LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 22 of 25)

La DCRI déstabilisée

Ça doit maronner dur dans le blockhaus de Levallois-Perret, car la récente décision de la Cour d’appel de Paris de casser une procédure judiciaire de la DST est une véritable bombe à retardement. On ne mélange pas les genres (police administrative et police judiciaire), disent en résumé les hauts magistrats. C’est pourtant la raison d’être de ce service secret – voulu par le président de la République.

dcfi_prosecu.1236332336.pngLa décision est justifiée dans un arrêt de plus de 60 pages. On peut retenir deux points essentiels (ici) :

Violation des droits de la défense – Les aveux ont été obtenus alors que les suspects étaient détenus à Guantanamo et qu’ils se trouvaient « dans un état psychologique particulier puisqu’ils ont été amenés à croire nécessaires ces déclarations pour obtenir leur rapatriement en France et qu’ils n’étaient pas ainsi en mesure de se rendre compte qu’elles pourraient être utilisées contre eux ».

Procédure irrégulière – À partir du moment où une enquête judiciaire (en l’occurrence une simple enquête préliminaire) était ouverte, les policiers de la DST ne pouvaient plus recevoir les déclarations des suspects qu’en respectant les règles de la procédure pénale : « La phase administrative) (… devait prendre fin pour faire place à la procédure judiciaire impliquant le respect de son formalisme, garant des libertés individuelles et des droits des parties concernées ».

C’est donc l’intégralité de la procédure qui a été annulée, ce qui est quand même assez rare. Et du coup, ce 24 février 2009, les cinq hommes condamnés en première instance pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ont été relaxés.

Inutile d’ajouter que le parquet général s’est pourvu en cassation. Mais si la Cour de cassation devait confirmer cette décision, les structures de la DCRI risqueraient d’en être fortement ébranlées. Car alors il faudrait trancher : renseignement ou police judiciaire ?

En effet, on peut lire dans les « statuts » de la DCRI qu’elle « combine ses capacités de service de renseignement et de service de police judiciaire », que ses structures et son fonctionnement « sont couverts par le secret-défense », et que son commandement relève du « seul directeur du renseignement intérieur ».

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En attendant d’être fixé « en droit », on peut quand même se poser des questions sur la raison d’être de ce service un rien disproportionné pour notre petit pays… On peut aussi se demander s’il est normal qu’une enquête judiciaire soit effectuée par des officiers de police judiciaire dissimulés derrière le secret-défense, dans des locaux interdits au public (et aux magistrats), et en utilisant des procédés mystérieux et des fichiers protégés – même du regard indiscret de la CNIL ?

Surtout lorsque le moindre manquement est assimilé à du terrorisme.

En 1968, on a créé une brigade spéciale au sein de la DST pour infiltrer le milieu étudiant. Ce n’était pas dans ses missions, et tout le monde n’était pas d’accord, loin s’en faut. Certains ont alors pris la décision de quitter cette maison. Moi aussi.

Angle de tir

Le procès Colonna a donné lieu à des interprétations variées sur la taille de l’assassin du préfet Érignac. Combat d’experts. Est-il possible de déterminer la taille d’un tireur en fonction de l’angle de tir ? Rien n’est moins sûr.

pistolet-mas-sous-licence-beretta_pmgblog.1236157495.jpgUn expert en balistique qui avait soutenu que le meurtrier devait être pour le moins d’une taille égale à celle du préfet (1.83 mètre) s’est finalement retiré du débat. À sa place, on a eu un pseudo expert qui a affirmé que le tireur devait mesurer au moins 1.85 mètre, en se référant à des tirs de comparaison effectués sur des boîtes de lait concentré avec une arme de collection datant du XIX° siècle. Il s’est fait ridiculiser (ici).

Le médecin légiste avait commis la même erreur, en 2007, avant de revenir sur ses propos en disant que cela ne relevait pas de son métier. Parole d’or.
Il est en effet plus convaincant dans ce cas : Claude Érignac a été tué d’une balle qui a pénétré le crâne derrière l’oreille gauche à une hauteur de 1.70 mètre. Elle est ressortie par le front à une hauteur de 1.68 mètre. Les deux balles qui ont suivi ont été tirées alors qu’il était à terre – et déjà mort (ici).

Alors, j’ai cherché à savoir si l’on pouvait déterminer la taille d’un tireur en fonction d’une trajectoire quasi horizontale. La réponse est non.

Dans son ouvrage ABC de la police scientifique, Jean Gayet nous dit :
« Sur les distances relativement courtes, on peut estimer que la trajectoire d’un projectile est rectiligne… Tous les points particuliers de son parcours se situent sur une même droite :
– le départ de la bouche du canon de l’arme ;
– l’entrée dans le corps de la victime et la sortie ;
– éventuellement l’impact contre un objet ou un obstacle ».

Il conclut en affirmant que si l’on possède deux points, on peut reconstituer le troisième – à condition que le tir ne soit pas horizontal.
«  Mais il n’en est pas de même si la trajectoire est oblique. En effet, compte tenu des attitudes que pouvait avoir chaque antagoniste, on connaît les hauteurs maximum et minimum où l’arme était tenue… ». Du moins « si le médecin légiste a pris soin de mesurer la distance des blessures par rapport aux talons… ».
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On peut donc en conclure que vouloir déterminer la taille du tueur de préfet Érignac relève de la mystification ou de l’amateurisme.

On peut d’ailleurs noter en passant que la théorie d’un meurtrier de la taille ou plus grand que le préfet, en raison d’une trajectoire quasi horizontale, voire légèrement descendante s’inverse complètement si l’arme est tenue crosse horizontale. Ce qui serait une prise en main logique pour une arme de la taille du pistolet utilisé (photo) – si le tireur est plus petit que sa victime.

Mais il s’agit d’une hypothèse qui n’a pas été envisagée.

