LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Actualité (Page 34 of 71)

Réflexions après l’acquittement du gendarme de Draguignan

« Ce qui me paraît malsain, c’est qu’on autorise les gendarmes à faire usage de leurs armes, et qu’ensuite on leur reproche. On met les gendarmes dans des situations impossibles. Si on ne veut plus que les gendarmes fassent usage de leur arme, il faut avoir le courage politique de modifier le cadre légal et d’aligner leur statut sur celui des policiers. »

Après ces propos, lors de son réquisitoire devant la Cour d’assises, l’avocat général Philippe Guémas a estimé que le maréchal de logis-chef Christophe Monchal avait agi dans « le cadre légal » et « conformément à ce qu’on lui a enseigné ».

Ce qui n’est pas l’avis de son confrère, le procureur Christian Girard, qui estime, lui, que le gendarme ne se trouvait pas dans « la situation d’absolue nécessité d’ouvrir le feu ».

Le jury a tranché, mais les interrogations demeurent.
En 2009, lors du débat qui a précédé le vote de la loi qui redéfinit le statut de la gendarmerie nationale, les élus se sont penchés sur le « droit exorbitant d’usage des armes des gendarmes par rapport aux policiers » : Fallait-il maintenir cette particularité, la supprimer, ou au contraire l’étendre à l’ensemble des forces de l’ordre ? Finalement, les choses sont restées en l’état. Dans l’utilisation des armes, c’est donc toujours l’article L-2338-3 du Code de la défense qui s’applique aux gendarmes, et le Code pénal aux policiers. Cette prérogative militaire a d’ailleurs été jugée conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, sous réserve, a dit la Cour de cassation, que l’usage de la force soit absolument nécessaire au regard des circonstances. À noter que cet article prévoit plusieurs hypothèses, dont « l’évasion d’une personne régulièrement détenue ».

Le problème n’a d’ailleurs pas échappé au député Franck Marlin puisqu’il a posé la question au ministre de l’Intérieur – mais dans l’autre sens – en lui demandant s’il entendait aligner l’emploi des armes dans la police sur celui de la gendarmerie.

C’était au mois d’août 2009. La réponse a un peu traîné. Elle date du 13 juillet 2010. Brice Hortefeux rappelle à « l’honorable parlementaire » les cas où les gendarmes peuvent déployer la force armée :

1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte Gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.

Il justifie la différence entre les deux corps par les risques que feraient encourir l’usage des armes en zone police, c’est-à-dire en milieu urbain, et également par le statut militaire de la gendarmerie nationale et la nature des missions susceptibles de lui être confiées. Toutefois, il ajoute qu’un décret est à l’étude pour uniformiser les conditions d’emploi des armes dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, mettant au diapason policiers et gendarmes ; et même les forces armées.

Qu’entend-on par maintien de l’ordre ? Réprimer une manif ? On n’ose imaginer une troupe hétérogène composée de policiers, de gendarmes et de soldats ouvrant le feu place de la République !

Soyons sérieux. Le jugement de Draguignan pose une autre question : la place de la victime dans un procès d’assises.

En effet, la loi du 15 juin 2000 a donné à l’accusé le droit de faire appel d’une décision de condamnation. Puis une nouvelle loi, du 4 mars 2002, a autorisé le procureur général à faire appel d’une décision d’acquittement. En vertu du principe de « l’égalité des armes ». Mais dans un cas comme celui-ci, où l’accusé a agi au nom de la société et où le procureur (qui représente la société) n’a demandé aucune peine contre lui, que peut-il se passer – alors que la victime ne peut faire appel que de ses intérêts civils ?

Ce gouvernement se vante de protéger les victimes, mais quid quand la victime est un gitan multirécidiviste ?

Décidément, dans ce procès, atypique, on a l’impression qu’il y a rupture d’équilibre.

Le gendarme est donc blanchi, mais au plus profond de lui, il doit bien savoir qu’il n’y a aucune gloire à vider la moitié de son chargeur sur un homme qui s’enfuit…

Comme il n’y avait aucune gloire pour l’antigang à fusiller Mesrine au volant de sa voiture, et encore moins à se réjouir de sa mort. Même s’il s’agissait de la pire des crapules.

Dans ma carrière, j’ai vu parfois des policiers se vanter d’avoir « flingué un truand ». Je me souviens d’une affaire de prise d’otages ou la BRI de Paris et l’Office du banditisme se disputaient la mort de deux braqueurs. Il a fallu attendre l’autopsie pour les départager. Parfois, je me demande comment ils vieillissent, ces flics d’un autre âge… Comment on vieillit.

Dans une étude qui date d’une douzaine d’années, le capitaine de police Frédérick Bertaux, auteur d’un mémoire universitaire de criminologie sur le stress et l’usage des armes dans la police, écrit : « Tuer ou blesser quelqu’un est ce qui peut arriver de pire à un policier ». Je dirais que policier ou pas, cela ne change rien. Tuer un homme est la pire des choses, du moins pour un homme normal. Et cela laisse des traces. Même les soldats sont parfois victimes de ce syndrome, comme un flash-back qui revient par intermittence, avec des interrogations sur une décision prise à chaud, en un trait de temps. Et cela, que le tir soit légitime ou pas.

Alors, Christophe Monchal pourra-t-il oublier ?

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Saint-Aignan : le tir du gendarme en question a été lu 28.374 fois et a suscité 181 commentaires.

Saint-Aignan : le tir du gendarme en question

Le gendarme dont le tir a causé la mort d’un jeune Gitan, en juillet dernier, pourrait être mis en examen, d’après les récentes déclarations des magistrats de Blois. On se rappelle que c’est à la suite de cette malheureuse affaire que les gens du voyage avaient mené une action musclée dans le village de Saint-Aignan. Avec une réponse tout aussi musclée de Nicolas Sarkozy, pour aboutir à l’expulsion médiatique de Roms et, in fine, à cette mise à l’index de la France par le Parlement européen.

