Au troisième jour du procès des agresseurs de Karim Achoui, le commissaire divisionnaire Stéphane Lapeyre s’est défendu bec et ongles des accusations portées contre lui. Il a nié toute implication dans la tentative d’assassinat dont a été victime l’ancien avocat, en 2007. Par sa carrière, ce commissaire a gagné qu’on l’écoute. Et il faut avouer que l’idée d’un complot fomenté par la police judiciaire pour éliminer un avocat au talent trop dérangeant ne tient guère la route. Même si le scénario ne manque pas d’originalité…
Stéphane Lapeyre a permis l’identification et l’arrestation des accusés qui doivent répondre de tentative d’assassinat ou de complicité, en désignant, comme tireur présumé, l’un de ses anciens indics, Ruddy Terranova. La plupart des gens sont reconnaissants aux policiers qui parviennent à résoudre leur affaire. Pas Karim Achoui. Pour lui, le policier est le commanditaire. Il aurait incité Ruddy Terranova à l’éliminer. Pas question d’aller plus avant dans un procès en cours, mais l’ancien avocat a été condamné pour diffamation pour avoir soutenu cette thèse dans un livre qu’il a publié en 2008.
Pour prouver sa bonne foi, le commissaire a dû s’affranchir du secret qui protège les indics et il a entrouvert la porte capitonnée du bureau central des sources (BCS). Ce bureau, intégré au « service interministériel d’assistance technique » (SIAT), gère les informateurs pour l’ensemble de la direction générale de la police nationale. Même si l’on n’en parle qu’à mots couverts, il n’est évidemment pas secret : dans une démocratie, la police judiciaire ne peut pas s’abriter derrière l’estampille « secret défense ».
Il n’en reste pas moins que c’est le côté obscur de la police. Le logo du SIAT, qui représente le profil blanc et noir de Clemenceau, est d’ailleurs suffisamment explicite. Je ne sais pas si le peintre Raymond Moretti (à qui l’on doit le logo de la DCPJ) aurait aimé que l’on transforme ainsi son bébé…
Le BCS date de 2004. Antérieurement, contrairement aux repentis, les indics n’avaient aucune existence légale, si ce n’est dans le code des douanes qui donnait une définition de « l’aviseur » et envisageait sa rétribution. Cette année-là, le législateur s’est penché sur le sujet en envisageant de rémunérer « toute personne étrangère aux administrations publiques » qui a fourni des renseignements amenant soit à la découverte d’un crime ou d’un délit, soit à l’identification des auteurs. À partir du moment où il existait une ligne de crédit, il fallait bien un moyen de contrôle.
On peut donc penser que le BCS a été institué pour contrôler le budget attribué aux informateurs. Ce serait évidemment réducteur, car, en copiant un système qui existait de longue date à la DST (remplacée en 2008 par la DCRI), on a voulu à la fois surveiller la gestion des indics et protéger les agents traitants des éventuels pépins, et notamment des foudres de la justice, certains magistrats ayant parfois tendance à voir le mal partout.
Est-ce que c’était mieux avant ? Pour le commissaire Stéphane Lapeyre, certainement pas. Sans cette procédure, il aurait eu plus de mal à se justifier. Et l’on peut penser que si Michel Neyret avait suivi la règle administrative, il n’aurait pas eu les ennuis qu’il a aujourd’hui… Mais en même temps, en mêlant le pointillisme de l’administration à une aventure essentiellement humaine – le contact de deux personnages que tout différencie – on a rigidifié le système. On l’a banalisé aussi. Autrefois, dans chaque service, seule une poignée de policiers avait son « tonton » et personne ne le connaissait. Aujourd’hui, il semble qu’il y ait foison d’indics et que beaucoup de monde les connaissent.
Allez, comme on dit au Sénat, faut pas être ringard !
Les informateurs représentent ce qu’il est convenu d’appeler une source humaine. Mais le SIAT gère également les sources provoquées et les sources techniques, considérées généralement comme plus sûres. En fait, ce service a été créé pour devenir le bras armé de la loi du 9 mars 2004 « portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité » et, quoique rattaché à la direction centrale de la police judiciaire, il est composé à la fois de policiers, de gendarmes et de douaniers. Ses missions sont fixées par décret. On peut les résumer en un mot : infiltration.
L’infiltration humaine est prévue par l’article 706-81 du code de procédure pénale et par l’article 67 bis-II du code des douanes. L’Undercover, est l’agent infiltré. Il paraît que cela se prononce « haricot vert » ! Dans cette mission, le représentant de la loi laisse sa carte tricolore au vestiaire et se glisse dans la peau d’un voyou. Pour être crédible, il est autorisé à commettre certains délits d’assistance aux criminels – sauf à faire de la provocation. Pour ces missions mystérieuses et dangereuses, c’est le procureur de la République qui donne son feu vert ou, après avis de ce dernier, le juge d’instruction.
L’infiltration technique autorise les policiers à transgresser la règle sacrosainte de l’inviolabilité du domicile privé. Une mission effectuée sous le contrôle d’un juge d’instruction et avec l’accord du procureur de la République (art. 706-96 du CPP). Une dizaine de services (qui ne sont pas tous de police judiciaire) peuvent ainsi pénétrer en douce dans un lieu public ou privé pour y placer un petit gadget électronique dernière génération.
