LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 16 of 25)

Garde à vue : course contre la montre

Il ne reste qu’un petit mois aux parlementaires pour accoucher de la loi qui va réformer la garde à vue – et sérieusement tournebouler le traintrain des policiers et des gendarmes. En effet, le projet qui est actuellement discuté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, prévoit, en son article 18, que la loi devra entrer en vigueur « le premier jour du deuxième mois suivant la publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 ».

extrait-alice-au-pays-des-merveilles.1301823002.gifJe vais vous faire une confidence : le texte est tellement embrouillé, que même ça, j’ai du mal à imprimer. Le premier jour du deuxième mois…

Conclusion : il reste trois semaines avant le vote définitif. La difficulté majeure, on l’a bien compris, c’est la présence de l’avocat. Pour l’instant, certains tentent de faire entrer de force une sorte d’audition libre qui pourrait être effectuée sans sa présence, et sans contrainte d’aucune sorte – sauf celle d’être placé en garde à vue en cas de refus. Cette mesure, envisagée un temps, puis repoussée par les deux assemblées, refait surface dans l’article 11 bis qui rappelle que l’OPJ n’est pas obligé d’utiliser la garde à vue, même si les conditions sont réunies. Mesure qui ne semble pourtant pas en phase avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est du moins l’avis de Jean-Jacques Urvoas, le Monsieur sécurité du PS. Pragmatique, il propose donc que la personne qui accepterait une audition libre « dispose d’un statut protecteur minimum », comme la possibilité de téléphoner à son avocat.

Mouais, sauf que pour l’enquêteur, il n’y a pas trop d’alternatives, puisque l’article préliminaire de la réforme prévoit grosso modo que les déclarations hors la présence de l’avocat ne servent pas à grand-chose. Si une personne veut avouer son crime, l’OPJ devra impérativement suspendre l’audition, placer le suspect en garde à vue, et reprendre l’audition après l’arrivée de l’avocat. Bon, on en était où ? Vous disiez que vous aviez tué…

D’autres amendements sont moins réalistes, comme celui qui conteste aux procureurs le droit d’accorder une prolongation, puisque la Cour européenne ne reconnaît pas le statut de magistrat à ces… magistrats. Ou encore cet autre pour qui la présentation au procureur ne peut pas être effectuée par des moyens audiovisuels, mais uniquement en face-à-face. Ou celui qui veut modifier le Code de la santé publique pour les personnes en état d’ivresse dans un lieu public. Plutôt que de les enfermer en cellule de dégrisement, il suffirait de les confier à l’un de leurs proches ou à une association habilitée.

Cela part d’un bon sentiment, mais on imagine la scène… Dans un petit commissariat aux effectifs ergépépépisés, le chef de poste bataille au téléphone pour dénicher à trois heures du mat’ la bonne âme susceptible de prendre en charge le soulard qui pour l’heure est en train de foutre le bordel dans sa boutique !

Il reste trois mois avant que cette mesure n’entre en application. Trois mois pour former les OPJ et les APJ, changer les formulaires, les procès-verbaux, les logiciels, organiser des services, prévoir les locaux pour accueillir les avocats, les médecins… Sans parler de l’organisation des services, police, gendarmerie, justice… Quant au Conseil national des Barreaux, il doit compter ses troupes – et ses sous. Car l’addition passe malbatonnier-brigitte-marsigny_-cnb.1301823128.JPG. Garde des sceaux cherche budget désespérément. Si le chiffre de 122 € semble faire l’unanimité, on s’interroge : s’agit-il d’une indemnité horaire ou du montant de la vacation, quelle que soit sa durée.

En septembre 2009, le président de la République se réjouissait des propositions du comité Léger sur la réforme de la procédure pénale, et notamment de la suppression du juge d’instruction. Alors que l’urgence, on le savait déjà, était de réformer la garde à vue. Que de temps perdu ! Que d’imprévoyance !

Et le plus amusant, si l’on peut dire, c’est que la Cour de cassation, « dont beaucoup de membres sont aujourd’hui entrés dans une forme de rébellion » nous dit Le Figaro, pourrait prendre une décision à la mi-avril, qui risquerait d’accélérer encore plus le mouvement.

Mi-avril, c’est à peu près la période où devraient commencer les premiers tests sur le terrain.

Il y a biendepute-philippe-houillon_cnb.1301823267.JPG longtemps, un technocrate avait pondu une circulaire enjoignant aux policiers en civil de ne plus griller les feux rouges. Je me souviens de ce dialogue radio, qu’on se racontait entre nous :

–      Broussard : Vous en êtes où de la filoche ?

–      Le chef de groupe, depuis sa voiture : Euh !… On les a perdus patron ! Le feu est passé au rouge, alors, on a été obligé de s’arrêter…

Cette réforme est nécessaire. Mais elle a été si mal préparée, si mal expliquée, qu’elle est mal reçue par les policiers et les gendarmes. Et si demain, dans une sorte de grève du zèle, le nombre de gardes à vue augmentait ?

Quelle pagaille !

L’étrange docteur Krombach

Dieter Krombach, cardiologue allemand, âgé aujourd’hui de 75 ans, a-t-il violé et tué sa belle-fille, la jeune Kalinka ? C’est la question à laquelle devront répondre les jurés de la Cour d’assises de Paris. Or, au-delà de la tragédie, cette affaire pose quantité de questions sur le fonctionnement de la justice au sein de l’Union européenne.

Kalinka Bamberski .JPGKalinka Bamberski est une belle adolescente blonde, grande, élancée. Elle est morte mystérieusement, en pleine santé, le 10 juillet 1982, à Lindau, en Bavière, où elle vivait avec sa mère. À 350 km de la frontière française.

Lors de l’autopsie pratiquée deux jours plus tard, le médecin légiste mentionne des traces de sang et d’un liquide blanchâtre (?) sur les parties génitales. Et ça s’arrête là. Pas de prélèvements, pas d’analyses.
Le légiste s’étonne toutefois de l’état du corps de la jeune fille, et de la nature du médicament que le docteur Dieter Krombach, son beau-père, dit lui avoir administré pour tenter de la ranimer.

Par la suite, il dira qu’en fait il lui a injecté un produit à base de fer pour favoriser son bronzage.

Les organes génitaux de la victime sont prélevés, probablement pour un examen ultérieur, lequel ne sera hélas jamais effectué : le scellé a été égaré. Kalinka aurait été victime du syndrome de Mendelson. En quelque sorte, elle serait morte noyée dans ses régurgitations de liquide gastrique. Un risque qui est toujours pris en compte lors d’une anesthésie et qui justifie l’intubation du patient.