Colonna : P-V de chique et turlututu

Des policiers qui mentent ou qui se font porter pâles, des suspects dans la nature, des indics fantomatiques, un accusé qui porte plainte contre le président de la République, des avocats qui insultent un président de Cour d’assises : le procès Colonna se poursuit normalement.

shadok-escalier_castaliefr.1235921493.jpgVoici un petit pensum des bizarreries que l’on a pu découvrir au fil des jours :

Un expert désigné par la défense a voulu démontrer que l’assassin du préfet Érignac était nettement plus grand que Colonna. Il a fait un bide.
De plus, les deux témoins oculaires ont définitivement démoli ses déclarations. Marie-Ange C. se souvient d’un homme qui tirait par terre. Lorsqu’il s’est redressé, elle a croisé son regard. Quant à Joseph C., il a vu Claude Érignac courbé en avant tandis qu’un individu tirait sur lui, par derrière.
Aucun des deux n’a reconnu Yvan Colonna.

Antoine Albertini nous apprend, dans Le Monde du 26 février 2009, que deux informations judiciaires avaient été ouvertes simultanément par le parquet antiterroriste. Deux enquêtes parallèles visant les mêmes faits, dont l’une aurait été baptisée « enquête poubelle ». On nous dit que ce n’est pas illégal… Je demande à voir. Dans une enquête criminelle, ouvrir un dossier de « défaisance », un peu comme on le fait aujourd’hui dans une banque pour séparer les actifs pourris de ceux qui semblent sains… C’est pour le moins surprenant.

Là-dessus, un commissaire de police, Didier Vinolas, soulage sa conscience, persuadé qu’il détient le nœud de l’affaire. Et il chuchote le nom de son indic, Michel Poirson, en fait l’un de ses collègues des RG (c’est la première fois à ma connaissance qu’un flic a pour indic un autre flic), lequel lui aurait fourni les noms de deux mystérieux personnages qui auraient participé à l’assassinat du préfet. Ceux-ci ne sont pas des inconnus. Ils ont apparu, dit-on, dans l’enquête sans être autrement inquiétés. Auraient-ils un quelconque rapport avec ces informateurs qui auraient peut-être encaissé la somme rondelette de 300.000€ ? Euh ! Je m’y perds un peu… Là-dessus, Poirson dément les allégations de Vinolas. Turlututu ! C’est le nom qu’on donnait jadis dans un service très secret situé boulevard Saint-Germain, aux opérations complètement bidons dont les militaires sont friands.
Enfin, scrogneugneu ! y a quand même un tonton qui a balancé un tuyau aux gendarmes, lesquels ont répercuté sur le préfet Bonnet. Lequel a fait suivre au procureur et à Roger Marion, le chef de la DNAT. Celui-ci n’y a pas cru. Pourtant, c’était le bon. Vous suivez, vous ?

Après l’arrestation de Bonnet (ici), pour autre cause, Marion finit par se bouger. Une grande rafle parmi les suspects. À l’arrivée, il en manque trois, dont Yvan Colonna. Mais il ne s’est pas mis en cavale, nous affirme son comité de soutien. Il n’était pas au courant. Il gardait ses chèvres. Ce n’est que plusieurs jours plus tard, en ouvrant le journal, qu’il aurait appris qu’il était le principal suspect. Pourquoi parfois j’ai l’impression d’être aussi bête !

On accuse maintenant, le commandant de police Georges tast-qi_moikikicenterblog.1235921639.jpgLebbos d’avoir obtenu des aveux par des moyens… intellectuellement malhonnêtes. Il est certain qu’une garde à vue, ça se rapproche plus du poker menteur que de la belote. D’un côté, il y a ceux qui veulent obtenir des renseignements, voire des aveux ; et de l’autre, ceux qui n’ont pas envie de partir en galère. Alors, il y a trois méthodes. Celle de la guerre d’Algérie, celle de l’ENA, et la bonne : on baratine pour tenter de convaincre les suspects qu’il est de leur intérêt de se confesser. C’est pas beau-beau, mais chez les flics, il n’y a que les gens de la police technique qui mettent des gants blancs. L’un des procédés consiste à établir un P-V de chique : on enferme un suspect dans ses mensonges. Ensuite, on lui met sous le nez les déclarations (bidonnées ou pas) de l’un de ses complices. Ça marche des fois. Rarement chez les voyous. Mais là, on n’est pas dans le « milieu ».

Yvan Colonna a été condamné une première fois. Aujourd’hui, il a pu faire appel grâce à la loi sur les libertés individuelles qui date de l’an 2000, c’est-à-dire après les faits qui lui sont reprochés. Il bénéficie ainsi « rétroactivement » d’une loi qui n’existait pas en 1998. Mais c’est normal, puisqu’elle lui est favorable. Principe de droit.

Il a plus de chance que Maurice Agnelet qui, lui, avait été déclaré innocent du meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux (ici). Après l’appel interjeté par le procureur général, il a écopé de 20 ans. On s’est alors assis sur le fait qu’on utilisait rétroactivement une loi qui allait à l’encontre des intérêts d’un suspect. Peu de réactions dans le monde judiciaire.

Contre Maurice Agnelet, n’y avait pas de preuve (même pas de cadavre), juste un faisceau de présomption et… sa sale gueule. Je n’ai pas souvenir qu’il y ait eu en sa faveur le moindre comité de soutien. Il est entré libre et il est sorti entre deux gendarmes.

Contre Yvan Colonna, il semble qu’il n’y ait pas de preuves matérielles, mais un faisceau de présomptions et… sa bonne gueule de berger corse. Il bénéficie de nombreux soutiens et d’un courant de sympathie. Certains allant même jusqu’à comparer son procès à l’affaire Dreyfus. Il est entré entre deux gendarmes, va-t-il sortir libre ?

rires-et-pleures.1235922031.gifDans cet embrouillamini, on ne sait plus si on doit rire ou pleurer. Mais il ne faut pas oublier que ce n’est pas un jeu : un homme de 60 ans a été lâchement assassiné. Un autre homme a été condamné pour cet acte. Il a fait appel. Il est rejugé.

En attendant le verdict, Yvan Colonna est-il présumé coupable ou présumé innocent ?

La réforme pénale passe-t-elle par l’affaire Dray ?

