LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Polar au Bastion

Le déménagement est en cours. Peu à peu, les services de la PJ parisienne vont rejoindre les locaux tout neufs du quartier des Batignolles. Tous grades confondus, bien des policiers y vont à reculons, même si les patrons doivent faire bonne figure. À terme, ce sont plus de 1500 fonctionnaires qui vont se retrouver sur ce site. Il s’agit, d’après l’administration, de maintenir une proximité entre les services de police judiciaire et ceux de la justice – du moins lorsque le futur tribunal de grande instance sera terminé. L’année prochaine. Si tout va bien. Cette raison avancée paraît un peu paradoxale, alors que les moyens de communication actuels permettent mieux que jamais de compenser l’éloignement et que le télétravail commence à gagner certaines administrations, même l’Intérieur…

Il faut surtout y voir, me semble-t-il, une volonté de concentration qui va au-delà d’un simple souci d’efficacité… Et pourtant, on ne peut pas dire que le transfert à Nanterre des services actifs de la DCPJ, tout comme le blockhaus de la DGSI, à Levallois, soient des réussites !

Mais la police, plus que jamais, est devenue une police d’État, qui s’éloigne de la population, et chacun sait que la préfecture de police de Paris, est un État dans l’État. Il est où le temps où certains élus socialistes (pas de nom, on ne tire pas sur une ambulance) voulaient mettre à bas la citadelle !

La PJ parisienne va-t-elle retrouver son âme après ce déménagement ? Peut-être, dans quelques années, ou plutôt quelques décennies.

Dans l’immédiat, les syndicats ont tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences d’un déménagement précipité. Les risques d’une période blanche sont réels et une baisse d’efficacité est prévisible.

Mais on ne se bat pas contre l’administration. C’est trop usant.

Pour les flics qui arrivent dans les gravats (là, j’exagère !), quelques aménagements ont été accordés, comme la possibilité de réduire l’heure du déjeuner, alors que le quartier ne prête guère à la flânerie, afin de sortir une heure plus tôt, le soir. Mais la question qui va bientôt se poser sera celle de la sécurité : des milliers de gens travaillant pour la police ou la justice vont se retrouver confinés dans un périmètre restreint : une cible idéale pour des terroristes. Il ne faudrait pas que le quartier des Batignolles se transforme en place forte, comme c’est le cas autour du Palais de l’Élysée.

Loin de l’adresse mythique de l’Île de la Cité, les Batignolles : « Le nom du quartier était joli et le Bastion ultramoderne, mais il manquait quelque chose à cet ensemble (…) froid, vide. À l’instar de la ZAC Tolbiac, éteinte les dimanches et jours fériés, à l’image des quartiers d’affaires périurbains, ouverts aux courants d’air, le quartier était triste et désert, éloigné des lieux touristiques et commerçants qui faisaient le charme de la capitale. »

C’est ainsi que les enquêteurs de la Crim’ voient leur environnement de travail dans le nouveau roman d’Hervé Jourdain : Femme sur écoute, aux Éditions Fleuve Noir.

Car, pour les (déjà) nostalgiques du Quai des Orfèvres, voici le premier polar qui ne se déroule pas au 36 mais au Bastion. Il sort ces jours-ci en librairie. L’auteur est capitaine de police. Il a longtemps exercé à la Brigade criminelle avant d’être aspiré dans un « service spécialisé », comme il dit. En quelques années, Hervé Jourdain est déjà monté par deux fois sur un podium littéraire : Grand Prix VSD du polar, en 2009, et le célèbre Prix du Quai des Orfèvres, en 2014. C’est son quatrième roman. Je les ai tous lus, et je peux vous affirmer que c’est le plus abouti.

Les policiers que l’on suit dans cette enquête sont installés au Bastion. Ils ne s’en plaignent pas. Ils n’en ont pas le temps, car ils sont confrontés à une intrigue des temps modernes qui tourne autour d’écoutes clandestines dont une femme, sans le savoir, est la victime. Elle s’appelle Manon, la trentaine, c’est une fille de la nuit. Elle est superbe, même si au lever, devant sa glace, elle guette la première ride, celle que l’on peut encore cacher, mais qui est là.

Elle se donne en spectacle dans une boîte sélecte de la capitale, et parfois, elle finit la nuit dans les draps d’un sexopathe bourré de fric : « Le client ne l’avait pas laissé en paix. Au vu du tarif, 3 000 € la nuit, ça se comprenait. Et à ce prix-là, hors de question de jouer les revêches. Elle s’était pliée à tous ses caprices. »

Ceux qui paient pour l’amour ne sont pas conscients du mépris nauséeux qu’ils inspirent à leur partenaire !

Manon se fait coincer alors qu’elle tente de passer du shit à Buisson, le père de son enfant, qui croupit à Fleury-Mérogis. Elle est placée en garde à vue à la PJ de Versailles, et à partir de là, rien ne va plus. Sa vie est piratée.

L’action s’intensifie au fil des pages, au point, lorsque plusieurs affaires s’entremêlent, que l’on ne sait plus qui sont les gentils qui sont les méchants.

