LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La réforme pénale passe-t-elle par l’affaire Dray ?

Julien Dray a été jugé coupable par l’opinion publique à la suite d’un procès médiatique où les rôles de l’accusation et de la défense ont été tenus par des journalistes. Pour nombre de juristes, cette affaire stigmatise le nœud de la réforme de la procédure pénale voulue par le président de la République : la disparition du juge d’instruction.

puzzle_justice_droitenfants.1235553409.gifQu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas d’un combat d’initiés. Cette réforme nous concerne tous – et je crois qu’elle est nécessaire. Toutefois, si l’on n’y prend garde, elle pourrait marquer une rupture dans l’équilibre entre la sécurité que doit l’État à chacun d’entre nous et la garantie de nos libertés individuelles.

Le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, est un chaud partisan (on s’en serait douté) de cette réforme. Depuis plus de 4 ans qu’il est aux manettes, au parquet de Paris, le nombre d’affaires qui ont fait l’objet d’une information judiciaire a diminué comme peau de chagrin, notamment dans le domaine financier (sa spécialité). Les juges d’instruction ne pointent pas encore au chômage, mais certains se posent des questions pour la suite de leur carrière…

Il y a quelques jours, dans une interview réalisée pour Mediapart, Fabrice Lhomme demandait à M. Marin s’il ne regrettait pas d’avoir choisi la procédure de l’enquête préliminaire dans l’affaire Julien Dray. On n’imaginait pas qu’il allait dire si. « L’enquête préliminaire […] permet d’explorer ce qui semble devoir l’être afin d’avoir, dans des délais raisonnables, une proposition de suite à donner à cette affaire : classement, poursuite par voie de citation directe ou alternative aux poursuites. »

Après une affaire qui a déglingué un homme, que le procureur envisage sérieusement qu’il pourrait à sa seule initiative classer le dossier Dray comme si de rien n’était, cela paraît un rien surréaliste.
Mais comme disait Dali : « La différence entre les surréalistes et moi, c’est que je suis surréaliste ! »

Ensuite, toujours dans Mediapart, les responsables des deux principaux syndicats de magistrats ont répondu aux questions d’Erich Inciyan.

« En cas de réquisitoire contre une personne dénommée (ouverture d’une information judiciaire), nous dit Christophe Régnard (USM), Julien Dray en l’occurrence, ses avocats auraient pu demander aussitôt à être entendus par le juge d’instruction. Notamment sous le régime du témoin assisté, qui est de plus en plus utilisé dans ce genre d’affaires. Ses avocats auraient accédé au dossier et fait valoir leurs arguments de défense. Comme cette voie n’a pas été choisie par le parquet, on se retrouve dans une situation invraisemblable où Julien Dray en est amené à demander un jury d’honneur. Où est la présomption d’innocence ? »

Il s’agit d’ « une violation flagrante des droits à la défense, affirme Emmanuelle Perreux (SM). Julien Dray n’a pas accès au dossier judiciaire, alors même que les pièces à charge ont été mises sur la place publique. Il est dans l’incapacité totale de se défendre, tandis que l’enquête de Tracfin (le service spécialisé du ministère des finances) le visant est sortie dans la presse… On est dans un déséquilibre… »

Jean-Claude Marin est favorable à un système dans lequel le parquet serait responsable des investigations et à la disparition du juge d’instruction. Mais en contrepartie, l’avocat de la défense pourrait intervenir plus rapidement, voire dès le début de la garde à vue. Mais pour lui, si je comprends bien ses propos, l’indépendance des procureurs n’a pas besoin d’être… institutionnelle. C’est juste une question de personnalité.

La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme garantit un État de droit et pose le principe d’une « impartialité objective ». On ne peut donc se satisfaire d’une impartialité dû à la personnalité plus ou moins forte d’un magistrat.

C’est grosso modo ce qu’affirment les deux responsables syndicaux. Ils sont, on l’a deviné, contre la suppression du juge d’instruction. Mais si cela devait se faire, ils demandent l’indépendance du parquet. Ce qui pour eux n’est pas le cas aujourd’hui. Ils rappellent d’ailleurs que Mme Dati s’est autoproclamée « chef des procureurs ».

