LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 24 of 25)

Les limites du secret médical

Le petit Marc, 5 ans, est mort en janvier 2006. C’était un enfant martyrisé. Aujourd’hui, deux médecins se retrouvent sur le banc des accusés devant la Cour d’assises de Douai. On leur reproche de ne pas avoir réagi, malgré les traces de coups, les blessures…

Une semaine avant son décès, Marc avait le bassin fracturé et des côtes cassées. « Comment se fait-il que vous n’ayez pas procédé à un examen complet ? » demande l’avocat général au médecin généraliste. L’autre bafouille.

Pourtant, aucun des deux praticiens ne se retranche derrière le secret médical. En effet, depuis une loi de 2004 (art. 226-14 du Code pénal) le secret médical est levé lorsqu’il s’agit de maltraitances à enfants.

catherine-bonnet_wittecomitesblancsbe.1225870512.jpgCe n’était pas le cas il y a quelques années. C’est ainsi que Catherine Bonnet, pédopsychiatre, a été condamnée à neuf ans d’interdiction d’exercer par le Conseil de l’ordre d’Île-de-France, pour avoir signalé aux autorités judiciaires le cas de jeunes enfants victimes d’agressions sexuelles de la part de leurs parents. Après appel devant le Conseil de l’ordre national, cette peine avait été ramenée à 15 jours et deux blâmes. Mais cette femme, auteur de plusieurs ouvrages sur les enfants, dont l’autorité médicale est incontestée, a subi à l’époque des pressions invraisemblables. Elle s’est retrouvée sans emploi et les gens se sont détournés d’elle. Que lui reprochait-on ? Elle avait trahi le serment d’Hippocrate : « Admis à l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés… »

La loi actuelle délivre donc le médecin du secret professionnel en présence d’un enfant maltraité. Mais, un rien hypocrite, le législateur ne fait pas obligation aux praticiens de dénoncer les faits. Elle dit qu’il peut le faire sans risque. Dans une telle situation, le médecin a donc deux casquettes. En tant que praticien, il a une obligation de soins, et comme citoyen une obligation d’assistance.

Très bizarrement, le Code pénal ne cite pas les avocats. Si dans l’exercice de ses fonctions, l’un d’eux apprenait par exemple que son client martyrise un enfant, il ne pourrait rien faire.code-penal_francesoir.1225870757.jpg

Rien faire en tant qu’avocat.

Cela me rappelle une réplique dans un film, Blade 2, je crois (s’il y a un cinéphile?). C’est une réunion de vampires à laquelle participe un jeune homme, costume-cravate. « Et lui, c’est un humain ? demande l’un des vampires. Non, répond l’autre, il est avocat. »

Les détectives privés

Les surveillances exercées sur Olivier Besancenot mettent de nouveau sous les feux de l’actualité une profession mystérieuse, au statut toujours incertain : détective privé – ou plus exactement agent de recherches privées (ARP).

On dit que la « police privée » voit le jour en 1825, sous la houlette de detective_peinture_barryblend.jpgGuy Delavau, préfet de police de la Restauration. Mais c’est Eugène-François Vidocq qui lance la profession. En 1833, il crée le « Bureau de renseignements pour le commerce » qui fournit aux commerçants renseignements et surveillances moyennant finance. C’est le premier cabinet de détectives privés. Le succès est au rendez-vous et il est rapidement copié, notamment par des policiers à la retraite. La machine est lancée.

À la même époque, outre-Atlantique, un immigrant écossais du nom d’Allan Pinkerton crée l’officine d’investigations privées qui deviendra la plus célèbre au monde, la « Pinkerton’s national detective agency ». Il a notamment fait échouer, en 1861, un complot contre le président Abraham Lincoln.

En France, pendant longtemps, cette activité n’a obéi à aucune règle. Une simple déclaration en préfecture suffisait, une rapide enquête des RG, et c’était tout. N’importe qui pouvait se dire détective privé. La profession a donc tenté de s’organiser vaille que vaille. Au fil des ans, divers textes ont été promulgués, pas vraiment pour lui donner un statut mais plutôt pour l’encadrer, la contrôler. Puis il y a eu plusieurs décrets visant toutes les professions qui touchent à la sécurité privée (1983, 1985, 2005…) Pour exercer cette activité, il faut dorénavant un certificat professionnel. Celui-ci peut prendre différentes formes, et les anciens policiers et gendarmes en sont dispensés.

la-verite-de-jack-palmer-par-petillon.jpgJ’ai personnellement exercé ce job durant un court délai. Je n’en garde pas un très bon souvenir. Entre les affaires sordides de garde d’enfants, d’adultère ou de pensions alimentaires, ou, pour les entreprises, la surveillance de salariés soupçonnés de malhonnêteté, les informations sur les concurrents, ou le flicage de délégués syndicaux (ce qui est interdit par la loi). Non, pas de bons souvenirs.

Certains détectives privés cherchent à sortir du traintrain. Ils se sont spécialisés dans la contre-enquête judiciaire (au grand dam des enquêteurs officiels) mais parfois avec quelques réussites – réelles ou médiatiques (affaires Omar Raddad, Dany Leprince…).

Il faut savoir que de fait, les détectives privés n’ont aucun pouvoir particulier. Ils n’ont droit ni à la carte de réquisition ni au port d’armes. En l’absence de moyens d’investigations, ils sont obligés de « se débrouiller ». Si par exemple, ils veulent identifier un véhicule, connaître les antécédents d’un individu, etc., ils sont obligés de faire appel à des policiers en exercice. (Il existe certains passe-droits pour les assureurs.) Du coup, ils se mettent hors la loi et il en est de même des fonctionnaires qui les assistent. L’avantage des recherches informatisées, c’est la traçabilité. Chaque policier doit entrer son code personnel pour consulter un fichier. Aussi, en général, cela se termine par une enquête de l’Inspection générale. Les bœuf-carottes s’interrogent alors sur la motivation de leurs collègues : le fric, l’amitié ou l’espoir d’obtenir un bon tuyau en retour ? (Vidocq était un indic de la police.) Tous les amis avec qui j’ai partagé ce boulot ont eu un jour ou l’autre des soucis : écoutes, filatures, perquisitions, garde à vue. Et pour certains, au bout du compte, la mise en examen.

