paris. « J’ai toujours été surpris par l’intelligence des jurés et leur scrupule à bien juger », ajoutait-il.

C’est leur présence qui justifie l’oralité des débats. Leur nombre a déjà été réduit ces dernières années, mais si l’on devait s’acheminer vers la suppression du jury populaire, comme c’est le cas dans l’expérimentation menée actuellement, on modifierait entièrement l’esprit d’une cour d’assises. Peu à peu, dans la routine des pros, les débats deviendraient plus implicites, plus opaques, et la sentence perdrait alors de son exemplarité.

Mais le moment le plus délicat d’un procès d’assises, commence à la fin, si l’on peut dire, lorsqu’à la clôture des débats, les magistrats de la cour et les jurés se retirent dans la chambre de délibération et « n’en peuvent sortir qu’après avoir pris leurs décisions » (art. 355 du code de procédure pénale).

La qualité de la délibération dépend du président. Il va d’abord expliquer la façon dont les choses vont se dérouler, puis chaque juré va pouvoir lui poser les questions qu’il souhaite ou lui demander des éclaircissements sur tel ou tel point. En fait, c’est une discussion ouverte qui s’engage. Elle peut être longue, et chacun peut exprimer son opinion. On parle jusqu’à plus soif avant de passer aux votes qui consistent à répondre aux questions qui sont posées. La feuille de questions résulte de l’ordonnance de mise en accusation du juge d’instruction. La première porte sur le fait principal (l’accusé a-t-il commis le fait qui lui est reproché) et la seconde, éventuellement, « sur les causes d’irresponsabilité pénale », si celles-ci ont été invoquées comme moyen de défense.

Le vote se fait à bulletins secrets. Chacun des jurés et des magistrats reçoit à cet effet un document marqué du timbre de la cour d’assises, portant ces mots : « sur mon honneur et en ma conscience, ma déclaration est… ». La réponse est oui ou non. Les votes blancs ou déclarés nuls, sont comptés comme favorables à l’accusé.

Les bulletins sont déposés dans une urne et, lorsque tout le monde a voté, le président procède au dépouillement et constate immédiatement le résultat. Toute décision défavorable à l’accusé se forme à la majorité de six voix au moins ou de huit en appel. Les bulletins sont brûlés après chaque scrutin.

Si la réponse à la première question est négative, l’accusé est déclaré non coupable et la cour d’assises prononcera son acquittement. Si la réponse est affirmative, sauf réponse positive à la deuxième question sur les causes d’irresponsabilité pénale, la cour délibère alors sans désemparer sur l’application de la peine. À l’issue de ces délibérations, il est procédé à un nouveau vote. Comme précédemment, la peine maximale encourue ne peut être prononcée qu’à la majorité de six voix au moins ou de huit en appel.

Donc, lors du délibéré du procès de Vesoul, six personnes au moins sur les neuf présentes ont déclaré Jonathann Daval coupable du meurtre de son épouse. Mais quatre au moins ont estimé que la réclusion perpétuelle était une condamnation trop lourde.

Un second vote a donc eu lieu, selon le même scénario, mais cette fois la peine maximale encourue par l’accusé était de trente ans de réclusion criminelle.

Finalement, la cour a retenu 25 ans. Mais, dans l’hypothèse où aucune peine n’aurait recueilli la majorité des suffrages, il y aurait eu un troisième tour où la peine maximale aurait encore été abaissée d’un cran. Elle aurait été de vingt ans. Tant qu’aucune peine n’a réuni la majorité des suffrages, la plus forte est écartée au vote suivant. Et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’une peine soit prononcée.

Les réponses de la cour d’assises aux questions posées sont irrévocables. Depuis la loi du 10 août 2011, qui a inséré l’article 365-1 dans le code de procédure pénale, le jugement doit être motivé. De même que la peine, depuis l’année dernière. Il appartient au président ou à l’un des assesseurs de rédiger cette motivation qui consiste essentiellement à énoncer les principaux éléments de charge qui ont été exposés au cours des délibérations préalablement aux votes sur les questions posées tant sur la culpabilité de l’accusé que sur la peine applicable.

À l’issue du délibéré, l’audience est reprise. À la différence de ce que l’on peut voir dans les films américains, ce n’est pas le premier juré qui annonce le verdict, mais le président : il fait comparaître l’accusé et donne lecture des réponses faites aux questions. Puis il prononce l’arrêt portant condamnation ou acquittement.

Le condamné et le ministère public ont dix jours pour faire appel si la sentence a été rendue en première instance de cour d’assises.

Ensuite, sans l’assistance du jury populaire, la cour se prononce sur les demandes en dommages-intérêts de la partie civile, laquelle peut faire appel de ses intérêts civils, mais pas de la sanction pénale.

Le procès d’assises, tel qu’il se déroule aujourd’hui, est l’exemple d’une justice humaine, une justice qui prend son temps. Un luxe à notre époque où les problèmes se règlent le plus souvent par le bas. On s’achemine donc vers la disparition du citoyen-juge, même si chacun est conscient que les procès criminels entre professionnels du droit ne seront jamais à la hauteur du jury populaire. Une justice de l’entre-soi risque de devenir illisible.

