C’est en résumé ce que nous dit le premier magistrat de France, mais nous qui ne sommes pas président de la République, devons-nous en avoir peur ? On peut le penser. Si on réforme, c’est que cela ne marche pas. Or, il semble que Nicolas Sarkozy a changé de registre. Longtemps, il a été le représentant des victimes, claironnant ici ou là qu’on n’en tenait pas suffisamment compte. D’ailleurs son leitmotiv n’est-il pas « je veux vous protéger » ! Aujourd’hui, il n’en parle pas.
Or, bizarrement, ce qu’on dit, ce qu’on lit, nous ramène essentiellement aux relations entre la justice et le justiciable : pouvoirs juridictionnels du juge d’instruction, omniprésence du procureur, rôle de l’avocat, etc. Et suivant sa girouette politique de nous menacer des pires avanies pour le cas (probable) où cette réforme verrait le jour : justice à deux vitesses, ingérence du pouvoir politique, dépénalisation des affaires financières… Ou de nous promettre une justice plus soucieuse des libertés, une meilleure représentativité de la défense, une détention préventive plus circonstanciée…
Question : Et la victime ?
Il y a quelques jours, un ami m’a rapporté les faits suivants : un vieil homme est retrouvé mort en bas d’une échelle. Il a une plaie à la tête. Les gendarmes en déduisent qu’il est tombé : accident. Le procureur confirme et il n’y a même pas d’enquête pour rechercher les causes de la mort, comme le prévoit pourtant le Code de procédure pénale (art. 74). Mais son épouse n’est pas d’accord. Elle tente d’expliquer que d’abord son mari ne montait jamais sur une échelle, car il était sujet au vertige, et qu’ensuite ladite échelle était habituellement rangée sous un hangar, et qu’il n’aurait jamais eu la force de la transporter et de la dresser contre le mur. Personne ne l’écoute. Elle radote la vieille. Qu’est-ce qu’elle doit faire ? me demande mon ami. Hypocritement, j’ai répondu qu’elle devait saisir le procureur.
Oui mais le procureur, il a déjà répondu. Va-t-il se déjuger ?
Lorsque le petit Antoine a disparu, il y a maintenant quatre mois, le procureur n’a pas déclenché le plan Alerte-enlèvement. Persuadé de la culpabilité d’un proche, il a orienté les recherches dans cette direction en justifiant son action par des déclarations à la presse, tissées de sous-entendus. Or 95 % des disparitions d’enfants se règlent dans les heures qui suivent. Parfois avec un dénouement heureux, souvent le contraire. Aujourd’hui, on ne sait toujours pas ce qu’est devenu cet enfant. Sa mère vit avec 400 euros par mois. La justice, ce n’est pas pour elle.
De nos jours, en France, il y a déni de justice pour de nombreuses personnes, surtout celles qui n’ont pas les moyens, matériels ou intellectue
ls, de s’intégrer dans cette ronde juridique peuplée de gens de robe.
Comment fait-on pour saisir la justice lorsqu’on pense être victime d’un crime ou d’un délit ? On va au commissariat ou à la gendarmerie pour déposer une plainte. Et si cela ne suffit pas ? On écrit au procureur de la République. Et si cela ne suffit pas ? Pour une grande majorité des gens, c’est fin de partie.
Sur ce blog, nous avons été les premiers (voir les deux billets – ici et ici – et les nombreux commentaires) à nous interroger sur les conséquences de la disparition du juge d’instruction, mais le problème n’est plus là. Il s’agit maintenant de remplacer intégralement notre système procédural actuel par un autre, plus moderne, plus adapté. Et qu’il renforce les droits de la défense, moi, je trouve ça indispensable. Mais on aimerait dans le même temps, qu’il aménage aussi un juste équilibre entre les droits des justiciables et les droits à la justice.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais plutôt que d’empiler des banalités, il me semble que l’opposition politique devrait participer à la construction d’un Code de procédure pénale qui lui survivra peut-être et qui survivra de toute façon au président actuellement en fonction.
L’enquête préliminaire (qu’on appelait il y a bien longtemps enquête officieuse) est effectuée soit sur l’initiative des policiers ou gendarmes, soit à la demande du procureur de la République. Dans les deux cas, elle est placée sous l’autorité de ce dernier. Ses limites sont définies par le Code de procédure pénale, dans les articles 75 et suivants. Mais si les numéros sont à l’identique, son utilisation s’est considérablement modifiée ces dernières années.


Dans le film American vertigo, tiré des reportages de BHL sur les États-Unis, quelqu’un (je crois que c’est Norman Mailer) dit à peu près ceci : « J’imagine une prison avec un mur, très haut, pratiquement impossible à franchir, mais on dit aux prisonniers, si vous y parvenez, vous êtes libres… Ainsi on leur donne de l’espoir. » Certains appellent cette « rétention de sûreté », cet enfermement après la peine, la peine infinie. Donc sans espoir. Mais ce combat que livrent les magistrats contre cette loi est-il un combat politique ou un combat pour la défense de nos libertés ? Car si l’on parle de nos libertés, on n’a pas entendu le moindre murmure de réprobation concernant cette plate-forme automatisée d’écoutes (téléphone, portable, Internet…) installée par le ministère de la justice.