Si l’on en revient aux surveillances effectuées sur Besancenot, il est facteur_franskacnorddk.1224055434.jpgvraisemblable que des policiers aient aidé les enquêteurs privés. La question est donc de savoir pour quelle raison… Et la deuxième question est de connaître le nom du commanditaire. Je ne pense pas que le secret professionnel puisse s’appliquer aux ARP. C’est à vérifier. Ici, le directeur de SMP Technologies est sur la sellette. Cette entreprise a un contrat important (et exclusif) avec le ministère de l’intérieur, notamment pour la fourniture des pistolets à impulsions électriques. À dire vrai, on ne voit pas très bien quel pourrait être l’intérêt du patron de Taser-France à faire surveiller le petit facteur… Certainement pas pour cette histoire de plainte en diffamation… Une broutille. À moins qu’il ne roule pour quelqu’un d’autre… ou que lui-même ne soit manipulé… Le monde du renseignement est un monde parano.

À noter qu’on ne peut reprocher aux privés d’effectuer des surveillances (c’est leur métier), mais – légalement – celles-ci ne doivent pas aller jusqu’à violer l’intimité des gens. À notre époque où les mouchards électroniques sont légion, où diable commence notre intimité ?

N’empêche que dans certains cas, les ARP peuvent rendre de sacrés services, surtout dans les litiges civils. Car dans ces affaires le préjudice n’est que… matériel. Et puisqu’il s’agit d’argent, il n’est pas anormal de payer pour faire une enquête. D’ailleurs, lorsqu’on se porte partie civile devant un juge d’instruction, ce dernier demande le versement d’une caution et une partie de cet argent est utilisé pour couvrir les frais des policiers ou des gendarmes.

Pour conclure, on peut dire que les privés ne sont populaires qu’au cinéma ou à la télé. Les flics ne peuvent pas les sentir, les journalistes ont du mal à les prendre au sérieux, et on leur a même refusé l’étiquette de « détective privé », qu’on trouvait sans doute trop valorisante, trop polar, pour leur coller le titre d’agent de recherches privées.

inspector-gadget-0.1224055564.gifPourtant, si l’on réfléchit bien, dans notre système judiciaire qui devient de plus en plus à charge, au point que parfois il est demandé aux suspects de prouver leur innocence, il y a un sacré vide. Les avocats n’ont ni la formation ni le temps pour effectuer des contre-enquêtes. Le détective privé pourrait rétablir l’équilibre de la balance de la justice, comme c’est le cas aux USA. Mais il faudrait pour cela leur donner le statut d’auxiliaires de justice, statut qu’ils revendiquent à cor et à cri.

Cela donnerait aux détectives privés une véritable place dans l’institution judiciaire, sans qu’il n’en coûte un cent aux contribuables.

Rouillan dérouille

Le mot « liberté » est prononcé pour la première fois après 21 ans de régime de haute sécurité. […] Il a suffi d’un seul mot, un mot magique, et la prison s’éloigne déjà et me laisse à quai. Sans but, je traîne près des cabines. Sur la coursive, un maton affiche la nouvelle note de service signée par la directrice intérimaire : « Je rappelle à l’ensemble de la population pénale que l’utilisation des cordes à sauter à des finsjean-marc-rouillan-action-directe-conference-de-presse_lci.jpg sportives ou ludiques n’est autorisée que sur le gymnase de l’établissement, sous le contrôle du surveillant moniteur de sport. En conséquence toute utilisation de corde à sauter en bâtiment ou sur les cours de promenade est formellement interdite… »

Je souris…

C’est Jean-Marc Rouillan qui parle, dans un texte publié le 22 octobre 2007 sur le blog qui soutient Action directe.

Je n’ai aucune admiration pour le personnage. Je n’oublie pas qu’il s’agit d’un assassin et non d’un combattant, comme certains voudraient nous le faire croire. Lorsqu’il a tué, il n’a laissé aucune chance à ses victimes. Pas une n’a eu la possibilité de se défendre. Elles ont été les otages d’une cause dont elles se fichaient, comme à une autre époque pour servir une autre cause on alignait des innocents devant un mur.

Cependant, dans un État de droit, il n’y a pas de restriction au droit. Et à ce titre, Rouillan a bénéficié il y a un an d’un régime de semi-liberté, avec au bout, une belle carotte : la liberté conditionnelle.

shadok_complique_castaliecom.jpgMais la prison doit rendre candide. Car lorsque Christophe Barbier, que l’on sait très proche de l’Élysée, lui envoie l’un de ses journalistes pour l’interviewer, il ne sent pas le piège. Il doit se dire que politiquement, il ne compte pas. Et il a raison. Mais il « encombre » quelqu’un d’autre : le petit facteur…

Or, Olivier Besancenot grignote peu à peu de l’audience politique. A ce rythme-là, il va bientôt prendre la place de challenger pour les prochaines élections présidentielles – et du même coup il va faire le lit du candidat de droite.

En effet, rappelez-vous 2002 ! La gauche clamait :  » Votez escroc, pas facho !  » Résultat : Chirac est réélu avec plus de 82 % des voix.

Un tel score, ça donne des idées, non ?!

Alors, en 2012, on pourrait bien entendre crier :  » Votez Sarko, pas gaucho ! « 

A une autre époque, on dit que Mitterrand avait scellé un pacte avec Rouillan avant de prendre une mesure d’amnistie pour les crimes commis par Action directe – et il avait été cocu*. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais cette fois, on a bien l’impression que le cocu, c’est Rouillan.

* Voici un extrait de  » La PJ de 1982  » sur ce blog : (…) Pendant ce temps, les vrais terroristes nous terrorisent. La France est un champ de bataille. Action directe se scinde en trois. Une partie renonce à la lutte armée, une autre fait alliance avec la Fraction armée rouge et la dernière, dite branche lyonnaise, se lance dans des actions antisémites. En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris : un mort et soixante-trois blessés. En juin, un commando d’Action directe s’en prend à l’école américaine de Saint-Cloud. En juillet, c’est une banque. Le caissier est blessé. En juillet, une bombe explose, rue Saint-Maur, à Paris ; puis c’est le consulat de Turquie, à Lyon qui est visé. Le même mois, une bombe explose près de la cabine téléphonique du Pub Saint-Germain, dans le VI°. Le 9 août, c’est la fusillade du restaurant Goldenberg, dans le quartier juif, et la fusillade de la rue des Rosiers. L’été n’en finit pas. A Paris, voiture piégée devant l’ambassade d’Irak, bombe contre l’hebdomadaire Minute… Le 21 août, deux démineurs de la préfecture de police sont tués alors qu’ils tentent de désarmorcer une charge d’explosif sous la voiture d’un Américain. Le 17 septembre, un véhicule de l’ambassade d’Israël explose en plein Paris, faisant près d’une centaine de blessés. Etc. Cette année 1982, des centaines de personnes sont mortes ou ont été blessées victimes d’attentats. Et pendant ce temps, la police tourne au ralenti.