3 Comments

  1. Lobit

    Est-ce un délibéré ?
    Voir à environ la moitié de la vidéo :
    https://www.youtube.com/watch?v=TETLx0lU4GA
    Merci de votre éclairage

  2. Soph'la r'traite

    Salut l’écrivain

    t’as raison, si le jury populaire disparait, il n’y aura plus aucune lisibilité sur les sanctions prononcées.
    Mais, en lisant ce billet, j’entendais dans mon dos, cette foule au ventre mou crier : « A mort ! A mort ! »
    Et ça, c’est pas top.

    • Poisson d'Avril

      he bien, il y a eu aussi des foules qui ont crié « on a gagné » après un acquittement -à Aix il y a 39 ans.
      Ce qui pourrit complètement les cours d’assises actuellement, ce sont les tenorsdubarreau (variété d’avocats venaux, n’hesitant pas à diffamer les victimes de viol pour le seul plaisir de saigner les familles des accusés -parce que les criminels ont aussi un popa et une moman, qui mettent en jeu leurs économies de toute une vie pour que le delinquant puisse egayer leurs vieux jours -rien à voir avec les clichés sur l’humanité-
      Pour voir la différence entre un tenordubarreau et un avocat (reconnu par une foule il y a 40 ans) je voudrais donner un bout de l’éloge funèbre, daté du premeir avril 2020, https://hyetert.org/2020/04/01/adieu-patrick/ d’un avocat digne de ce nom:
      quote
      est décédé dans la nuit du 28 mars dans un hôpital des Hauts-de-Seine, le département dont il assurait avec brio la présidence depuis des années.

      Avec sa disparition la France perd l’un de ses grands hommes politiques. Et le monde arménien la plus grande figure publique qu’il lui restait, après la mort il y a un an et demi de Charles Aznavour. La perte est immense. A la hauteur de l’émotion qui est en train de submerger la communauté. Car cet avocat de profession était l’un des plus grands défenseurs de sa cause, depuis les années 75 où il s’était porté volontaire pour plaider en faveur des premiers combattants emprisonnés : les membres de l’Opération Van, Max Kilndjian, Alec Yenikomchian, Mardiros Jamgotchian, Monté Melkonian. Tout en étant à l’époque le conseil de Jacques Chirac et du RPR !
      /fin de quote

      Nota : malgré la date, l’outrance et le fait que l’invite à commentaire soit en azeri de l’Ouest, le site est authentiquement armenien (une dfes langues utilisées, le kurmanji, est interdite de fait en azerbaijan de l’Ouest) et les noms sités sont ceux de héros separato-terroristes: les propagandistes neo ottomans n’ont pas assez d’humour pour faire un canular et ont carrément jubilé à sa mort.
      Cet avocat digne de ce nom a eu une jeunesse horrible: élevé dans le recit d’un génocide (le recit de pogroms -incendies de platze/mahalla rromen dans les années 2000 en France ou de nettoyages ethniques -déplacement de la Prusse Orientale en 45, avec perte -disparition/verhungert- d’enfants peut traumatiser les enfants et les rendre bizarres), il s’est orienté dans le vol de Simca1000 -faut être débile ou très traumatisé -et le port d’armes prohibés sur la Cote d’Azur, puis vers l’exhibitionnisme sur la rue Soufflot -ses derniers amis ; après il n’a eu que des alliés- dans les années 60: wikipedia + Occident
      dit
      « Patrick D, summoned for an alleged meeting, was brutally interrogated by fellow members, including waterboarding in a bathtub. Devedjian escaped in the nude.[2] »
      Sa carrière politique, malgré des traits d’humour et une certaine constance dans la recinnaissance du génocide, a été assez quelconque. Ce qui le rachètera, ce sont des talents d’avocat:
      sa plaidoirie lors du pocès Kilndjian est disponible en https://haiastan.fr/?p=1244: il rappelle le contexte (l’azerbaidjian de l’Ouest interdisait de parler armenien, avait hérité du genocide -des terrains vagues à Digranakert / Amed sont toujours en litige, les heritiers et survivant etant en proès depuis un siècle avec l’etat neo ottoman- avait 100 000 opposants en prison -c’est pareil, maintenant- et prtaiquait le terrorrisme d’etat : c’est d’un autre niveau que ‘c’était une salope, elle l’a bien cherché quiremplit leportefeuille dodu d’un tenordubarreau- . µIl était assez indulgent avec les bourdes des policiers et mettait en doute les témoignages -ce qui est classique-
      Une particularité de P.D.: il était gratuit quand il s’agissait de plaider pour l’ASALA (quel contraste avec EDM), ce qui fait que les neo ottomans de tous poils, ethylojacobins kemalistes, islamofascistes -AKP- , fascistes -Jeunes Idealistes :Loups Gris- tous court sont unanimes à le traiter de terroriste (c’est l’adjectif à la mode alors qu’on a tout plein de boulevards Robespierre en France, qui sont autant d’apologie du terrorisme).
      Malgré sa mauvaise organisation (quelle idée de mourir au voisinage d’un 1er avril, polluant ses éloges funèbres, il a été, très discrètement (pas d’esbroufe) un excellent avocat, très efficace… et pas cher.

      De quoi faire enrage E Dupont Moretti (qui a échappé à la corvée de faire son éloge funèbre: il eu celui de Halimi: l’avocat des violeurs ne s’en serait pas remis) .

      PS (postscriptum, bien sûr; sans contrefaçon): ses derneirs tweets ont été très gentils pour ses soignants (normalement, si je mourais du CV 19, je serais odieux ne supportant pas d’étouffer pendant des heures), ce qui n’était pas dans ses habitudes…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