Julien Dray a été jugé coupable par l’opinion publique à la suite d’un procès médiatique où les rôles de l’accusation et de la défense ont été tenus par des journalistes. Pour nombre de juristes, cette affaire stigmatise le nœud de la réforme de la procédure pénale voulue par le président de la République : la disparition du juge d’instruction.

puzzle_justice_droitenfants.1235553409.gifQu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un combat d’initiés. Cette réforme nous concerne tous – et je crois qu’elle est nécessaire. Toutefois, si l’on n’y prend garde, elle pourrait marquer une rupture dans l’équilibre entre la sécurité que doit l’État à chacun d’entre nous et la garantie de nos libertés individuelles.

Le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, est un chaud partisan (on s’en serait douté) de cette réforme. Depuis plus de 4 ans qu’il est aux manettes, au parquet de Paris, le nombre d’affaires qui ont fait l’objet d’une information judiciaire a diminué comme peau de chagrin, notamment dans le domaine financier (sa spécialité). Les juges d’instruction ne pointent pas encore au chômage, mais certains se posent des questions pour la suite de leur carrière…

Il y a quelques jours, dans une interview réalisée pour Mediapart, Fabrice Lhomme demandait à M. Marin s’il ne regrettait pas d’avoir choisi la procédure de l’enquête préliminaire dans l’affaire Julien Dray. On n’imaginait pas qu’il allait dire si. « L’enquête préliminaire […] permet d’explorer ce qui semble devoir l’être afin d’avoir, dans des délais raisonnables, une proposition de suite à donner à cette affaire : classement, poursuite par voie de citation directe ou alternative aux poursuites. »

Après une affaire qui a déglingué un homme, que le procureur envisage sérieusement qu’il pourrait à sa seule initiative classer le dossier Dray comme si de rien n’était, cela paraît un rien surréaliste.
Mais comme disait Dali : « La différence entre les surréalistes et moi, c’est que je suis surréaliste ! »

Ensuite, toujours dans Mediapart, les responsables des deux principaux syndicats de magistrats ont répondu aux questions d’Erich Inciyan.

« En cas de réquisitoire contre une personne dénommée (ouverture d’une information judiciaire), nous dit Christophe Régnard (USM), Julien Dray en l’occurrence, ses avocats auraient pu demander aussitôt à être entendus par le juge d’instruction. Notamment sous le régime du témoin assisté, qui est de plus en plus utilisé dans ce genre d’affaires. Ses avocats auraient accédé au dossier et fait valoir leurs arguments de défense. Comme cette voie n’a pas été choisie par le parquet, on se retrouve dans une situation invraisemblable où Julien Dray en est amené à demander un jury d’honneur. Où est la présomption d’innocence ? »

Il s’agit d’ « une violation flagrante des droits à la défense, affirme Emmanuelle Perreux (SM). Julien Dray n’a pas accès au dossier judiciaire, alors même que les pièces à charge ont été mises sur la place publique. Il est dans l’incapacité totale de se défendre, tandis que l’enquête de Tracfin (le service spécialisé du ministère des finances) le visant est sortie dans la presse… On est dans un déséquilibre… »

Jean-Claude Marin est favorable à un système dans lequel le parquet serait responsable des investigations et à la disparition du juge d’instruction. Mais en contrepartie, l’avocat de la défense pourrait intervenir plus rapidement, voire dès le début de la garde à vue. Mais pour lui, si je comprends bien ses propos, l’indépendance des procureurs n’a pas besoin d’être… institutionnelle. C’est juste une question de personnalité.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme garantit un État de droit et pose le principe d’une « impartialité objective ». On ne peut donc se satisfaire d’une impartialité dû à la personnalité plus ou moins forte d’un magistrat.

C’est grosso modo ce qu’affirment les deux responsables syndicaux. Ils sont, on l’a deviné, contre la suppression du juge d’instruction. Mais si cela devait se faire, ils demandent l’indépendance du parquet. Ce qui pour eux n’est pas le cas aujourd’hui. Ils rappellent d’ailleurs que Mme Dati s’est autoproclamée « chef des procureurs ».

« Elle assure, nous dit Christophe Régnard, que les magistrats sont là pour dire la justice au nom de la légitimité du président de la République nouvellement élu. Or, les procureurs sont des procureurs de la République, et non du président de la République. La différence est celle qui distingue la démocratie de la dictature… »

« Nicolas Sarkozy (…), renchérit Emmanuelle Perreux, a inclus la justice dans une « chaîne pénale ». Comme si la justice et la police travaillaient dans le même sens, en gommant totalement le fait que, en démocratie, les juges sont les gardiens des libertés individuelles. Monsieur Sarkozy a cette vision très policière de l’action judiciaire… »

table-ronde_citoyendelaterre.1235553542.pngUne commission de réflexion sur la réforme de la procédure pénale a été installée en octobre 2008. Elle est menée par un ancien avocat général à la Cour de justice des communautés européennes, M. Philippe Léger.  Ces jours-ci, sur l’initiative de deux professeurs de droit, Bernard de Lamy et Valérie Malabat (Le Monde du 20 février 2008), une quarantaine de juristes ont mis sur pied une commission non officielle pour réfléchir à une « réforme d’ensemble du droit répressif ».

La procédure pénale n’est ni de droite ni de gauche. Et si on la réforme, c’est pour des années, des dizaines d’années. Ne serait-il pas « intelligent » de réunir autour d’une même table, et pour en discuter sereinement,  des professionnels de tous les horizons : magistrats, avocats, policiers, gendarmes, enseignants…, et pourquoi pas des représentants de la société civile ?

Alors, à quand les états généraux de la réforme pénale ?

Le mystère AZF

Quelques heures après l’explosion, face aux décombres de son usine, devant une poignée d’employés indemnes, mais traumatisés, le directeur d’AZF déclare : « Ce nitrate n’a pas pu exploser spontanément. Sauf si on l’a amorcé, sauf si on l’a voulu ». Trois jours plus tard, le procureur de la République affirme : « À 99%, c’est un accident industriel ».

azf-toulouse7-copie-2.1235299972.JPGCes deux déclarations résument l’enquête.