Mais en dehors du contexte particulier, la question qui revient, lancinante, concerne les situations dans lesquelles les gendarmes peuvent faire usage de leur arme, ceux-ci bénéficiant, depuis 1903, d’un décret organique qui les autorise à ouvrir le feu après les injonctions d’usage.

Ce qui n’est pas le cas des policiers.

Ainsi, au mois de mai 2008, dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Draguignan, malgré les menottes, un homme en garde à vue enjambe une fenêtre et s’enfuit.  Le gendarme chargé de sa surveillance ne cherche pas à le suivre. Il dégaine et, depuis la fenêtre, tire à sept reprises. Le fugitif écope de trois projectiles et meurt dans les minutes qui suivent.
Une information judiciaire est ouverte. Le gendarme est mis en examen, écroué, puis libéré quelques jours après. Au mois d’août 2009, le procureur estime finalement qu’il « n’a fait qu’appliquer le texte de la gendarmerie ».
Et trois mois plus tard, la juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu.
La famille fait appel. Au mois de décembre 2009, la Chambre d’instruction de la Cour d’appel infirme la décision de non-lieu en faisant valoir l’absence de l’« état de nécessité ». Autrement dit, le tir n’avait d’autre but que d’arrêter un fuyard. Le gendarme est renvoyé devant la Cour d’assises.

Au fil des ans, la Cour de cassation a ainsi restreint la possibilité pour les gendarmes d’utiliser leur arme. Passant outre la circulaire du siècle passé, elle exige désormais que la force ne soit utilisée qu’en tout dernier recours. Et, à présent que les gendarmes sont sous la  tutelle du ministre de l’Intérieur, ce qui d’une certaine manière « institutionnalise » la mission civile de ces militaires, il est probable que l’on assiste dans un futur proche à l’harmonisation entre les deux corps. À moins que l’on ne renverse la vapeur, et qu’on affranchisse policiers et gendarmes de l’obligation de légitime défense…

Comme aux années sombres de notre histoire.

Quant aux policiers, ils n’ont le droit d’utiliser leur arme que pour se défendre ou défendre quelqu’un d’autre, et en aucun cas pour stopper la fuite d’un suspect. Face au droit pénal, ils sont dans la même situation que n’importe quel citoyen, à part évidemment qu’ils portent une arme sur eux. Oui, mais s’ils font les sommations ? Le « Bouge pas, police ! » que l’on crie souvent lors d’une arrestation est un peu le han du bûcheron. Si l’on veut pinailler, on peut même se demander si les sommations n’iraient pas à l’encontre de l’article 122-5 du Code pénal qui exige que le geste de défense se fasse « dans le même temps » que la menace. Or, si le policier, par exemple, a le temps de tirer en l’air pour intimider son agresseur, on ne peut plus parler d’une riposte dans le temps de l’action. On pourrait alors soutenir que son tir est un acte réfléchi. Mais il s’agit là de chicaneries.

En revanche, il est généralement admis qu’un policier puisse ouvrir le feu sur un véhicule, afin de le stopper, à condition que le conducteur dudit véhicule mette en danger une vie humaine, par exemple en fonçant sur le fonctionnaire ou l’un de ses collègues. La voiture est alors assimilée à une arme par intention.

D’ailleurs, dans cette affaire de Saint-Aignan, où un jeune homme a trouvé la mort, toute la question est de savoir si le véhicule fonçait sur les gendarmes, comme le dit M. Hortefeux, ou pas. Un tir latéral peut légalement se justifier pour sauver un collègue qui risquait d’être écrasé… On ne peut que regretter l’absence d’une reconstitution à chaud, le meilleur moyen d’y voir clair et de lever les doutes.

Pour le policier ou le gendarme, l’usage de l’arme est une décision vitale. Il peut tout aussi bien sauver une vie, peut-être la sienne, avoir une médaille, ou se retrouver devant un juge. Tout ça en un trait de temps. Pas facile. Et s’il s’est trompé, c’est lui qui trinque, et pas son patron ou son ministre.

Cela dit, il n’y a pas de honte à laisser échapper un suspect… Tous les policiers de terrain ont connu cette situation. Je me souviens d’un dangereux braqueur de banques que nous avions fini par loger chez sa maîtresse. On se pointe au petit matin et le temps de s’affranchir de la porte, le lascar avait enfilé un pantalon et filé par la fenêtre. Je me penche et, dans la pénombre, je l’aperçois accroché à la gouttière, trois étages en-dessous. Je me maudis de n’avoir pas jugé bon de laisser une chandelle en bas de l’immeuble… Il ne restait plus qu’à lui coller au train. Je vois très bien la scène : Le flic empoigne la gouttière à la volée et se laisse à son tour glisser vers le trottoir. Bien avant de toucher le sol, il saute, souplement. Hélas, le fugitif a pris de l’avance. C’est la course-poursuite, à pied, l’arme à la main. Le bandit se retourne, il tire à plusieurs reprises. Le héros s’aplatit derrière une voiture. Le pare-brise explose. Il vise, mais à ce moment précis, une benne à ordures débouche au coin de la rue et vient faire écran. « Couchez-vous ! » hurle le flic en exhibant sa plaque…

Oui, oui, une scène magnifique !

J’aurais bien aimé vous la raconter… Mais six étages le long de la gouttière, par une froide journée d’hiver, à six heures du matin… Non, merci.

On est allés boire un café. Et l’on a récupéré notre client quelques jours plus tard. En douceur.

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Garde à vue : un pétard place Beauvau a été lu 16 744 fois et a suscité 120 commentaires. Il est amusant de lire dans la presse les réactions des uns et des autres. Finalement, tout le monde est mécontent. Pour une fois qu’il y a consensus…

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Prochain billet dans une semaine… 

Garde à vue : un pétard place Beauvau

« J’avais indiqué qu’il y avait trop de gardes à vue, que les conditions de déroulement de la garde à vue n’étaient pas satisfaisantes, et qu’il n’y avait pas assez de droits pour la défense », déclare Mme Alliot-Marie dans un communiqué de presse, en préambule de son avant-projet de réforme.

En quelques mots, sur le site du ministère , elle donne une vision de la garde à vue de demain. Une véritable révolution dans le travail des policiers et des gendarmes.

