Le défi, c’est de faire entrer un maximum de choses dans un minimum de temps. A l’horizon de quelques mois, la garde à vue va donc devenir une véritable course contre la montre pour les policiers et les gendarmes. Voyons un peu… Top chrono !
1/ Arrestation des suspects, perquisition, relevé des traces et indices, saisies et… retour au service : 2 à 3 heures
2/ Notification de la garde à vue et des droits, procès-verbal sur l’état civil (et non pas sur les faits. Quid s’il s’agit de faux papiers ?) et premières vérifications : 1 heure
3/ Recherche des avocats et organisation du transport à l’unité médico-judiciaire (voir plus loin) : 2 à 3 heures.
4/ Retour au service où les avocats attendent. On leur explique la situation de la personne qu’il représente. Et on leur demande de patienter le temps de préparer une première audition : 1 heure.
5/ Première audition des suspects en présence de l’avocat : 1 ou 2 heures par individu.
6/ Une petite pause casse-croûte et… il reste 12 heures de garde à vue. Si l’on retranche un temps de repos raisonnable, tant pour les suspects, que leurs avocats et les policiers, il reste 5 ou 6 heures pour boucler l’affaire. Autant demander la prolongation tout de suite.
Il aura fallu une décision du Conseil constitutionnel, deux arrêts de la Cour européenne et deux décisions de la Cour de cassation, pour que le gouvernement admette l’archaïsme de la garde à vue à la française. Le législateur est donc aujourd’hui « en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l’ordre public au cours d’une mesure progressivement devenue un symbole de l’enquête policière », déclare le député Michel Hunault, en ouverture du débat du 18 janvier 2011. Il s’agit pour les parlementaires de légiférer dans l’urgence sur une situation que chacun savait intenable. Et, pour l’anecdote, c’est la première fois que l’Assemblée nationale est saisie d’un projet de loi qui fait suite à une QPC (question prioritaire de constitutionnalité).
L’application de cette réforme va profondément chambouler les pratiques policières – et au-delà. À tel point qu’une période de rodage paraît indispensable. Le problème, c’est la date butoir fixée par le Conseil constitutionnel : le 1er septembre 2011. Il reste donc sept mois pour voter la loi, former les OPJ, les magistrats et les avocats, et mettre en place les structures nécessaires. Or, pour l’instant, on n’en est qu’au projet (voir le mécanisme du vote de la loi sur Vie-Publique).
Bouh !…
Évidemment, parmi les modifications, la plus importante concerne la place de l’avocat dans le déroulement de la garde à vue. Par la force des choses, un consensus s’est aujourd’hui dégagé pour admettre sa présence, tant auprès des parlementaires de la majorité que des policiers.
Voici l’article le plus simple, et sans doute le plus marquanr, de cette loi : « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui. »
C’est lapidaire à souhait, comme l’était antan l’article 12 du Code pénal : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. » D’ailleurs, pour certains élus, cette réforme est la plus importante depuis la suppression de la peine de mort. La comparaison est un peu forte.
En attendant, cette petite phrase risque fort de ringardiser à jamais tous les films policiers, car c’est la fin de la fameuse scène du face-à-face entre le flic et le criminel. Ou pour le moins l’introduction d’un nouvel acteur, l’avocat, ce qui risque de faire fondre le charme. D’autant qu’on ne voit guère ce dernier encourager son client à faire des confidences – sauf à pouvoir négocier la qualification de l’infraction, ce qui n’est pas prévu (pour l’instant) à ce stade.
Il faudra donc que les enquêteurs s’habituent et qu’ils ne comptent plus ni sur les aveux ni sur ces confidences grappillées au fil d’un entretien à bâtons rompus (?). Du coup, c’est l’articulation même de l’enquête policière qui va se trouver modifiée. L’audition du suspect, ce morceau de roi que se réserve souvent le chef de groupe, ne fera plus recette. Les actes les plus importants deviendront alors la perquisition, les saisies et les confrontations.
Comment devrait se dérouler une mesure de garde à vue new look ?
