LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Terrorisme (Page 7 of 8)

La DCRI en question

La direction centrale du renseignement intérieur a vu le jour en juillet 2008. On se demande qui a soufflé au président Sarkozy l’idée de démanteler la DST et les RG pour créer cette entité… Certainement personne. Cette décision relève-t-elle de l’envie un rien mégalo de disposer d’un service de renseignements démesuré ou d’une analyse sérieuse axée sur l’efficacité ? Sans doute un peu des deux. Mais comme souvent de nos jours, on a oublié de prendre en compte l’élément humain. Les anciens de ces deux services sont-ils satisfaitsdcri_logo.1285142268.png de ce changement ? Sont-ils plus efficaces ? Nous le saurons peut-être un jour, lorsque l’un d’eux écrira « son » bouquin, comme l’ont fait plusieurs patrons de la DST.

En attendant, aujourd’hui, 3 à 4 000 fonctionnaires s’activent, pour le plus grand nombre sous le sceau du « secret défense », dans des missions classées… « secret défense ». Que font-ils exactement, on n’en sait rien. Ils assurent notre sécurité, nous dit-on. Mais, au détour d’une affaire de quatre sous (là, j’exagère), où l’on découvre une promiscuité malsaine entre une milliardaire et un ministre, les dirigeants de notre journal favori, Le Monde,  bombent le torse (dans une attitude très sarkozienne smiley.1285146230.png), en criant haut et fort être victimes d’une enquête illégitime de ce service.

Dans le même temps, dans un nuage de fumée, le chef de la DCRI nous affirme que son action nous évite chaque année deux ou trois attentats terroristes (la DCRI a juste deux ans d’âge) et que les menaces n’ont jamais été si fortes. Déclarations relayées par celui qui est l’homme de l’été, et que dans le sérail on surnomme gentiment Brice de Beauvau. Bon, nous, on veut bien les croire. Difficile de dire le contraire. Car si demain il y avait un attentat, on aurait l’air fin. Mais comme le plan Vigipirate est au rouge vif depuis maintenant plus de cinq ans, il est bien difficile de faire plus, sauf à passer du rouge à l’« écarlate ». Avec pour conséquence la mise en œuvre, comme il est dit pudiquement sur Service-Public, de « mesures particulièrement contraignantes ».

Autrement dit, on serait à deux doigts de l’état d’urgence.

Pour l’heure, en dehors de « protéger les intérêts de l’État » (?), comme dans l’affaire Woerth-Bettencourt, ou les rumeurs sur le couple présidentiel, le seul résultat concret que l’on connaît de la DCRI, c’est l’affaire de Tarnac. Vous vous souvenez, ces Corréziens interpellés pour avoir eu l’intention de tenter de saboter les caténaires des TGV… Tiens, où en est donc cette enquête retentissante ? Bon, il y a bien aussi ce projet d’attentat contre l’immeuble qui abrite la DCRI…

Il est quand même bizarre qu’un service secret fasse autant parler de lui. Je me souviens, lorsque j’étais officier de police à la DST, si l’on nous questionnait sur l’utilité de notre boulot, on répondait en souriant : « Vous ne pouvez pas savoir tout ce qu’on fait pour vous, et on ne peut pas vous le dire, puisque c’est secret ».

Parlons net. Alors qu’on remplace les policiers sur le terrain par des caméras, et que pour combler les vides on augmente les prérogatives des polices municipales ou des agents privés ; et qu’en fait les principales mesures pour combattre l’insécurité se cantonnent à des opérations coup de poing, des déclarations d’intentions ou des textes de loi ridicules, on est en droit de demander un audit sur l’action de la DCRI. Cela ne doit pas être difficile, puisqu’il existe au sein de ce service un département chargé de l’évaluation de la stratégie et de la performance.

En tout cas, il faut être vigilant. Dans de mauvaises mains, un service secret doté de prérogatives de police judiciaire pourrait être la pire des choses. On n’en est pas là, heureusement, même si dans notre pays toutes les décisions partent du 8° arrondissement de Paris…

Je crois qu’il est donc temps de faire entracte au spectacle permanent de la classe politique, d’arrêter de nous prendre pour des enfants, et de nous parler franchement, les yeux dans les yeux, tant sur les risques d’un attentat que sur la réforme des retraites.

En fait, on voudrait juste pouvoir faire confiance aux gens qui sont en charge du pays. Et pour l’instant, on est loin du compte.

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Réflexions après l’acquittement du gendarme de Draguignan a été lu 2 101 fois et a suscité 29 commentaires.

Dammarie-lès-Lys : « On aurait pu faire mieux… »

C’est quasi traditionnel, à chaque fois que le pouvoir politique se mêle d’une enquête judiciaire, cela se termine par un fiasco – et le plus souvent par un retour de bâton. Voici deux versions du déroulement de l’enquête sur la mort du brigadier-chef Jean-Serge Nérin…

logo_surlaterreorg.pngVersion I – Grâce au témoignage d’un ancien collègue, les enquêteurs visionnent la vidéo d’un supermarché sur laquelle apparaît un groupe d’individus qui pourraient bien être des terroristes basques. Avant de les présenter aux témoins du drame, ils préparent soigneusement une parade d’identification. Procédé classique qui consiste à mélanger les photos des suspects à celles d’individus qui n’ont strictement rien à voir avec l’affaire. Devant ce flot de portraits, et malgré leur désir de faire avancer les recherches, les amis du policier assassiné hésitent.

Dans le même temps, en se fiant à l’heure indiquée sur la vidéo, les policiers décortiquent les paiements effectués aux caisses du grand magasin. Il ne doit pas y avoir beaucoup de clients qui ont réglé leurs achats avec une carte de crédit espagnole, se disent-ils. Bingo, ils en trouvent un ! Une rapide vérification, et là, c’est la déception. On découvre que la piste est bidon et qu’il s’agit d’un groupe de pompiers catalans qui prennent des vacances dans la région parisienne. Heureusement qu’on n’a pas mis tous nos œufs dans le même panier, se disent les enquêteurs. Car pendant ce temps, d’autres investigations sont menées tous azimuts. Une équipe d’une demi-douzaine d’Espagnols, dans ce coin de Seine-et-Marne, c’est bien le diable s’ils n’ont pas laissé des traces…

C’est de la fiction, vous l’aurez bien compris, car les choses se sont déroulées différemment.

