Tout a commencé en octobre 2007. Nicolas Sarkozy a voulu un nouveau livre blanc sur la sécurité. Une commission créée pour la circonstance planche sur le sujet et, en 2008, il ne reste plus qu’à passer à l’acte. D’où LOPPSI 2 (LOPPSI 1, c’était en 2002), projet présenté au parlement en mai 2009 par son successeur au ministère de l’Intérieur, MAM en personne. En cette fin d’année 2010, c’est le successeur du successeur qui suit le dossier. Certes, les amendements pleuvent, (ils seront examinés mi-décembre) mais la loi devrait finalement être adoptée dans les prochaines semaines. En tout cas avant 2012.
On peut imaginer combien elle a été mitonnée !
Dans ce fatras de nouvelles dispositions, au milieu de la lutte contre la grande criminalité, la cybercriminalité, les actes de pédophilie, etc., j’en ai retenu une : la vente à la sauvette.
Il s’agit d’un amendement destiné à s’insérer dans la partie « crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique », qui créé le délit de vente à la sauvette. Le fait de vendre sur un bout de trottoir des fruits, des gadgets ou je ne sais quoi, deviendrait ainsi punissable de six mois de prison et 3 750 € d’amende. Alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une contravention de 4° classe. Avec, comme il est de mise pour tout nouveau texte, un petit plus : la peine d’emprisonnement et l’amende seront aggravées si l’infraction est commise en bande organisée.
Cela, nous disent les députés, afin d’être en mesure de procéder à « l’interpellation » et au « placement en garde à vue, notamment afin de permettre la recherche de l’identité de l’auteur et l’inscription dans les fichiers de police, en particulier au STIC ». Bon, sauf que…
Aujourd’hui, le contrôle d’identité autorise une retenue de quatre heures et, une fois à la disposition de l’OPJ, rien n’empêche celui-ci de placer le suspect en garde à vue, puisque l’enquête préliminaire le permet, quelle que soit l’importance de l’infraction (même si cela se pratique rarement pour une contravention). Il est vrai que bientôt, après la réforme, il en sera sans doute autrement. Mais la garde à vue sera alors impossible si la peine encourue est inférieure à un an d’emprisonnement. Alors…
Ou les députés ne connaissent rien à la procédure pénale ou leurs arguments pour faire de la vente à la sauvette un délit sont fallacieux.
Et de s’interroger ! Ont-ils consulté policiers et gendarmes avant de pondre ce texte ? Car je ne sais pas s’ils sont conscients du surcroît de travail – et de frais – engendrés par ce petit changement… Garde à vue, médecin, avocat, probablement aide juridictionnelle, mise sous scellés de la marchandise, transfert du suspect, présentation à un magistrat, comparution immédiate, etc.
Et n’y a-t-il pas quelque chose de ridicule à faire de « la vente à la sauvette en bande organisée » un délit aggravé ! D’abord, c’est quoi une bande organisée ? Je n’ai pas trouvé de définition dans le projet de loi, mais si l’on en croit Georges Brassens, « sitôt qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons »… Mais, cela ne s’applique pas seulement aux vendeurs de grigris sur les trottoirs des villes, hein !
De quoi qu’y se mêle le poète !
Plus sérieusement, il y a plein d’autres choses dans cette loi « tant attendue ». En épluchant la liste des amendements, on apprend, par exemple, que le système d’alerte des populations est obsolète. Et qu’en plus de sa modernisation, il pourrait être prévu l’envoi de message SMS pour aviser le bon peuple d’un danger imminent. La sirène du premier mercredi du mois aurait-elle vécu ?
Ou encore que la loi HADOPI, ce truc que le monde entier nous envie, est en contradiction flagrante avec la loi sur la sécurité. Car le fait de généraliser la surveillance d’Internet pourrait inciter les internautes à crypter leurs liaisons. « Ce qui a amené la NSA américaine et les services de renseignements britanniques à alerter leur gouvernement respectif sur les conséquences en matière de sécurité nationale dans le cas où une loi de type HADOPI serait adoptée dans ces pays ».
Qu’en pense-t-on à la DCRI ?
Quant aux académiciens, ils seront heureux d’apprendre la naissance officielle d’un nouveau mot : « vidéoprotection », lequel devra remplacer dans tous les textes législatifs et réglementaires le mot « vidéosurveillance » – ce qui évidemment, change tout.
Pour les policiers et les gendarmes, bonne nouvelle : la moitié des véhicules neufs rejetteront moins de 130 g de CO2 au kilomètre. Mais ils seront peut-être plus intéressés de savoir qu’un concours de recrutement spécifique à l’Île-de-France va voir le jour (avec une obligation d’exercer pendant huit ans dans l’enfer de la capitale ou sa périphérie), conformément au décret du 14 décembre 2009. Ou que « l’indemnité de fidélisation » va évoluer pour les fonctionnaires actifs exerçant dans ladite région.