La question était donc de savoir pourquoi Kalinka n’était plus consciente ? La justice allemande rendra finalement un non-lieu, en 1987, sans avoir répondu à cette question.

Mais pendant ce temps, André Bamberski, le père de la jeune fille, a déposé une plainte en France. Une nouvelle autopsie est pratiquée et cette fois, les légistes concluent que la mort est consécutive à une injection d’un produit à base de cobalt et de fer. Finalement, en 1991, Krombach est inculpé d’assassinat par un juge d’instruction parisien. Jugé en son absence, par contumace, en 1995, il écope de quinze ans de réclusion criminelle. Mais il saisit la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamne la France, en rappelant « que le droit pour tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin même d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ». Ce qui n’était pas le cas chez nous. À l’époque, celui qui manquait volontairement à la justice ne pouvait pas voir sa cause défendue par un avocat. À la suite de cet arrêt, dit arrêt Krombach, en 2004, la procédure française a d’ailleurs été modifiée (loi Perben II), tirant un trait sur les jugements par contumace pour les remplacer par une procédure nouvelle, dite de défaut criminel. Avec des débats contradictoires, mais devant une cour d’assises composée uniquement des seuls magistrats, sans la présence de jurés. Sauf erreur de ma part, et pour des raisons historiques (crainte d’abus par un régime totalitaire) l’Allemagne n’admet pas qu’un individu soupçonné d’un crime soit jugé hors sa présence.

En 2001, la justice française transmet le dossier à la justice allemande. Mais cette condamnation lui donne du grain à moudre : Elle met en avant l’impossibilité de poursuivre une personne déjà condamnée dans un autre État-membre pour les mêmes faits. L’Allemagne refuse donc de rouvrir le dossier.

Situation bloquée, jusqu’à l’accord au sein de l’Union européenne sur la possibilité d’extrader ses nationaux d’un État-membre à l’autre. En 2004, la France délivre donc un mandat d’arrêt européen contre Dieter Kromback, mais l’Allemagne refuse d’y donner suite, sous prétexte qu’il a été reconnu innocent dans son pays.

Quand on pense que cet accord sur les extraditions au sein de l’Europe est basé sur la confiance mutuelle des États !

La justice allemande a donc claqué la porte au nez du père de la victime, et, chez nous, du côté de la place Vendôme, il a l’impression que ça traîne des pieds.

En tout cas, tout comme lui, on ne peut s’empêcher de penser que ce bizarre cardiologue bénéficie de protections occultes… Par exemple, en 1997, il a été condamné pour avoir violé une jeune fille de 16 ans alors qu’elle était sous anesthésie : deux ans de prison avec sursis. Devant une Cour d’assises française, il en risquait vingt.

En désespoir de cause, en 2009 (la prescription d’une peine criminelle est de 20 ans, il restait donc 6 ans à courir), Bamberski décide de faire enlever celui qu’il considère comme l’assassin de sa fille. Récupéré par la police, Krombach est incarcéré. Il est actuellement détenu à Fresnes, où il bénéficierait, dit-on, de l’assistance de son ambassade. Et la justice vient d’admettre le procédé, en se référant notamment au cas du terroriste Carlos. On se souvient que cet individu, de son vrai nom Illitch Ramirez Sanchez, assassin entre autres de deux policiers, a été enlevé par la DST, en 1994, à Khartoum, au Soudan, où il coulait des jours heureux. Son jugement en France a malgré tout été considéré comme régulier.

Le sulfureux toubib est-il coupable de viol sur mineur et de meurtre ? Il existe un sérieux faisceau de présomptions contre le bonhomme, bagnard_unicefr.jpgmais les jurés (cinq hommes et quatre femmes) auront bien du mal à détecter une preuve formelle. Il n’en reste pas moins qu’il a reconnu avoir injecté un produit à l’adolescente, hors de tout besoin thérapeutique. Et, d’après les légistes français, ce produit serait lié à son décès. Cela semble suffisant pour confirmer sa condamnation par contumace pour  violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Quinze ans de réclusion criminelle, à 75 ans…

La police des aliénés

Les policiers sont parfois appelés pour maîtriser un individu qui a visiblement perdu la raison. C’est une opération délicate, l’une des rares, d’ailleurs, où l’utilisation du Taser peut se justifier. Mais une fois cette mission menée à bien, les questions surgissent. Que faut-il faire de l’individu arrêté ? Garde à vue ? Procédure ? Ou au contraire, la mission de police administrative doit-elle prendre le pas sur la mission de police judiciaire…

asterix_uderzo.1300884803.gifHier, l’assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi sur les soins psychiatriques. Cette réforme, voulue par le Président à la suite d’un meurtre commis par un schizophrène en cavale, est fortement contestée dans le monde médical et même chez les magistrats. Certains parlent d’une dérive sécuritaire, tandis que d’autres, plus terre-à-terre, notent qu’il s’agit d’un artifice pour masquer « la misère » des services psychiatriques (deux fois moins de lits qu’il y a vingt ans).

Mais le projet de loi prévoit également d’apporter des modifications à l’hospitalisation d’office – autrement dit l’internement sans consentement.  On parle de 70 000 personnes retenues ainsi contre leur gré. Dans le même temps, dans un avis publié au JO du 20 mars , Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, tire la sonnette d’alarme. Il s’inquiète de l’accroissement préoccupant dans les hôpitaux de personnes dont la maladie n’exige plus qu’elles soient privées de liberté. Et il dénonce aussi (et surtout) les modalités de l’internement d’office lorsque la décision est prise par les préfets.

Quelles sont aujourd’hui les conditions requises pour procéder à un internement d’office ? Tout est dans le Code de la santé publique, lequel a fait l’objet d’un sérieux relookage dans les années 2000 (art. L3212 et suivants).

Le plus fréquemment, il s’agit d’une décision qui fait suite à la demande d’un tiers, souvent un parent. Cette demande doit être manuscrite et signée par la personne qui la formule. Elle est accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours.