Version II – Ils parlaient espagnol, affirme le policier retraité, en désignant le groupe de suspects sur la vidéo. On la fait visionner aux collègues du policier assassiné, et ceux-ci, encore sous le choc, pensent reconnaître certains des malfaiteurs qui les ont pris pour cible. Aussitôt, on interroge les autorités espagnoles en leur fournissant la vidéo et la photo de l’individu arrêté, Joseba Fernandez Aspurz. Celui-ci est recherché pour des violences urbaines dans son pays. Les policiers espagnols sont-ils victimes du même phénomène d’autosuggestion que leurs collègues français ? Le fait est qu’ils désignent les pompiers catalans comme des terroristes. Il faut dire que dans le même temps, la presse espagnole ne fait pas mieux. joseba-fernandez.jpgElle diffuse la photo de Joseba Fernandez, militant de gauche, comme étant le suspect principal du meurtre du policier français. Alors qu’il s’agit d’un homonyme. Désolé pour le désagrément, dit l’agence de presse EFE.

Même si elle est bâtie sur une série de quiproquos, à ce stade, la piste semble néanmoins sérieuse. Il s’agit donc de tout mettre en œuvre pour identifier les auteurs présumés du meurtre d’un policier, les localiser et les arrêter.

Aussi, j’imagine la bobine des enquêteurs lorsqu’on leur dit que la DCRI va « réquisitionner » les médias pour diffuser à tout va la vidéo du grand magasin… Car en  agissant ainsi, on grille ses cartouches, on se prive de l’effet de surprise, on informe les malfaiteurs qu’ils sont repérés et en passe d’être identifiés. Pas besoin d’être un superflic pour comprendre qu’il s’agit là d’un procédé de bout de chaîne, de dernière chance, lorsqu’on a tout tenté et qu’il ne reste plus aucun espoir de pouvoir arrêter les individus recherchés.

deux-legendes-pour-la-meme-photo.jpg

Photo 1 : Le gang de la mort                                 Photo 2 : Terroristes ou pompiers ?

Existe-t-il une troisième version ? Le procureur nous l’expliquera peut-être. Pour l’instant, on ne l’a pas entendu, comme si les enquêtes judiciaires étaient placées sous la direction du pouvoir exécutif… En attendant, le ministre espagnol de l’Intérieur, lui, s’est excusé. « On aurait pu faire mieux », a-t-il soupiré. En France, c’est le directeur général de la police, Frédéric Péchenard, qui est monté au créneau. La diffusion de cette vidéo a permis de ne pas « polluer » le dossier, a-t-il affirmé devant les caméras de télévision, sinon, « on aurait traîné ça dans le dossier un moment ». Des propos étonnants de la part d’un ancien péjiste… On pourrait en faire shadok-escalier_castaliefr.jpgune devise Shadok : si on élimine tous les innocents d’un crime, on va bien finir par découvrir les coupables.

Dans cette affaire, une nouvelle fois la police ne sort pas grandie, mais on comprend bien que le chapeau est trop large pour sa seule tête.

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Que vaut la vie d’un homme ? a été lu 5 964 fois en 3 jours et a suscité 24 commentaires.

Les tueurs de Dubaï piégés par les caméras de surveillance

Étrange silence des autorités françaises après l’assassinat d’un cadre du Hamas… Alors que les Britanniques et les Irlandais ont tout de suite réfuté l’implication de leurs ressortissants dans cette exécution, le Quai d’Orsay n’a commando-dubai_guysen-tv.JPGpas réagi. Pourtant le chef du commando, qui se faisait appeler « Pierre », voyageait sous passeport français.

Outre-manche, on ne débat peut-être pas sur l’identité nationale, mais on ne badine pas avec la nationalité britannique. Le Foreign Office a d’ailleurs convoqué l’ambassadeur d’Israël pour obtenir des explications, et le premier ministre, Gordon Brown, a annoncé l’ouverture d’une enquête en collaboration avec les autorités émiraties.

Parmi les onze tueurs identifiés par la police de Dubaï, trois seraient irlandais, six britanniques, et il y aurait un Allemand et un Français. Les six Britanniques et l’Allemand seraient des émigrants possédant la double nationalité.

D’autre part, le chef de la police palestinienne a confirmé à l’AFP que deux officiers du Hamas étaient également impliqués. Ils appartiendraient à la Sécurité palestinienne.

Le Mossad (service de renseignement extérieur israélien) est sur la sellette. Même si le ministre des Affaires étrangères se défend de toute implication de son pays dans cet assassinat. D’autant que les agents du Mossad sont coutumiers du fait, comme en 1997, lorsqu’un commando de plusieurs hommes, titulaires de passeports canadiens, a tenté d’empoisonner  un autre responsable du Hamas.

Mais ici, on dit que le service de renseignement intérieur, le Shin Beth, serait également dans le coup.

Mahmoud Al-Mabhouh, 50 ans, responsable militaire du Hamas, le mouvement de résistance palestinien, a été assassiné dans sa chambre d’hôtel le 20 janvier dernier à Dubaï. Il paraît que les autorités avaient d’abord opté pour une mort « naturelle », affirmant que l’homme aurait succombé à une crise cardiaque. Il aurait fallu toute « l’insistance » du Hamas pour que l’enquête ne soit pas enterrée. En fait, il semblerait que la victime ait été étouffée, et peut-être même torturée à l’électricité. Il faut dire que ce Mahmoud Al-Mabhouh devait détenir des secrets de premier ordre, puisqu’il était considéré comme le principal pourvoyeur d’armes du Hamas, et qu’il était notamment en contact avec l’Iran.

Une fois qu’elle a eu le feu vert, la police de Dubaï a mené une enquête assez remarquable, parvenant à identifier un groupe de dix hommes et une femme parmi le commando chargé de l’exécution. Et cela, notamment grâce aux images des caméras de surveillance dont le palace est truffé, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Ainsi, selon les vidéos, le crime aurait eu lieu entre 20h24 et 20h46. Mais une chose est sûre, c’est qu’il a eu lieu. Une preuve sans appel que les caméras ne sont d’aucune utilité pour prévenir un crime ou un délit, mais qu’en revanche, elles peuvent constituer un élément important dans le déroulement de l’enquête. Un ancien du Mossad constate non sans un rien de nostalgie que la guerre de l’ombre se complique avec l’omniprésence des caméras de surveillance et l’accès aux données personnelles. « Cela change les choses – pas seulement pour ceux qui font du terrorisme un commerce mais aussi pour ceux qui les combattent », soupire-t-il.