L’explosion de l’usine AZF de Toulouse est la catastrophe la plus grave en France depuis la dernière guerre mondiale : 30 morts, 20.800 blessés, 85.000 sinistrés et des décombres, des décombres à perte de vue.

À 10 heures 17, ce 21 septembre 2001, une première explosion, puis une deuxième, plus importante, terrible. Des immeubles s’effondrent, des vitres volent en éclats, sur l’autoroute les voitures s’envolent… C’est la panique.

On expliquera ensuite qu’il n’y a eu qu’une seule explosion perçue en deux temps : l’onde sismique et l’onde aérienne. Ce que contestent certains experts. C’est un détail capital, car s’il y a eu deux explosions, l’hypothèse d’un explosif utilisé comme détonateur ne peut pas être écartée.

Nous sommes dix jours après les attentats contre les deux tours du World Trade Center, et il est difficile de ne pas penser à un acte terroriste. La piste islamiste est privilégiée, surtout lorsque les enquêteurs découvrent que l’une des victimes, un Français d’origine tunisienne, portait plusieurs sous-vêtements, enfilés l’un sur l’autre. Un rituel, paraît-il, des kamikazes islamiques : pour protéger son sexe avant de rejoindre Dieu…

Le jour de l’explosion, sur l’autoroute A62, les gendarmes interceptent un véhicule dont la lunette arrière est brisée. Les passagers arrivent de Toulouse : ils sont membres du mouvement islamique Tabligh, que certains assimilent à une secte.

De nombreux témoins signalent plusieurs passages d’hélicoptères quelques minutes avant l’explosion. L’un apparaît même sur un enregistrement effectué par France 3, quinze secondes après. On n’a jamais retrouvé les plans de vol de ces hélicoptères. Les pilotes ne se sont jamais manifestés. S’agit-il d’engins militaires ? (Certaines revues spécialisées ont envisagé la possibilité d’un accident dans la zone « militaire » de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE) qui aurait pu avoir des répercussions sur le site AZF.)

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D’autres éléments viennent peu à peu renforcer l’hypothèse d’un attentat. Et contrairement à ce qu’on a dit, il y a eu plusieurs revendications.  Mais aucune n’a été prise au sérieux, car dans sa tanière, Ben Laden se tait. La piste de l’attentat est finalement abandonnée.

Pourtant, trois semaines plus tard, dans les gravats, à proximité du cratère de l’explosion (65 mètres de long), un CRS découvre un « exploseur  à condensateur » (la décharge d’un condensateur provoque la mise à feu). Mais ce n’est plus d’actualité. Les enquêteurs pensent que l’engin a été déposé après coup, pour détourner leur attention ou les mettre sur une fausse piste.

L’enquête s’oriente désormais vers l’accident. Et trois scénarios sont envisagés, avec des expertises souvent contradictoires :

– L’arc électrique : Un court-circuit dans le transformateur de la SNPE, située à proximité du site AZF, aurait « injecté » dans le sol une décharge d’une intensité de plusieurs milliers d’ampères, ce qui aurait provoqué l’explosion du nitrate emmagasiné dans le hangar 221.

– La théorie du gaz : Lors d’une opération d’entretien sur la zone de la SNPE, un gaz explosif se serait répandu dans les sous-sols et dans les égouts et se serait accumulé en formant des poches. Ensuite, à la suite d’une prémière explosion, il y aurait eu un effet domino jusqu’à l’usine AZF.

– L’accident chimique : On aurait mélangé incidemment un dérivé chloré à du nitrate d’ammonium et ce mélange aurait été déversé sur un tas de nitrate à l’entrée du hangar 221. Il aurait alors initié une détonation qui aurait fait exploser un deuxième tas de nitrate, plus important, entreposé dans le hangar principal.

Après plus de cinq ans d’une enquête dirigée par le juge Thierry Perriquet (celui de l’affaire Alègre), et un dossier de plus de 50.000 pages, on n’en sait pas plus.

Le procès qui démarre ce lundi 23 février est unique en son genre. C’est le plus grand procès correctionnel jamais tenu en France. Au banc des accusés, Serge Biechlin, le directeur de l’usine AZF, et la société Grande Paroisse, une filiale du groupe Total. Il sera présidé par Thomas Le Monnyer – et probablement filmé.

Va-t-on connaître la vérité ?

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La revue du Net :

– Les événements de l’année 2001 dans La petite histoire de la PJ, sur ce blog (ici)

– Un bon résumé avec des commentaires intéressants sur le blog de Sylvain Rakotoarison (ici)

– La théorie de l’attentat par Anne-Marie Casteret sur l’Express (ici )

– La théorie du gaz dans Valeurs actuelles (ici )

– Le récit d’un Toulousain dans La Dépêche (ici)

– La brochure de la société La Grande Paroisse au format pdf (ici)

– Deux journalistes, Frank Hériot et Jean-ChristianTirat, ont écrit un livre L’enquête assassinée, chez Plon. Je ne l’ai pas lu, mais il faut jeter un coup d’oeil sur leur blog (ici) : des éléments troublants et deux vidéos de France 3 et M 6.

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PS.  J’ai retiré la photo de l’exploseur siglée « Spéléo Secours français ». Elle était juste destinée à donner une idée de l’objet. Dans le contexte, cela pouvait être mal interprété. Avec mes excuses à la Fédération Française de Spéléologie et aux bénévoles qui constituent le Spéléo Secours Français.

L'État condamné pour un meurtre commis par le tueur de l'Est parisien

La société est responsable d’un crime commis par un individu placé sous le régime de la semi-liberté. C’est ce que vient de décider le tribunal administratif en condamnant l’État à verser 210.000 euros à la famille de l’une des sept victimes de Guy Georges, le tueur en série de l’Est parisien.
bracelet_electronique_idh-toulon.1234253952.jpgLa semi-liberté constitue un aménagement dans la détention qui donne la possibilité à une personne condamnée de s’extraire du milieu carcéral. Par exemple pour exercer une activité professionnelle, recevoir une formation, des soins médicaux, etc.
La décision est prise par une autorité judiciaire, lorsque le condamné répond à certains critères (ici), et celui-ci doit regagner sa cellule une fois son activité terminée.