Une affaire carrée

L’enquête sur le meurtre de la jeune suédoise Susanna Zetterberg a été résolue en quelques jours. Je sais bien, tant que l’homme mis en examen n’a pas été condamné…

Si l’on veut bien s’attarder sur la technique utilisée par la PJ pour mener à bien cette affaire, on retient d’abord une chose : Il s’agit d’une enquête traditionnelle. On a tellement pris l’habitude de nous bassiner avec l’Adn, les fichiers ceci, les écoutes cela, qu’il est important de le souligner.taxi_journalchretien.1209401081.jpg

Ici, les péjistes ont fait du porte-à-porte. Ils ont enregistré les déclarations des témoins, des amis, etc. Puis, lorsqu’ils ont appris l’existence du texto de la jeune femme qui s’inquiétait du comportement du chauffeur de taxi, ils ont fouillé les fichiers, les dossiers, pour finalement tomber sur le suspect idéal. Faux chauffeur de taxi, vrai détraqué sexuel. Et, avec le concours de la brigade antigang, ils l’ont filoché afin de tenter de récupérer le maximum de preuves. Lorsqu’ils l’ont surpris en train de déterrer quelque chose dans le bois de Boulogne, ils ont décidé de l’interpeller. Quasi en flag !

Donc, fi de tous les gadgets à la mode, il s’agit d’une vraie enquête de flics, telle que la pratiquaient les anciens.

Chapeau !

Les pinailleurs détecteront toutefois une particularité intéressante dans le déroulement de cette enquête – cette fois, côté justice.

Le corps de la jeune femme a été retrouvé le dimanche 20 avril 2008, dans l’Oise, hors du ressort de compétence de la préfecture de police. Concomitamment (ou presque) à cette macabre découverte, les amis de Susanna s’inquiétaient de ne pas l’avoir revue et signalaient sa disparition à la police parisienne.

Les gendarmes chargés de l’enquête en crime flagrant ont donc fait les constatations sur les lieux, sur le corps, etc., et leur enquête semblait avancer rapidement puisqu’ils avaient déjà fait un rapprochement (judicieux) avec une agression similaire.

Et le mardi 22 avril, badaboum ! le procureur de Senlis se dessaisit au profit du parquet de Paris – lequel charge illico la brigade criminelle de la poursuite des investigations. On imagine la tête des gendarmes…

Je crois qu’il s’agit là d’une première. En effet, le seul lien qui relie la capitale au meurtre de Susanna Zetterberg est le fait qu’elle ait pris un taxi à Paris. En l’état, on ne sait pas où le crime a été commis, mais tout laisse supposer que ce n’était pas sur le ressort territorial de la préfecture de police.

Il s’agit donc d’un tour de passe-passe judiciaire pour que cette affaire soit traitée à Paris.

Dans la même lignée, pour justifier que les pirates du golfe d’Aden soient jugés en France, on a dit qu’il s’agissait de terroristes – sans abuser quiconque. Par ailleurs, autre bizarrerie, il semble que les coupables n’aient pas été placés en garde à vue mais en détention administrative. Ce qui est également une première.

Honnêtement, si ces deux affaires n’étaient pas aussi graves, on serait en droit de s’interroger sur ces interprétations très approximatives du code de procédure pénale.

L'Adn de Machin

Au début de mois de mars, un homme sonne à la porte de la brigade criminelle : « Bonjour, je m’appelle David A. c’est moi qui ai tué Marie-Agnès B, sous le pont de Neuilly. ».

pont-de-neuilly_infos-trafic-paristf1fr.1206983588.gifC’est évidemment impossible. L’assassin de cette dame a passé 48 heures en garde à vue, dans les locaux du 36, il y a 7 ans – et il a reconnu les faits. Il s’agit de Marc Machin, un SDF de 19 ans (à l’époque). Un pauvre type rongé par l’alcool et par la drogue.

Il a d’ailleurs été condamné en 2004 à 18 ans de réclusion criminelle.

C’est à l’honneur de la brigade criminelle de ne pas hésiter à rouvrir le dossier et à vérifier les allégations du farfelu qui vient ainsi remettre leur travail en question.

Et il faut reconnaître à Philippe Courroye, le procureur de Nanterre, une certaine audace pour suivre les enquêteurs dans leur démarche. Il demande une comparaison de l’Adn de ce… soi-disant criminel avec les prélèvements effectués sur les vêtements de la victime, en 2001. Et il y a concordance.

On ne peut pas dire que David A. a tué madame Marie-Agnès B., mais on peut affirmer qu’il était présent au moment où ce crime a été commis.

Il appartient maintenant à la commission de révision de se prononcer. Mais le résultat ne fait aucun doute : cette affaire sera rejugée.

Il y a un enseignement à tirer de ces événements.

Le procureur de Nanterre a déclaré que ces nouvelles analyses Adn ont été rendues possibles grâce à « de nouvelles méthodes scientifiques » (source : Le Point). Alors la question est la suivante : Pourquoi le fichier Adn (FNAEG) n’est-il jamais utilisé pour confirmer ou infirmer des jugements rendus avant sa mise en fonction ? Puisqu’on nous impose ce flicage génétique, pourquoi ne pas exploiter toutes les possibilités offertes par la police scientifique ? Pourquoi la justice française refuse-t-elle d’envisager l’existence d’erreurs judiciaires ? – etdatisoldes_jym-mgcdblogspotcom.1206983745.jpg qu’en ce moment il y a sans doute des innocents derrière les barreaux. N’en sortirait-elle pas grandie ? Aux États-Unis, des centaines de condamnés – dont certains à la peine de mort – ont ainsi été innocentés. Pourquoi pas chez nous ?

A cause de textes de loi anachroniques : En effet, pour réviser un procès, il faut un élément nouveau – comme une recherche Adn « causante ». Mais pour faire une recherche Adn, il faut… un élément nouveau. Glup !

Ne serait-il pas flatteur, Madame le Garde des Sceaux, que nous associassions votre nom à une loi équitable, comme dans un passé récent (et simple) nous associâmes le nom de Robert Badinter à la suppression de la peine de mort ? Ouf ! – Une loi Dati, ça t’aurait de la gueule, non !

Je crois que les médias devraient appuyer une telle démarche. Mais je crains fort que cela ne soit pas pour cette fois. Ces jours-ci, les journalistes ont recherché dans leurs archives une photo de Marc Machin – vainement. Car cette affaire n’a jamais fait la Une. À défaut, ils ont publié celle du procureur de Nanterre, ou, comme Le Monde, les trottoirs du Pont de Neuilly.

