LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Présidentielles : faut-il flasher les terroristes ?

Vingt-quatre heures après le premier tour des élections présidentielles, la Commission européenne a enregistré une demande de la France de toute première importance : interdire aux « applications smartphone, GPS, sites internet et réseaux sociaux » de signaler aux automobilistes les contrôles de police dans certaines zones dites sensibles, « notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée ».

Si l’utilisation de ces applications (et même leur détention) est interdite depuis un décret Fillon de 2012, cette fois, il s’agit de sanctionner les fournisseurs de ces moyens de signalisation, et comme les mauvais coucheurs pourraient considérer qu’il s’agit là d’une atteinte à la liberté d’expression, le gouvernement a sorti l’arme absolue : la lutte contre le terrorisme.

En conformité avec la procédure européenne, ce décret sera applicable après une période de statu quo de trois mois, sauf si la Commission ou un ou plusieurs États membres émettent des réserves.

Que vive l’Europe !

Existe-t-il un seul exemple qu’un terroriste se soit servi de Waze ou de TomTom pour déjouer les filatures des superhéros de la lutte antiterroriste !

Nous avons là l’exemple parfait d’un nouveau moyen de gouverner, basé sur la peur et destiné à nous faire avaler toutes les couleuvres : le « subterfuge terroriste ».

Un trompe-l’œil largement utilisé ces dernières années au point que nous avons accepté sans rechigner d’abandonner une partie de nos valeurs – avec les résultats que l’on connaît.

Et soudain, à l’approche d’un second tour chaud-chaud, certains s’inquiètent à la fois des pouvoirs exorbitants, mais constitutionnels, du chef de l’État, et de l’utilisation politico-sociale qui pourrait être faite de l’accumulation de lois liberticides prises sous le quinquennat qui s’achève.

Un peu comme l’état d’urgence a été utilisé pour faire obstacle au droit fondamental de manifester.

À la veille de glisser son bulletin dans l’urne, on peut s’interroger : les deux postulants à l’Élysée vont-ils emboîter le pas à François Hollande ? Sont-ils prêts à faire revenir nos militaires engagés sur des fronts lointains ou au contraire vont-ils intensifier les guerres ? Doit-on s’attendre à de nouvelles lois, à de nouvelles contraintes à de nouvelles interdictions ? Il paraît que Mme Le Pen veut prohiber le port de la capuche – je plaisante, évidemment !

Il faut reconnaître que le terrorisme n’a pas été un élément marquant de la campagne électorale. Et c’est plutôt une bonne chose, car malgré le bla-bla, aucun des candidats n’aurait évidemment été en mesure d’annoncer de solutions miracles. On l’a bien vu après l’attentat sur les Champs-Élysées qui a coûté la vie à un policier, à quelques jours du premier tour des élections présidentielles, les réactions ont été d’une banalité affligeante. Pire, certains de ceux qui postulaient à gouverner la France ont alors donné l’impression de céder au terrorisme en décidant de stopper leur campagne.

En fait, que ce soit pour lutter contre le terrorisme ou pour combattre le chômage, on nous ressasse sans cesse les mêmes propos lénifiants, pour arriver sans cesse au même résultat : rien !

Mais, alors que la menace est toujours prégnante, au point de fausser la perception de la réalité et le jugement des plus aguerris, en sera-t-il de même dans les temps prochains ?

Le Monde s’est penché sur les propositions de Marine Le Pen et d’Emmanuel Macron pour lutter contre le terrorisme, et franchement, tous deux enfoncent des portes ouvertes : coopération internationale, renforcement des frontières, lutte contre l’islam radical – ou ils envisagent des mesures jusqu’au-boutistes qui nous feraient définitivement basculer dans un autre monde.

Toutefois, deux propositions sont immédiatement applicables. L’une, sur l’état d’urgence, qu’Emmanuel Macron veut maintenir, tandis que sa challenger estime qu’il s’agit là d’une mesure de « pacotille » et veut y mettre un terme. L’autre pointe d’une manière subliminale la gabegie des services de renseignement, et notamment la concurrence féroce à laquelle ils se livrent, en envisageant de renforcer la pyramide par la création d’une « agence centrale de coordination ». Pour Le Pen, celle-ci serait placée auprès du Premier ministre, tandis que Macron la veut sous sa coupe.

Cherchons l’erreur… Comme quoi le diable est dans les détails.

Cela dit, et pour mémoire, il existe déjà :

  • Le Conseil national du renseignement, placé sous la présidence du chef de l’État, qui définit les priorités et les stratégies en matière de renseignement.
  • Le Coordonnateur national du renseignement, chargé essentiellement de conseiller le président de la République dans le domaine du renseignement.
  • L’UCLAT, l’ancêtre, créée en 1984, placée auprès du directeur général de la police nationale
  • La cellule HERMES, première cellule inter-agences, créée en 2014, placée sous l’autorité du directeur du renseignement militaire.
  • La cellule INTERSERVICES, créée en 2015 à, l’initiative de la DGSI.
  • L’EMOPT, créé en 2015 par Bernard Cazeneuve, état-major placé auprès du ministre de l’Intérieur.

Six organismes (et probablement d’autres que je ne connais pas) ont donc la charge de coordonner l’action d’une douzaine de services de renseignement !

