LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Cour d’assises : la fin du jury populaire se fait-elle au détriment des victimes ?

La loi Dupond-Moretti sur « la confiance dans l’institution judiciaire » a été sérieusement détricotée par les sénateurs, mais finalement la commission mixte paritaire a trouvé un accord sur un projet qui devrait être adopté dans les prochains jours.

Sauf amendement de dernière minute, les cocus de ce texte sont les avocats. Le garde des Sceaux voulait inscrire le secret professionnel dans le marbre et les députés l’avaient même sacralisé. Finalement, par un jeu de circonvolutions, la loi qui sort du chapeau le met quasiment ko. Un paragraphe est particulièrement retors, et quasi insultant, puisque le secret professionnel ne pourrait plus être opposé aux enquêteurs, si l’avocat, de bonne foi, a été manipulé par son client.

Mais cette loi sonne aussi le glas de la justice « pour le peuple, par le peuple » : à partir de 2023, les crimes punissables d’une peine pouvant atteindre 20 ans de réclusion seront jugés par une « cour criminelle » composée uniquement de professionnels du droit. Exit le jury populaire. C’est symbolique : on touche là à un héritage postrévolutionnaire, sans aucune justification sérieuse, juste une histoire de gros sous.

Pour avoir été échaudés dans tous les domaines, on sait très bien que les lois expérimentales sont adoptées et que les lois adoptées sont ensuite modifiées pour toujours aller plus loin. Il ne faudra pas attendre longtemps avant que toutes les affaires criminelles se passent de l’avis du peuple. A l’appui du bien-fondé de ces modifications, on citera les dossiers terroristes jugés par une cour d’assises spéciale, sans jury populaire, comme c’est le cas actuellement pour les attentats du 13-Novembre. Et pourtant, s’il y a des affaires qui concernent le peuple, c’est bien celles-là.

C’était d’ailleurs l’avis des parlementaires lors du vote de la loi antiterroriste de 1986 : le crime terroriste visant d’une manière aveugle tous les citoyens, les personnes mises en cause doivent être jugées par un jury populaire.

Mais Régis Schleicher, ce dur d’Action directe, en a décidé autrement. Le 3 décembre de la même année, lors de son procès pour le meurtre de deux gardiens de la paix, avenue Trudaine, à Paris, il profère des menaces de mort contre les jurés. Certains prennent peur (c’était une époque de forte insécurité terroriste). Cinq d’entre eux vont présenter un certificat médical. Le procès est renvoyé.

Trois mois après la promulgation de la loi antiterroriste, un additif a donc été ajouté : les infractions criminelles en rapport avec le terrorisme seront jugées par une cour d’assises spécialement constituée. Elle ne comprend aucun juré. Elle siège à Paris et elle est composée de magistrats professionnels : le président et six assesseurs. En appel, elle compte deux assesseurs supplémentaires.

En 1992, sans trop que l’on sache pourquoi, la compétence de cette juridiction d’exception a été élargie au trafic de stupéfiants en bande organisée.

Mais en dehors de cet aspect historique, l’apparition de la cour criminelle départementale ne diminue-t-elle pas l’influence de la victime dans le procès criminel ?

En effet, dans notre droit, la victime est partie civile. Elle est partie au procès pénal, que ce soit au stade de l’instruction ou du jugement avec des possibilités d’intervention qui n’ont eu de cesse de s’intensifier ces dernières décennies. Elle peut demander au juge d’instruction d’effectuer certains actes, elle peut à l’audience faire venir des experts, des témoins…, mais il y a un volet qui lui est fermé : la condamnation pénale de l’accusé. La Cour européenne des droits de l’homme considère en effet que l’action civile ne peut pas être exercée à des fins purement répressives. Autrement dit, il n’y a pas de droit à la « vengeance privée » : la justice ne devrait alors s’intéresser qu’au dommage causé à la société ? comme le disait Beccaria. C’était en 1700 et des poussières…

La victime, partie civile, ne peut pas intervenir sur la sentence, pas plus qu’elle ne peut prendre l’initiative de faire appel du jugement pénal. Son seul droit est de faire appel de la décision qui fixe la réparation monétisée de son préjudice.

Et pourtant, j’aurais tendance à dire que la personne qui recherche une condamnation pénale n’est pas moins digne de respect que celle qui recherche une réparation pécuniaire.

Or, notamment dans une affaire criminelle, l’appel est souvent primordial. Pour mémoire, lors de sa création en 2000, la cour d’assises d’appel ne pouvait être saisie d’une décision d’acquittement prononcée en première instance. Un acquittement était définitif. Ça renâclait dans la magistrature. Deux ans plus tard, une nouvelle loi venait modifier le texte initial, stipulant que le procureur général pouvait dorénavant faire appel d’une décision d’acquittement. Pourquoi cette exigence ? On a estimé que la décision de relaxe d’une personne présentée comme un criminel méritait un deuxième tour.

À titre d’exemple, en 2006, Maurice Agnelet a été jugé innocent du meurtre de sa maîtresse, Agnès Le Roux, par la cour d’assises des Alpes-Maritimes ; et condamné pour les mêmes faits l’année suivante à vingt ans de réclusion criminelle devant la cour d’assises en appel des Bouches-du-Rhône.

La cour d’assises a un taux d’appel de plus de 30 % alors que la cour criminelle, sur retour d’expérience, se situe à moins de 20 %. Les jugements rendus par cette nouvelle juridiction sont donc satisfaisants pour l’accusé et la société, représentée par l’avocat général, dans plus de 80 % des cas. C’est remarquable.

Mais en est-il de même pour la victime ? On ne sait pas. On ne lui demande pas son avis. Une chose est sûre : elle perd un peu plus la possibilité de faire appel d’une condamnation trop faible ou d’un acquittement.

D’après le Conseil d’État, 93 % des affaires jugées par les cours criminelles « expérimentales » concernent des viols ou des viols aggravés, le plus souvent des femmes. Alors, il me semble qu’il faut s’interroger : ne serait-il pas temps de faire une distinction entre la victime directe d’un crime et la victime indirecte ? Entre deux parties civiles, la femme violée et l’association qui représente les femmes violées, ne serait-il pas envisageable d’accorder à la première les mêmes droits qu’à l’accusé ? Pour paraphraser le code de procédure pénale, on pourrait appeler ça l’équilibre des droits des parties.

2 Comments

  1. Petit Rappel

    Un jury composé de professionnels du droit. C’est le retour de la justice de l’époque de d’Aguesseau quî ne fonctionnait pas toujours si mal qu’on a bien voulu le dire. Un cycle se ferme, constatation, non jugement.

  2. Strahd Ivarius

    Mais que dit la loi concernant les avocats complices ?
    C’est-à-dire ceux qui savaient que leur client volait la loi, et ont continué à faire affaire avec lui.
    Exemple :
    Une personne ouvre un abonnement mobile en utilisant une fausse identité, et utilise cet abonnement pour communiquer avec son avocat, qui enregistre dans son téléphone le numéro sous la fausse identité de son client.
    Dans ce scénario totalement fictif, l’avocat n’aurait quand même pas l’effronterie de se prévaloir du secret professionel pour toute conversation interceptée, quand même ?

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