« Elle assure, nous dit Christophe Régnard, que les magistrats sont là pour dire la justice au nom de la légitimité du président de la République nouvellement élu. Or, les procureurs sont des procureurs de la République, et non du président de la République. La différence est celle qui distingue la démocratie de la dictature… »

« Nicolas Sarkozy (…), renchérit Emmanuelle Perreux, a inclus la justice dans une « chaîne pénale ». Comme si la justice et la police travaillaient dans le même sens, en gommant totalement le fait que, en démocratie, les juges sont les gardiens des libertés individuelles. Monsieur Sarkozy a cette vision très policière de l’action judiciaire… »

table-ronde_citoyendelaterre.1235553542.pngUne commission de réflexion sur la réforme de la procédure pénale a été installée en octobre 2008. Elle est menée par un ancien avocat général à la Cour de justice des communautés européennes, M. Philippe Léger.  Ces jours-ci, sur l’initiative de deux professeurs de droit, Bernard de Lamy et Valérie Malabat (Le Monde du 20 février 2008), une quarantaine de juristes ont mis sur pied une commission non officielle pour réfléchir à une « réforme d’ensemble du droit répressif ».

La procédure pénale n’est ni de droite ni de gauche. Et si on la réforme, c’est pour des années, des dizaines d’années. Ne serait-il pas « intelligent » de réunir autour d’une même table, et pour en discuter sereinement,  des professionnels de tous les horizons : magistrats, avocats, policiers, gendarmes, enseignants…, et pourquoi pas des représentants de la société civile ?

Alors, à quand les états généraux de la réforme pénale ?

8 Comments

  1. divorce

    “La justice devrait être … “ Mais elle ne l’est pas, et ne l’a jamais été. Dans les faits, elle a toujours été au service des dominants du moment, même dans les petites décisions quotidiennes, locales, j’ai des exemples bien précis en mémoire. Il lui arrive, parfois seulement d’être “justes“ mais c’est plutôt rare. Le plus souvent, particulièrement aux assises, elle est un théâtre. Avant celui qui payait le spectacle n’avait droit qu’à une représentation, dorénavant, avec le droit d’appel, il y gagne souvent et la justice aussi.

  2. Nicolas

    Pour faire suite à mon précédent message sur ce sujet très intéressant (mais peut-être un peu trop technique ?) de la réforme de la procédure pénale, Le Monde nous propose la lecture d’un pré-rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale (ou Commission Léger) :

    http://medias.lemonde.fr//mmpub/edt/doc/20090309/1165334_2dc4_leger.pdf

    La décision de supprimer le juge d’instruction avait fait couler beaucoup d’encre, je m’étonne donc que personne ici n’émette le moindre avis, la moindre réflexion sur le mécanisme envisagé pour prendre en compte cette révolution judiciaire.

  3. Nicolas

    Pour ceux (et ils ne sont visiblement pas nombreux) que la réforme de la procédure pénale intéresse, je leur propose de lire un article (très court) du Figaro sur le sujet, plus particulièrement sur le rapport de la Commission Léger qui devrait être remis officiellement au Garde des Sceaux :

    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2009/03/06/01016-20090306ARTFIG00548-reforme-penale-vers-un-juge-de-l-enquete-et-des-libertes-.php

    Je constate que l’idée d’un cadre unique d’enquête (qui ne parait être une évolution logique et pertinente) a été retenue. Je m’en félicite, comme diraient nos chers hommes politiques.

    Par contre cette histoire d’avocat présent lors des auditions me semble toujours aussi peu « intelligente »… et matériellement compliquée… mais c’est comme ça. Je savais que l’on y arriverait. Tant pis.

  4. michel-j

    Avant une nouvelle manche, il est normal de battre les cartes. Mais que résultera-t-il exactement de la donne ?

    Je veux dire par là que le changement des règles de procédure, voire des articles de lois eux-mêmes, ne pourra se prévaloir de « justice » QUE si un réel cadre de surveillance, et de réelles sanctions existent envers ceux qui trahiraient l’étique même du mot Justice ; l’application des lois pour tous, de la même manière… et surtouot sans possibilité d’ingérance du Politique dans le judiciaire.

    Je retiens surtout, pour ma part, que nombre d’affaires criminelles retentissantes auraient pu susciter une telle volonté de réforme… mais qu’il ait surtout fallu les aléas d’une simple affaire financière comme en étouffe régulièrement la section spécialisée du parquet de Paris, que celle-ci atteigne une personnalité politique, et voilà que naissent des vocations spontanées de « Mr Propre »… 😉 ! Curieux. Enfin, si on veut.

    Bonne ou moins bonne, la Loi ne peut se prévaloir de l’essence de justice QUE si elle s’applique de même pour tous.

    Existera-t-il dans ces nouvelles dispositions un moyen de contrôle et de réelles sanctions contre les « interprétations délirantes » des textes, contre les choix de poursuites ciblées ou les exhonérations douteuses ?

    Voir !

    En tout cas, merci Georges pour votre rôle de vigie et le choix de vos sujets d’articles présentant un intérêt collectif certain.