Le monde secret du renseignement dispose d’un budget secret qui dépasse le milliard d’euros, sans compter les fonds spéciaux et secrets qui représentent plusieurs dizaines de millions d’euros par an (une cinquantaine en 2015). Beaucoup de secrets et beaucoup d’argent, même si tout le monde n’est pas placé à la même enseigne. Ainsi, dans le dernier numéro du Canard, on apprend que les policiers de la sous-direction antiterroriste (ceux qui font le gros du boulot après chaque attentat) lorgnent avec envie leurs voisins de palier de la DGSI. « Eux, ils changent de matos autant que nécessaire. Alors, on fait leurs poubelles : lorsqu’ils balancent, on récupère ! »

Il est évident que personne ne va du jour au lendemain régler son compte au terrorisme. Mais existe-t-il des solutions ? En tout cas, on sait ce qui ne marche pas… Il serait donc temps d’éteindre ce phare qui nous aveugle et d’amorcer une réflexion basée moins sur la testostérone que sur les neurones.

Et pour revenir au préliminaire de ce billet, il faut noter qu’aucun des deux candidats ne s’est engagé à renoncer à flasher les terroristes.

 

11 Comments

  1. Soph'la Cap

    […] la France s’est choisi pour lubie l’Islam. Pour se sentir « nous », il faut un « eux ». […] la psychose, alimentée par une partie de la classe politique et médiatique, va bon train.
    in Manifeste d’une jeunesse trahie, p 76 de Mathias Thépot et Thomas Golovodas.

    pas mieux !

  2. john doe of course

    Merci pour cette analyse lucide sur l’utilisation du risque terroriste à toutes les sauces. Agiter cette peur pour faire passer tout et n’importe quoi c’est tout simplement dégueulasse.

  3. dacron

    On nous a quand même épargné l’affaire de la déchéance de nationalité et ses commentaires affligeants …
    En tant que policier, je suppose que l’ABC de votre métier c’est de comprendre que délinquants ou terroristes ce n’est pas vous et moi légèrement énervés, et que par exemple, ces messieurs n’ont que faire de ces menaces enfantines, eux qui s’infligent comme un ultime pied de nez la peine de mort.

  4. Medocain

    Nous avons là l’exemple parfait d’un nouveau moyen de gouverner, basé sur la peur et destiné à nous faire avaler toutes les couleuvres :
    le « subterfuge terroriste ».

    Un trompe-l’œil largement utilisé ces dernières années au point que nous avons accepté sans rechigner d’abandonner une partie de nos valeurs – avec les résultats que l’on connaît.

    Bravo , cela est bien résumé,

    par contre Macron et le journal Le Monde ont gardé leurs valeurs fondamentales:
    les valeurs du CAC 40

    • bonjour bonsoir

      Et Médocain, ses médocs…

      Les effets secondaires, sont malheureusement désastreux : irritabilité (des méninges et parfois du côlon), instabilité (émotionnelle), tendances paranoïdes (le PS !!! le PS !!! le PS !!!arrrrrrrrrrrh ils sont partout ! le complot islamosssicialisssste !), voire dépressives (vague à l’âme marine), des lithiases biliaires qui ont tendance à retenir puis relâcher un excès de bile (très douloureux reflux castro-duodénaux), fractures de fatigue (avec toutes sorte de gens et d’opinions).

      Certains de ces effets indésirables sont malheureusement très fréquents (surtout en ce moment).

  5. bill

    La voiture fait beaucoup plus de morts que les terroristes. Il est donc naturel de lui appliquer une législation antiterroriste — au minimum !

    • Touchez pas à ma voiture

      Quand on parle de brider les voitures, la défense des libertés individuelles ressuscite d’un coup dans le cœur de pas mal de français.

      Pour ce qui est des contrôles de police, l’appel de phares marche très bien ici, à la campagne.

  6. Alain Mangold

    Cette interdiction de communication des contrôles de police ne vise pas en premier, bien évidemment, les terroristes mais les délinquants de la route, les trafiquants et la criminalité organisée. Pour lutter contre les délinquants il faut s’en donner les moyens aussi dans ce domaine, nous ne vivons pas dans le monde des bisousnours. Ainsi cette interdiction me parait logique et acceptable sur un plan des libertés individuelles n’en déplaise aux idéalistes des « forces de progrès »… Eh bien quand on est un délinquant il faut accepter le risque de se faire contrôler par la maréchaussée, et un conducteur « lambda » de perdre l’un ou l’autre point sur son permis en cas d’infraction au code de la route.

    • Happy Coyote

      Oui, vous avez raison, bien sur.
      Si l’on a rien à se reprocher on ne risque rien !
      Si on respecte les vitesses autorisées, si l’on paie ses impots, si l’on dit bonjour à la dame, si l’on pense ce qui est admis, si on est propre sur soi, si rien ne dépasse, si on regarde sagement la TV, alors on ne sera pas confondu avec les méchants, les délinquants, les malpolis, mais aussi les originaux, les déviants, les bizarres… qui doivent être condamnés !
      Nous ne vivons pas dans le monde des bisounours… non, plutôt dans Le Prisonnier

  7. cWal

    Ca fait plaisir de lire un article aussi lucide de la part d’un commissaire de police !

  8. un physicien

    Dans le climat actuel d’anxiogénèse généralisée et d’immédiateté de « l’information », un candidat peut-il proposer des solutions réfléchies et à long terme, ou est-il contraint aux « YAKA » ?

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