Dans les autres cas, lorsqu’il s’agit de malades dangereux ou susceptibles de troubler gravement l’ordre public (environ 15 000 par an), c’est le préfet (à Paris, le préfet de police) qui prononce un arrêté pour décider de l’hospitalisation d’office. Et, le directeur de l’établissement doit lui transmettre dans les 24 heures un certificat médical établi par le psychiatre maison. Tous ces mouvements, (entrée, sortie, etc.) sont inscrits sur un registre (que certains nomment « fichier des fous »). Le préfet a ensuite trois jours pour transmettre les informations concernant sa décision au procureur de la République. Au bout de deux semaines, le psychiatre doit établir un nouveau certificat médical pour faire le point sur l’évolution de la maladie. Au vu de ce document, l’hospitalisation peut être maintenue pour une durée d’un mois, renouvelable ad vitam aeternam selon les mêmes modalités. Pour ressortir, le patient doit obtenir le feu vert du psychiatre et une décision positive du préfet. Avec le principe de précaution, c’est pas gagné…

C’est donc dans ce genre de situation que le policier ou le gendarme intervient, puisque le comportement dangereux se manifeste le plus souvent dans un endroit public. Il s’agit donc bien d’un acte de police administrative effectué sous l’autorité du préfet.

Sauf à Paris, où le commissaire de police possède, en cas d’urgence, le même pouvoir qu’un maire. C’est-à-dire celui de faire procéder à l’internement d’office, à charge d’en référer au préfet de police dans les 24 heures. Pouvoir personnel du commissaire d’arrondissement, dont se fait l’écho le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans un rapport où il accable la séculaire « infirmerie psychiatrique de la préfecture de police ». Et de s’interroger pour savoir si cette organisation parisienne « qui tire son origine de la compétence donnée au préfet de police en 1800 » présente des garanties suffisantes…

Depuis la nuit des temps, le sort des malades souffrant de troubles mentaux a toujours été lié au sort de ceux qui peuvent être victimes de leur comportement. Avec des controverses sans fin. Et le plus souvent, à défaut de pouvoir les soigner, on a choisi de les écarter de la société. Ce qui a conduit parfois, sous prétexte de bienséance, à des internements arbitraires. Car, dans les faits, on donne au médecin et au préfet le pouvoir du juge : priver quelqu’un de sa liberté.

Il n’y a pas de solution miracle, mais en liant le juge et le médecin, on pourrait peut-être se rapprocher du « moins mal ». En tout cas, le renforcement des pouvoirs du préfet pour placer ou maintenir quelqu’un dans un milieu fermé peut difficilement passer la porte d’une démocratie. Dans ce domaine, le représentant de l’État n’est légitime que pour gérer l’urgence. Ensuite, il doit passer la main.

Évadés fiscaux : le listing volé est inutilisable

En 2009, Éric Woerth plastronnait : ses services avaient obtenu un listing volé à HSBC private bank, à Genève, contenant les identités de 3000 Français qui détenaient un compte bancaire en Suisse. On allait voir ce que l’on allait voir, voleur_ozepicesch.1300424873.jpgscrogneugneu ! La Cour d’appel de Paris vient de faire tomber le couperet : en résumé, on n’utilise pas en justice des pièces dont l’origine est frauduleuse.

Plusieurs des personnes citées dans cette liste, dite « liste des 3000 », auraient reçu la visite du fisc et de la police, dont Johnny Hallyday, du moins si l’on en croit Le Canard Enchaîné. Mais l’un de ces contribuables a réussi à faire plier Bercy en faisant annuler une perquisition fiscale effectuée à son domicile (et/ou dans le coffre de sa banque).

Il faut savoir que si la DNEF (direction nationale des enquêtes fiscales) possède bien des pouvoirs, dans ce cas précis, la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) est nécessaire. Ainsi que la présence d’un OPJ. Et la décision de ce magistrat est susceptible de recours. Possibilité qui résulte d’une décision, en 2008, de ces empêcheurs de tourner en hexagone de la Cour européenne des droits de l’homme, après condamnation de la France (plus de détails sur le site easydroit).

La raison essentielle de ce carton rouge repose sur l’origine des documents. « Il s’agit de données volées, nous dit le juge, la réalité de la commission de ce vol ayant été confirmée par le ministre du Budget (…) L’origine de ces pièces est donc illicite, que l’administration en ait eu connaissance par la transmission du procureur de la République ou antérieurement à cette date. »

Cette dernière petite phrase est intéressante. En effet, il semble bien que l’administration fiscale ait tenté de « blanchir » ces sulfureux documents en se les faisant remettre par Éric de Montgolfier, le procureur de Nice. Celui-ci les a transmis à l’administration fiscale le 9 juillet 2009, après les avoir saisis dans le cadre de la procédure concernant Hervé F. (le voleur, celui que la presse a appelé Antoine). Or, « la DNEF a transmis le 28 mai 2009 à l’administration centrale une liste de contribuables disposant d’un compte en Suisse, dite liste des 3000, et (…) il s’avère donc que la DNEF était en possession de cette liste et l’a exploitée bien avant sa transmission officielle par l’autorité judiciaire… »

Donc, le fisc possédait ces documents avant qu’ils n’apparaissent dans le cadre de l’enquête effectuée à la demande de la banque suisse HSBC (sur ce blog, Poker menteur à Bercy).

Et non seulement la perquisition de l’évadé fiscal est annulée, mais l’administration est condamnée à l’indemniser pour les frais qu’il a engagés pour sa défense. Mauvaise perdante, elle se serait pourvue en cassation.

Il reste à savoir si le procureur de Paris va ouvrir une enquête flic_attitudes_lessor.1300424994.jpgpréliminaire qui viserait les fonctionnaires de Bercy pour recel de documents volés !

Armes (factices) à double tranchant

La course-poursuite, près de Lyon, s’est terminée par la mort d’un jeune homme de vingt ans. Lorsqu’il a brandi un pistolet, les CRS ne pouvaient évidemment pas deviner qu’il s’agissait d’une arme factice. Ils ont tiré. À tort ou à raison, c’est un autre débat. Mais si ce jeune homme n’était pas mort, comment aurait-il été jugé ?

lucky-luke.1298720329.jpegCette affaire, après plusieurs autres, remet sur le devant de la scène le problème des armes factices. Faut-il légiférer sur la question ?

L’ennui d’une réglementation sur les armes, qu’elles soient authentiques ou non, c’est qu’elle ne vise que les honnêtes gens. Alors que pour les vrais voyous, il n’a jamais été aussi facile de s’approvisionner en armes et munitions de tous calibres, en raison notamment d’un trafic de fourmis entre la France et certains pays des Balkans.

Il reste les autres. Ceux qui ne sont pas placé suffisamment haut dans la hiérarchie du crime pour envisager de posséder un vrai calibre. C’est souvent le cas des plus jeunes. Ils doivent savoir que le droit ne fait pas de différence entre un vol commis avec une arme réelle ou factice (20 ans de réclusion criminelle). Même si la sentence est modulée en raison de l’absence de dangerosité.