  5. Gascogne

    Merci pour cet article, et pour information, l’USM envisage effectivement de mettre en place courant mars des états généraux de la justice, où toutes les bonnes volontés seront bienvenues. La justice n’est pas la chose des professionnels du droit, et les citoyens devraient se sentir particulièrement concernés.
    Bien cordialement.

  6. Nicolas

    D’une manière plus générale, et si on laisse un instant de côté les déclarations (parfois plus idéologiques que juridiques) des membres du Syndicat de la Magistrature, on peut se demander si, en cette période de remise en cause du rôle du juge d’instruction, on assiste pas tout autant à une attaque en règle de la procédure préliminaire.

    Ce cadre juridique est en effet décrié à travers l’affaire Julien Dray (député de la République soupçonné d’avoir détourné à des fins personnelles des fonds d’associations).
    On reproche ainsi aux autorités judiciaires de ne pas ouvrir d’information, c’est à dire de ne pas saisir de juge d’instruction, ce qui donnerait en effet aux mis en cause (dont notre député) la possibilité de bénéficier du statut de témoin assisté et notamment d’accéder aux pièces de la procédure. Tout cela est tout à fait correct… mais alors pourquoi dénigrer de la sorte la forme préliminaire lorsqu’il s’agit de Monsieur Dray et ne pas manifester son mécontentement dans les dizaines de milliers de dossiers traités de façon similaire chaque année. De plus, d’autres hommes politiques ont fait l’objet de « simples » enquêtes préliminaires et ont été condamnés à l’issue (je pourrais citer pour exemple le cas de Monsieur Huchon). Cela n’avait pas posé de problème majeur à l’époque.
    C’est cela qui me dérange dans la polémique liée à Monsieur Dray. Pourquoi ce qui serait vrai pour lui ne le serait pas pour tous nos concitoyens ? Si la forme préliminaire n’est pas bonne pour lui, pourquoi le serait-elle pour les autres ?

    Devons nous conclure que la réforme nécessaire de la procédure pénale de notre pays doit tendre vers la disparition des trois formes d’enquête que nous connaissons actuellement (préliminaire, flagrance et instruction) pour laisser la place à une seule forme (au nom de l’égalité de tous devant la justice) hybride qui sera faire le bon équilibre entre les droits des enquêteurs et ceux des mis en cause ?

  7. Natacha

    Bonjour à tous et merci à M. Moréas pour ce blog et ces réflexions sur la réforme de la justice pénale:
    Pour information, sachez que des Etats Généraux de la justice pénale sont en préparation et réunissent effectivement des acteurs nombreux et différents (magistrats, avocats, PJJ, universitaires etc.).
    Ils se tiendront vraissemblalement le 21 mars 2009 à Paris, mais également dans d’autres grandes villes.
    Une association est en cours de constitution et un site y est dédié:
    http://www.etats-generaux-justice.blogspot.com
    Cordialement.

  8. Nicolas

    Avant toute discussion sur le fond (merci à Georges Moréas de revenir sur une réforme qui intéresse effectivement tout le monde), je veux souligner les délectables déclarations de Madame Emmanuelle Perreux (du Syndicat de la Magistrature ?).
    Tout d’abord elle déplore « une violation flagrante des droits à la défense », Julien Dray n’ayant « pas accès au dossier judiciaire, alors même que les pièces à charge ont été mises sur la place publique ». Quelle magnifique contradiction ! Si les pièces du dossier sont dans la presse, le principal mis en cause est donc au courant de tout ce qu’on lui reproche et peut donc préparer sa défense en conséquence. Je sais, mes propos sont teintés d’une certaine mauvaise foi, totalement assumée. 😉
    Non, le scandale dans cette affaire n’a rien à voir avec le cadre juridique choisi pour mener l’enquête mais réside davantage dans la publication (et donc la divulgation au grand public) de pièces de procédure qui ne regardaient à ce moment là que la justice et les mis en cause.

    Ensuite elle déclare tranquillement, et là c’est moins drôle : « … en démocratie, les juges sont les gardiens des libertés individuelles. Monsieur Sarkozy a cette vision très policière de l’action judiciaire… »
    Il faut donc comprendre que pour Madame Perreux Police et libertés individuelles sont antinomiques. Ce serait marrant si cela ne venait pas d’un magistrat. Tout ça peut-être parce qu’on a la possibilité de garder dans nos locaux, pendant 48 heures max, les mis en cause. Que faudrait-il dire des magistrats qui embastillent plusieurs mois voire plusieurs années les mêmes personnes ?! Madame, si vous nous lisez, la Police fait partie intégrante des institutions en charge de garantir les libertés de chacun. Si vous supprimiez ne serait-ce qu’une seule journée la Police vous verriez ce qu’il reste de nos libertés individuelles… plus grand chose. Cordialement.

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