Deux mesures phares visent les droits de la défense : le droit de garder le silence et la présence de l’avocat.

Toute personne retenue devra être informée de son droit de garder le silence. On retrouve là une résurgence de la loi de juin 2000 sur la présomption d’innocence, mesure qui, à l’époque, n’avait pas résisté à la pression des syndicats de police. Mais on en était encore à la culture de l’aveu, ce qui est de moins en moins le cas. Et puis, à force de voir des séries américaines, on y est presque habitués.

Quant à l’avocat, sa présence ne se limiterait pas aux auditions mais à toute la période de la GAV, sauf certaines circonstances exceptionnelles (conservation des preuves, protection des personnes…). Dans ce cas, le procureur pourrait différer cette mesure de douze heures.

Je pense qu’à la lecture de ce texte, les policiers et les gendarmes ont dû rester bouche béante. Avant, pour certains, d’exploser de colère. Cela va bien plus loin que leurs pires craintes. À ce jour, la plupart des syndicats se battaient pour ne pas avoir à subir l’avocat durant les auditions, et là, on leur annonce qu’il serait présent tout le temps.

Et les plus mesurés de tenter d’imaginer comment ils pourront effectuer leurs enquêtes en tirant un avocat derrière eux. Et même s’ils sont prêts à s’adapter, à se remettre en cause, là, forcément, ils manquent de repères. En fait, cela ne serait réalisable qu’en remodelant sérieusement le Code de procédure pénale. Alors, avant de réagir brutalement, il faut attendre de savoir ce qui est prévu dans la première partie de la réforme qui vient d’être transmise au Conseil d’Etat. Car, sans un accompagnement juridique bien pensé, cette mesure est inapplicable. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel s’était contenté de demander la protection des droits de la défense. Pour ma part, je crois à l’avocat acteur. Il ne faudrait pas qu’il soit un poids mort, pas plus qu’un adversaire pour l’enquêteur.

Il y a d’autres choses dans ce projet. Ainsi, la GAV ne sera envisageable que pour les crimes ou les délits punis de prison (voir l’article du Monde).

Enfin, les enquêteurs pourront entendre un suspect sous le régime de l’audition libre, à partir du moment où celui-ci accepte de rester « volontairement » dans un local de police ou de gendarmerie. Ce qui, a contrario, rend la GAV obligatoire pour les personnes qui ont fait l’objet d’une interpellation.

Là, rien de nouveau, ce dispositif existe déjà, même s’il n’est guère utilisé, tant la GAV est devenue la routine.

Sur les conditions de la GAV, la fouille à corps intégrale ne serait plus autorisée, alors qu’elle est encore aujourd’hui quasi systématique, malgré les notes de service qui rappellent les limites de cette pratique.

Par ailleurs, pas un mot sur les locaux, souvent mal adaptés, ni sur les cellules de GAV, ce qu’on peut regretter. Mais il est vrai qu’avec de telles mesures, le nombre de personnes qui vont fréquenter ces lieux va sérieusement chuter – et du coup, les conditions matérielles seront moins mauvaises.

On imagine le charivari que va provoquer ce projet au moment même où le président de la République a rendossé son costume de premier flic de France…

Ces temps-ci, par ses silences, MAM semble avoir pris ses distances avec ce gouvernement. Comme un autre, peut-être elle aussi y a pensé… En tout cas, l’air de rien, c’est un sacré pétard qu’elle vient de glisser sous le bureau de son collègue de la place Beauvau.

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Uriage, la justice à la peine a été lu  15 160 fois et a suscité  71 commentaires. Pour répondre à certains, je n’ai pas donné d’avis sur la décision du JLD, et de quel droit l’aurais-je fait ? Mais je maintiens que ce n’est pas à ceux dont la mission est de faire respecter l’ordre et la loi, de critiquer publiquement l’ordonnance d’un magistrat, au risque de troubler l’ordre et, d’une certaine manière, de contrevenir à la loi.

Uriage : la justice à la peine

À la suite de la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) de placer le suspect du braquage du casino d’Uriage sous contrôle judiciaire, et de le laisser libre, le ministre de l’Intérieur a fait part de son indignation. tableau-de-rene-magritte.jpgQuant au procureur général de Grenoble, il a estimé que cette libération était « absolument inacceptable ». Alors que dans le même temps, son vice-procureur (et aussi secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats) s’indignait, lui,  «  des déclarations outrancières » du ministre et de certains syndicats de police qui remettent en cause le travail des magistrats.

Alors évidemment, on s’interroge ! Et l’on se dit qu’il y a quelque chose qui ne fonctionne pas : comment un ministre et le plus haut magistrat de la région peuvent-ils critiquer de la sorte la décision d’un juge ?

Et comment un juge peut-il prendre une telle décision, en apparence incompréhensible ?

Pour tenter d’y voir clair, il faut d’abord garder ses distances avec la manipulation sécuritaire actuelle et oublier les propos extrémistes de certains policiers, dont le seul but est, à l’évidence, de faire monter la mayonnaise.

La détention provisoire, qui s’appelait « préventive » avant 1970, est la décision la plus grave que peut prendre un magistrat : priver un homme ou une femme de sa liberté avant de savoir s’il est coupable ou innocent. Raison pour laquelle le juge des libertés et de la détention est choisi parmi les magistrats du siège les plus expérimentés. Mais c’est une tâche qu’il accomplit en général en sus de son travail quotidien. Sauf dans les tribunaux « riches », comme à Nanterre, où le nouveau président, Jean-Michel Hayat, a décidé (Le Monde du 4 septembre 2010) que les JLD « seraient déchargés de toutes autres tâches » Et dieu sait s’il connaît l’importance de la détention provisoire, lui qui, en 1988, alors qu’il était juge d’instruction dans ce même tribunal, a envoyé le commissaire Yves Jobic en prison sur l’intime conviction qu’il alimentait « avec l’argent de la prostitution, les finances d’un parti d’opposition (c’est-à-dire de droite) ». Sauf que tout était bidon et que Jobic a été jugé et déclaré innocent. La cour de cassation a même estimé qu’il avait été victime d’une incarcération abusive.