L’arroseur arrosé, en quelque sorte.

En attendant, on voudrait bien savoir qui est cet « Elvinger », peter-elvinger_guysentv.JPGsoi-disant ressortissant français, qui a dirigé ce commando et qui aujourd’hui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international pour assassinat.

Non sans ironie, dans son blog, Denis Brunetti,  correspondant de TF1 à Jérusalem, qui suit l’affaire de très près, révèle que des agents du Mossad et du Shin Beth ne sont pas contents du tout, non pas à cause de cette affaire, mais pour leur retraite. Celle-ci pourrait baisser de 30% en dix ans. Il cite un ancien chef de division du Shin Beth : «  Quand l’un de nous se retire, il n’est pas directeur de banque ou président de compagnie. Moi, qu’est-ce que je peux faire ? Un interrogatoire de terroriste, mettre quelqu’un en prison ? Mais ça, je ne peux même pas le vendre à ma femme… »

Si même les espions sont victimes de la RGPP !

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La police municipale s’invite dans LOPPSI II a été lu 10 948 fois en 4 jours et a suscité 38 commentaires. Au nombre de ceux-ci, je me permets d’attirer l’attention sur les explications de Dumoulin | et la réponse de Opsomer |   ; ainsi que celles plus personnelles de Un flic | .

Tarnac : la marmite du diable

Julien Coupat va-t-il devenir le Cohn-Bendit de ce siècle ? En tout cas, il est sur la bonne voie. À trop vouloir démontrer qu’il existe en France une menace terroriste liée à l’ultra-gauche, aux autonomistes, ou à affiche-mai-68.jpgje ne sais quoi, le gouvernement s’est empêtré dans une affaire politico-judiciaire dont il risque bien de faire les frais. Et tandis que la Cour d’appel doit statuer vendredi prochain sur une demande de levée de leur contrôle judiciaire, les « terroristes » de Tarnac ont tenu, il y a quelques jours, une tribune dans Le Monde, annonçant leur intention d’y mettre fin d’office.

Une façon de reprendre l’initiative dans une partie d’échecs dont l’enjeu à ce jour n’est pas encore parfaitement connu.

En effet, comment, sauf à se « déjuger », comment les juges pourraient-ils accepter ce mouvement de révolte contre leur décision de placement sous contrôle judiciaire ? Néanmoins, la réaction est plutôt molle. « Si ces obligations n’étaient pas respectées, a déclaré un procureur, le parquet en tirera toutes les conséquences ». Or, c’est déjà le cas, puisque le seul fait, pour les dix personnes mises en examen, de s’être réunies et concertées pour rédiger ce manifeste est, en soi, un manquement aux obligations imposées. Vendredi dernier, devant la Cour d’appel, le parquet s’est contenté de demander le maintien en l’état du contrôle judiciaire.

C’était pourtant au tour de la justice d’avancer un pion.

Il y a comme un flottement. Aussi, lorsqu’on entend l’avocat de la « bande à Coupat » déclarer que le dossier est vide, qu’il n’y a aucun élément concret, en deux mots, qu’ils sont innocents du crime dont on les accuse, on aurait tendance à le croire.

Pourtant c’est faux. Ils sont bien coupables – même s’ils n’ont rien fait. Pour la justice, ils sont coupables d’avoir probablement eu l’intention de faire. Sans entrer dans le détail des textes, c’est grosso modo (mais j’exagère) ce qui résulte des lois qui répriment l’association de malfaiteurs appliquées à la lutte contre le terrorisme.

La législation actuelle trouve son origine dans les vagues d’attentats des années 85-86 et 95-96 (loi du 9 septembre 1986, renforcée en 1996). Après le 11-Septembre, bien que la France n’ait connu aucune action terroriste, le dispositif n’a eu de cesse d’être complété (loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001 ; loi sur la sécurité intérieure du 18 mars 2003 ; loi relative à la lutte contre le terrorisme du 23 janvier 2006 ; loi du 1er décembre 2008, qui prolonge la loi précédente jusqu’en 2012). Et j’en oublie probablement.

Mais comme on n’a pas défini le terrorisme, l’application de ces textes ne peut être que subjective. Dans un autre contexte, Julien Coupat et sa compagne auraient au plus été inquiétés pour tentative de dégradation de biens publics.

En fait, on mélange tout. Faute de règles bien définies sur le terrorisme, on applique des textes qui font référence à d’autres textes et auxquels s’ajoutent sans cesse des modifications de circonstance et de nombreux dispositifs dérogatoires qui mêlent la prévention à la répression. D’où cet embrouillamini de lois et de règlements – la marmite du diable, comme on pourrait l’appeler. « Le chaos des lois est tel, de nos jours, énonce Julien Coupat, que l’on fait bien de ne pas trop chercher à les faire respecter. » Mais il exagère, lui aussi.

Avec les résultats suivants :

Pour la prévention, un renforcement considérable du pouvoir de l’administration sur notre vie de tous les jours : contrôle de nos déplacements et de nos communications, et possibilité d’accéder à un grand nombre de fichiers.

Pour la répression, un accroissement important des procédures dérogatoires, lesquelles aboutissent à des pouvoirs d’enquête sans cesse accrus. On en est aujourd’hui à un stade surprenant où l’exception devient la règle. Autrement dit, pour ne pas avoir voulu séparer formellement le terrorisme des crimes et des délits de droit commun, on a pris le risque d’un amalgame en faveur des procédures d’exception.  Ce que certains juristes définissent comme « un transfert de légitimité de l’antiterrorisme ».

Ainsi, pour lutter contre une menace virtuelle, on nous entraîne peu à peu dans une logique de prévention à tout prix, qui, par les restrictions qu’elle fait peser sur nos droits et nos libertés, nous ramène des siècles en arrière. On est un peu dans le même esprit que la campagne de vaccination contre la grippe H1N1 : On nous fait peur, ensuite on nous protège, donc on veut notre bien.

En rompant publiquement le ban cetautomatix-le-forgeron.gifde leur contrôle judiciaire, les Tarnacois ont fait un véritable pied-de-nez à la Justice. Ils vont ainsi au bout de leur logique en retournant la force du système contre le système.