Quant aux magistrats, il va falloir qu’ils se familiarisent avec la vidéoconférence, car extraire un détenu de sa cellule coûte cher. 1 270 ETPT pour 155 000 extractions réalisées en 2008. Pour les nuls qui en seraient restés à l’euro, l’ETPT est une mesure du temps de travail. Ainsi, un fonctionnaire à temps plein représente pour les technocrates 1 ETPT. Mais s’il travaille à mi-temps, il ne compte plus que pour 0,5 ETPT.
À tout hasard, je vous donne la formule :
Pour économiser des ETPT, les juges devront-ils procéder à des interrogatoires à distance ?
Alors, finalement, que faut-il penser de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est aussi tarabiscotée que son titre. Dans un communiqué de presse de juillet 2009, le Syndicat de la magistrature déclarait que cette loi « révèle une conception de la société à la limite de la paranoïa », et que le projet « est rédigé (sciemment ?) de manière si complexe et si obscure qu’il sera inintelligible pour le justiciable et les professionnels en charge de le mettre en application ».
Tellement complexe, qu’on peut même se demander si tous les élus savent pour quoi ils votent.
Du coup, je comprends mieux pourquoi j’ai rien compris. Allez, je préfère me remettre un petit coup de Brassens : « Bande à part, sacrebleu ! c’est ma règle et j’y tiens. Parmi les noms d’élus, on n’verra pas le mien ».
« Aujourd’hui, le contrôle d’identité autorise une retenue de quatre heures »
C’est la vérification d’identité qui autorise la retenue de 4 heures et non le contrôle d’identité.
De plus, la vérification d’identité est entourée de protection (avis au parquet, possibilité de téléphoner, remise du procès-verbal des investigations faites par la police).
La différence est d’importance, tant au niveau des droits, qu’au niveau de la coercition employée : un contrôle d’identité se fait sur la voie publique sans conduite dans un local de police.
C’est vrai pourtant que mes collègues ont parfois tendance à oublier ces détails….
Donc si vous avez vos papiers (ou un élément permettant d’établir votre identité), on ne peut pas vous emmener.
Et en passant, Bravo pour ce blog !
Il n’y en a que deux que je regarde très fréquemment, le votre et « droites extrêmes »
« Vidéoprotection » à la place de « vidéosurveillance », ça fait déjà un bout de temps que l’expression est entrée en vigueur (après avoir été lancée par la bouche à feu du ministre de l’Intérieur).
On imagine maintenant le remplacement de la formule « surveillance des casinos » (y compris sur le Net) par celle de « protection » de ceux-ci : cela correspondra mieux à la réalité !
Pourquoi faire de la vente à la sauvette un délit? Pour les statistiques bien sur, les IRAS (Infractions Répertoriées par l’Action des Services) comme le conso de shit ou le porteur de couteau ça fera des « affaires résolues » en plus dans les cases…
La tendance est au compliqué et illisible, on peut y voir plusieurs raisons (seulement si on a mauvais esprit?):
– ça permet de faire voter au canon des députés découragés à qui il suffit de dire que c’est la volonté du gouvernement, donc de leur parti, et que donc ils sont d’accord (et si nécessaire on fera revoter ceux qui auraient mal voté parce qu’ils auraient lu quand même, Accoyer veille)
– ça permet aux forces de l’ordre d’avoir raison contre les plus faibles et les moins bien défendus
– ça permet aux mieux défendus par de plus rusés avocats de s’en sortir parce que les forces de l’ordre n’auront quand même pas tout ingurgité des virgules et subtilités
La tendance est la même en matière fiscale: plus c’est compliqué, plus ça piège de faibles et plus ça permet aux forts de s’en sortir
Et pour le remplacement de la surveillance par la protection, je suppose qu’une filature va maintenant s’appeler une « protection policière » et qu’une planque va s’appeler une « protection invisible »?
Comme remarqué dans un commentaire précédent, la caméra surveille, c’est l’ensemble des mesures prises ensuite par enquête sur les indications données qui pourrait être une protection, la « volonté du législateur » me paraît bien naïve.
Il ne reste plus qu’à renommer le ministère « de la protection intérieure », c’est pas pire que l’identité nationale
euh… excusez-moi GM, la rectification technique ne vous concerne pas (en même temps je trouvais ça surprenant venant de vous!). Elle concerne le message de Opsomer.
Le concours spécifique ile de France avec engagement de 8 ans existe déjà, le premier a eu l’année dernière.
Certains ont pu se consoler avec le concours sur tout le territoire qui offrait 25 places. Dont une vingtaine sur Paris…
à GM, petite précision technique.
« L’article 17 A de la Lopssi 2 stipule que… »
Un article dispose, une clause stipule. Par contre un article ne stipule pas.
Sinon merci pour votre blog qui porte un regard lucide sur l’actualité en matière de sécurité.
Quand quelqu’un désigne la lune de son doigt, il y a toujours un imbécile pour regarder… ce que vous avez dans la poche !