Comme quoi la détention provisoire peut aussi s’appliquer à un flic !

D’après l’article 137 du Code de procédure pénale, la détention provisoire doit revêtir un caractère « exceptionnel ». Et dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau, il est écrit : « Le drame d’Outreau, chacun le reconnaît, c’est le scandale de la détention provisoire ».

C’est le juge d’instruction qui saisit le JLD. Toutefois, dans certains cas, et pour des raisons de sûreté, le procureur peut le faire si le juge ne suit pas ses réquisitions.

Lorsqu’il prend une décision, le JLD doit avoir en tête deux préceptes :
•    L’article 66 de notre Constitution, qui énonce que l’autorité judiciaire est gardienne de la liberté individuelle ;
•    L’article 9 de la Déclaration de 1789 qui garantit la présomption d’innocence.

Il se reporte ensuite à l’article 144 du Code de procédure pénale qui égrène les différents cas où la détention est possible.

Sa marge de manœuvre est donc strictement limitée. Et comme il peut se tromper, il est possible de faire appel de sa décision. A noter qu’il existe une procédure, dite de référé-détention, mais qui, bizarrement, ne s’applique que pour contester la remise en liberté d’une personne déjà placée en détention provisoire.

Aussi, lorsque le syndicat de police Synergie accuse le JLD de Grenoble de « forfaiture », c’est-à-dire dans ce cas du refus d’appliquer la loi, ses représentants montrent leur méconnaissance du Code de procédure pénale (qu’ils devraient pourtant connaître sur le bout des doigts) et des textes fondateurs de notre société.

A moins qu’ils ne fassent semblant…

Car il est facile de faire croire au plus grand nombre que la justice est laxiste et laisse en liberté des individus dangereux, alors que les policiers prennent tous les risques pour les arrêter… Mais ne peut-on pas aller un peu plus loin et dépasser cette approche qui frise le populisme?

Si les enquêteurs de la police judiciaire n’avaient pas sur le dos une hiérarchie affolée par un préfet-flic et un ministre en ébullition, n’auraient-ils pas agi différemment? Peut-être, à la place d’opérations poudre-aux-yeux auraient-ils pris le temps de « saucissonner » leur suspect dans une procédure béton?

Mais comment tout bien faire quand il faut tout faire vite-vite-vite…

Et naturellement, en se basant alors lapin-pays-des-merveilles.gifsur un dossier solide, la justice aurait pris le relais. Un travail d’équipe, intelligent, construit, dans le but unique de servir au mieux la justice de son pays.

Aujourd’hui, à l’évidence, on cherche à casser l’outil. À tous les échelons de la société on cache ses propres insuffisances en détournant l’attention sur d’autres. Séparer pour mieux régner, semble être la nouvelle devise de notre République. À tel point qu’il y a quelques jours, un syndicat de commissaires de police a appelé à boycotter la rentrée judiciaire de crainte que certains magistrats n’en profitent pour « stigmatiser notre action »

Je deviens parano ou l’on est en pleine paranoïa ?

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Policiers et gendarmes fusionnent hors des frontières a été lu 1 600 fois et a suscité 9 commentaires.

Policiers et gendarmes fusionnent hors des frontières

 « En juin dernier, opérant depuis notre plate-forme de Dakar en liaison avec nos partenaires britanniques, nous avons saisi sur une petite île au large de la Gambie plus de deux tonnes de cocaïne entreposées dans une société de pêche appartenant à un Néerlandais et employant des Vénézuéliens. », a déclaré le ministre, Brice Hortefeux*. C’était le 31 août dernier, lors de la 20e rencontre des ASI (attachés de sécurité intérieur).

logo-sctip.JPGJ’en vois qui froncent les sourcils : c’est qui ceux-là ?

Eh bien, les ASI sont les agents qui représentent la police et la gendarmerie auprès de l’ambassadeur du pays où ils sont en poste. Ils ont un statut diplomatique et font partie d’un réseau (unique au monde) de 250 policiers et gendarmes déployés dans 156 pays.

En évoquant cette saisie de drogue, le ministre a mis leur activité en exergue, rappelant que la sécurité commence très au-delà de nos frontières.

À ce jour, les policiers français expatriés étaient gérés par le SCTIP (service de coopération technique international de la police). Depuis trois jours, c’est fini. Et ce n’est pas sans un rien de nostalgie que certains voient disparaître ce service de police un peu particulier, créé, il y a près d’un demi-siècle, alors que la France avait entamé son processus de décolonisation. Il s’agissait à l’époque (du moins officiellement) d’aider les jeunes pays à mettre en place une force de police…
Même s’il y a des zones d’ombre dans son activité passée, comme son rôle près de la Sofremi, son bilan est nettement positif. Ainsi l’année dernière, l’U-E lui a accordé un crédit de plus de onze millions d’euros pour financer des programmes de coopération policière.

Donc policiers et gendarmes en mission à l’étranger dépendent dorénavant d’une seule entité, la DCI (Direction de la coopération internationale). Concrètement, il s’agit de la fusion du SCTIP et de la sous-direction de la coopération internationale de la gendarmerie. Ce nouveau service est dirigé par un policier, Emile Pérez** (un proche d’Alain Bauer), jusqu’ici responsable du emile-perez_revue-planete.JPGSCTIP, avec comme adjoint le général Jean-Pierre Moulinié, qui à ce jour dirigeait la Garde Républicaine. Entre nous, et sans remettre en cause les qualités professionnelles de M. Pérez, je ne suis pas sûr que les gendarmes se réjouissent de cette articulation hiérarchique…

D’autant qu’il n’y a pas si longtemps, le SCPN (syndicat des commissaires de la police nationale) s’étonnait de la disparité dans la classification des fonctionnaires en poste à l’étranger  (décret de 1967). Ainsi, un commissaire de police se retrouvait dans une catégorie inférieure à celle d’un lieutenant de gendarmerie. Avec une incidence très forte sur le montant de l’indemnité de résidence. Ce qui avait d’ailleurs entraîné le désintérêt des commissaires pour les postes d’ASI.