De cette histoire vaudevillesque, basée sur un quiproquo juridique, police et justice ne sortiront pas grandies. À dire vrai, tout cela est un rien ridicule.  Mais comme on dit, le ridicule ne tue pas – sauf peut-être en politique.

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Gare Saint-Lazare, ce matin a été lu 2.012 fois en 3 jours et a suscité 25 commentaires.

Tarnac : l'histoire sans fin

Les avocats de Julien Coupat auraient effectué une contre-enquête qui « malmène la version policière et remet en cause le travail effectué par le juge antiterroriste… ». Une note de 7 pages pour « inviter » le juge à instruire à charge et à décharge. Donc, crayons-et-taille-crayon_ecolesac-rouen.pngsous-entendu, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Fichtre, on aimerait en savoir plus ! S’agit-il réellement d’une contre-enquête ? Et si oui, effectuée par qui ? Des détectives privés ? Ou s’agit-il d’un épluchage systématique de la procédure pour en souligner les carences ? Ou tout simplement d’un coup de com’, pour attirer l’attention sur un dossier qui roupille ?

À dire vrai, si les avocats relèvent certaines incohérences dans les procès-verbaux, comme des traces de pneus ou des traces de chaussures qui ne collent pas, cela n’a pas réellement d’importance. Quel que soit le rôle qu’aurait pu tenir tel ou tel suspect, tout le monde a bien compris que cette procédure concernant le sabotage de lignes du TGV ne tient pas la route.

Et le plus rigolo, c’est que ce sont les policiers eux-mêmes qui se sont pris les pieds dans le tapis. Ainsi, Coupat et son amie sont accusés d’actes de sabotage qu’ils n’auraient pas pu commettre puisqu’au moment des faits ils auraient été sous la surveillance des enquêteurs de la DCRI…

Et derechef Me William Bourdon  de demander l’audition des policiers, sachant très bien que la DCRI est placée sous la protection du secret-défense (tiens, encore lui!); et que les policiers chargés de l’antiterrorisme peuvent être autorisés (je ne sais pas si c’est le cas ici) à ne pas mentionner leur identité dans les actes de procédures (loi du 23 janvier 2006).

On va se dire qu’ils sont nuls de chez nul à la DCRI… La peinture de leurs bureaux n’est pas encore sèche qu’ils commettent leur première bévue ! La vérité, c’est que les instructions intempestives du ministre de l’Intérieur de l’époque (MAM), les a obligés à casser une enquête qui n’était pas mûre. « La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps », nous dit Bernard Squarcini, le patron de cette direction, dans une interview au Point du 12 mars 2009. « Nous savions ce qu’ils faisaient, avec qui ils étaient en contact – en France et à l’étranger. Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente (…) Quand le ministère de l’Intérieur et la justice nous l’ont demandé, nous avons communiqué nos éléments. Ils sont dans le dossier du juge. C’est pourquoi je peux vous dire qu’il n’est pas vide… »

Les avocats sont dans leur rôle en criant haro sur une procédure mal fagotée. Mais ils savent bien que dans cette affaire, le sabotage SNCF n’est que la partie apparente de l’iceberg. Tout tient dans ces mots : association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Un dossier bâti jour après jour durant des mois de surveillances, d’écoutes, etc. Ce qu’on appelle dans le jargon une procédure fourre-tout où les éléments, même les plus anodins, s’imbriquent les uns dans les autres pour former la base de l’infraction : l’élément matériel.

Une telle procédure appliquée à une équipe de braqueurs, pour prendre un exemple simple, consisterait à effectuer des surveillances quotidiennes pour démontrer que les individus se connaissent, qu’ils se fréquentent régulièrement, qu’ils se réunissent avant chaque coup, ou pour préparer un coup, qu’ils se trouvaient dans le secteur où a été perpétré le hold-up, etc. Et si possible on attend l’embellie, le jour où l’un d’eux va commettre une boulette pour intervenir – sur l’initiative du chef sur le terrain – et pas à la demande d’un quelconque paperassier.

Mais il s’agit ici d’actes concrets, en l’occurrence de braquages. Peut-on appliquer la qualification d’association de malfaiteurs  à des gens qu’on suspecte d’avoir l’intention de…

Je ne crois pas. Entre la préparation caractérisée d’un crime ou d’un délit, telle que prévue par le Code pénal, et la simple intention, il y a un fossé. Cette équipe de Tarnac était placée sous surveillance par prévention, dans l’hypothèse où ses membres auraient eu l’intention de préparer des actes terroristes.

lapin-pays-des-merveilles.gifEt surtout pas pour faire un coup médiatique. « Les services de renseignement, nous dit M. Squarcini, sont au centre opérationnel d’une immense gare où tous les trains doivent arriver à l’heure. Quand tout marche bien, on n’en parle pas ».

Eh bien cette fois, sabotage de caténaires ou pas, les trains ne sont pas arrivés à l’heure. Et cette histoire, on n’a pas fini d’en parler.

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Le billet précédent,  Garde à vue : il ne suffit pas de repeindre les murs ! a été lu 1.124 fois en 3 jours. Il a donné lieu à 20 commentaires, plutôt techniques, dans lesquels on revient sur la fouille à corps et les problèmes de sécurité.

Julien Coupat est-il filoché ?

propos-divrogne.jpgC’est le genre de question piège qu’on vous pose généralement entre le fromage et le dessert, et il y a quelques jours, ça n’a pas manqué ! Et si sa libération était un piège des poulets ! a renchéri quelqu’un. J’ai levé mon verre. Un rayon de soleil s’est accroché à la robe pourpre d’un Saint-Amour 2005 ; dans le ciel, un avion traçait un sillage vers l’ouest ; la pollution était normale : bien trop élevée. J’avais envie de répondre un truc du genre j’en sais rien et j’en ai rien… Et puis, je me suis dit que le contrôle judiciaire valait bien une petite réflexion.

Que je vous livre. Sous toutes réserves.

Le principe de droit est fixé par l’article 137 du Code de procédure pénale : « La personne mise en examen, présumée innocente, reste libre. Toutefois (…) elle peut être astreinte à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire (…) Elle peut, à titre exceptionnel, être placée en détention provisoire ».