Je vais te dire un truc, Machin ! Ton histoire, elle n’intéresse personne.

Le jeune et le magistrat

Début janvier 2008, Robert (j’ai changé le prénom) fête ses seize ans. Comme cadeau d’anniversaire, il souhaite suivre la préparation à la conduite accompagnée. Ses parents sont d’accord. Son père lui propose même un petit galop d’essai.

conduite-accompagnee_optimum-auto-ecolefr.1203516593.jpegLes faits se passent dans un petit village de Normandie. Le jeune homme se met au volant, le papa à ses côtés. Et ils font le tour du hameau.

Eh, bien sûr, ce qui devait arriver… Les gendarmes arrêtent le véhicule.

Contrôle d’état-civil. Le père explique. Contrôle de l’état de la voiture. Discussion entre les deux gendarmes. Le bon et le méchant ? Convocation du père et du fils pour le lendemain matin.

Peut-être le méchant aurait-il voulu aller plus vite et mettre le jeune homme en garde à vue. Après tout, il s’était rendu coupable d’un délit.

Rappelons que depuis la loi du 9 mars 2004, dite loi Perben II, la conduite sans permis est un délit punissable d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 15.000€. Or, depuis quelques heures, le jeune délinquant a seize ans révolus. Un âge charnière dans la grille pénale.

Et peut-être le bon aurait-il voulu fermer les yeux…

En tout cas, le lendemain matin, le méchant a gagné. Ce devait être le plus gradé. Les gendarmes enregistrent l’audition du père et dans un bureau voisin l’audition de son fils. Puis on passe l’enfant à la moulinette : Photo de face, de profil, relevé décadactylaire des empreintes digitales, et (probablement car le pauvre était dans un tel état qu’il n’a pas de souvenirs précis) prélèvement de son ADN.

Un mois plus tard, Robert est convoqué par la justice.

D’entrée, le substitut du procureur se montre bon enfant. Il lui dit : « Alors mon garçon, on conduit sans permis… ». Puis gentiment, il cherche à rassurer le jeune homme. « Allez, ce n’est pas si grave… Je te propose d’effectuer une journée de « travail d’intérêt général »… pour te punir de ton imprudence. Tu es d’accord ? » Bien sûr qu’il est d’accord, le Robert. Lui qui se voyait déjà derrière les barreaux.

Lorsqu’on m’a rapporté cette mésaventure, je me suis dit qu’il est quand même rassurant de croiser des hommes, des fonctionnaires, capables de faire front et de réagir selon leur conviction, loin du blabla officiel. Un enfant fautif se présente devant un magistrat et ce magistrat le reçoit comme un enfant… Et pour cet ado qu’il ne connaît pas, il humanise les lois, des lois votées par des gens détachés de la réalité – des lois désincarnées. Je ne sais pas sur quel article du Code pénal le substitut s’est appuyé pour prendre sa décision, je ne suis même sûr que cet article existe, mais je lui tire mon chapeau.

Avant de renvoyer Robert à ses études, il a même ajouté qu’il n’y aurait aucune trace au casier judiciaire. Et dieu sait si c’est important pour un petit homme au seuil de la vie professionnelle !louis-de-funes_forumdoctissimofr.1203516716.jpeg

Mais qu’en est-il des fichiers informatisés de la gendarmerie ? Ces traces-là, elles sont à vie. Je veux penser que ces deux gendarmes, le bon et le méchant, jouaient un rôle, juste pour impressionner le garçon, pour lui faire peur, pour lui mettre du plomb dans la tête. En un mot, qu’ils ont fait semblant, qu’ils se sont déguisés en croquemitaines pour la circonstance et qu’à peine Robert sorti de la gendarmerie, en souriant, ils ont jeté le dossier anthropométrique dans la corbeille à papiers.

Ouais, je veux le penser.

 

Peine après la peine

Le 15 août 2007, vers 14 heures 30, le petit Enis K. échappe à la surveillance de son père, devant son domicile, à Roubaix. Il a 5 ans, et il a été aperçu en alerte-enlevement-pour-le-jeune-enis.jpgcompagnie d’un inconnu âgé de 40 à 50 ans. Ces éléments sont suffisants pour que le procureur donne son feu vert au déclenchement du plan « Alerte enlèvement ».

Il est retrouvé la nuit suivante, dans un garage où il était séquestré. L’enfant a été violé. Son ravisseur, Francis Evrard, n’en est pas à son coup d’essai. C’est un MRS (multirécidiviste sexuel). Il vient de sortir de prison. Bizarrement, on découvre sur lui une plaquette de Viagra, médicament qui lui aurait été prescrit avant sa libération (!).

Peu après, le président de la République déclare que de tels individus ne peuvent être remis en liberté. C’est ainsi que germe l’idée d’une peine après la peine.

Rachida Dati nous mitonne un projet de loi afin d’instituer dans notre droit pénal une nouvelle mesure privative de liberté : « la rétention de sûreté ». Applicable uniquement aux pédophiles et aux meurtriers d’enfants, elle permettrait de maintenir en « milieu fermé » des individus qui ont purgé leur condamnation.

Immédiatement, certains députés surenchérissent. Ainsi, le rapporteur, le député UMP Georges Fenech, veut élargir l’application aux personnes poursuivies pour des faits de meurtre, viol ou actes de torture, encourant une peine de quinze ans de réclusion criminelle ou plus. Autrement dit, à l’ensemble des criminels dangereux. Et pour faire simple à l’ensemble des criminels.

Mais, dans l’esprit du législateur, s’agit-il d’une sanction judiciaire ou d’une mesure administrative ? On réfléchit… Si cette peine n’est pas prononcée par un tribunal, on peut dire qu’il s’agit d’une rétention administrative. Est-il judicieux de rapprocher ainsi le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif ? Aux plus anciens, cela pourrait rappeler de mauvais souvenirs…

Je n’ai aucune compétence pour juger du bien-fondé de ce projet. Robert Badinter estime quant à lui qu’une telle réforme irait à l’encontre des fondements même de notre justice. Il a sans doute raison. Mais lorsqu’il nous dit que cette mesure est inutile puisqu’il existe déjà dans notre arsenal répressif la réclusion criminelle à perpétuité, il nous prend pour des imbéciles. Tout le monde sait que « perpète » est une peine purement virtuelle, et que la période de sûreté qui l’accompagne est au maximum de 22 ans.