Ce procès sur les agresseurs de Karim Achoui attire donc l’attention sur un service de police judiciaire relativement récent et peu connu encore du grand public, même si les truands commencent à se tenir sur leurs gardes. À mon avis, la technologie va finir par les rendre paranos… Ainsi, il semble bien que dans l’affaire du cercle Wagram, qui touche le grand banditisme corse, Jean-Angelo Guazzelli, le producteur d’huile d’olives bien connu, se soit fait piéger par une conversation tenue dans sa voiture. Tout comme en octobre 2012, les flics de la BAC du nord de Marseille.
Sans enfreindre aucune loi, est-il possible pour un policier d’utiliser la ruse, le mensonge, la mise en scène, s’interrogeait un professeur de l’École nationale supérieure de police, il y a 7 ou 8 ans. Et devant les élèves commissaires, il prônait la loyauté dans la recherche de la preuve. Une autre époque, déjà. Aujourd’hui, la justice et la police s’affranchissent de ces préceptes encombrants pour viser l’efficacité.
Mais c’est surtout la justice qui a changé, car pour la police le législateur n’a fait qu’encadrer des choses qui existaient sous le manteau. J’ai connu un temps où la plupart des juges se refusaient à effectuer des écoutes téléphoniques. Elles sont aujourd’hui tellement nombreuses qu’elles ont fait exploser le budget du ministère de la Justice. Pour faire face, il a même été créé une « plateforme nationale des interceptions judiciaires » (PNIJ).
En 1974, le ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin tenait ces propos prémonitoires, en parlant des écoutes téléphoniques : « Il s’agit d’une corvée nécessaire que le gouvernement va essayer de refiler aux magistrats ». Il a eu tout bon. Et l’histoire vient de se renouveler avec la loi de M. Perben. Finalement, pour les policiers, le meilleur moyen de ne pas avoir d’ennui avec la justice c’est d’attendre que les magistrats leur donnent l’ordre de faire ce qu’ils n’ont pas le droit de faire.
Le commissaire Lapeyre dit avoir reçu les informations sur la tentative d’assassinat sur Karim Achoui d’un informateur, autre que Ruddy Terranova, dont – évidemment – il refuse de donner l’identité. Entre les sources secrètes, les témoignages sous X et les repentis, tous ces personnages qui, de plus en plus fréquemment, apparaissent masqués dans les dossiers criminels, il doit être bien difficile à un jury d’assises de se forger son « intime conviction ».
En tout cas, Stéphane Lapeyre a donné la sienne : « La réalité, c’est qu’il s’agit d’un complot de voyous pour des raisons de voyous. »
Ce n’est que quand la corruption cessera que la justice sera d’une grande importance, dans notre ère, on peut s’attendre à tout!
L’injustice se présente toujours dans ces cas comme celui-ci. En plus, la sécurité est de moins en moins fiable, car parfois, les policiers abusent de leur pouvoir. Les enquêtes policières sont aussi dans la plupart du temps modifié pour plus d’attention du public ou tout simplement pour leur image. La justice est loin de régner.
Bonjour.
« Pour ces missions mystérieuses et dangereuses, c’est le procureur de la République qui donne son feu vert ou, après avis de ce dernier, le juge d’instruction. » C’est à dire que l’on sait qu’un « larcin » va être commis mais on laisse faire, ou on laisse préparer et on prend en flagrant délit ?
La réalité dépasse parfois la fiction. Ca fait froid dans le dos…
Bon article , bien écrit et comme il l’est indiqué , maintenant les indics sont de moins en moins inconnus de plusieurs personnes. Cela peut tenter certains à se faire » enregistrer » de façon à se faire dédouaner par la justice en cas de pépins, mais aussi pour donner le change en cas de soucis avec un autre service de police ou de gendarmerie. S’il est vrai que » l’enregistrement » est une forme de garantie , on ne peut oublier que le traitement à l’ancienne comportait certains avantages notamment l’anonymat complet même si cela disposait de certains risques .
Le compte rendu du procès donnait l’impression que Terranova pourrait bien terminer assez rapidement avec un grand nombre de trous à son costume à la suite de tous les détails donnés à l’audience sur ses relations avec la police, à moins qu’il ne choisisse de se mettre à l’ombre très vite et très loin.
Se fait enregistrer manifestement comporte de sérieux risques pour les voyous, à moins d’arriver à convaincre tout le monde que c’est « pour de faux », ce qui ne semble pas évident.
A ton étudié les valeurs des indics de la PJ comme celles des espions de la DGSE par exemple ? Il semblerait que nous ayons les mêmes valeurs à partager : droiture, respect, intégrité, loyauté. En quoi y aurait-il question, hein ?
les indics dealent avec la police, la police flirtent avec les indics. Chacun son affaire, l’indic fait « oublier ou pardonner » ses méfaits et la police s’en sert pour résoudre des affaires et faire du chiffre en donnant aux juges sur un plateau des soit disant coupable ou dignes de l’être d’après les indics, sauf les « coupables ».
Merci pour ce billet. Comme vous le dites, le scénario est original. Cette histoire ferait un bon film.