Une fois sur place, l’avocat est informé des faits qui sont reprochés à son client. A priori, il n’aura toutefois pas accès à l’ensemble du dossier, ni aux dépositions des autres personnes qui pourraient être impliquées. Ce qui veut dire que l’avocat est là essentiellement pour s’assurer que les droits de son client sont respectés – et non pour participer à l’enquête. En revanche, il est évident que les déclarations effectuées en sa présence revêtiront un caractère plus « officiel » que par le passé. À tel point que l’on peut se demander si l’OPJ ne va pas remplacer le magistrat !
Je crois qu’il faut bien préciser le rôle exact de l’avocat. Car s’il agit comme conseil dans l’affaire, il ne peut alors représenter qu’une seule personne ; les différents suspects n’ayant pas nécessairement des intérêts convergents. Ce qui impose un avocat pour chacun des gardés à vue. Or, s’il s’agit d’un crime ou d’un délit en bande organisée, il peut y avoir dix ou vingt personnes interpellées en même temps. Je me souviens d’une affaire où les procédures (une par client) étaient posées sur le sol, et faisaient le tour de mon bureau. Donc, 20 gardés à vue = 20 avocats. Il va falloir repousser les murs…
Et l’on suppose que ces 20 avocats vont suivre le dossier jusqu’au bout. Car on n’imagine pas que le procureur ou le juge d’instruction puisse rompre la chaîne… Or une enquête de ce genre, qui met en cause beaucoup de gens, entraîne généralement une garde à vue de 48 heures. Je me demande comment ils vont s’organiser…
En dehors de la présence de l’avocat, les choses, semble-t-il, ne changeront pas énormément. La garde à vue reste le domaine privilégié de l’OPJ, sous le contrôle du procureur (dans les débats, il semble qu’on ait un peu oublié le juge d’instruction). Mais la mesure est désormais encadrée. Elle ne peut être utilisée que pour les crimes ou les délits punis d’une peine d’emprisonnement (donc pas les contraventions) et pour les raisons qui seront énumérées dans le Code. Ce qui peut poser quelques problèmes, notamment dans les interventions sur la voie publique. On risque de voir s’envoler le nombre de procédures pour rébellion, uniquement pour justifier une interpellation un peu hâtive qui ne correspondrait pas aux critères de la loi.
Dans les modifications attendues, on peut noter que le gardé à vue aura désormais la possibilité d’informer deux personnes, un proche et son employeur. Alors qu’aujourd’hui, c’est l’un ou l’autre. Même si dans les faits, les enquêteurs savent souvent se montrer conciliants.
Enfin, le droit d’être examiné par un médecin demeurerait inchangé, mais bizarrement, celui-ci ne donnerait plus son avis sur l’aptitude (physique ou mentale) de son patient au maintien en garde à vue. On peut donc supposer que la décision reviendra à l’OPJ, en fonction du certificat délivré par le praticien. Il y a là un transfert de responsabilité.
À noter, pour rester dans le domaine médical, qu’une circulaire interministérielle (Justice/Santé) prévoit que, depuis le 15 janvier, l’examen doit se dérouler dans l’Unité médico-judiciaire (UMJ), lorsqu’il en existe une sur le ressort du TGI. Il faut donc prévoir, dit le directeur général de la police nationale, une escorte pour accompagner les gardés à vue. Un véritable casse-tête pour certains services, même si des dérogations sont envisageables. « Cette circulaire (…) va mobiliser un grand nombre de policiers et de véhicules alors même qu’on réduit les effectifs et les moyens matériels », remarque l’ UNSA Police.
Et enfin, et c’est important, la loi doit garantir le respect de la dignité humaine, notamment en interdisant les fouilles à corps intégrales liées à la sécurité. Une telle fouille resterait possible, mais uniquement pour des raisons concernant l’enquête. Dans ce cas, elle est assimilée à une perquisition – donc, en enquête préliminaire, il faut l’accord de l’intéressé.
À mon avis, cette réforme de la garde à vue effectuée sous pression ne peut être qu’un replâtrage. Et il faudra attendre un remaniement sérieux de la procédure pénale pour que la France possède enfin un système qui préserve au mieux les droits de la défense et la dignité humaine, sans nuire au bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.