Toutefois, je ne comprends pas la portée d’une telle loi ! Si elle devait être votée, pourrait-elle s’appliquer aux individus déjà condamnés ? Je ne pense pas que le Conseil constitutionnel l’accepte. Alors, on ne viserait que les futurs criminels. Et demain, loi ou pas, un nouvel Evrard pourrait sortir de prison. Certes, dans quelques années, la mesure deviendrait opérante, maisfrancis-evrard_photopresse.jpg dans ce cas, s’il s’agit de contrôler les futurs condamnés, ne serait-il pas plus simple de modifier les sanctions applicables à ces criminels – et surtout leur application ?

En l’état, il paraît difficile de nous faire comprendre la nécessité de prendre de nouvelles mesures pour protéger la société de criminels dangereux, lorsqu’on sait que Francis Evrard totalisait plusieurs condamnations pour crimes ou délits sexuels (pour un total de 47 ans), et qu’à sa libération, il était encore débiteur vis-à-vis de la société d’une petite vingtaine d’années de prison.

 

Association de malfaiteurs

Le capitaine Paul Barril a passé les fêtes de fin d’année à la prison des paul-barril_20minutes.1199187399.jpgBaumettes, à Marseille. Il a été mis en examen et écroué dans le cadre d’une procédure pour association de malfaiteurs.

L’infraction d’association de malfaiteurs est constituée pour toute personne appartenant à un groupe d’individus préparant un ou plusieurs crimes ou un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

À cette qualification pénale s’ajoutent deux particularités :

– La délation avant poursuite vaut exemption de peine.

– Le simple fait de ne pouvoir justifier de son train de vie constitue un délit.

Le délit (ou crime) d’association de malfaiteurs existe depuis longtemps dans notre Code pénal. Ce texte est en général peu utilisé car son application nécessite un travail de procédure titanesque – aussi bien pour les enquêteurs que pour le juge d’instruction.

Il permet, si on prend le code à la lettre, de poursuivre aussi bien des voleurs de poules que de grands criminels, à partir du moment où ils opèrent à plusieurs. Et, dans la foulée, on peut s’intéresser aux proches, aux parents, etc. : toutes les personnes au fait de l’activité répréhensible.

C’est une procédure fourre-tout. Bien menée, elle est d’une efficacité redoutable. Dans la pratique, le plus souvent, l’information judiciaire fait suite à une enquête préliminaire habilement bâtie. L’OPJ se voit alors doté d’une commission rogatoire, dite « générale », qui lui donne de nombreuses possibilités.

Lorsque je m’occupais du banditisme, au SRPJ de Versailles, nous avons à plusieurs reprises utilisé ce moyen pour mettre un terme à l’agissement d’équipes de braqueurs ou de casseurs que nous n’arrivions pas à surprendre en flag. À l’époque, bien des collègues étaient sceptiques, pourtant, dans tous les cas les magistrats nous ont suivis. Certains se sont même piqués au jeu. Pour le flic besogneux, cette procédure est une aubaine ; et pour le justiciable, c’est une calamité, car toutes les infractions sont mixées dans une procédure unique et la responsabilité de l’un déteint sur les autres.

C’est ainsi qu’on a pu lire ces jours-ci dans la presse que Paul Barril faitjoueur_pockeractu.peg l’objet de poursuites pour « association de malfaiteurs, en vue de la commission d’extorsion (de fonds ?) en bande organisée, en vue de la commission d’assassinats et de corruption »… On est donc en droit de se demander si Barril est l’auteur – présumé innocent s’entend – d’une escroquerie, d’un assassinat ou d’une banale subornation. Et l’on reste sur notre faim, car on n’en sait pas plus. Il s’agit en fait d’une affaire complexe à souhait concernant probablement la prise de contrôle d’une salle de jeux parisienne, Le cercle Concorde. Affaire dans laquelle on retrouve Roland Cassone, un vieux truand fiché au grand banditisme depuis des lustres et un banquier suisse pas vraiment blanc-bleu.

Je n’ai pas l’intention de défendre Barril, mais lorsque j’entends son ancien chef, Christian Prouteau, dire (de mémoire) : « C’était un type bien, mais il a viré de bord… », je me dis qu’on est en plein dans un règlement de comptes. (Partie supprimée à la demande du lieutenant-colonel B.) Prouteau a fini préfet. Et Barril a pris sa retraite en 1984. Il avait 38 ans (de quoi faire pâlir d’envie les cheminots et les ratépistes). Certes on peut reprocher au petit capitaine bien des choses (et ces temps-ci on ne s’en prive pas) comme le fait d’avoir entrepris, dans les années 80, des négociations hasardeuses avec Action directe ou le FLNC. Mais la critique est facile, maintenant qu’il ne fait plus peur. De son passage à la cellule élyséenne, il disait avoir conservé des documents compromettants contre Mitterrand, ce qui semble lui avoir valu une longue période de tranquillité. Mais aujourd’hui, ces documents n’intéressent plus personne. Aucun historien n’est disposé à fouiller dans les poubelles de l’Elysée. Dans 20 ans peut-être ! Cependant, si l’on se penche sur son C-V, on ne peut oublier ses faits d’armes. Barril a été l’élément moteur lors de la création du GIGN. Il a participé, (et bien souvent dirigé) de nombreuses opérations, dont certaines extrêmement périlleuses. Il a été moult fois félicité. Il s’est ensuite lancé dans le bizness de la sécurité, comme beaucoup d’autres gendarmes ou policiers. Un métier où l’on est toujours border line. Et il joyeux-noeil_picsou.1199194621.jpga réussi. Mais le bonhomme aime trop les médias. Il n’a pas su montrer la discrétion de l’un de ses collègues, Philippe Legorjus, qui a suivi le même itinéraire.

Tel que je connais Paul Barril, j’imagine la scène dans le cabinet d’instruction du juge Serge Tournaire, à la veille de Noël :

Barril : Ze n’ai rien à dire, monsieur le juge. Ze suis innocent.

Tournaire : Eh bien dans ce cas, vous passerez les fêtes en prison.

 

Amis lecteurs de ce blog, ceux que je connais et ceux que je ne connais pas, je vous présente mes meilleurs voeux pour cette nouvelle année. GM

La cour d'assises spéciale

En 1981, Mitterrand débarque à l’Elysée, et nous, le petit peuple, on a l’impression que tout va changer. Paris est en fête… Un vent de liberté souffle sur la France.

Pas question dans ce contexte de conserver le moindre tribunal d’exception. C’est donc la fin de la Cour de sûreté de l’Etat. Elle aura siégé une vingtaine d’années. Etimage_actualitesinfos.1197652555.jpeg contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, elle n’est pas remplacée. Seuls les crimes et délits militaires restent du ressort des magistrats professionnels. Mais quelques années plus tard, à défaut de recréer un tribunal d’exception, on va élargir la compétence de cette cour d’assises… militaire – sans pour autant rétablir le jury populaire. En catimini, une nouvelle juridiction est née. D’ailleurs, pour ne froisser personne, le code de procédure pénale ne l’a pas baptisée. On l’appelle la «Cour d’assises spéciale».