Je me souviens d’une affaire pour laquelle j’avais été appelé à témoigner en Cour d’assises. L’avocat de l’accusé m’avait demandé si la carabine avec laquelle son client nous avait menacés, mes collègues et moi, avait le cran de sûreté verrouillé ou non. J’avais été incapable de répondre. Dans le feu de l’action, je n’avais pas noté ce détail. « Vous lui avez fait gagner cinq ans », m’avait-il soufflé après le verdict.

Mais qu’entend-on par armes factices ?

En première approche, on pense aux jouets en plastique de nos rejetons, mais en fait, il s’agit fréquemment de répliques d’armes réelles, propulsant de petites billes en rafale ou au coup par coup. Elles peuvent être mécaniques (à ressort), parfois électriques, mais le plus souvent, elles fonctionnent à l’air comprimé (avec réarmement) ou à l’aide de petites recharges de gaz. D’où le nom de airsoft gun. On dit que ces copies ont vu le jour au Japon, où une réglementation très stricte sur la détention d’armes avait été imposée par les Américains, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. À l’origine, elles sont destinées aux collectionneurs ou aux tireurs sur cible. Mais aujourd’hui, de plus en plus, on les utilise dans des jeux de rôle, lors de scénarios basés sur des opérations militaires ou des opérations de police. Et, écolo oblige, les billes sont devenues biodégradables.

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En France, la vente de ces fac-similés, est réglementée. Lorsque l’énergie à la bouche du canon est comprise entre 0.08  joule et 2 joules, elles sont notamment interdites aux mineurs. En deçà, elles sont en vente libre (même aux mineurs), et au-delà, elles entrent dans la 7° catégorie du décret de 1995 (armes non soumises à déclaration).

À noter qu’une circulaire de 1998, donne instruction aux préfets d’interdire le port et le transport d’objets ayant l’apparence d’une arme à feu aux abords des établissements scolaires.

Lors du débat sur la nouvelle législation sur les armes, les parlementaires se sont penchés sur la question. Certains ont rappelé, à juste raison me semble-t-il, que l’on ne pouvait mettre dans le même panier des objets destinés à tuer et des objets ludiques. Et que les armes factices devaient faire l’objet d’un autre débat.

Mais la question se pose de savoir s’il faut les prohiber totalement. Ce qui a été fait en Grande-Bretagne, où, pourtant, le nombre d’agressions commises avec de telles armes n’a pas baissé. Il a même légèrement progressé.

Il semble donc que l’on se tourne plutôt vers une réglementation visant à sanctionner le transport non justifié de ces imitations. Comme c’est le cas pour les tireurs sportifs, qui ne peuvent transporter leurs armes (réelles) que de leur domicile au stand de tir, et encore doivent-elles être provisoirement neutralisées.

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Cela dit, on peut s’interroger : ne faudrait-il pas retoucher le Code pénal pour minimiser les menaces avec une arme fictive, donc non dangereuse, sauf pour le délinquant lui-même, comme le montre l’affaire de Lyon ? Passer de l’infraction criminelle au délit, plutôt que de correctionnaliser. Un bonus, quoi !

Sale temps pour les orpailleurs de Guyane

Dans l’Hexagone, les gendarmes veillent sur les câbles de cuivre de la SNCF, mais, à des milliers de kilomètres, en Guyane, leur mission est tout autre : Ils pourchassent les chercheurs d’or. Ils sont environ 250 – et 750 militaires – à patrouiller sur un territoire rempli d’embûches. Le plan Harpie bat son plein. Ou plus exactement Harpie 2, car, après les opérations Anaconda et Harpie 1, l’année dernière, le président de la République a relancé la mobilisation contre l’orpaillage clandestin.  Et cette fois avec de grands moyens. La mission n’est pas sans danger : un soldat y a déjà laissé la vie (voir le blog secretdefense). Dans une vidéo, sur le site de la gendarmerie, on peut se faire une idée de leur job. Rien à voir avec des contrôles de vitesse sur l’autoroute… Les pieds dans les charentaises, on peut rêver d’aventures… Mais là, ce n’est pas du cinoche. Il ne s’agit pas de surprendre un cowboy solitaire accroupi près d’un fleuve, en train de tamiser du sable, mais de dénicher les puits et les galeries creusés par des colonies de clandestins à la recherche des précieuses pépites.

Il faut reconnaître qu’avec la montée fulgurante du cours de métal jaune, malgré les risques, le jeu en vaut la chandelle.

Vous me direz, achercheur-dor_image-clipart.jpgprès tout, ils ne volent personne. Mauvaise pioche. Cela ne se passe plus ainsi dans un monde qui se veut policé. D’autant que l’or fait partie des richesses naturelles de la Guyane. C’est même son premier produit d’exportation. Autour de 2 à 3 tonnes par an. Et ils sont environ 65 opérateurs à se partager le pactole, en exploitant une centaine de sites autorisés. Alors que, d’après les chiffres de 2006, retenus par une commission d’enquête du Sénat, il y aurait environ 350 sites d’orpaillage illégal, employant entre 5 000 et 10 000 personnes. Ce qui représenterait, selon les estimations de la gendarmerie nationale, 10 tonnes d’or natif par an.

Mais le problème majeur est environnemental. Essentiellement en raison de l’utilisation du mercure pour réaliser l’amalgame de l’or, procédé interdit depuis 2006. Avec  des rejets conséquents de ce métal liquide dans les eaux des fleuves. 13 tonnes par an. Et une déforestation sauvage estimée à 500 hectares par an. Les conséquences sont terribles sur la vie des habitants des rives*. Et tout ce petit monde underground génère évidemment une délinquance associée, comme la prostitution, le blanchiment d’argent et les règlements de comptes.

Une loi de 2009 a renforcé les moyens juridiques pour lutter contre l’orpaillage illégal, en donnant, par exemple, la possibilité de faire démarrer la garde à vue non pas au moment de l’arrestation, comme c’est la règle, mais lors de l’arrivée dans les locaux où celle-ci doit se dérouler. Avec un délai qui ne peut excéder vingt heures (art. 141-4 du Code minier).

Pas facile d’être un État de droit dans ces contrées.

