LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Floutage de gueule

Après les attentats du mois dernier, droite extrême et extrême droite sont parties au quart de tour dans une surenchère sécuritaire. Un classique, puisqu’il en est de même après chaque attentat. Mais c’est Éric Ciotti qui a décroché le pompon en réclamant la création d’un « Guantanamo à la française ». Pas mieux, a dû se dire Marine Le Pen.

Du côté de la majorité, pas question d’abandonner du terrain à 18 mois des présidentielles : durcissement du projet de loi sur le séparatisme (qui cherche son point d’équilibre : la liberté d’expression peut-elle être à sens unique ?) et cascade d’amendements à la proposition de loi relative à la sécurité globale.

Ce texte sur la sécurité globale a été porté par les députés Alice Thourot et l’ancien patron du RAID Jean-Michel Fauvergue. Avec l’appui de l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, aujourd’hui président du groupe LREM a l’Assemblée nationale. Il fait l’objet d’une procédure accélérée.

Initialement, cette proposition de loi visait à créer un « continuum de sécurité » en rapprochant policiers, gendarmes, polices municipales et sécurité privée. Soit 400 à 500 000 personnes qui œuvreraient toutes pour notre sécurité. Toutefois, Gérard Darmanin a recentré cette proposition de loi sur la protection des forces de sécurité. Une façon de les dorloter, alors que de sombres nuages s’accumulent au-dessus de la France. Notamment en mettant en application sa promesse « de ne plus pouvoir diffuser l’image des policiers et des gendarmes sur les réseaux sociaux » (une proposition de loi en ce sens avait d’ailleurs été déposée en mai 2020 par le député Éric Ciotti).

Du coup, un texte qui aurait pu faire consensus est pointé du doigt comme une atteinte aux droits à l’information et un nouveau croche-pied à nos valeurs républicaines.

Toutefois, si l’on passe outre à la démagogie sécuritaire, peut-on trouver des justifications sérieuses à une telle décision ?

L’image, notre image, fait partie intégrante de la vie privée. Or, depuis une loi promulguée le 18 mars 1803, reprise texto dans l’article 9 du code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Oui, je sais, ça sonne bizarre aujourd’hui… Il en résulte qu’une personne dont l’image est rendue publique sans son consentement, par la reproduction de son visage ou de toute autre manière, peut agir en justice. Mais souvent, ce droit se heurte à la liberté d’expression qui est considérée comme l’un des fondements d’une société démocratique. C’est d’ailleurs au nom de la liberté d’expression que le président Macron défend les caricatures de Charlie Hebdo : pour qu’en France « les Lumières ne s’éteignent jamais » (hommage à Samuel Paty, 21 octobre 2020). Il appartiendra donc au juge, lorsqu’il est saisi, de trouver l’équilibre entre ces deux droits fondamentaux. Mais souvent, pour éviter tout procès, les médias préfèrent pratiquer le « floutage », sous réserve, au passage, de respecter le droit moral de l’auteur du cliché ou de la vidéo (art. L 121-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle).

Et c’est cet équilibre entre deux exigences démocratiques que la loi nouvelle pourrait rompre.

En effet, si les policiers comme les gendarmes ont le même droit à l’image que chacun d’entre nous, ils n’ont pas de protection particulière liée à leur profession. « La liberté de l’information, qu’elle soit le fait de la presse ou d’un simple particulier, dit une note du DG de la police nationale en date du 23 décembre 2008, prime le droit au respect de l’image ou de la vie privée dès lors que cette liberté n’est pas dévoyée par une atteinte à la dignité de la personne ou au secret de l’enquête ou de l’instruction. »

Autrement dit, lors d’une opération de police, l’action des forces de l’ordre est en soi une information d’intérêt général qui prévaut sur leur droit à l’image. Mais en revanche, si l’image diffusée porte sur la vie privée du représentant de l’ordre ou s’accompagne de commentaires haineux ou attentatoires à l’honneur ou à la dignité, les faits deviennent punissables.

L’article 24 de la nouvelle loi fait donc fi de la liberté d’expression pour ne conserver que l’aspect punitif : le fait de diffuser l’image du visage ou de tout autre élément d’identification d’un policier ou d’un gendarme en opération, est puni d’un an de prison et de 45 000 € d’amende, si la diffusion a été faite « dans le but de porter atteinte à son intégrité physique ou psychique ».

On peut se demander si le législateur pense au RIO, le matricule que les policiers et les gendarmes doivent – en principe – porter sur leur uniforme ou leur brassard, lorsqu’il parle de « tout autre élément d’identification » …

Après l’anonymisation dans certaines procédures des policiers, des gendarmes et des douaniers, ce nouveau texte qui veut obliger les médias et les réseaux sociaux à flouter les éléments d’identification des forces de sécurité, montre la volonté politique d’isoler un peu plus celles-ci de la société. Je suis sûr que de nombreux policiers seront d’accord avec moi pour dire que la police républicaine ne peut pas être une police secrète. Et qu’ils assument le danger du métier qu’ils ont choisi, sachant qu’il est dangereux.

Alors, cette nouvelle loi va-t-elle rassurer les policiers et les gendarmes ? En tout cas, il n’est pas inintéressant de s’interroger sur son utilité, puisque « l’atteinte à l’intégrité physique ou psychique » qui caractérisera légalement cette nouvelle infraction correspond à la définition même d’une infraction déjà existante : les violences légères, qui sont souvent psychologiques. Une contravention de 4° classe (R 624-1), lorsque ces violences n’entraînent aucune incapacité de travail. Mais si l’une des circonstances aggravantes énumérées à l’article 222-13 du code pénal est applicable, l’infraction devient un délit : les violences psychologiques commises contre une personne dépositaire de l’autorité publique dans l’exercice de ses fonctions sont punies de 3 ans de prison et de 45 000 euros d’amende.

Il est rare qu’une loi nouvelle soit plus clémente qu’une loi ancienne : « C’est la porte ouverte à toutes les fenêtres. »

2 Comments

  1. Roberto Rastapopoulos

    Guantanamo à la française?

    cela s’appelait Poulo-Condor ou la Villa Sésini pour rafraichir votre mémoire

  2. Janssen J-J

    Décidément, êtes en grande forme…
    Floutage de gueule, porte ouverte à toutes les fenêtres,
    ADMIRATION…
    Interpellé une fois par erreur dans la rue, j’ai exigé d’examiner le RIO d’un agent, et feint de sortir un calepin pour le noter, alors qu’il n’était pas apparent et n’existait sans doute pas. Etant dépourvu de smarphone, je n’ai même pas essayer de filmer l’agent en question. Déja qu’on m’arracha le calepin, j’imagine qu’on m’aurait écrasé le phone sur la face pour m’apprendre à vivre… Mais, là, on me dira que je suis pas très objectif. Le RIO grande… Et pourtant, « oui, je suis sûr que de nombreux collègues policiers seront d’accord avec moi pour dire que la police républicaine ne peut pas être une police secrète »… Secrète, non, mais…. qui n’ait pas à rendre des comptes aux citoyens curieux de voir comment elle se comporte en toute occasion de déploiement visible, et comment elle en accepte la redevabilité sur le champ, euh… Un Squale ?… Permettez que je détale, Bernard… Bien cordialement !

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