En 1991, Guy Georges est incarcéré à la prison de Caen où il purge une peine de dix ans de réclusion criminelle pour une tentative de meurtre sur Pascale N. (il a agressé la jeune femme dans sa voiture et il l’a poignardée). Placé sous le régime de la semi-liberté, un jour, il ne regagne pas la prison. Il rejoint la capitale. Dans la soirée du 24 au 25 janvier, dans la rue, il repère une jeune femme, Pascale Escarfail, âgée de 19 ans. Il la suit, pénètre chez elle et la viole. Comme elle se débat, il la frappe de trois coups de couteau à la gorge. Une blessure mortelle.

C’est pour ce crime que l’État vient d’être condamné. Le tribunal administratif estime que « la responsabilité de l’État peut être engagée, même sans faute, en raison du risque spécial créé, à l’égard des tiers, par des détenus bénéficiaires d’un régime de semi-liberté ». C’est ce que rapporte Le Figaro du 9 février 2009 (ici).

Une semaine plus tard, comme si de rien n’était, Guy Georges regagne la prison de Caen. Bizarrement, personne ne s’intéresse à son emploi du temps durant son absence. Il est libéré l’année suivante – et récidive 18 jours plus tard.

Il est cette fois condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis.

Guy Georges est libéré vers la fin de l’année 1993. Le 7 janvier 1994, dans un parking, il viole et tue Catherine R, âgée de 27 ans.

La première victime d’une nouvelle série de viols et de meurtres qui lui ont valu son surnom : le tueur de l’Est parisien. Vous pouvez trouver un court résumé sur ce blog (ici), dans La Petite histoire de la PJ.guy-georges_proces_bbc_news.1234254048.jpg

À la suite de cette affaire, en 1998, Élisabeth Guigou a fait voter une loi relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles. D’autres textes suivront, mais leur mise en application est parfois problématique. Ainsi, il aura fallu attendre 17 mois pour que soit publié le décret d’application concernant le placement sous surveillance électronique (bracelet), prévu par la loi de décembre 2005.

En condamnant l’État, le tribunal administratif sanctionne nettement l’autorité judiciaire. Si le Conseil d’État devait confirmer ce jugement (en cas d’appel), ce serait une remise en cause du système concernant l’application des peines. Un véritable chamboulement.

Canal+ hors la loi Chatel ?

La chaîne cryptée est-elle dans son droit, lorsqu’elle menace ses abonnés qui veulent reprendre leur liberté des foudres de la justice ? Sous prétexte qu’ils ont laissé passer la date anniversaire de leur contrat, sont-ils prisonniers pour une année de + ? Où s’agit-il d’un chantage pour conserver de force des clients ?

loup-hurlant-a-la-lune_anim67-centerblog.1233216112.jpgCatherine est abonnée à Canal+ depuis plus de cinq ans. En 2007, elle décide d’arrêter. Elle en avise la chaîne cryptée deux mois avant l’échéance, par lettre recommandée. Le service commercial réagit et lui propose un an d’abonnement supplémentaire à 15 € par mois, autrement dit moitié moins cher. Elle se laisse tenter – et n’y pense plus. Au mois d’octobre 2008, c’est 33 € qui sont prélevés sur son compte. Là, elle estime que c’est trop cher. Elle téléphone. Vous ne pouvez pas annuler avant un an, lui répond-on. Elle envoie une lettre recommandée et demande à résilier immédiatement son abonnement. Elle fait référence à la loi Chatel.

Cette loi (ici) est destinée à faciliter la résiliation des contrats tacitement reconductibles.
« Art. L. 136-1. – Le professionnel prestataire de services informe le consommateur par écrit, au plus tôt trois mois et au plus tard un mois avant le terme de la période autorisant le rejet de la reconduction, de la possibilité de ne pas reconduire le contrat qu’il a conclu avec une clause de reconduction tacite.
« Lorsque cette information ne lui a pas été adressée conformément aux dispositions du premier alinéa, le consommateur peut mettre gratuitement un terme au contrat, à tout moment à compter de la date de reconduction… ».

Autrement dit, le prestataire de service, ici Canal +, doit informer par écrit de la possibilité de ne pas reconduire le contrat. À défaut, le consommateur peut y mettre un terme gratuitement et à tout moment.

Il suffit de surfer quelques minutes sur Internet pour se rendre compte que Catherine n’est pas un cas isolé. Les forums foisonnent de messages, parfois pathétiques, de gens qui implorent conseils. On les sent désarmés. Ils voulaient s’offrir un peu de détente, et ils ont l’impression d’être tombés dans un piège : « J’ai un problème avec Canal + car ils ne veulent pas résilier mon abonnement…  Voilà je suis abonnée à Canal + et Canal Sat, et ils n’arrêtent pas de me faire des ennuis… J’ai déménagé il y a 5 mois et depuis 5 mois ils m’ont prélevé comme si j’étais abonné à mon ancienne et à ma nouvelle adresse… Je viens de recevoir une mise en demeure de la part de Canal +.… »

Pour en revenir à Catherine, elle a reçu plusieurs appels de Canal. D’abord aimables, du genre : donnez-nous votre numéro de carte de crédit, et l’on n’en parle plus (elle a mis fin aux prélèvements automatiques). Puis, le service de recouvrement : J’ai votre dossier sous les yeux, vous nous devez la somme de…

Enfin, au bout de deux ou trois semaines, elle a reçu une réponse écrite : « Vous nous avez fait part de votre souhait de résilier votre abonnement et je le regrette sincèrement. Je vous confirme que nous avons bien enregistré votre demande…

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Elle souffle. C’est réglé, se dit-elle. Puis elle poursuit sa lecture : …à la date anniversaire de votre contrat, soit le 30 septembre 2009 ».

Depuis, elle continue de recevoir la chaîne cryptée – ce qui ressemble fort à une vente forcée. Et elle ne sait plus quoi faire.

On m’a dit que Canal+ justifiait sa position par le fait que l’emballage de sa revue mensuelle porte la date échéance du contrat d’abonnement…
Il me semble qu’il s’agit là d’une interprétation restrictive de la loi. Mais je dois avouer que je ne sais pas s’il existe une jurisprudence en la matière.