Dans la pratique, il faut bien admettre qu’après sa mise en examen un présumé innocent devient vite un présumé coupable. Ce qui a été le cas pour Julien Coupat. À tel point qu’à l’issue de sa détention provisoire on a entendu des commentaires du genre : Vous voyez bien qu’il est innocent, puisqu’il est libéré ! Et que le procureur de Paris a dû se fendre d’une explication pour assurer que la fin de sa détention provisoire « ne saurait être interprétée comme le signe de l’absence ou l’insuffisance de charges ».

Donc, après six mois d’emprisonnement, le voici placé sous contrôle judiciaire. Avec des obligations piochées dans l’article 138 du CPP (plus de 2 pages dans le Dalloz) et qui en soit n’ont rien d’extraordinaires. Il est astreint à résidence, il doit pointer toutes les semaines, ne pas voir ou parler aux autres mis en cause, et verser une caution de 16.000 €. On peut trouver qu’il s’agit là d’une somme élevée, mais son montant doit en principe être raccord avec ses ressources. Elle est considérée comme « une garantie de représentation ». Une fraction pourra lui être remboursée s’il satisfait aux obligations du contrôle judiciaire et le reste sera éventuellement utilisé pour dédommager la partie civile (la SNCF est-elle partie civile dans cette affaire ?). En cas de non-lieu ou d’acquittement, cette deuxième fraction lui sera intégralement remboursée.

Mais dans son malheur Julien Coupat a de la chance : il semble avoir échappé au bracelet électronique. Considéré comme une mesure d’application de la peine, ce bijou moche réservé à l’origine aux condamnés peut maintenant garnir la cheville d’un suspect mis en examen.

La personne placée sous contrôle judiciaire supporte nombre d’obligations, d’interdictions…, mais le juge d’instruction a lui des devoirs : Il ne peut porter atteinte à la liberté d’opinion ni aux convictions politiques (si, si !) et religieuses, ni faire échec aux droits de la défense (art R.17 du CPP).

Alors, pour en revenir à la question de base, Coupat est-il filoché ? il me semble qu’une surveillance policière, physique ou à l’aide d’écoutes téléphoniques ou tout autre moyen plus ou moins sophistiqué, porterait forcément atteinte aux droits de la défense. En tout cas, cela donnerait du grain à moudre à ses avocats.

Mais les policiers ont-ils les mêmes contraintes que le juge ? Dans la mesure où ils sont officiers de police judiciaire, la réponse est oui. C’est le cas pour les enquêteurs de la sous-direction antiterroriste de la PJ. Mais ceux qui sont à l’origine de l’affaire appartiennent à la DCRI, un service de contre-espionnage et de renseignements dont les fonctionnaires sont à la fois OPJ et… agents secrets. Alors, la réponse est mitigée. Rien ne les empêche, si ce n’est la morale, l’éthique, de mettre en œuvre toute la panoplie du parfait petit contre-espion : écoutes administratives, micros, caméras, mouchards informatiques, etc. Aucun risque, puisque leur activité est en grande partie couverte par le « secret-défense ». Entendons-nous bien, je ne remets pas en cause l’intégrité des fonctionnaires de la DCRI, mais il faut bien admettre que dans une démocratie, la justice et le secret d’État ne font pas bon ménage.

La création de ce service a d’ailleurs engendré une ambiguïté dont nombre de policiers sont parfaitement conscients. Et de l’ambiguïté naît le doute, voire la défiance…

Pour couper court à ces bruits, au mois de mars, Bernard Squarcini, le patron de la DCRI, a répondu à une interview du Point. Hervé Gattegno lui demande si cette enquête sur des sabotages de voies ferrées relevait réellement du terrorisme : « Ce n’est pas à la police d’apprécier les qualifications pénales retenues contre ces suspects, mais à la justice. Le cadre juridique a été choisi par le parquet, l’enquête est menée par un juge d’instruction, qui a prononcé des mises en examen. La DCRI surveillait ces individus depuis longtemps (…) Assez pour savoir que ce groupe se situait dans les prémices de l’action violente ; le stade où les choses peuvent basculer à tout moment (…) Dans l’affaire de Tarnac, il n’y a pas de délit d’opinion mais un long travail de renseignement. Le problème, c’est que nous avons dû l’interrompre quand la SNCF a déposé plainte : on ne pouvait pas laisser se multiplier des actions qui bloquaient des milliers de passagers dans les gares. Quand le ministère de l’Intérieur et la justice nous l’ont demandé, nous avons communiqué nos éléments… ».

Autrement dit, sous la pression des autorités politiques on est passé directement d’un travail classique de RG à une action judiciaire afin d’éviter que les TGV prennent du retard. J’exagère à peine. 

En l’état, Coupat et ses antinucleaire_celine-lecomte_liberation.pgamis ne sont pas soupçonnés d’avoir voulu faire dérailler un train, mais uniquement d’avoir détérioré des caténaires SNCF. Des actions fréquentes de la part des groupements antinucléaires tant en France qu’en Allemagne, et qui donnent généralement lieu à des enquêtes judiciaires relativement banales. Ainsi, la française Céline Lecomte qui a bloqué pendant une heure un train transportant de l’uranium en Allemagne.

Bernard Squarcini a créé au sein de la DCRI un service chargé d’évaluer les coûts de fonctionnement « pour que les contribuables sachent que leur argent est bien utilisé ».

On aimerait lui poser la question : ces « terroristes » méritaient-ils un tel déploiement de moyens policiers ? Et combien ça nous a coûté ?

Désolé, je me suis éloigné du sujet. C’est à cause du Saint-Amour…

Petit essai sur le terrorisme

Les uns après les autres les journaux reviennent sur l’affaire de Tarnac pour dénoncer le décalage entre une éventuelle tentative de dégradation de lignes SNCF et la procédure exceptionnelle utilisée, visant une organisation terroriste.

shadok-cerveau_castaliefr.1239954564.jpgEt la ministre de l’Intérieur fait front, affirmant que « ce ne sont pas les journaux qui rendent la justice ». Certes, mais si la presse en l’occurrence n’est pas dans son rôle, il faut biffer Zola des manuels scolaires. Il est vrai qu’après son fameux « J’accuse ! », l’écrivain-journaliste a été obligé de s’exiler… mais ses cendres sont au Panthéon.

Ces jeunes gens du plateau de Millevaches n’ont pas le profil d’un Carlos ou d’un Rouillan. On n’y peut rien. Alors, terroristes ou pas ?

Mais juridiquement, c’est quoi le terrorisme ?