Cependant, dans la région, les garimpeiros ne sont pas les seuls soucis des policiers et des gendarmes. Ce territoire, grand comme le Portugal, possède le niveau de vie le plus élevé du continent sud-américain.  Un attrait pour les habitants, bien plus pauvres, des pays d’alentour. Et notamment le Brésil. 60% des étrangers mis en cause dans des crimes ou des délits sont des Brésiliens. Et cela pourrait encore s’aggraver après la mise en service du pont routier sur le fleuve Oyapock, lequel va bientôt relier la Guyane à l’État de l’Amapá. Raison pour laquelle un centre de coopération policière (CCP) entre les deux pays devrait bientôt voir le jour. Cette cellule aura compétence pour tous les problèmes liés à la sécurité (sauf le terrorisme), et notamment la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et l’immigration irrégulière. Ce CCP sera, me semble-t-il, la première coopération transfrontière hors de l’espace Schengen. Avec toutefois une présence française bien modeste : 3 gendarmes et 1 policier.

D’après un article un rien alarmiste du Figaro, pour une population d’environ 230 000 habitants, la Guyane arrive juste derrière la Seine-Saint-Denis (six fois plus peuplée) en matière de délinquance. Mais surtout, il s’agit d’une délinquance souvent violente. Il faut dire que les armes sont partout. Elles proviennent en grande partie du voisin brésilien, le plus important fabricant d’armes de l’Amérique du Sud. Pour le procureur de Cayenne, cité dans cet article, la situation est critique. «  Les magistrats ne veulent plus venir en Guyane, effrayés par la quantité de travail que nous avons, mais aussi parce qu’ils ont peur de se faire attaquer au coin de la rue ». Quant au chef de la BAC, qui a exercé vingt ans en métropole, il soupire : « La différence, c’est qu’ici, tu peux perdre la vie pour 3 euros ».

Rien à voir pourtant avec un pays voisin, et presque homonymique : le Guyana, (l’ancienne Guyane britannique ) où le risque est omniprésent ; ni même avec le Venezuela, qui vient de publier des chiffres alarmants. Mais le taux de criminalité en Guyane est néanmoins deux fois supérieur carte-amerique-latine_site-americas-copie.1298197234.JPGà celui de la métropole. Et il est certain que sans l’arrivée d’effectifs supplémentaires, gendarmes et policiers, les choses ne vont pas s’arranger, car outre une immigration clandestine exponentielle, la Guyane est le département français où le taux de natalité est le plus élevé.

40% des homicides commis sur l’ensemble de la planète ont lieu en Amérique Latine, où, parallèlement au crime organisé, au narcotrafic et au blanchiment d’argent, la délinquance de rue connaît un accroissement qui va de pair avec la pauvreté. Entre ces deux extrêmes, on peut presque parler de l’émergence d’une criminalité moyenne, centrée notamment sur le trafic d’armes, le trafic de personnes et le trafic sexuel. Une activité criminelle qui deviendrait… coutumière.

Avec un contre-coup : l’utilisation de plus en plus fréquente des forces armées pour effectuer des opérations de police. Un véritable risque pour ce monde en recherche d’équilibre.

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* Dans un autre ordre d’idées, des travaux sont en cours en vue d’effectuer des forages pétroliers au large de la Guyane, et cela, malgré les risques écologiques et l’appel à la prudence de la Commission européenne. Plus de détails sur Blada.com. Ou comment l’on passe du métal jaune à l’or noir…

La justice mexicaine

Les défenseurs de Florence Cassez montrent du doigt la justice mexicaine, cherchant à démontrer qu’elle est assujettie au pouvoir politique. Un peu comme on désigne les procureurs en France.  Et pourtant, les trois hauts magistrats qui viennent de prendre la décision de refuser l’amparo déposé par la jeune femme semblent des personnalités respectables du monde judiciaire, et non des béni-oui-oui du régime.

prison_couverture-du-guide-canadien.1297848401.JPGRappelons qu’à l’issue d’une « instruction » qui a duré un an et demi, en 2006, Florence Cassez a été condamnée pour avoir participé à quatre enlèvements, ainsi que pour association de malfaiteurs, et, accessoirement, pour détention d’armes et de munitions. Un premier amparo, pour des raisons de droit, a été rejeté en 2008. Avant que le jugement ne soit confirmé par la Cour d’appel, en 2009, avec une peine de prison ramenée de 96 ans à 60 ans, le maximum théorique de la durée de l’emprisonnement.

Un chiffre qui nous étonne. En fait, chaque crime, chaque délit, est jugé séparément, et les peines prononcées s’additionnent. Les États-Unis appliquent le même principe. C’est ainsi qu’à l’âge de 71 ans, le financier Bernard Madoff a écopé de 150 ans de prison.

Évidemment, nous ne sommes pas habitués à de telles sanctions, puisqu’il existe en France le principe du non-cumul des peines. Pourtant, pour des faits similaires, la condamnation encourue aurait été la réclusion criminelle à perpétuité. Entre perpète et 60 ans, on ne voit pas bien la différence.

En fait, la différence réside dans l’exécution de la peine, puisque, chez nous, les condamnés n’en effectuent pas l’intégralité, sauf si une période de sûreté a été ordonnée (max. 22 ans), auquel cas, le jeu de remise de peine, ou la libération conditionnelle, ne peut intervenir que passé ce délai.

Le système judiciaire mexicain n’est sans doute pas parfait. Pourtant, il a fait l’objet d’une sérieuse réforme en 2008, afin de tenter de trouver un juste équilibre entre le respect des libertés individuelles et l’efficacité. L’éternel problème. Pas facile dans un pays qui connaît un tel taux de criminalité !

Les policiers (police locale, police d’État ou police fédérale), ont le droit d’interpeller une personne suspectée d’un crime ou d’un délit. Et celle-ci peut être détenue jusqu’au jour de son procès. Elle est assistée d’un avocat et elle n’est pas obligée de répondre aux questions.

À noter que selon la Convention de Vienne, toute personne arrêtée hors de son pays peut demander que son représentant diplomatique ou consulaire en soit avisé.

Lorsque les policiers estiment qu’il existe des charges contre un suspect, il est présenté au Ministerio Publico, lequel dispose de 48 heures (90 jours s’il s’agit d’un crime fédéral, comme un kidnapping) pour prendre une décision de poursuite. Il peut alors ouvrir une enquête préliminaire ou confier directement le dossier à un juge d’instruction.

Lors du jugement, les débats se font par écrit et il n’y a pas de jury, mais un juge qui décide seul. Il existe deux possibilités d’amparo. L’une basée sur le droit, durant le procès en première instance, la seconde vise à contester la sentence prononcée en appel.

discours-sarkozy-a-mexico-en-mars-2009.1297848942.JPG Extrait discours Nicolas Sarkozy à Mexico, le 9 mars 2009

On peut donc dire que Florence Cassez a épuisé tous les recours possibles. Il reste à savoir si elle peut exécuter sa peine en France. Pour cela, il existe des conventions internationales. Mais leur application n’est pas automatique, chaque État se réservant la possibilité d’effectuer ou non ce transfèrement. Ici, en dehors des déclarations vexatoires de certains de nos responsables politiques (ce qui n’est pas fait pour arranger les choses), se pose le problème de l’exécution de la peine. Le droit français ne permet pas de garantir que Florence Cassez effectuera l’intégralité de la sentence. D’où, pour les Mexicains, un déni de justice.