Le vent de 1981 n’était que pet de mouche.

La naissance d’une autre cour d’assises

En 1986, cette juridiction jusqu’alors réservée aux militaires voit sa compétence élargie aux affaires de terrorisme et aux accusés civils. Il s’agit de protéger les jurés, nous dit-on, après que plusieurs d’entre eux aient été menacés de mort par un membre d’action directe, Régis Schleicher.

En 1992, sans qu’on sache très bien pourquoi, son domaine est élargi au trafic de stupéfiants en bandes organisées.

On se retrouve donc aujourd’hui avec une juridiction commune pour toutes les infractions criminelles mais composées différemment selon l’interprétation que l’on donne à ces infractions.

L’appel en matière criminelle

Le 15 juin 2000, le législateur prend l’initiative de créer une possibilité d’appel en matière criminelle. On dit que c’est par souci d’équité, mais certains pensent différemment. Ils y voient une atteinte à la décision souveraine du peuple. L’avenir semble leur donner raison, puisque, deux ans plus tard, on octroi au procureur général la faculté d’interjeter appel d’une décision d’acquittement – ce qui n’a pas arrangé les affaires de Maurice Agnelet.

La Cour d’assises, disons normale

Elle est composée d’un président, de 2 assesseurs et de 9 jurés. En appel, le nombre de jurés est porté à 12. Pour qu’une décision «défavorable» à l’accusé soit applicable, elle doit faire l’objet d’un vote d’au moins 8 voix sur 12. En appel, il faut 10 voix sur 15. Ce qui donne un pourcentage identique, mais on peut dire que dans ce cas, les voix « populaires » sont légèrement prédominantes.palais-justice-paris_nimausensis.1197652678.jpeg

À rappeler que le choix des jurés se fait au hasard. Ils font l’objet de 4 tirages au sort avant d’arriver devant la Cour. Ensuite, ils peuvent encore être récusé, soit par la défense (6 récusations possibles), soit par le ministère public (5 récusations).

La cour d’assises, dite spéciale

Elle ne comprend aucun juré. Elle est composée de magistrats professionnels: le président et 6 assesseurs. En dehors de cette particularité, son fonctionnement est identique à celui d’une cour d’assises traditionnelle. Toutefois, en appel, elle compte 2 assesseurs supplémentaires, et elle peut se réunir dans la même ville qu’en première instance (avec des magistrats différents). Dans les deux cas, les décisions sont prises à la majorité simple.

Yvan Colonna sera donc rejugé par une cour d’assises composée d’un président et de 8 assesseurs, et probablement à Paris. À moins qu’on envisage une décentralisation. En tout cas, cela ne sera pas en Corse. La décision définitive sera prise avec une majorité d’au moins cinq voix.

Conclusion

Hier, la cour de sûreté de l’État ne statuait que sur des affaires concernant la défense ou la sécurité du pays. Ses magistrats étaient d’ailleurs les correspondants privilégiés de la DST. Aujourd’hui, la cour d’assises spéciale conserve les mêmes attributions. Mais on a accru ses compétences en lui octroyant le terrorisme intérieur (je ne pense pas que Colonna aurait été jugé par la cour de sûreté de l’État) et les affaires de stupéfiants. Gageons que cela ne s’arrêtera pas là.

shadoks.1197652819.gifTout cela, nous a-t-on dit en 1986, pour protéger les citoyens jurés. La vérité est qu’on veut mettre à mal l’un des derniers héritages de la Révolution: le jury populaire. Mais il ne faut pas trop le dire. C’est un peu comme les 35 heures : on n’y touche pas, mais on les flingue en douce.

 

La PJ, de 1991 à 1993

PARTIE 22 – Les dernières années de l’ère mitterrandienne ne sont pas les plus brillantes. Sans doute affaibli par la maladie et une médication de plus en plus aliénante, le vieil homme sombre dans la mégalomanie et la paranoïa.C’est la valse des Premiers ministres. Trop brillant, Rocard est remercié pour être remplacé par Edith Cresson, puis, un an plus tard, par Pierre Bérégovoy ; lequel laissera sa place à Edouard Balladur, lors de la deuxième cohabitation.

Au ministère de l’intérieur, c’est profil bas. En 1991, Philippe Marchand succède à Pierre Joxe. L’année suivante, Paul Quilès prend la relève, et, en 1993, c’est le retour de Pasqua. Heureusement, les hauts fonctionnaires de la place Beauvau, ceux qui de fait font tourner la boutique, se montrent particulièrement compétents. En hommes responsables, ils profitent de cette instabilité politique pour mettre en place les structures d’une police moderne.

Le 21 mars 1991, Jean-Louis Turquin, vétérinaire à Nice, signale la disparition de son fils, Charles-Edouard, âgé de 8 ans. Derrière ce fait–divers se cache une affaire trouble et alambiquée. En effet, un mois avant cet événement, Michèle, la femme de Turquin, l’a quitté. Peut-être, dans une ultime dispute, lui a-t-elle jeté à la face qu’il n’était pas le père génétique de son fils! Un test ADN lui confirme ce fait. Tout naturellement, il pense que le père de son enfant pourrait être un certain Jean-Marc Courraey, l’amant decharles-edouard-turquin.1188764400.jpeg son épouse. En découvrant ces éléments, les enquêteurs niçois se persuadent qu’ils détiennent là le mobile d’un crime, et que le vétérinaire a tué le petit Charles-Edouard pour se venger de sa mère. En l’absence de preuves, et même de cadavre, ils décident de le piéger. Ils favorisent une rencontre entre le suspect et son épouse. Cette dernière est chargée de lui soutirer des aveux sur l’oreiller. Ce qui se passe, exactement. Ces aveux sont enregistrés par les policiers. Quoique le procédé laisse perplexe, cet enregistrement sera la pièce maîtresse lors du procès qui aura lieu en 1997. Turquin comparaît libre. Bien qu’il clame son innocence en affirmant avoir été victime d’un véritable traquenard, il est condamné à vingt ans de réclusion criminelle. En dehors de cette cassette, il n’existe pourtant aucune preuve solide contre lui, et on n’a jamais retrouvé le corps du petit garçon. En 1999, un religieux israélien déclare – avec beaucoup de prudence – aux policiers de la PJ de Nice, qu’un enfant de seize ans placé dans une école rabbinique de Tibériade, en Israël, pourrait être le jeune Charles-Edouard. Une information qui mérite de sérieuses vérifications. Pourtant, les magistrats de la commission de révision des condamnations pénales estiment qu’il ne s’agit pas là d’un fait nouveau susceptible de permettre la révision du procès. Donc, pas de nouvelle enquête. Détenu modèle, Turquin a fait l’objet d’une libération conditionnelle en 2006. À sa sortie de prison, il a déclaré qu’il ferait tout pour savoir ce qu’était devenu son fils, « jusqu’au bout, jusqu’à ma mort. »