Oserais-je dire que juridiquement le terrorisme n’existe pas ! Il y a des règles internationales, européennes, mais pas une définition unique, claire et précise. La Convention de Strasbourg de 1977 envisage : « tout acte grave de violence dirigé contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes et tout acte grave contre les biens lorsqu’il a créé un danger collectif pour les personnes ».

En France, l’article 421-1 du Code pénal1 reprend certains des mots de cette convention, mais le sens du texte diffère assez nettement. Et l’expression « acte grave » est remplacée par l’énumération des infractions concernées. À part les excès de vitesse (là, je fais du mauvais esprit), tout y est : les atteintes à la vie, les armes, les explosifs, les vols, les extorsions de fonds, les destructions, les dégradations et détériorations, l’informatique, le recel, le blanchiment d’argent, le délit d’initié, etc.

Le législateur n’a pas voulu créer d’infractions spécifiques. Il a préféré une notion subjective appliquée à des crimes et des délits déjà existants. Il appartient donc aux autorités judiciaires de déterminer au cas par cas si tel acte délictueux est considéré comme un acte terroriste. Ce qui change à la fois les conditions de l’enquête (garde à vue, surveillances, juridictions…) mais aussi les peines encourues. Si les faits incriminés sont inscrits dans le tableau des infractions ciblées, le juge n’a qu’une question à se poser : l’auteur de l’acte revendique-t-il un caractère politique ?

zola-pantheon_assemblee-nationale.1239954658.jpgLa France n’est pas une exception. La plupart les États ont fait du terrorisme un acte criminel de droit commun, en se dotant d’un arsenal juridique hors du commun.

Lors de la discussion des lois antiterroristes, certains députés ont rappelé que sous l’Occupation les résistants étaient qualifiés de terroristes. Tant il peut s’avérer difficile de distinguer le terrorisme d’une lutte pour la libération ! Et personne ne s’est mis d’accord, ni chez nous ni ailleurs, sur une définition.

Dans la Revue de science criminelle, David Cumin, Maître de conférences à l’université Jean-Moulin, Lyon-III, estime qu’il est impossible de parvenir à une définition objective du terrorisme, mais il en donne l’approche criminologique suivante : « Relève du terrorisme l’acte isolé et sporadique de violence armée commis dans un but politique en temps de paix contre des personnes ou biens protégés. Est terroriste l’auteur d’un tel acte, quelles que soient la composition du groupe auquel il appartient et l’idéologie qui l’anime ».

Cette définition s’applique-t-elle à Coupat et à ses acolytes ? On peut en douter. N’est-on pas en train de « banaliser » le terrorisme ? Supposons que ces bandes de banlieues qui font si peur à Monsieur Sarkozy deviennent plus virulentes, plus dangereuses pour la société, ne pourrait-on pas dénicher derrière leur action une volonté politique qui en ferait des terroristes ? Et la procédure exceptionnelle deviendrait alors le tout-venant.

Toujours dans la Revue de science criminelle, Philippe Mary, professeur ordinaire à l’École des sciences criminologiques de l’Université Libre de Bruxelles, se pose la question de la différence entre le terrorisme et la délinquance urbaine. Pour lui, le terrorisme se caractérise par son aspect « grande criminalité » (des malveillances contre la SNCF ?). Mais ce qui rapproche ces deux types de criminalité, c’est que dans les deux cas, il s’agit de phénomènes indéfinis. Traités le plus souvent dans l’urgence, ils génèrent une politique de gestion des risques, dans laquelle la sécurité apparaît comme une fin en soi. « Une telle évolution de la notion de sécurité est le signe de passage d’un État social à un État sécuritaire », affirme-t-il.

Sur 57 propositions en matière de lutte contre le terrorisme présentées au sommet de l’Union européenne tenu à Bruxelles, en mars 2004, plus de la moitié n’avait que peu ou rien à voir avec le terrorisme.

Dans un récent rapport au Sénat2, Robert Badinter déclare : « Nous n’avons pas été, à ce jour, capables d’avoir une définition internationale du terrorisme. Ceci pour des raisons éminemment politiques. Si on regarde les textes existants, on trouve des définitions faites par « raccroc » (…) Quand on regarde de très près les textes et notamment le texte fondateur de la Cour pénale internationale, on trouve une définition du terrorisme qui paraît acceptable : on considère comme crime contre l’humanité les actions décidées par un groupement organisé, pas nécessairement un État, ayant pour finalité de semer la terreur, dans des populations civiles, pour des motifs idéologiques. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent une de ces actions… »

Dans une résolution du 14 janvier 2009, le Parlement européen « se préoccupe du fait que la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme a souvent abouti à une baisse du niveau de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment du droit fondamental au respect de la vie privée, à la protection des données à caractère personnel et à la nondiscrimination (…) ».

En France, une loi du 13 février 2008 autorise la coluche_forumdoctissimofr.1239955291.jpgratification d’une convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Elle oblige les États à incriminer certains actes perçus comme pouvant conduire à la commission d’infractions terroristes, même si l’acte terroriste n’est pas commis. Il en va ainsi du recrutement et de l’entraînement de futurs terroristes, ou encore de la provocation à commettre des infractions terroristes.

Certains pays doivent donc adapter leur législation. Pour nous, c’est inutile, on est à la pointe du combat, puisqu’on en est à poursuivre une bande d’anars3 qui auraient eu l’intention de tenter de détruire des caténaires de la SNCF.

Coluche, tu nous manques !

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1/ L’article 421-1 du Code pénal sur légifrance (ici)
2/ Le rapport de Robert Badinter sur l’Union européenne et les droits de l’Homme sur le site du Sénat (ici)
3/ La cellule invisible sur ce blog (ici)

Le vrai-faux passeport de Battisti

En affirmant dans un magazine brésilien que les services secrets français lui ont remis un passeport pour qu’il puisse s’évader vers le Brésil, Cesare Battisti balance un sacré pavé dans la mare. Cela rappelle trop l’affaire du vrai-faux passeport de Charles Pasqua pour ne pas faire le rapprochement.

rio_maluko.1233504074.jpgRappelez-vous, c’était au début de la première cohabitation, celle de 86-88. Le tout nouveau ministre de l’Intérieur, Charles Pasqua, s’arrange pour qu’on découvre que le ministre socialiste Christian Nucci et son directeur de cabinet, Yves Chalier, ont tous deux confondus les caisses de l’État et leur propre tirelire.  Un scandale politico-financier (l’affaire Carrefour du développement) comme on les aime en France. 27 millions de francs, tout de même.