Alors, quel pourrait être le moyen de se sortir de ce guêpier ? Il faudrait que la condamnation de Florence Cassez soit « francisée ». Une diplomatie adroite aurait d’ailleurs œuvrée dans ce sens bien avant que la porte judiciaire ne se referme définitivement sur la jeune femme. La décision est aujourd’hui politique. Le président Felipe Calderón Hinojosa peut-il accorder une grâce partielle qui permettrait d’extrader la prisonnière tout en sauvant la face ? Et surtout, en a-t-il l’intention, alors qu’au Mexique (aussi) la sécurité est devenue un enjeu politique…

extrait-guide-canadien-pour-les-emprisonnes-a-letranger.1297848752.JPGIl y aurait près de 2 500 Français actuellement détenus à l’étranger, souvent pour des infractions graves (meurtres, stupéfiants, enlèvements…). L’un d’eux, soupçonné d’enlèvement, est en attente de jugement au Mexique. Un autre, Serge Atlaoui, a été condamné à mort en Indonésie pour avoir participé à l’élaboration d’un laboratoire d’ecstasy. Il pourrait être fusillé d’un jour à l’autre – Le seul Français condamné à mort de par le monde. Certains sont peut-être innocents (après tout, il a y a aussi des erreurs judiciaires en France), mais ce qui est sûr, c’est qu’il est plus difficile de faire valoir ses droits sur un sol étranger et que la prison doit être encore plus dure à supporter. Raison pour laquelle certains pays, comme le Canada, ont mis en place un serviceserge-atlaoui_rtl.1297848539.jpg d’assistance en amont du jugement (voir le guide). Existe-t-il un service similaire auprès de nos consulats ? Je ne sais pas, je pose la question. Mais  il serait déplorable que notre gouvernement ne s’occupe des ressortissants français incarcérés à l’étranger que lorsqu’ils font la une des médias.

Jury populaire : un trompe-l’œil démocratique ?

 « La justice est rendue au nom du peuple français, désormais elle sera rendue aussi par le peuple français », a déclaré Nicolas Sarkozy dans son discours du 3 février. Et pour cela, d’ici à la fin de l’année, il y aura des jurés populaires qui siégeront auprès des magistrats professionnels dans les tribunaux correctionnels.

pecheur-peche-filet.1296990931.jpgUn message récurrent du président de la République . Il en a été question lors de ses vœux de fin d’année, et pour la première fois, si j’ai bonne mémoire, après le meurtre d’une joggeuse, près de Lille. C’était en septembre 2010.

Il s’agissait probablement d’une déclaration faite sous le coup de l’émotion, car, quelques mois auparavant, le députe UMP Jean-Paul Garraud (ancien magistrat), et plusieurs de ses collègues, avaient déposé une proposition de loi pilepoil en sens opposé : la suppression du jury populaire en cour d’assises, du moins en première instance. Pour lui, ce système (de double cour d’assises, qui date de 2000) s’avère « extrêmement lourd » et mobilise « beaucoup d’énergie, de temps et d’argent ».

Et il voulait ainsi corriger un phénomène qui va en s’amplifiant : la correctionnalisation des crimes (voir l’extrait du texte parlementaire en encadré).

capture.1296991401.JPG

Il est vrai qu’aujourd’hui, un très grand nombre d’infractions criminelles sont « déqualifiées ». On appelle ça la correctionnalisation judiciaire. Ainsi, un vol à main armée se transforme en vol avec violence ou un viol devient une agression sexuelle. Et, au lieu de passer devant une cour d’assises, le… « présumé coupable » est jugé en correctionnel – donc, sans jury populaire. Gain de temps, gain d’argent. Je n’ai pas trouvé de statistiques sur ce sujet. C’est de la cuisine interne. Mais je ne crois pas me tromper beaucoup en disant que les ¾ des infractions criminelles sont ainsi passées au tamis.

Il faut dire que réunir un jury n’est pas une mince affaire. Les 9 jurés sont tirés au sort dans une urne qui contient 23 bulletins, lesquels proviennent d’un autre tirage au sort sur les listes électorales. L’accusé peut récuser 5 noms et le ministère public 4. Chaque juré doit ensuite prêter serment, notamment « d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui sont retenues contre l’accusé (…) de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection et de se rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ». Et il est « réquisitionné » pour plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Les cours d’assises se réunissent environ 3 000 fois par an. Ce qui donne 29 000 jurés-citoyens. En réalité plus, car il y a les suppléants et les jugements en appel, où 12 jurés sont nécessaires.

Or, les tribunaux correctionnels prononcent environ 600 000 jugements par an. Faites les comptes…

Cela dit, il faut s’interroger. Le jury populaire est-il un plus pour la démocratie ?

Si l’on regarde dans la gamelle des autres, on voit qu’au Japon, le système a été rétabli en 2009 (supprimé en 1943) afin de « renforcer la démocratie ». Décision qui n’a pas fait l’unanimité, notamment en raison de la possibilité de prononcer la peine de mort.

Tandis qu’en Suisse, c’est le contraire. Le dernier jugement d’un jury populaire a été prononcé à Genève, en décembre dernier. Un Péruvien a été condamné à 16 ans de prison pour avoir tué une jeune clandestine et violé plusieurs femmes, ainsi que sa fille adoptive âgée de treize ans.

Aux États-unis, le jury populaire est nécessaire pour les affaires criminelles (sauf rares exceptions), et en Espagne, il est possible même pour certains délits, sur décision du juge d’instruction.

Il est donc difficile de se faire une opinion. En France, la tradition républicaine veut que le peuple se prononce pour juger les affaires criminelles. Mais il faut bien admettre que la réforme de l’an 2000 a remis en cause le verdict populaire en instituant la possibilité de faire appel d’une décision de cour d’assises. L’idée du député Jean-Paul Garraud n’était donc pas si bête : des magistrats professionnels en première instance et une décision populaire s’il y a appel.