En novembre, Gérard d’Aboville traverse le Pacifique à la rame, et quelques mois plus tard, le 7 février 1992, le traité de Maastricht est signé. Il prévoit entre autres la naissance d’une citoyenneté européenne et la mise en place d’une monnaie unique. Les Français l’ont pourtant ratifié du bout des lèvres, avec 51,04 % de oui.

europol-a-la-haye_photo-wikipedia.1188754872.jpegC’est à la suite de ce traité que l’office européen de police, dit Europol (European Police Office), voit le jour. Cet organisme a pour objectif de gérer les renseignements relatifs aux activités criminelles en Europe. Son siège se situe à La Haye, aux Pays-Bas, et son personnel comprend des représentants des services dits répressifs (police, gendarmerie, douane, immigration…), des pays membres. Il faudra attendre le 1er juillet 1999 pour qu’Europol soit vraiment opérationnel. Pour la France, c’est la police judiciaire qui en prend la direction. Elle se voit également attribuer la gestion du bureau SIRENE-France du système d’information Schengen.

En juin 1992, débute le procès du sang contaminé qui met en cause le Premier ministre de l’époque, Laurent Fabius, et, quelques mois plus tard, François Mitterrand annonce publiquement qu’il est atteint d’un cancer, ce que tout le microcosme politico journalistique savait et dont personne n’avait osé parler. C’est en fait en 1981, lors de l’examen médical qui a suivi son investiture, que les médecins découvrent chez lui un cancer avancé de la prostate, avec métastases. Ils lui donnent peu de temps à vivre. Ils se sont trompés – et lui nous a trompés.

Le 1er mai 1993, Pierre Bérégovoy célèbre la fête du travail à sa manière. Il se tire une balle (certains disent deux) dans la tête avec l’arme de son garde du corps, un 357 magnum. On raconte qu’il n’a pas supporté les commentaires de la presse sur un prêt d’un million de francs obtenu du richissime Roger-Patrice Pelat. Ce dernier, ami proche du président de la République, avait été inculpé de délit d’initié en 1989. Son décès opportun, un mois plus tard, éteint l’action publique et étouffe une grande partie de l’enquête sur l’affaire Pechiney-Triangle, un rachat de sociétés à l’arrière-goût de magouille. La mort de ces deux hommes, comme celle de François de Grossouvre, qui s’est suicidé dans son bureau à l’Elysée ou celle du capitaine Pierre-Yves Guézou, le responsable au GIC (groupement interministériel de contrôle) des écoutes téléphoniques de la cellule antiterroriste, retrouvé pendu à son domicile, et bien d’autres encore, illustrent la face obscurepitbull_gentil.1188755012.jpg de Mitterrand. Ces morts font partie de son mystère. Ce qui ne l’empêchera pas, aux obsèques de Bérégovoy, de déclarer, péremptoire: « Toutes les explications du monde ne justifieront pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme ». Les journalistes ont perçu ces mots comme une insulte. Ils se sont montrés un rien paranoïaques, car si l’on décortique cette phrase… Question : Qui a livré aux chiens l’honneur d’un homme ? Réponse : Les journalistes. Alors, nouvelle question : Qui sont les chiens auxquels les journalistes ont livré l’honneur d’un homme ? Réponse: Nous.

Le 13 mai 1993, un homme prend en otages les enfants d’une classe maternelle de l’école Commandant Charcot, à Neuilly-sur-Seine. Il a le torse ceint d’une ceinture d’explosifs et menace de tout faire sauter s’il n’obtient pas une rançon de cent millions de francs. Cette affaire, habilement traitée par le RAID, à qui le ministre de l’intérieur, Charles Pasqua, a eu la sagesse de donner carte blanche, a été résolue sans qu’aucun enfant ni aucun enseignant ne soit blessé. À noter que Nicolas Sarkozy, alors ministre du budget, et maire de Neuilly, n’a pas manqué de courage. Il est allé lui-même parlementer avec le forcené. Pour avoir pratiqué, dans d’autres circonstances, je puis affirmer que ce n’est pas évident. En négociant habilement, il a réussi à faire sortir plusieurs enfants. De ce marchandage, on retiendra surtout cette petite phrase : «Tiens, tu me donnes le petit Noir, là!». Et il a surtout montré son sens de la mise en scène en sortant de la classe avec l’enfant dans les bras. Lorsque Eric Schmitt, celui qui se faisait appeler HB (Human Bomb), a été abattu de trois balles, il restait six enfants dans la classe. Après coup, certains ont tenté de chicaner sur les méthodes utilisées, mais la mayonnaise n’a pas pris. On ne touche pas aux enfants.

ecole-commandant-charcot.1188755376.jpegMon fils se trouvait dans cette école. Je peux témoigner que les enseignants, sous la houlette du directeur, Monsieur Chauvin, ont été à la hauteur. Dans sa classe, la maîtresse, Madame Moreau (si j’ai bonne mémoire), a annoncé à ses élèves qu’ils allaient faire une promenade au bois de Boulogne. Et tous sont sortis sagement, par l’arrière de l’établissement. Quant à la gardienne, dont j’ai oublié le nom, elle ne s’est jamais pardonnée d’avoir laissé entrer dans son école, ce monsieur trop poli qui venait pour contrôler les canalisations de gaz.

Le 8 juin 1993, l’ancien secrétaire général de la police sous le régime de Vichy, René Bousquet, est assassiné par un certain Christian Didier. Les motivations de ce dernier ne sont pas très claires. En tout cas, la mort de Bousquet le réduit au silence, au moment où il allait être jugé pour « crimes contre l’humanité ». Ce qui a dû arranger bien des gens. Le mois suivant, pour relancer l’économie de la France, le Premier ministre Edouard Balladur lance un emprunt de quarante milliards de Francs.