Le 10 mai 2006, dans un rapport d’information à l’Assemblée nationale (ici), on peut lire : « Sont concernés les principaux contrats passés par les consommateurs comportant une clause de tacite reconduction (contrats de services publics industriels et commerciaux, contrats de fourniture périodique de biens, abonnements divers, notamment accès à Internet, télévision par câble, etc.). »

Mais, il est diffile de s’imaginer qu’une entreprise comme Canal+ ne respecte pas la loi. Aussi je me suis dit que le plus simple, c’était de demander l’avis « au père » de la loi Chatel, autrement dit à Monsieur Luc Chatel, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie, chargé de la consommation. J’ai donc cherché comment le joindre. Je me suis alors aperçu qu’en France il est impossible d’envoyer un mail à un membre du gouvernement. Ce qui m’a fait penser à la réponse de Barack Obama, lorsque les services secrets lui ont demandé d’abandonner l’usage de son téléphone portable personnel : Je garde mon BlackBerry, a-t-il répondu. Il a ajouté qu’il souhaitait que les gens continuent à lui faire parvenir des mails, directement, sans passer par le filtre de la Maison Blanche. Espérons qu’il saura résister à la pression. Nicolas Sarkozy, au début de son mandat, avait dit à ses proches quelque chose comme : Si je m’isole, prévenez-moi ! Aujourd’hui, qui oserait lui dire qu’il a changé…luc-chatel.1233216496.jpg

Donc pour en revenir à Luc Chatel, je suis allé sur le site de Chaumont, où il est maire, et là j’ai trouvé une adresse mail.

Je vais donc de ce pas lui poser la question : Votre loi, Monsieur le secrétaire d’État, s’applique-t-elle à Canal+ ?

Et sur ce blog, je donnerai sa réponse.

Mais en attendant, si vous avez un avis, un conseil, une expérience…

Obama face à la peine de mort

Le nouveau président des E-U s’est déclaré implicitement favorable à la peine de mort : elle est justifiée « dans des circonstances très étroites pour les crimes les plus haineux ». C’était après la décision, en juin 2008, de la Cour suprême américaine qui venait d’invalider la condamnation à mort d’un pédophile. « La peine de mort n’est pas une peine proportionnée pour les viols d’enfants », ont dit les juges par 5 voix contre 4.

peine-de-mort_revoltesorg.1232435833.jpgCe pays est décidément plein de contradictions. Cette même Cour, quelques semaines auparavant avait mis fin à un moratoire de six mois, le temps d’examiner la requête de deux condamnés qui plaidaient que la mort par injection létale causait « une douleur intolérable ». Cette fois par 7 voix contre 2.

Six mois de sursis pour les condamnés qui attendaient dans le couloir de la mort. Les E-U ont connu un autre moratoire, beaucoup plus long, entre 1967 et 1976. La Cour suprême avait alors décrété que dans la forme, l’exécution de la peine capitale était « inhumaine et cruelle », ce qui est contraire au 8° amendement de la Constitution. En 1976, revirement de position, la haute juridiction décrète qu’il n’y a pas violation de la Constitution si des règles strictes sont respectées, et notamment la possibilité de se pourvoir devant une Cour d’appel.

Durant ce moratoire de près de dix ans, le taux de criminalité aux E-U n’a pas augmenté. Dans leur majorité, les policiers américains pensent d’ailleurs que la peine de mort n’est pas dissuasive. Et le taux de meurtres reste l’un des plus élevé au monde (7 fois plus qu’en France). Mieux, au Canada, où la peine de mort a été supprimée depuis 1976 (pour les crimes militaires en 1998), les homicides volontaires ont baissé de 40 %.

De plus, malgré le renforcement des règles de procédure, chambre-de-la-mort_lexpress.1232435914.JPGles risques d’erreur judiciaire persistent. Selon le portail d’information sur la peine de mort (ici), depuis la reprise des exécutions capitales, en 1976, 70 condamnés à mort ont été innocentés – soit 1 sur 7.

L’exécution capitale est de plus en plus controversée, et de fait de moins en moins appliquée. Ainsi aux E-U, le nombre de condamnations serait de 111 en 2008, et il y a eu 37 exécutions. Les deux chiffres les plus bas depuis trente ans. Dans 12 États, elle a été abolie. Cependant, pour Amnesty International, les E-U occupent le cinquième rang mondial pour les exécutions capitales, derrière la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite et le Pakistan.

En France, selon un sondage effectué en 2006 par la Sofres, 42 % des Français souhaiteraient le rétablissement de la peine de mort. Aux États-Unis, près des deux tiers y sont favorables (ce qui explique sans doute la déclaration du candidat Obama), mais de plus en plus de voix se font entendre, notamment sur le fait que les condamnés sont souvent des gens de petite condition, avec une majorité de Noirs.

Le comédien britannique Jeremy Irons a résumé la chose en disant : « Aux E-U, la peine capitale est réservée à ceux qui n’ont pas le capital pour éviter la peine ».

Un autre argument qui milite en faveur de l’abolition de la peine de mort est (contrairement à une idée préconçue) son prix de revient trop élevé. Pragmatiques, en cette période de crise, les Américains seront peut-être plus sensibles à cette logique économique… En tout cas, la peine de mort waterboarding_hbergman.1232435979.jpgn’est pas dans les priorités de Barack Obama, mais on a l’impression qu’il aura du mal à évacuer le problème, lui qui se veut le représentant des plus faibles…

En revanche, il a déclaré vouloir fermer la prison de Guantanamo. Et son futur ministre de la Justice, Éric Holder, a affirmé son intention d’en finir avec la torture, notamment le waterboarding (simulation de noyade), technique d’interrogatoire avalisée par l’administration Bush.

Afro-Américain, Éric Holder est né dans le Bronx. À ma connaissance, il ne s’est pas prononcé pour l’abolition de la peine de mort, mais gageons qu’il y songe sérieusement et qu’il saura faire miroiter à son patron qu’il s’agit là d’un excellent moyen de redorer aux yeux du monde le blason des États-Unis d’Amérique.