Mais on ne peut à la fois supprimer les jurés pour les crimes et les créer pour les délits. Donc, c’est l’impasse. D’autant que 600 000 décisions de justice, ça fait quand même beaucoup de monde à mobiliser. Ce qui risque de siphonner sérieusement le budget de la Justice. Et même de représenter un coût pour les entreprises. Aussi, pour ne pas trop les pénaliser, et protéger le taux de croissance du pays, je propose de réserver cette mission aux chômeurs. Toutes catégories confondues et avec les DOM, il y a là un potentiel de 4,3 millions de personnes qui ne demandent qu’à se rendre utiles.

Soyons sérieux. Si l’on veut que la justice soit rendue « par le peuple français », avant de tout chambouler, il faut commencer par envoyer les individus accusés d’un crime devant une cour d’assises. Et ensuite, on pourra parler de jurys populaires au sein des tribunaux correctionnels.

Certains estiment qu’il faudrait réserver cette possibilité aux délits les plus graves. Mais dans ce cas, qui va décider ? Le procureur ? Impossible ! D’abord, ce n’est pas un magistrat indépendant du pouvoir exécutif, et surtout, il s’agirait d’une justice à la tête du client. Il faut donc modifier en conséquence le Code pénal ou le Code de procédure pénale, ou les deux, en précisant les délits qui doivent être jugés selon cette nouvelle norme.

homme-yeux-bandes_dutronwordpress.1296990863.jpgSauf que les infractions les plus graves sont le plus souvent criminelles.

On se mord la queue.

Cela dit, on ne peut être que sceptiques sur la valeur que nos dirigeants portent sur notre opinion. Rappelons-nous qu’en 2005, on a donné un avis négatif au référendum sur le traité pour une constitution européenne, et que trois ans plus tard, dans un bel ensemble, nos élus ont passé outre !

Meilhon, multirécidiviste ou multiréitérant ?

L’affaire de Pornic a relancé la polémique sur les multirécidivistes, avec, en toile de fond, le « laxisme » des juges qu’il faudrait, nous dit-on, encadrer par un jury populaire. En réalité, Tony Meilhon n’a bénéficié d’aucune faveur : condamné par treize fois, il a purgé l’intégralité de ses peines.

Avant cette affaire, le président Sarkozy avait parlé, lors de ses vœux, de « la violence chaque jour plus brutale de la part de délinquants multiréitérants ».

new-justice_southerndefender.1296303638.gifAlors, ce Meilhon, ce triste personnage, est-il un multirécidiviste ou un multiréitérant ?

Le législateur a fortement donné dans le domaine de la récidive ces dernières années, adoptant ce principe bien connu : Errare humanum est, perseverare diabolicum (là, j’ai pompé). Ce qui signifie qu’on peut se tromper une fois, mais pas deux. Enfin, c’est mon interprétation. En droit, cela se traduit par une peine plus sévère lorsqu’il y a pluralité d’infractions.

La récidive – La récidive est une circonstance aggravante. Elle s’applique lorsqu’une personne, après une condamnation définitive pour une première infraction, en commet une seconde. Même s’il n’y a pas de lien entre les deux infractions, du moins la plupart du temps. Par exemple trafic de stups et accident mortel de la circulation. Pour plus de détails, on peut se reporter à un billet de 2007 de Me Eolas, et au petit tableau ci-dessous.

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On voit qu’il est tenu compte non pas de la peine prononcée, mais de la peine encourue. Par exemple, l’auteur d’un viol, sans circonstances aggravantes, encourt une peine de 15 ans de réclusion criminelle. Quelle que soit sa condamnation, s’il récidive, il encourt cette fois une peine de 30 ans. La loi du 10 août 2007 prévoit en outre des peines minimales. Et celle de 2008 a instauré le dispositif de rétention de sûreté, qui donne la possibilité de « retenir » dans des centres fermés – après leur peine – les personnes à risques (pour la société) ayant été condamnées à au moins 15 ans de réclusion criminelle. Une proposition de loi du 13 janvier 2011 (une de plus), rabaisserait le seuil de déclenchement à une condamnation à 10 ans.

Cependant, notre Président n’a pas parlé de récidive, mais de réitération. C’est quoi ?

La réitération – Cette notion a été introduite dans le Code pénal en 2005. Elle est au croisement du « concours réel d’infractions » (voir plus loin) et de la récidive.

Cela concerne les personnes ayant déjà fait l’objet d’une condamnation mais qui ne sont pas visées dans le tableau ci-dessus. Notamment pour les petits délits. Exemple : une condamnation pour vol et, plus tard, un délit de fuite. Deux infractions différentes qui, même à des années d’intervalles, entraîneront la réitération. Du moins, c’est comme ça que je l’ai compris.

Pour compliquer un peu plus les choses, la police a une définition différente. Pour elle, le multiréitérant est un individu « fiché » pour de multiples faits. Ainsi, le préfet de police a effectué un pointage sur Paris et la petite couronne. Il avance le nombre de 11 400 personnes pouvant chacune être impliquées dans au moins cinquante affaires différentes et répertoriées au STIC. Mais on comprend bien que le législateur ne peut moduler la sanction encourue pour un crime ou un délit en se fiant uniquement à un fichier de police.

La réitération est donc en fait une récidive simplifiée, qui ne tient compte ni de la nature de l’infraction ni du temps écoulé. Dans les deux cas, le délinquant doit avoir été condamné au moins une fois. Toutefois, distinction importante, en matière de réitération, la peine n’est pas aggravée, mais elle se cumule avec les peines précédentes.

Mais attention, on peut aussi être l’auteur de plusieurs infractions sans être ni récidiviste ni réitérant !

Prenons le cas d’un individu qui a commis une série de vols, dont un avec arme. Il sera condamné pour chacun de ses vols, mais sa peine totale ne pourra excéder le maximum de l’affaire la plus grave, c’est-à-dire le braquage : 20 ans. On appelle ça le concours réel d’infractions.

Tout le monde a suivi ?

À ne pas confondre avec le concours idéal d’infractions : un seul acte, mais plusieurs infractions. Par exemple, un excès de vitesse suivi d’un accident corporel, suivi d’un délit de fuite. Ces cas sont juridiquement plus flous, mais la jurisprudence veut, généralement, que seule la qualification la plus grave soit retenue.

Alors, pour en revenir à Tony Meilhon est-il ou non un multirécidiviste ? L’opinion publique en est persuadée, la presse s’interroge et nos dirigeants enfoncent le clou. Mais que dit le droit ? Cet individu a fait l’objet d’une condamnation à quatre ans de prison devant une cour d’assises pour une agression sexuelle sur un codétenu, commise en 1997. Je ne connais pas la qualification exacte, mais, si les faits retenus contre lui à l’époque étaient punissables de dix ans d’emprisonnement, le délai est écoulé : pas de récidive, mais réitération. En revanche, si la peine encourue était supérieure à dix ans, il n’y a pas de délai. Conclusion, si demain, il devait être jugé pour viol ou meurtre, Meilhon serait alors en état de récidive. Sa peine serait doublée. Et, après sa peine, il pourrait être enfermé dans un centre de rétention.