Là-dessus, Yves Chalier trouve que le climat devient malsain et « on » lui souffle à l’oreille qu’au Brésil, il fait toujours beau. Et comme il n’a plus de passeport, un commissaire de la DST, très serviable, lui en remet un en mains propres, tout beau tout neuf, et aussi vrai qu’un vrai. Le directeur de la DST, délivré du secret-défense par Pierre Joxe, reconnaîtra, huit ans plus tard, qu’il a agi sur les ordres de son ministre de tutelle, Charles Pasqua.

Donc, Cesare Battisti nous raconte qu’il a été contacté par des membres des services secrets. « C’est l’un d’eux qui a émis l’idée de ma fuite au Brésil (…) Une semaine plus tard, il a envoyé une autre personne m’apporter un passeport avec ma photo et mes données personnelles », affirme-t-il dans la revue  Istoe.

Décidément, rien de nouveau sous le soleil du Brésil.

La cavale de Battisti avait démarré quelques semaines aprèsshadok_complique_castaliecom.1233504162.jpg l’arrivée de Dominique de Villepin place Beauvau, en remplacement de Nicolas Sarkozy.

Trois ans plus tard, Battisti a été interpellé à Rio de Janeiro sur les instructions du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy (ici).

Je ne sais pas vous, mais moi la politique, j’y comprends rien.

Si quelqu’un a lu les petits carnets noirs du commissaire Yves Bertrand, il pourrait peut-être éclairer notre lanterne.

Cesare Battisti et les Brigades rouges

Magistral pied de nez à la France : le Brésil vient d’accorder le statut de réfugié politique à Cesare Battisti. Il avait a été arrêté le 18 mars 2007, à Rio de Janeiro, grâce à la filature d’un membre de son comité de soutien par deux policiers français. Depuis, il étaitcesare-battisit_romain-slocombe.1232093447.jpg incarcéré en attente d’extradition. À l’époque, à quelques semaines des élections présidentielles, Nicolas Sarkozy avait revendiqué cette arrestation. Les autres candidats s’étaient montrés plus tièdes : François Bayrou réclamant un nouveau procès et Ségolène Royal refusant de se prononcer.

Quelques voix s’étaient élevées pour soutenir l’ancien activiste italien d’extrême gauche, comme la romancière Fred Vargas, ou le philosophe Bernard-Henri Lévy ; tandis qu’au PS, François Hollande qui l’avait appuyé un temps, cette fois le lâchait.

Les Brigades rouges (BR) sont nées en octobre 1970, dans l’effervescence qui a gagné l’extrême gauche italienne après la mort de Giuseppe Pinelli. Ce dernier, arrêté lors d’un coup de filet dans le milieu anarchiste qui suit l’attentat à la bombe, le 12 décembre 1969 (16 morts et 98 blessés), contre la Banque de l’agriculture de la Piazza Fontana, à Milan, se jette par une fenêtre du quatrième étage de la préfecture de police. Il était interrogé par plusieurs policiers sous la responsabilité du commissaire Luigi Calabresi. La version du suicide est évidemment controversée, pourtant, elle ne semble pas faire de doute. D’ailleurs, en s’élançant, Pinelli aurait crié : « E la fine dell’anarchia ! » (C’est la fin de l’anarchie !). Mais il apparaît aussi que sa détention prolongée dans les locaux de police était arbitraire : à l’heure de sa mort, il aurait dû être soit libéré, soit emprisonné.

Incapables d’infiltrer le mouvement ouvrier, les BR choisissent très rapidement la lutte armée et les actions violentes, notamment contre les policiers, les magistrats, les journalistes et la classe politique. Plus de 70 assassinats leur sont attribués. Dont deux pour lesquels Battisti a été reconnu coupable et deux autres pour lesquels il a été reconnu coupable de complicité. En fuite, il a été condamné par contumace à la perpétuité.

Quant au commissaire Calabresi, il est tué devant chez lui le 17 mai 1972, de deux balles tirées par un homme qui prend la fuite à bord d’une voiture volée conduite par un complice. L’enquête, au point mort jusqu’au 20 juillet 1988, rebondit grâce à un « repenti » qui se présente spontanément devant les policiers pour avouer sa participation à ce meurtre. Dans la foulée, il dénonce son complice et les instigateurs qui ont ordonné l’exécution, dont Adriano Sofri (que je cite, car il vient de sortir un livre dans lequel, dit-on, il se reconnaît une responsabilité morale (?) dans la mort du policier – alors qu’il avait jusqu’à ce jour toujours clamé son innocence).

En octobre 2008, Mario Calabresi, le fils du commissaire assassiné, a également publié un livre Sortir de la nuit, aux éditions Gallimard. Il avait trois ans à la mort de son père.

Dans le début des années 80 (ici), de nombreux membres des brigades rouges et d’autres activistes de différents pays trouvent refuge dans l’Hexagone pour bénéficier de la « doctrine Mitterrand » : la France accueille les terroristes qui renoncent à la violence.

Cesare Battisti fait partie du lot. Après s’être exilé au Mexique, en 1990, il s’installe à Paris, où il devient gardien d’immeuble et auteur de romans policiers dans la Série Noire, alors cannibalisée par une camarilla d’extrême gauche. L’Italie demande son extradition. La France refuse.

Pourtant, au fil des ans, le discours de Mitterrand s’est sensiblement modifié. Lors d’un déjeuner avec le président du conseil italien, il aurait dit (source Wikipédia) : « Si les juges italiens nous envoient des dossiers sérieux prouvant qu’il y a eu crime de sang, et si la justice française donne un avis positif, alors nous accepterons l’extradition.(…) Nous sommes prêts à extrader ou à expulser à l’avenir les vrais criminels sur la base des dossiers sérieux. »

Mais à l’époque, en Italie, une condamnation par contumace est définitive. Battisti devait donc purger sa peine sans être rejugé. Ce qui pour Mitterrand aurait été un manquement trop flagrant à sa parole. Le cas Battisti incite l’Italie à modifier son Code de procédure pénale, et, depuis 2005, une personne condamnée en son absence peut obtenir un nouveau procès. Ce texte a été adopté en urgence avant qu’en France le Conseil d’État ne se prononce sur l’extradition de Battisti. Toutefois, selon certains juristes italiens, il n’est pas tout à fait certain que cela s’applique à son cas… Peu importe, puisqu’il a franchi nos frontières sans attendre la décision de la haute juridiction, laquelle a d’ailleurs confirmé l’extradition.