Aujourd’hui, on peut se demander si les gendarmes n’ont pas l’impression de rétropédaler…

Quoique placée sous l’autorité conjointe des directeurs généraux de la police et de la gendarmerie, cette direction opérationnelle va plus loin que la simple mutualisation des moyens. S’agit-il d’un premier pas vers une véritable fusion ? La question doit bouillonner sous les képis, même si les bouches restent cousues.

« La gendarmerie a du plomb dans l’aile », peut-on lire dans la revue de septembre de l’Association gendarmes et citoyens. « Les chefs se taisent par peur des sanctions. Les exécutants s’arc-boutent, attendant des jours meilleurs… »

Pour les jours meilleurs, ils ne sont pas les seuls.

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* On peut lire le discours de M. Hortefeux sur le site du ministère de l’Intérieur.
** La photo d’Emile Pérez vient de la revue du SCTIP, Planète.

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Un flic de l’Intérieur, histoire d’un livre a été lu 1 670 fois et a suscité 5 commentaires. Merci à tous.
A la suite du billet Quelque part une petite école, Zoé Varier est allée visiter l’école de Bobo-Dioulasso. Ce vendredi 3 septembre, à vingt heures, sur France Inter, elle nous donne des nouvelles de l’instituteur, Eric, et de ses élèves.

Le grand banditisme en campagne pré-électorale

Il est important « de donner des moyens à la police et à la justice pour agir contre le grand banditisme », a déclaré Ségolène Royal dans son discours d’ouverture de l’Université d’été du PS. De même, lors des événements de Grenoble, certains policiers ont parlé du grand banditisme les-incorruptibles_serie.jpgdes cités (on a même entendu une comparaison avec le Chicago des années 30) et certains journaux n’ont pas hésité à faire un rapprochement avec le gang des Grenoblois qui, lui, date des années 60.

Époque où dans cette région, le milieu était sous la coupe de Mathieu Mattéi, cousin d’un ministre et responsable régional du SAC. En 1967, pour situer le bonhomme, c’est lui qui avait assuré le service d’ordre de Georges Pompidou, en campagne électorale pour les législatives, lors de son déplacement à Grenoble. Il lui avait même servi de chauffeur. Les « vieux » flics doivent encore se souvenir de l’humiliation de devoir présenter leur carte professionnelle à des gorilles qui assuraient le filtrage, et dont certains étaient fichés au grand banditisme…

On imagine assez mal la voiture de François Fillon conduite par un caïd du quartier de la Villeneuve…

Mattéi a donné dans le trafic d’or, le trafic d’armes, la fausse monnaie…, parfois d’ailleurs avec la bénédiction des services secrets français. Il a organisé au niveau régional la « prostitution en studio » comme un véritable bizness, et il s’est d’ailleurs heurté à Jean Augé, chef du gang des Lyonnais, lorsqu’il a voulu s’imposer dans la prostitution le long de la route nationale 7. Petit litige commercial qui lui a valu deux balles dans le dos, alors qu’il sortait du bar qui lui servait de QG.

Sa succession et celle d’Augé, abattu quelques années plus tard alors qu’il se rendait à son club de tennis, a donné lieu à une guerre des gangs qui a laissé des dizaines de  cadavres sur les trottoirs de Grenoble, Lyon, Marseille, Paris, Antibes, Juan-les-Pins…

Quel rapport entre ces truands de haut vol et le braquage minable du casino d’Uriage-les-Bains pour un butin de quelques dizaines de milliers d’euros ? Avec en fin de scénario une course-poursuite qui finit mal et se termine par la mort de l’un des voyous,  Karim Boudouda.

Un dangereux récidiviste a-t-on dit. Si l’on additionne « bêtement » ses condamnations, on casino d’Uriage-les-Bains_site_joacasino-uriage.JPGarrive même à un total de onze années de prison. Pour un homme de 27 ans, ce n’est pas mal. Et cela met en exergue l’inefficacité de notre système judiciaire pour amender un jeune délinquant, puisqu’il était mineur lors de sa première condamnation.

Mais si Mme Royal faisait allusion à cette affaire en parlant de grand banditisme, elle est victime, comme beaucoup, d’une tendance à la dramatisation qui est de mise aujourd’hui. Que l’on parle du  climat, de la grippe, de la crise financière ou de l’insécurité.

En fait, si l’on veut classifier la délinquance, on peut la partager en trois :

–    La petite délinquance, celle dont on souffre le plus, le vol à la roulotte, l’arrachage, etc. C’est pour lutter contre cette délinquance au quotidien qu’avait été créée la police de proximité, sur l’idée de base de Charles Pasqua : une police au service du public et non réservée exclusivement à la protection de l’Etat. Il s’agissait d’un concept, mais à mon avis, on n’a pas encore réussi à passer de l’idée à la réalisation.

–    La grande criminalité, souvent itinérante, contre laquelle la France est plutôt bien armée. Avec des services spécialisés, du personnel compétent, et surtout des moyens techniques et juridiques hors du commun.

–    La moyenne délinquance, notamment celle des cités. Ce qu’on pourrait appeler le « petit banditisme », car s’il possède des structures et une hiérarchie, comme le « grand », cela se situe au niveau d’une bande ou d’un quartier.

Une réponse avait été apportée en 2002, avec la création des groupes d’intervention régionaux, les GIR. L’idée étant de regrouper sous une même casquette les compétences et les moyens d’action de plusieurs disciplines, pour mieux faire face, tant sur le plan pénal, que fiscal, douanier, et même administratif. Il ne semble pas que le résultat ait été à la hauteur des espérances. Manque de moyens et d’effectifs, sans doute, mais surtout manque d’autonomie des chefs de service. L’un des véritables problèmes de la police d’aujourd’hui.

Et puis, en mélangeant police administrative et police judiciaire, ces unités se sont retrouvées dans une situation ambigüe. Il y a même eu, en 2004, un recours devant le Conseil d’Etat pour atteinte à la séparation des pouvoirs. Sans effet.