Cesare Battisti et les Brigades rouges

Magistral pied de nez à la France : le Brésil vient d’accorder le statut de réfugié politique à Cesare Battisti. Il avait a été arrêté le 18 mars 2007, à Rio de Janeiro, grâce à la filature d’un membre de son comité de soutien par deux policiers français. Depuis, il étaitcesare-battisit_romain-slocombe.1232093447.jpg incarcéré en attente d’extradition. À l’époque, à quelques semaines des élections présidentielles, Nicolas Sarkozy avait revendiqué cette arrestation. Les autres candidats s’étaient montrés plus tièdes : François Bayrou réclamant un nouveau procès et Ségolène Royal refusant de se prononcer.

Quelques voix s’étaient élevées pour soutenir l’ancien activiste italien d’extrême gauche, comme la romancière Fred Vargas, ou le philosophe Bernard-Henri Lévy ; tandis qu’au PS, François Hollande qui l’avait appuyé un temps, cette fois le lâchait.

Les Brigades rouges (BR) sont nées en octobre 1970, dans l’effervescence qui a gagné l’extrême gauche italienne après la mort de Giuseppe Pinelli. Ce dernier, arrêté lors d’un coup de filet dans le milieu anarchiste qui suit l’attentat à la bombe, le 12 décembre 1969 (16 morts et 98 blessés), contre la Banque de l’agriculture de la Piazza Fontana, à Milan, se jette par une fenêtre du quatrième étage de la préfecture de police. Il était interrogé par plusieurs policiers sous la responsabilité du commissaire Luigi Calabresi. La version du suicide est évidemment controversée, pourtant, elle ne semble pas faire de doute. D’ailleurs, en s’élançant, Pinelli aurait crié : « E la fine dell’anarchia ! » (C’est la fin de l’anarchie !). Mais il apparaît aussi que sa détention prolongée dans les locaux de police était arbitraire : à l’heure de sa mort, il aurait dû être soit libéré, soit emprisonné.

Incapables d’infiltrer le mouvement ouvrier, les BR choisissent très rapidement la lutte armée et les actions violentes, notamment contre les policiers, les magistrats, les journalistes et la classe politique. Plus de 70 assassinats leur sont attribués. Dont deux pour lesquels Battisti a été reconnu coupable et deux autres pour lesquels il a été reconnu coupable de complicité. En fuite, il a été condamné par contumace à la perpétuité.

Quant au commissaire Calabresi, il est tué devant chez lui le 17 mai 1972, de deux balles tirées par un homme qui prend la fuite à bord d’une voiture volée conduite par un complice. L’enquête, au point mort jusqu’au 20 juillet 1988, rebondit grâce à un « repenti » qui se présente spontanément devant les policiers pour avouer sa participation à ce meurtre. Dans la foulée, il dénonce son complice et les instigateurs qui ont ordonné l’exécution, dont Adriano Sofri (que je cite, car il vient de sortir un livre dans lequel, dit-on, il se reconnaît une responsabilité morale (?) dans la mort du policier – alors qu’il avait jusqu’à ce jour toujours clamé son innocence).

En octobre 2008, Mario Calabresi, le fils du commissaire assassiné, a également publié un livre Sortir de la nuit, aux éditions Gallimard. Il avait trois ans à la mort de son père.

Dans le début des années 80 (ici), de nombreux membres des brigades rouges et d’autres activistes de différents pays trouvent refuge dans l’Hexagone pour bénéficier de la « doctrine Mitterrand » : la France accueille les terroristes qui renoncent à la violence.

Cesare Battisti fait partie du lot. Après s’être exilé au Mexique, en 1990, il s’installe à Paris, où il devient gardien d’immeuble et auteur de romans policiers dans la Série Noire, alors cannibalisée par une camarilla d’extrême gauche. L’Italie demande son extradition. La France refuse.

Pourtant, au fil des ans, le discours de Mitterrand s’est sensiblement modifié. Lors d’un déjeuner avec le président du conseil italien, il aurait dit (source Wikipédia) : « Si les juges italiens nous envoient des dossiers sérieux prouvant qu’il y a eu crime de sang, et si la justice française donne un avis positif, alors nous accepterons l’extradition.(…) Nous sommes prêts à extrader ou à expulser à l’avenir les vrais criminels sur la base des dossiers sérieux. »

Mais à l’époque, en Italie, une condamnation par contumace est définitive. Battisti devait donc purger sa peine sans être rejugé. Ce qui pour Mitterrand aurait été un manquement trop flagrant à sa parole. Le cas Battisti incite l’Italie à modifier son Code de procédure pénale, et, depuis 2005, une personne condamnée en son absence peut obtenir un nouveau procès. Ce texte a été adopté en urgence avant qu’en France le Conseil d’État ne se prononce sur l’extradition de Battisti. Toutefois, selon certains juristes italiens, il n’est pas tout à fait certain que cela s’applique à son cas… Peu importe, puisqu’il a franchi nos frontières sans attendre la décision de la haute juridiction, laquelle a d’ailleurs confirmé l’extradition.

Pour la petite histoire, le fondateur des BR, Alberto Franceschini, déclare dans ses mémoires que Mario Moretti, l’un des fondateurs de la deuxième mouvance des BR, était manipulé par la CIA. On a parlé d’une « stratégie de la tension » qui aurait consisté à commettre des attentats pour gêner la progression du parti communiste italien et d’une manière générale empêcher la gauche d’arriver au pouvoir. Mais, en l’absence de preuve, cela reste du domaine des hypothèses.

Souvent les terroristes sont manipulés par des services secrets. Ainsi, le 2 août 1980, une bombe explose dans la salle d’attente de la gare de Bologne. On compte 85 morts et 200 blessés. Cette fois, les assassins sont d’extrême droite, mais l’intention n’était-elle pas de faire porter le chapeau aux BR ? Dans quel but, si ce n’est de créer des tensions dgare-de-bologne-attentat_wikipedia.1232094832.jpgans le pays…

Tous les membres des BR ont été jugés par des tribunaux ordinaires et des jurys populaires, non pas avec des lois d’exception, mais avec des lois ordinaires. Dès 1984, le président d’une Cour d’Assises a parlé de « la main tendue de l’État » et tout a été fait pour obtenir le repentir des accusés. Leurs peines ont été aménagées et, sauf erreur de ma part, plus aucun n’est derrière les barreaux.