Pour la petite histoire, le fondateur des BR, Alberto Franceschini, déclare dans ses mémoires que Mario Moretti, l’un des fondateurs de la deuxième mouvance des BR, était manipulé par la CIA. On a parlé d’une « stratégie de la tension » qui aurait consisté à commettre des attentats pour gêner la progression du parti communiste italien et d’une manière générale empêcher la gauche d’arriver au pouvoir. Mais, en l’absence de preuve, cela reste du domaine des hypothèses.

Souvent les terroristes sont manipulés par des services secrets. Ainsi, le 2 août 1980, une bombe explose dans la salle d’attente de la gare de Bologne. On compte 85 morts et 200 blessés. Cette fois, les assassins sont d’extrême droite, mais l’intention n’était-elle pas de faire porter le chapeau aux BR ? Dans quel but, si ce n’est de créer des tensions dgare-de-bologne-attentat_wikipedia.1232094832.jpgans le pays…

Tous les membres des BR ont été jugés par des tribunaux ordinaires et des jurys populaires, non pas avec des lois d’exception, mais avec des lois ordinaires. Dès 1984, le président d’une Cour d’Assises a parlé de « la main tendue de l’État » et tout a été fait pour obtenir le repentir des accusés. Leurs peines ont été aménagées et, sauf erreur de ma part, plus aucun n’est derrière les barreaux.

Même s’il se dit innocent, Battisti a donc été condamné dans des conditions dignes d’une démocratie.

Pour mémoire, en France, les terroristes d’Action directe ont été jugés par des Cours d’assises spéciales, avec des lois spéciales et récemment Jean-Marc Rouillan (ici) a été reconduit en prison pour avoir donné une interview à un hebdomadaire (il doit se dire qu’il aurait mieux fait de franchir les Alpes).

Pour se faire une idée, voici ce qu’écrivait Pierre Assouline, dans son blog, en novembre 2005 (que je vous conseille de lire entièrement – ici) :

brigaterosse_rfi.1232095823.jpg« Battisti, né en 1954, a disparu l’an dernier quelque part en France au moment où la justice française s’apprêtait à l’extrader vers l’Italie. Cet ancien braqueur au casier chargé (vols, cambriolages, hold-up) s’était reconverti au temps des années de plomb dans « les expropriations prolétariennes » avec un groupe terroriste d’extrême-gauche « Les prolétaires armés pour le communisme ». Il exécuta d’une balle dans le dos le surveillant-chef de la prison d’Udine le 6 juin 1978, achevé à terre de deux balles tirées presque à bout portant. Le 16 février 1979, à Mestre, il participe sans faire lui-même usage de son arme au meurtre d’un bijoutier. Deux mois après à Milan, il tire à cinq reprises sur un policier  mais l’arme s’enraye. Arrêté le 26 juin avec ses complices, il est condamné à douze ans de détention. Grâce à l’aide d’un commando, il réussit à s’évader de prison au bout de sept mois. À la suite de nouveaux éléments dans l’enquête, il sera alors condamné à la prison à vie par contumace. »

Alors, Battisti… réfugié politique ?

La cellule invisible

C’est le nom de cette communauté anarchiste du plateau de Millevaches qui s’en serait pris à nos TGV. Cette menace de l’ultragauche dont nous parle la ministre de l’Intérieur est probablement sérieuse. Mais elle a beau faire, le procureur de Paris peut en rajouter une couche, ces terroristes n’arrivent pas à nous terroriser.

vaches-et-train_swissworldorg.1226783936.jpgOn aurait même tendance à les trouver sympa ces citadins qui s’implantent au fin fond de la Corrèze. Un rien baba-cool, non !

Pourtant, le choix de cette résidence n’est pas innocent. Ça doit-être l’abc du « petit anarchiste ». En tout cas certains truands ont compris depuis longtemps, qu’il est difficile pour les policiers d’effectuer des surveillances dans un cadre… champêtre, où le moindre visage inconnu attire l’attention. Et puis, comment installer des caméras dans les arbres, surtout en automne ?

Alors, qu’est-ce qui chiffonne dans cette affaire ? Eh bien, malgré les congratulations adressées aux policiers (ici) par les plus hautes autorités de l’État, on a l’impression que ça a merdouillé.

Car d’après les explications de Madame Alliot-Marie, ces individus étaient surveillés depuis de longs mois par la DCRI. Il y avait eu des échanges d’informations entre les services secrets américains et ceux de plusieurs pays européens, dont la France. Il s’agissait selon toute vraisemblance de cibler toute une mouvance plus ou moins internationale susceptible de basculer un jour ou l’autre dans l’affrontement armé. Un beau travail sur le long terme pour des services de renseignements. Et pis voilà !…

Quelques TGV prennent du retard… On imagine les coups de fil de l’Élysée… Les réunions en catastrophe et la DCRI obligée de casser le morceau : « Euh !… On pense qu’on a localisé les… » Aussi sec, la PJ est saisie « Euh !… Il faudrait essayer de les faire en flag… »

Désolé, les enfants, le temps presse. Ça piaffe à l’Élysée ! Alors, arrêtez-moi tout ce beau monde…

Et voilà comment on cochonne une affaire. « Structure à vocationpetard.1226773397.gif terroriste », ce sont les mots utilisés pour qualifier l’infraction et justifier la mise en examen de Julien Coupat, le chef présumé de ce groupuscule. Lui et ses acolytes vont être englués dans une procédure d’association de malfaiteurs comme des mouches sur un papier tue-mouches, mais à votre avis, sont-ils coupables de faits ou d’intentions ?

Cela rappelle curieusement la cellule élyséenne de Mitterrand, lorsqu’elle a interpellé à Vincennes ces Irlandais devenus célèbres, qui rêvaient d’une révolution qu’ils ne feraient jamais. Souvenez-vous, c’était en 1982, après l’attentat de la rue des Rosiers…

Finalement, qu’on ait un Président de gauche ou de droite, lorsque la politique se mêle aux enquêtes de police, on arrive toujours à des arrestations paillettes.

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