Aujourd’hui, les GIR n’ont pas encore trouvé leur voie. Ils n’ont pas vocation à agir seuls, mais en mutualisant les moyens de plusieurs services. Du coup, ils sont parfois à la remorque. Mais il semble bien que la page soit en train de se tourner. «  Le rattachement des GIR à un service de police ou à une unité de gendarmerie est devenu hiérarchique, et non plus simplement administratif »,  a annoncé Brice Hortefeux lors de la réunion des chefs de groupes d’intervention, en avril 2010.

Un premier pas avant d’en faire de gir-93_site_chez-alice.JPGvéritables unités opérationnelles ?

Car pour s’attaquer à ce petit banditisme qui fait les gros titres des journaux, il faut donner aux policiers et aux gendarmes la possibilité d’exercer leur métier sereinement, et non sous la pression des événements. Et en tout cas loin de la politique, et plus près du pouvoir judiciaire.

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Les nouveaux pouvoirs des huissiers

Les détectives privés voient d’un sale œil les nouveaux moyens d’investigation que la loi devrait bientôt donner aux huissiers de justice. En gros, toutes les administrations, nationales ou locales, ainsi que les plaque huissier-de-justice_site_lyon-entreprises.1282892151.jpgentreprises contrôlées ou concédées par l’État, les régions, les départements et les communes, auront l’obligation de leur fournir les renseignements qu’ils sollicitent. Il s’agit le plus souvent d’informations concernant l’identité, la situation de famille, l’employeur, les débiteurs, le patrimoine immobilier, etc.

À ce jour, par exemple, même s’ils ont accès au FICOBA (fichier national des comptes bancaires et assimilés), ils doivent se rapprocher du procureur de la République pour obtenir des informations bancaires. Ce ne sera plus le cas. Les banquiers devront répondre aux demandes des huissiers sans pouvoir leur opposer le secret professionnel. Il est vrai qu’il y a tellement de gens qui ont accès à nos comptes, qu’on peut se demander s’il existe encore un secret bancaire…

Idem pour la poste, les impôts, la caisse d’assurance-maladie, les caisses de retraite, etc.

Il est certain qu’avec ces nouvelles mesures, les huissiers vont gagner en efficacité et en rapidité. Et surtout y gagner tout court. Cela va sans doute dans le sens d’un désengagement de l’État dans les procédures civiles…

Dans la foulée, il est même question de leur donner un pouvoir encore plus exorbitant, un pouvoir que même les officiers de police judiciaire ne possèdent pas (sauf exceptions) : la force probante de leurs constatations. Il s’agit d’ailleurs d’une décision annoncée par Mme Alliot-Marie dans un discours du mois de décembre 2009.

Cela signifie qu’il deviendra quasi impossible de contester un constat d’huissier, que ce soit pour un litige privé (divorce, garde des enfants, bail locatif…), professionnel (absence injustifiée, contrôle des déplacements, des frais…) ou commercial (marchandise non conforme, concurrence déloyale…).

Ce constat, qui est déjà une arme redoutable dans une procédure, va donc devenir une arme fatale.

Pour cela, il faut modifier le statut de l’huissier de justice, qui date de 1945. Mais cette perspective doit gêner certains élus aux entournures, car le texte a été modifié, supprimé, rajouté… Aux dernières nouvelles, il est maintenu.

Que se passera-t-il si l’huissier a commis une erreur ? Comment la victime de cette erreur pourra-t-elle justifier de sa bonne foi ? La responsabilité de l’huissier sera-t-elle engagée ?

Plein de questions sans réponse.

On les bichonne nos huissiers. Ainsi, ils se plaignent de rencontrer de plus en plus de difficultés pour pénétrer dans un immeuble : plus de concierges, digicode électronique, etc. Eh bien, le législateur écrit sans sourciller que le propriétaire ou le syndic doit leur permettre d’accéder aux parties communes. Et, incapable d’expliquer comment faire, il botte en touche : « Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. »

En attendant, les détectives privés s’interrogent sur leur avenir. « Je suis outré, m’a dit l’un d’entre eux. Cette corporation (des huissiers) ne pense qu’à faire des actes. Ils profitent d’un système inique… D’autant que c’est la porte ouverte à tous les abus… » detective_site_privedetective.jpg

Il faut dire que pour les cabinets qui se sont spécialisés dans la recherche des débiteurs, c’est un véritable coup bas. Du jour au lendemain, ils vont perdre toute leur clientèle. En effet, pourquoi s’adresser à des enquêteurs privés qui obtiennent des renseignements par la bande, alors que les huissiers pourront agir officiellement – et en plus, aux frais du débiteur ?

Et l’on peut penser que les sociétés de recouvrement vont également souffrir de cette concurrence. C’est pourtant dans ce domaine que les huissiers sont le plus critiqués, car, profitant de leur statut d’officier ministériel, ils ont souvent tendance à mélanger leur action publique et leur activité commerciale.

Pour faire simple, il faut se rappeler que si l’huissier de justice dispose de certains pouvoirs lorsqu’il agit en vertu d’un titre exécutoire délivré par un juge, ou dans certains domaines précis, comme les chèques impayés, dans les autres cas, il fait du bizness. C’est d’ailleurs une profession libérale classée dans le haut de la grille des rémunérations.
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Les deux billets sur les Verts et la sécurité ont été lus 25 450 fois et ont suscité 130 réactions. Des réflexions souvent pertinentes. J’espère que le « ministre de l’Intérieur Vert » en tiendra compte, en 2012.smiley.png

Les Verts et la police (2)

Ce débat des Verts sur la sécurité méritait mieux qu’un billet écrit sur la tablette d’un TGV, entre  Nantes et Paris. J’ai donc tenté de déchiffrer mes notes, non pas pour faire une synthèse, ce qui serait présomptueux, mais juste pour donner un petit coup de projecteur sur ce qui m’a semblé le plus important. Il ne s’agit donc pas d’un compte-rendu fidèle, mais d’un choix, forcément subjectif.bonhomme-vert-berlin-ampelmann_pause-blogstopcom.1282550589.jpg

Un peu de mansuétude, s’il vous plaît, ce n’est pas mon métier. Je ne suis pas journaliste.