J’ai perdu tout sens mathématique avec la statistique. A force d’arithmétiser la vie, de la compliquer à loisir… je ne savais plus quel train se vidait en croisant un lavabo.
Du coup, j’en ai aussi perdu mon tas de sable et mon ch’val…
C’est Proudhon qui me les a ramenés. J’suis retombée sur lui… presque par hasard ! Me suis souvenue qu’avec ces tentatives de mettre de l’ordre partout… ça devenait tellement chaotique !
Alors… j’ai pété son doigt à l’imbécile et… j’ai regardé la lune après avoir recousu mes poches.
J’ai bien fait gaffe que rien ne dépasse et puis… me suis faite toute petite. J’ai pô appelé ma mère ; j’ai haussé les épaules et tourné les talons, méprisé l’incongrue…
Demain, c’est sûr, j’irai pas voter. M’en suis fait une raison : depuis que je picole… je comprends Nicolas !
L’article 17 A de la Lopssi 2 stipule que dans tous les textes législatifs et réglementaires, le mot : «vidéosurveillance» est remplacé par le mot : «vidéoprotection» (sic). Or, l’éditorial de «La Lettre d’information des professionnels de la sécurité, police» du 26 juillet 2008, réalisé par Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, précisait, pourtant, que «Parler de vidéoprotection constitue une erreur: cela revient à confondre les objectifs (protéger) et les moyens (capture d’images à distance et transmission à un PC ou exploitation a posteriori). Le titre cherche à légitimer une technologie en la rebaptisant : protection est connoté positivement et surveillance… négativement. Or, la technique permet bien de surveiller. Permet-elle de protéger ?». Les tenants de cette technologie sont-ils si hypocrites pour espérer duper par ce misérable artifice ? En adoptant ce changement lexical sémantique, considèrent-ils que les Français sont des niais ? Hélas, oui !
Merci bien ! Je devais être sur une autre planète… Ou alors, c’est la faute à Brassens. Voilà, c’est corrigé.
Très finement remarqué.
Cependant, concernant le passage sur l’HADOPI et le cryptage des données, il faut lire NSA (National Security Agency) et non NASA (National Aeronautics and Space Administration).
Cordialement.
…la NASA américaine et les services de renseignements britanniques…
NASA ou NSA ?
…videosurveillance… : que ces systèmes POURRAIENT porter atteinte à CERTAINS aspects de la vie privée
et même la CNIL POURRAIT ! Vidéosurveillance : la CNIL demande un contrôle indépendant
08 avril 2008
CERTAINS : lesquels ? Coller des PV depuis la « videoprotection » (Draguignan, été 2008)?
Bah avec un peu de chance il sera si difficile à mettre en place à appliquer et à interpréter pour les décisions de justice, qu’il fera natre de jolies jurisprudences et sera mort-né pour les plus attroces de ses articles. Je pense à la surveillance d’Internet, entre autres.
Mario Monicelli est mort 🙁
Brassens aussi, mais lui, c’était y a longtemps…
Excusez moi,
c’est l’émotion…
La bande organisée est définie à l’article 132-71 du code pénal:
« Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions. »
L’usage du mot « vidéoprotection » est un bel exemple de novlangue, ou jargon officiel fallacieux, ou simplement publicité mensongère.
– vidéoprotection suggère que le procédé fasse baisser les atteintes aux personnes et aux biens, ce qui est très loin d’être prouvé, pour le dire gentiment.
– videosurveillance implique seulement une hausse du taux d’élucidation une fois le délit commis, ce qui en pratique est extrêmement marginal.
On notera l’admirable « remplacer par … qui reflète la volonté du législateur », en bon anglais « wishful thinking », en bon français « prendre ses désirs pour des réalités ».
Merci de votre analyse et de la référence à Brassens. La seconde tempère la tristesse de la première.
Il est asurément des mesures de ce projet qui doivent être intéressants. Mais nous ne pouvons plus nous empêcher de douter systématiquement depuis 2007.
Vous confirmez en effet que certaines des mesures seront inapplicables.
Vous confirmez que certaines mesures pourront être appliquées à d’autres fins que celles auxquelles elles paraissent destinées.
Vous confirmeez que l’inflation pénale, tant en quantité de texte qu’en allourdissement des peines est incohérente avec les moyens de la justice, de l’administration pénitentiaire et de la police.
Vous confirmez les risques liberticides pour des avancées insignifiantes en matière de sécurité.
Vous restez mesuré dans vos propos, ce qui les rend d’autant plus crédibles.
Nous sommes inquiets pour nos libertés. La justice européenne et les diplomates américains nous confirment le bien fondé de nos inquiétude lorsque l’on lit par dessus leur épaule « autoritaire » (merci les fuites).
Nous pensons qu’outre une politique de rodomontades marketing, nous sommes face à une montée de l’autoritaisme dangereuse.
Voir : « Appel à l’autorité – Pourquoi ? Jusqu’où ? » sous http://nateagsemlac.blog.lemonde.fr/