Une chose est sûre, la récidive ou la réitération est un marqueur de l’échec de la répression. Si le délinquant ou le criminel a remis le couvert, c’est que le système n’a pas bien fonctionné. Or, les juges condamnent à la fois pour punir, pour protéger la société et pour tenter de réinsérer l’auteur des faits. La politique actuelle semble plutôt tourner autour de la punition, avec en filigrane cette affirmation : plus la peine encourue est forte, plus elle est dissuasive.  Eh bien, pour que cela marche, il faudrait sérieusement simplifier les choses. Ainsi, moi qui suis un peu branché dans ce domaine, j’ai dû consulter plusieurs ouvrages pour rédiger ce flic_indecis_lesso.1296304032.jpgbillet. Et je ne suis pas sûr de ne pas avoir commis d’erreurs. Alors, comment voulez-vous qu’un voyou, aux cellules grises souvent déficientes, puisse s’y retrouver ?

Pornic : réflexions autour de la garde à vue

On ne sait toujours pas ce qui est arrivé à Laëtitia, du moins à l’instant où j’écris ces lignes, et cette bien triste affaire est un peu comme un appel de phare pour nos élus, alors qu’ils légifèrent sur la garde à vue. Car on se trouve dans la pire des situations : la quasi-certitude que la victime est morte, et le faible espoir qu’elle soit encore en vie. Avec en face de soi, un sale type, au mutisme enrageant. Ce face-à-face entre Tony Meilhon et les gendarmes a dû être terrible.

Laetitia.JPGCar, dans l’incertitude, il fallait tout tenter pour la sauver. C’est le devoir des gendarmes, mais c’est aussi un devoir tout court. Or le seul qui pouvait faire avancer les choses, c’est le suspect. Bien sûr, ce n’est qu’un suspect, pas un coupable, mais lorsqu’il existe autant de preuves matérielles, les risques de commettre un impair sont bien minimes.

Alors, les enquêteurs rongent leurs freins. Ils doivent se livrer à un jeu de rôle pour tenter d’établir un contact, dans le dessein, non pas d’obtenir des aveux, mais de retrouver la victime.

Pour eux, c’est un vrai cas de conscience.  Avec des questions : Ne faut-il pas faire une croix sur le code de déontologie ? Aller plus loin que ne l’autorise la loi ? Ne peut-on pas parler « d’état de nécessité », cette disposition du Code pénal qui permet de commettre une infraction pour la sauvegarde d’une personne ou d’un bien ? Comme briser la vitre d’une voiture pour en extraire un bébé « oublié » à l’intérieur.

À une autre époque, en 1976, un jeune garçon, Philippe Bertrand, est enlevé à la sortie de l’école. Les soupçons se portent rapidement sur Patrick Henry. Au cours de sa garde à vue, il nie tout. Il n’existe pas de preuves, juste des présomptions, mais pour les enquêteurs, sa culpabilité est évidente. Un commissaire (il l’a revendiqué, mais je ne me permets pas de le nommer) ira même jusqu’à lui faire croire à une « corvée de bois » : une balade en forêt, le calibre sur la tête. Le bluff ne prend pas. Patrick Henry se tait. Il est relâché au bout de 47 heures. L’enfant sera retrouvé plus tard, sous son lit. Il l’avait étranglé, bien avant d’être interpellé. Vous vous souvenez, Gicquel, au JT de TF 1 : « La France a peur ! »

J’ai remarqué au cours de ma carrière que plus le crime est odieux, plus les coupables crient leur innocence. Souvent, avec un tel accent de sincérité que l’on doute de soi. Qu’on finirait par les croire. En fait, ils refusent d’admettre leur acte. Un véritable déni. Un peu comme on se réfugie dans le sommeil lors d’une dépression, ou dans la folie lorsque l’on ne parvient plus à maîtriser sa vie. À sa sortie de garde à vue, devant les caméras de télévision, Patrick Henry clame son innocence et réclame la peine de mort pour le « vrai » criminel. Aucun avocat n’ayant accepté de le représenter, c’est le bâtonnier de philippe-bertrand_scene-de-crime.1295859710.jpgTroyes qui le défendra devant la Cour d’assises, assisté de Robert Badinter (perpette, il a purgé 25 ans).

Alors, je m’interroge… Si un avocat avait été présent durant sa garde à vue, quelle aurait été sa position. Tout le monde pensait alors que le petit Philippe était vivant, l’aurait-il encouragé à parler, au risque de l’enfoncer ? Et, pour en revenir à cette affaire de Pornic, qu’aurait fait l’avocat désigné pour assister Tony Meilhon. L’aurait-il incité à se taire, ou l’aurait-il poussé à se confesser pour – peut-être – sauver Laëtitia ? Comment se serait déroulée cette audition à trois : l’OPJ, l’avocat et le suspect ?

On imagine la tension. Il ne s’agit pas de boucler une affaire, mais d’obtenir des informations pour sauver une vie. Il y a urgence. L’espoir est mince. Comme l’a dit, deux jours après sa disparition, le procureur de Saint-Nazaire : « Plus le temps passe, plus cet espoir, hélas, s’amenuise ». On voit que cette mesure décriée, qui donnerait au procureur le droit de différer la présence de l’avocat pour « prévenir une atteinte imminente aux personnes », pourrait ici trouver sa justification.

Comme de coutume, à la suite de cette affaire, on peut s’attendre aux réactions habituelles de politiciens en mal de popularité. Je crois que Copé a ouvert le bal. Mais cela n’empêche pas la réflexion. Je suis de ceux qui pensent, qu’une fois la procédure pénale bien adaptée, la présence de l’avocat lors de la garde à vue sera un plus. Mais ces avocats doivent comprendre qu’ils ne traiteront plus un dossier, mais qu’ils se retrouveront face à de vrais gens, dans la vraie vie, loin du prétoire, des robes et des jeux de manches. Avec parfois un client qui a encore le sang de sa victime sur les mains. Et qu’il faudra prendre une décision.

Je sais, mes propos sont un peu décousus. Et je n’ai ni conclusion ni certitude. Que des interrogations. Mais je ne peux m’empêcher de penser à cette jeune fille, une enfant pour les gens de mon âge, qui est peut-être morte depuis longtemps ; ou qui a peut-être crié au secours – pendant longtemps.

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