On souhaite, m’avait expliqué grosso modo Pierre Januel, le responsable de la Commission justice des Verts, réfléchir à la mise en œuvre d’une politique de sécurité en phase avec nos valeurs.

Je crois qu’à travers ce débat, il y a déjà matière à réflexion…

jacques-de-maillard_photo-perso.1282550194.jpgJacques de Maillard* note l’épuisement du système français, ce qui entraîne une sorte de course en avant. D’un côté les violences et les outrages contre les policiers sont en augmentation constante, de l’autre, pour faire face, on renforce l’armement et les moyens de protection. Un cercle vicieux.  Sur ce point, je le rejoins : la police se coupe de plus en plus de la population.

Pour lui, il faudrait reconsidérer le métier de policier dans sa culture, son organisation… Et réformer le système de recrutement national, qui aboutit à voir des fonctionnaires parfois parachutés dans une région ou une ville qu’ils ne connaissent pas, et qui n’ont qu’une envie : retourner chez eux.

Sur la police de proximité, il note que l’échec antérieur – relatif – est le résultat d’un manque de préparation et de réflexion. Les résultats de la polprox sont encourageants dans plusieurs pays proches de nous, et il ne voit pas pourquoi cela ne fonctionnerait pas en France.

Il s’insurge également contre les indicateurs actuellement utilisés pour évaluer la police : ils sont limités, d’une fiabilité douteuse, et surtout, internes. Il leur manque un élément essentiel : la perception du public.

Enfin, dit-il, le discours guerrier du Président et du Gouvernement se situe dans « une logique de non-dit : la crainte du renouvellement des événements de 2005 ».

Et il conclut en regrettant que l’action de la police ne soit pas incluse dans une véritable réflexion globale.
Je suis là aussi d’accord avec lui : cette politique du coup pour coup, que j’appelle un politique de récré, n’est pas à la hauteur des enjeux d’une société.

michel-marcus_photo-ffsu.jpgMais qui dit sécurité, ne dit pas seulement police ou gendarmerie, mais également justice, reprend Michel Marcus*. La justice a peu à peu été transformée en « appareil policier ». Il est vrai que le parquet n’a jamais été aussi proche de la police. Et il opte pour la création d’un « procureur général » qui aurait autorité sur toutes les personnes qui sont habilitées de par la loi à relever une infraction pénale. Autrement dit à coller le moindre P-V. Et ce haut magistrat ne serait pas sous la coupe du garde des Sceaux, mais n’aurait de comptes à rendre qu’au Parlement. Pour moi, c’est une idée révolutionnaire : la justice proche des élus, donc proche du peuple.

Pour Michel Marcus, il faut commencer par définir la criminalité et la délinquance, et ne pas tout mettre dans le même panier. Sécurité humaine (citant Corinne Lepage), sécurité de l’environnement…, jusqu’à la délinquance financière (applaudissements dans la salle). Comme il a été rapporté dans le billet précédent, il place la médiation au cœur des conflits (se parler plutôt que de se battre) et il souhaiterait que la prévention soit inscrite dans la Constitution, au même titre que le principe de précaution. Rappelant au passage qu’en Allemagne, le rôle premier de la police est de faire de la prévention, et non de la répression.

Il note la montée en puissance des polices municipales et attire l’attention des maires sur les nouvelles compétences qu’ils pourraient récupérer du jour au lendemain, par  la simple volonté du législateur (en donnant de nouveaux pouvoirs à la police municipale, on donne de nouvelles responsabilités aux maires dans un domaine qui n’est pas le leur : le pénal). Il pense également qu’il faut se pencher sur la sécurité privée, dont le champ s’élargit chaque jour.

En conclusion il rappelle qu’en matière de lutte contre l’insécurité, la France a des résultats plutôt moyens au niveau européen. Il souhaite, comme Jacques de Maillard, que la population soit associée à l’évaluation de la police, via par exemple des associations, comme en Grande-Bretagne, et que les enquêtes sur les bavures policières soient publiques.

emilie-therouin_photo-perso.jpgQuant à Emilie Thérouin*, femme de terrain à Amiens, elle est passionnée et intarissable sur le sujet. Et elle sait mettre en harmonie théorie et pratique. A son avis, la police municipale ne doit pas empiéter sur le domaine de la police nationale, mais avoir une action complémentaire, plus proche des gens. « Police nationale et police municipale sont liées par un contrat aux compétences strictement définies, où la police municipale se tourne clairement vers la relation avec le citoyen. »

C’est la médiation au quotidien. Sur son blog, j’ai noté cette phrase qui m’a bien plu : « Il est urgent de redéfinir le rôle et la place de la police dans une politique de sécurité, dans la société, dans la cité.  Dépourvue de doctrine d’emploi, la police a plus que jamais besoin d’une vision… »

Pas mieux !

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* La présentation des personnes citées a été faite dans le billet précédent : Et si le ministre de l’Intérieur était Vert, qui a été lu 17 724 fois et a reçu 41 commentaires.

Et si le ministre de l'Intérieur était Vert…

Ç’aurait pu être un débat surréaliste, cette idée des écolos de plancher sur le thème de la sécurité. Un rien deuxième degré. Et pourtant, non, c’était sérieux, et les gens étaient nombreux dans ce petit amphi de la fac de droit de Nantes. 

bonhomme-vert-berlin-ampelmann_pause-blogstopcom.jpgOn sentait bien qu’il s’agissait d’une approche. Un peu de curiosité sans doute. Déjà que les Verts sont un peu entortillés pour savoir jusqu’où ils peuvent ne pas être de gauche, on pouvait se demander comment ils allaient aborder ce sujet de société.

Je figurais parmi les invités, mais comme je ne peux pas me citer, on va oublier. Disons que j’ai parlé avec mon cœur du désamour de la police.

