« Ce qui me paraît malsain, c’est qu’on autorise les gendarmes à faire usage de leurs armes, et qu’ensuite on leur reproche. On met les gendarmes dans des situations impossibles. Si on ne veut plus que les gendarmes fassent usage de leur arme, il faut avoir le courage politique de modifier le cadre légal et d’aligner leur statut sur celui des policiers. »
Après ces propos, lors de son réquisitoire devant la Cour d’assises, l’avocat général Philippe Guémas a estimé que le maréchal de logis-chef Christophe Monchal avait agi dans « le cadre légal » et « conformément à ce qu’on lui a enseigné ».
Ce qui n’est pas l’avis de son confrère, le procureur Christian Girard, qui estime, lui, que le gendarme ne se trouvait pas dans « la situation d’absolue nécessité d’ouvrir le feu ».
Le jury a tranché, mais les interrogations demeurent.
En 2009, lors du débat qui a précédé le vote de la loi qui redéfinit le statut de la gendarmerie nationale, les élus se sont penchés sur le « droit exorbitant d’usage des armes des gendarmes par rapport aux policiers » : Fallait-il maintenir cette particularité, la supprimer, ou au contraire l’étendre à l’ensemble des forces de l’ordre ? Finalement, les choses sont restées en l’état. Dans l’utilisation des armes, c’est donc toujours l’article L-2338-3 du Code de la défense qui s’applique aux gendarmes, et le Code pénal aux policiers. Cette prérogative militaire a d’ailleurs été jugée conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, sous réserve, a dit la Cour de cassation, que l’usage de la force soit absolument nécessaire au regard des circonstances. À noter que cet article prévoit plusieurs hypothèses, dont « l’évasion d’une personne régulièrement détenue ».
Le problème n’a d’ailleurs pas échappé au député Franck Marlin puisqu’il a posé la question au ministre de l’Intérieur – mais dans l’autre sens – en lui demandant s’il entendait aligner l’emploi des armes dans la police sur celui de la gendarmerie.
C’était au mois d’août 2009. La réponse a un peu traîné. Elle date du 13 juillet 2010. Brice Hortefeux rappelle à « l’honorable parlementaire » les cas où les gendarmes peuvent déployer la force armée :
1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte Gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.
Il justifie la différence entre les deux corps par les risques que feraient encourir l’usage des armes en zone police, c’est-à-dire en milieu urbain, et également par le statut militaire de la gendarmerie nationale et la nature des missions susceptibles de lui être confiées. Toutefois, il ajoute qu’un décret est à l’étude pour uniformiser les conditions d’emploi des armes dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, mettant au diapason policiers et gendarmes ; et même les forces armées.
Qu’entend-on par maintien de l’ordre ? Réprimer une manif ? On n’ose imaginer une troupe hétérogène composée de policiers, de gendarmes et de soldats ouvrant le feu place de la République !
Soyons sérieux. Le jugement de Draguignan pose une autre question : la place de la victime dans un procès d’assises.
En effet, la loi du 15 juin 2000 a donné à l’accusé le droit de faire appel d’une décision de condamnation. Puis une nouvelle loi, du 4 mars 2002, a autorisé le procureur général à faire appel d’une décision d’acquittement. En vertu du principe de « l’égalité des armes ». Mais dans un cas comme celui-ci, où l’accusé a agi au nom de la société et où le procureur (qui représente la société) n’a demandé aucune peine contre lui, que peut-il se passer – alors que la victime ne peut faire appel que de ses intérêts civils ?
Ce gouvernement se vante de protéger les victimes, mais quid quand la victime est un gitan multirécidiviste ?
Décidément, dans ce procès, atypique, on a l’impression qu’il y a rupture d’équilibre.
Le gendarme est donc blanchi, mais au plus profond de lui, il doit bien savoir qu’il n’y a aucune gloire à vider la moitié de son chargeur sur un homme qui s’enfuit…
Comme il n’y avait aucune gloire pour l’antigang à fusiller Mesrine au volant de sa voiture, et encore moins à se réjouir de sa mort. Même s’il s’agissait de la pire des crapules.
Dans ma carrière, j’ai vu parfois des policiers se vanter d’avoir « flingué un truand ». Je me souviens d’une affaire de prise d’otages ou la BRI de Paris et l’Office du banditisme se disputaient la mort de deux braqueurs. Il a fallu attendre l’autopsie pour les départager. Parfois, je me demande comment ils vieillissent, ces flics d’un autre âge… Comment on vieillit.
Dans une étude qui date d’une douzaine d’années, le capitaine de police Frédérick Bertaux, auteur d’un mémoire universitaire de criminologie sur le stress et l’usage des armes dans la police, écrit : « Tuer ou blesser quelqu’un est ce qui peut arriver de pire à un policier ». Je dirais que policier ou pas, cela ne change rien. Tuer un homme est la pire des choses, du moins pour un homme normal. Et cela laisse des traces. Même les soldats sont parfois victimes de ce syndrome, comme un flash-back qui revient par intermittence, avec des interrogations sur une décision prise à chaud, en un trait de temps. Et cela, que le tir soit légitime ou pas.
Alors, Christophe Monchal pourra-t-il oublier ?
_________________________________________________________________________________________________________________________________________
Saint-Aignan : le tir du gendarme en question a été lu 28.374 fois et a suscité 181 commentaires.

On sentait bien qu’il s’agissait d’une approche. Un peu de curiosité sans doute. Déjà que les Verts sont un peu entortillés pour savoir jusqu’où ils peuvent ne pas être de gauche, on pouvait se demander comment ils allaient aborder ce sujet de société.