Même s’il se dit innocent, Battisti a donc été condamné dans des conditions dignes d’une démocratie.

Pour mémoire, en France, les terroristes d’Action directe ont été jugés par des Cours d’assises spéciales, avec des lois spéciales et récemment Jean-Marc Rouillan (ici) a été reconduit en prison pour avoir donné une interview à un hebdomadaire (il doit se dire qu’il aurait mieux fait de franchir les Alpes).

Pour se faire une idée, voici ce qu’écrivait Pierre Assouline, dans son blog, en novembre 2005 (que je vous conseille de lire entièrement – ici) :

brigaterosse_rfi.1232095823.jpg« Battisti, né en 1954, a disparu l’an dernier quelque part en France au moment où la justice française s’apprêtait à l’extrader vers l’Italie. Cet ancien braqueur au casier chargé (vols, cambriolages, hold-up) s’était reconverti au temps des années de plomb dans « les expropriations prolétariennes » avec un groupe terroriste d’extrême-gauche « Les prolétaires armés pour le communisme ». Il exécuta d’une balle dans le dos le surveillant-chef de la prison d’Udine le 6 juin 1978, achevé à terre de deux balles tirées presque à bout portant. Le 16 février 1979, à Mestre, il participe sans faire lui-même usage de son arme au meurtre d’un bijoutier. Deux mois après à Milan, il tire à cinq reprises sur un policier  mais l’arme s’enraye. Arrêté le 26 juin avec ses complices, il est condamné à douze ans de détention. Grâce à l’aide d’un commando, il réussit à s’évader de prison au bout de sept mois. À la suite de nouveaux éléments dans l’enquête, il sera alors condamné à la prison à vie par contumace. »

Alors, Battisti… réfugié politique ?

Samy Naceri « déqualifié »

Le comédien a planté un couteau dans la gorge d’un homme de 43 ans, l’ami de son ex, que celle-ci avait appelé à son secours. Tentative de meurtre, ont estimé les enquêteurs de la PJ. Non, ont répondu les magistrats : violences volontaires. Naceri a-t-il bénéficié d’un régime de faveur?

naceri_tqsca.1231832261.jpgInterpellé à son domicile du XV° arrondissement par les policiers de la brigade anticriminalité, Naceri n’est pas resté à la disposition des enquêteurs. Il a passé sa garde à vue à l’hôpital de l’Hôtel Dieu pour soigner son foie, ce qui lui a évité de répondre aux questions.

Si le motif de la mise en examen avait été tentative de meurtre, c’était la Cour d’assises, avec une peine maximale de 30 ans de réclusion criminelle (la tentative est punissable comme le crime art. 121-4 et 5 du CP). Mais le procureur et le juge d’instruction en ont décidé autrement. Ils ont finalement retenu une simple atteinte à l’intégrité physique, ce qui devrait se traduire par des poursuites pour « violences ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours ». La peine encourue est alors de 3 ans d’emprisonnement (si l’incapacité de travail est égale ou inférieure à huit jours, il s’agit d’une contravention de 5° classe).

Pourtant, il faut se garder de tout a priori : la correctionnalisation judiciaire est une pratique courante. Elle consiste à remplacer un crime par un délit en déformant délibérément la réalité des faits. « Ainsi, nous disent Desportes et Le Gunehec, dans Le droit pénal général (Economica), une tentative de meurtre sera qualifiée de violences volontaires délictuelles en occultant l’intention homicide de son auteur… » Cette pratique a été longtemps illégale, mais comme chacun y trouvait son compte (l’auteur des faits espère une peine allégée et la partie civile un jugement plus rapide), personne ne la dénonçait, du moins jusqu’au procès. Car après le jugement, la chose restait possible. On se trouvait alors devant une situation absurde où une affaire jugée devant le TGI, puis devant la Cour d’appel, pouvait être rejugée devant la Cour d’assises, puis devant la Cour d’assises en appel.

Une loi du 9 mars 2004 y a mis le holà en consacrant la légalité de la pratique de la correctionnalisation. La décision est maintenant définitive à la clôture de l’information judiciaire.

Au passage, il faut noter que la suppression du juge d’instruction (ici) sans une refonte complète de la procédure pénale, donnerait au procureur l’opportunité d’engager ou non des poursuites (c’est déjà fait) et le libre choix de la qualification des faits. Il ne lui resterait plus qu’à fixer la peine…

Ce n’est pas encore le cas (quoique…)*. Et la situation du justiciable Samy Naceri peut évoluer au fil de l’information judiciaire. Le juge peut en effet tenir compte des revendications de la victime ou de la partie civile pour de nouveau modifier la teneur des poursuites – surtout si les blessures s’avéraient plus sérieuses que prévu.

On serait tenté de dire que tout cela n’a guère de sens,tirage-au-sort_upectfree.1231832611.gif c’est sans doute ce que pense le législateur, car depuis longtemps, la machine de la correctionnalisation légale est en marche, et (sur le papier) le nombre des crimes ne fait que baisser tandis que les délits ne cessent d’augmenter.

Une manière pour les magistrats de rappeler que la justice doit être faite par des pros et non par des quidams qu’on sort de leur traintrain par tirage au sort… Cela dit, en ce qui concerne Naceri, et vu la casserole judiciaire qu’il traîne derrière lui, il n’est pas certain que des juges professionnels se montrent plus cléments qu’un jury populaire.

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* La procédure du « plaider-coupable », ou « comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité », est entrée en vigueur en octobre 2004. Cette procédure permet au procureur de proposer une peine maximale d’un an d’emprisonnement à une personne ayant reconnu avoir commis un délit. La personne évite un procès si elle accepte la peine. 

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Erratum

Article 222-13, alinéa 10 : Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises avec menace ou usage d’une arme.

Remerciements au magistrat qui a bien voulu me corriger.

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