Jacques de Maillard, enseignant-chercheur en science politique à l’IEP de Grenoble, a dressé un tableau de la police française, pointant certains dysfonctionnements. Son exposé mettait en exergue le conservatisme d’une maison qui n’arrive pas à se remettre en cause. C’est du moins l’impression que j’ai ressentie en l’écoutant. Si l’on compare avec l’évolution récente de la police britannique (l’un de ses thèmes de réflexion) on se dit, pour utiliser un vocabulaire à la mode, qu’on est en retard d’une guerre.

Michel Marcus, qui est magistrat, et délégué général du Forum français pour la sécurité urbaine (FFSU), estime qu’un ministre de l’Intérieur « vert » (mais je pense que ce n’est pas une question de couleur) doit d’abord définir la criminalité et la délinquance. Et se poser la question qui dérange : pourquoi la politique de la ville est un échec depuis trente ans ? Parmi ses propositions (nombreuses) j’en ai noté une, facile à mettre en œuvre : placer la médiation au cœur de notre système, comme le fait la commune de Pierrefitte-sur-Seine. C’est vraiment une idée maîtresse. Car, c’est un paradoxe de notre société, on dépense un fric fou pour communiquer et ce qui manque le plus à notre vie sociale, c’est justement la communication. Ce qu’on pourrait appeler le syndrome de dièse. Vous savez, appuyez sur étoile, sur dièse…

Avec Emilie Thérouin, on passe de la théorie à la pratique. Adjointe au maire d’Amiens, cette écolo est chargée de la « sécurité et de la prévention des risques urbains ». Une ville d’environ 150 000 habitants qui dispose d’une police municipale conséquente. Et pour elle, il y a complémentarité avec la police nationale. Elle souhaite, si j’ai bien compris, que les élus locaux renforcent leurs relations avec les policiers et les gendarmes et qu’ils ne se réfugient plus derrière l’aspect faussement régalien de la sécurité publique. Elle argumente également pour l’élaboration d’une « doctrine écolo de la sécurité ».

Il paraît qu’à Amiens, le vélo est de mise pour les policiers municipaux, je me demande si en 2012, l’antigang fera ses filoches en voitures électriques… 180px-smileysvg.1282493190.png

police-municipale-a-velo_blog_emilie-therouin.1282473277.JPGIl semble que de leur côté, les socialistes travaillent également à un projet sur les problèmes de sécurité. Le sujet n’est donc plus l’apanage du président de la République. Mais entre nous, si la campagne pour les prochaines Présidentielles tourne autour de ce thème, on va s’emmerder.

Ne faudrait-il pas élever un petit peu le débat : jusqu’où veut-on aller dans l’effritement des libertés individuelles pour se sentir en sécurité ?

Pour plus de détails, on peut lire sur ce blog Les Verts et la police. (Le vélo a été volé sur le blog d’Emilie Thérouin.)

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Votre webcam vous surveille a été lu 65 087 fois et a suscité 132 commentaires. Moi, je ne ferai pas de commentaire. Depuis que ce blog existe, j’ai noté deux sujet qui déclenchent des réactions frénétiques : la période de l’Occupation et l’informatique. Donc, deux sujets de réflexion…

Votre webcam vous surveille

La caméra de rue, chère au maire de Nice (et surtout chère pour ses administrés), est-elle en passe de devenir un objet ringard ? Il est devenu si simple de surveiller les gens dans leur intimité qu’on peut se poser la question… Ainsi, cette webcam que vous avez peut-être devant vous, alors que vous lisez ces lignes, n’est-elle pas en train de vous espionner ?

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Un jeu d’enfant avec le petit logiciel qu’il est possible de télécharger sur le Net pour la modique somme de 8 €. Et pour à peine le double, la version pro permet de se connecter à 24 ordinateurs simultanément.

« Il suffit d’entrer l’adresse de messagerie du compte de l’individu pour pirater sa webcam », nous dit le fabricant. À défaut, l’adresse IP fera l’affaire, car le logiciel peut scanner l’ordinateur à distance afin de détecter les ports ouverts.

Ce piratage est évidemment répréhensible. Un an de prison et 45 000 € d’amende. Et la fabrication, la location ou la vente du dispositif qui permet cette infraction est punie de la même peine. Le simple fait d’en faire publicité aussi (art. 226-3 du Code pénal).

Vous comprendrez que je ne donne ni nom ni lien…

Christian Borniche, le président de l’UFEDP (Union fédérale des enquêteurs de droit privé), condamne l’utilisation de tels procédés d’espionnage. Et il s’étonne, tout comme moi, que la loi ne soit pas appliquée.

Bien sûr, le vendeur pourrait se trouver loin de nos frontières… C’est la magie d’Internet : on achète, et souvent on ne sait trop ni à qui ni où. Mais ici, ce n’est pas le cas. La petite entreprise qui commercialise ce produit se trouve à Paris.

D’après un journaliste américain, traduit sur Slate.fr, il existe un procédé identique pour hacker le micro d’un ordinateur. Ce qui est encore plus sournois, car si l’on peut désactiver sa webcam, ce n’est pas le cas du micro. Pour éviter de se faire piéger, il donne les conseils suivants : ne pas ouvrir la pièce jointe d’un mail dont on ne connaît pas l’origine et ne jamais cliquer sur un lien dans un message.

Que ce soit pour des raisons de sécurité, pour des motifs commerciaux, pour des sondages, ou pour je-ne-sais-quoi, sans arrêt on passe notre vie au tamis.

Parfois, même sur ce blog, certains disent, on s’en fiche, on n’a rien à cacher. Eh bien, ils ont tort. Notre vie privée, c’est la clé de notre liberté. Et, contrairement à ce que dit Monsieur Estrosi, le premier droit d’un homme c’est la liberté, et non la sécurité.

La preuve, aucun combat, aucune guerre, n’a jamais été mené au nom de la sécurité, alors que bien des Français ont sacrifié leur vie pour défendre leur liberté.

Il faut se réveiller. Et si l’on accepte reveil_site_dictiotouch.jpgde partager  sa vie avec quelqu’un, de grâce, que ce soit en connaissance de cause, et uniquement « pour le meilleur comme pour le pire ».

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Manouches sans le savoir a été lu 5 304 fois et a suscité 31 commentaires.
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