Le commissaire Jobic – « Une plainte contre un magistrat, c’est inadmissible. Je risque la cour d’assises, moi ! » C’est ainsi, grosso modo, que le juge d’instruction Jean-Michel Hayat justifie la mise en détention de l’homme assis face à lui. Il faut dire que ce dernier a eu la mauvaise idée de déposer plainte (contre X) pour forfaiture et atteinte à la vie privée. Le 22 juin 1988, les portes de la prison de Bois-d’Arcy se referment sur le commissaire Yves Jobic.

Jobic est chef des unités de recherches de la 1e division de Police judiciaire. En 1983, il a 25 ans, il sort major de sa promo. À coup sûr, ses diplômes lui auraient permis d’envisager une carrière plus lucrative, ou plus «aristocratique», dans la magistrature par exemple. Mais il voulait être flic. Célibataire, passionné, il se donne entièrement à son boulot. Et, en quelques années, il peut afficher un bilan des plus positifs. Un sacré tableau de chasse, comme on dit dans la maison.commissaire-jobic_livre-le-taillanter.1188755494.jpg

Lorsque, le 10 octobre 1986, le SDPJ 92 (service départemental de police judiciaire des Hauts-de-Seine) saute en flagrant délit un petit dealer du port de Gennevilliers, Jobic ne se doute pas que cette banale arrestation va chambouler sa vie. Les enquêteurs remontent la filière et bouclent l’affaire, que le substitut du procureur confie au juge d’instruction Jean-Michel Hayat. L’une de ces enquêtes sans gloire qui nécessitent beaucoup de travail pour un résultat souvent décevant.

Un peu plus tard, les policiers du SDPJ 92 interpellent, toujours en flagrant délit, d’autres individus soupçonnés de se livrer également à la revente de drogue. Tous ces dealers se connaissent, ils traficotent tous entre eux. Aussi, le substitut du parquet de Nanterre décide-t-il, dans un louable souci d’efficacité, de donner un supplétif au juge Hayat, pour regrouper les suspects dans un dossier unique. Parmi ceux-ci, figure un certain Jean-Claude Mustapha, alias Aziz. C’est un informateur du commissaire Jobic. Dès qu’il reçoit l’information, Jobic se rend au SDPJ 92. Il expose le problème à ses collègues, les commissaires Monera et Lafille, mais il est trop tard, la procédure est bouclée. Jobic est tenace. Il rend visite au substitut de Nanterre qui, prudemment, lui conseille de s’adresser au juge Hayat. Ce qu’il fait.

Jean-Michel Hayat est un magistrat brillant – mais engagé. Il fait partie du syndicat de la magistrature, très politisé et nettement à gauche, dont son épouse, Adeline Hazan, est d’ailleurs la présidente. À cette époque (je ne suis pas sûr que les choses aient beaucoup changé), les relations entre ce syndicat et la préfecture de police, « la forteresse », comme ils l’appellent, ne sont pas au beau fixe. Cela peut-il expliquer le comportement de Hayat ? Le fait est qu’il voit d’un mauvais œil la démarche de Jobic. Il ne comprend pas ses motivations. Il interprète mal ses objectifs. En fait, il pense qu’il s’agit d’un flic ripoux. Et il fait appel au commandant Morel, de la section de recherches de la gendarmerie de Versailles, pour le mettre sous surveillance.

Dans le cercle de la toxicomanie et de la prostitution, on rencontre le plus souvent des gens psychologiquement affaiblis, dépendants, et prêts à tout pour se procurer de la drogue ou simplement un condé. Il est donc aisé de recueillir des déclarations qui vont dans le sens de ce qu’on veut entendre. Mais Hayat ne le sait peut-être pas. Les preuves (?) qu’il accumule contre Jobic ne sont que témoignages de ce genre. Pourtant, lorsque les commissaires Monera et Lafille, du SDPJ 92, enregistrent les dires d’une prostituée, Patricia B., il aurait dû faire tilt. Celle-ci déclare que le juge lui a demandé d’attirer le commissaire Jobic dans les Hauts-de-Seine (département où le magistrat est compétent), et, à son insu, de lui glisser de la drogue dans les poches, pour le faire arrêter par des gendarmes. Mais, rigide dans ses bottes, Hayat prend la plainte en forfaiture que dépose Jobic, comme une déclaration de guerre. Et il se noie dans ses erreurs.

Roger Le Taillanter, dans son livre Commissaire Jobic, aux éditions de Fallois, rapporte la bombe lancée par Yves Jobic lors de son procès. A l’issue d’une confrontation de douze heures, le juge a concédé : « Monsieur Jobic, cela fait un an que j’accumule des témoignages contre vous. Je n’ai pas d’éléments matériels et je n’ai pas décelé d’éléments suspects dans votre train de vie. Mais j’ai l’intime conviction que vous êtes le maillon d’un important réseau de policiers qui alimente, avec l’argent de la prostitution, les finances d’un parti d’opposition… » Même à TF1, ils ne prendraient pas ce scénario. Le dernier jour de l’audience, après le délibéré, le Président du tribunal annonce le verdict : « Yves Jobic, vous êtes déclaré non coupable… »

jean-michel-hayat_ecole-journalisme-de-nice.1188755462.jpgTout était faux. Le 16 novembre 1990, la commission spécialisée de la cour de cassation a accordé à Yves Jobic, « victime d’une incarcération abusive et d’un préjudice particulièrement anormal et grave », une indemnité de 150.000 francs. Ce n’est que l’année suivante qu’il a obtenu le grade de commissaire principal. La vie de cet homme a été brisée par un juge rétréci, persuadé d’avoir mis à jour, au sein de la préfecture de police, un réseau de financement d’un parti de droite. Jobic s’est vu confier la direction de la prestigieuse brigade antigang en 1996, mais il est loin d’avoir fait la carrière qu’il méritait.

Ce n’est pas le cas de Jean-Michel Hayat. Pourtant, dans une autre affaire instruite par lui, en 1989, à l’audience de la 12° chambre du tribunal correctionnel de Nanterre, le substitut du procureur a déclaré : « Je n’ai jamais vu de telles lacunes dans un dossier… » Mais l’homme a quand même fait une belle carrière. De 1997 à 2000, il a été le conseiller technique de Ségolène Royal, lorsqu’elle était ministre déléguée chargée de l’enseignement scolaire. Il a été président de chambre au TGI de Nanterre, président de cour d’assises dans le Val-d’Oise et les Yvelines. Il est aujourd’hui président du TGI de Nice. Il arbore fièrement les insignes d’officier de l’Ordre national du Mérite et de chevalier de la Légion d’honneur. Il participe fréquemment à des colloques sur la justice, la liberté… L’année dernière, invité par le conseil national des barreaux, il a exposé sa théorie sur les dysfonctionnements de la procédure pénale et les remèdes à y apporter.

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