Une enquêtrice va faire la différence, elle est spécialiste en cybercriminalité, c’est Lola. Elle est lieutenant de police. Elle découvre la PJ et veut faire son trou dans ce monde tenu par les hommes. Mais ses absences répétées l’entourent d’un mystère. Certains symptômes interpellent  ses collègues : serait-elle enceinte ? De crainte d’être affectée dans un service sédentaire, elle refuse de répondre à leurs questions. On l’imagine toute frêle, parfois pliée en deux par la douleur. Elle a une volonté de fer.

Dans cette enquête au long cours (le livre fait 524 pages), les policiers vont parfois faire un pied de nez à la déontologie et au code de procédure pénale – pour la bonne cause, enfin… pas toujours.

Lisez ce polar, c’est la première enquête au Bastion. Il va vous faire changer d’époque. Vous allez vivre avec les flics de la Criminelle au plus près de la réalité et des techniques modernes d’investigation.

Et puis, c’est un avis personnel, je trouve que c’est un très bel hommage aux femmes.

11 Comments

  1. métier du monde

    Je vous trouve bien sévère envers ceux qui paient pour l’amour!
    Pourriez-vous par ailleurs développer ce que sont les nouvelles techniques d’investigation? Votre article a piqué ma curiosité.

  2. Michel Legat

    Bonjour ! Avez-vous une idée en ce qui concerne le prix du quai des Orfèvres ? Ce prix qui a un long passé conservera-t-il son nom ? Cordialement.

  3. Michel Legat

    Bonjour ! Il faut craindre que la canaille aura vite fait de surnommer ce nouveau site : le « 36 quai du Baston » ! Cordialement.

  4. MC

    Est-ce pour cette raison qu’a été vendue la Bibliothèque de la Préfecture de Police, et le fonds Louis Lépine qui ne comportaient pas que des ouvrages nuls, loin s’en faut?
    On peut les trouver au Pélican Noir, ou à Brassens ou ledit Pélican se pose parfois

  5. niko

    petite question sur la forme, dans la maison d’en face on parle d’une lieutenante de Gendarmerie mais on dit une lieutenant de Police ?

    sinon merci pour ce ressenti, j’imagine la déprime de quitter un lieu autant chargé d’Histoire et d’histoires …

  6. pierre

    dans leurs bureaux flambant neufs, les policiers vont rentrer dans l’ère moderne des bureaux tout confort ultraconnectés à haute qualité environnementale
    comme les avocats (dont je fais partie), juges, greffiers, gendarmes, agents administratifs, etc. qui viendront aussi déménager leur activité aux Batignolles
    au bout d’un moment, on oubliera sans doute le charme désuet des anciens locaux, grâce à l’amélioration des conditions de travail (organisation des locaux, vitesse de connexion, installations techniques, confort et propreté, chauffage l’hiver, clim l’été, isolation phonique, etc.)
    ne pas oublier non plus le justiciable, qui s’y retrouvera lui aussi, et notamment le justiciable « contre son gré », celui qui a expérimenté la souricière et les transfèrement, à mon avis il ne s’en sortira pas plus mal…

  7. oursivi

    « Mais on ne se bat pas contre l’administration. C’est trop usant. » GM.

    Tout est dit, dès qu’on ajoute qu’il reste stupéfiant que nous acceptions sans broncher toutes les réorganisations administratives ou géographiques, même les plus stupides. Et en sont à s’y perdre…

    De la servitude volontaire comme disait l’autre, ou plutôt de la passivité.

    Devrait être créée la possibilité de faire classer les lieux en leur exercice, tel le Palais de justice et le 36 quai des Orf… Pas seulement les pierres, mais ce qu’il s’y fait ! Ce qu’il s’y fait !!

    D’autant que c’est toujours aux plus crétines des réorientations – la commerciale de luxe ou la « muséification » – que les réaffectations sont dédiées. Toutes les grandes écoles – ou presque, Ens et école sup de chimie mise à part, ScPo aussi – ont été chassées fort loin, là qu’implanter de banlieusardes annexes nécessaires aux spatialement gourmandes parties expérimentales de leur recherche aurait suffi…

    L’État brade en ses grandes cités leurs fleurons, au commerce et à la spectacularisation morte. Là où c(s)es ruches étaient l’âme même de la ville.

    Quand nous réveillerons-nous ?

    AO

    • Réveil Matin

      La passivité est générale dans presque tous les domaines, si tout le monde se réveillait ça pourrait faire mal. Sans compter ceux qui se réveillent pour rêver de solutions cauchemardesque et qui vont aller voter.

  8. Porte de Clichy

    en plus, les policiers du quai des orfèvres vont perdre de leur aura romanesque dans leurs bureaux modernes tous neufs 🙂

  9. Porte de Clichy

    Ca va faire bizarre aux policiers mais ça va changer le quartier également, il pourrait y perdre de son âme lui aussi. Il en a une malgré les apparences, les portes de Paris ont leur ambiance, moi j’aime bien ce coin, j’y habite. On peut y souffler après avoir quitté les agités agressifs de Paris ou les costume-cravate de la Défense. C’est un peu le désert mais justement, ce sont les gens – pas riches et plutôt colorés – qui font le quartier. Tout va changer avec le palais de justice et le reste. J’attends avec curiosité de voir ce mélange de population le matin, au café porte de Clichy.

    • Porte de Clichy

      fausse alerte, les gens de la tour vivent en autarcie.

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