LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Gendarmerie (Page 8 of 14)

PS : la police en rose

« L’intérêt d’une démocratie commande toujours d’élever le niveau de la police et non de l’abaisser », nous dit le député Jean-Jacques Urvoas. Dans son livre, 11 propositions chocs pour rétablir la sécurité, il appuie là où ça fait mal : « La lutte doit être menée contre la délinquance, mais avec les citoyens ». D’après un sondage récent, 58 % des Français seraient satisfaits de leur police, alors qu’ils étaient 77 % il y a cinq ans. Et pourtant, dans ce même sondage, ceux qui ont eu affaire à la police sont contents du « service rendu » à 73 %. « Ces chiffres traduisent la relation complexe que les Français ont nouée avec ceux qui sont en charge de les protéger… » Ce que l’on constate fréquemment en lisant les commentaires sur ce blog.

Au fil des pages de son livre, derrière des propositions audacieuses, certains diront utopistes, M. Urvoas démolit la politique de la droite en matière de sécurité, fer de lance de la campagne présidentielle de 2007.

On feuillette ensemble…

Rapprochement police-justice – Il ne s’agit pas de rattacher la police à la justice, comme viennent de le faire les Pays-Bas, et comme le souhaitent de nombreux magistrats, mais de les raccrocher à une même structure : un « Grand ministère de la Règle et du droit » regroupant les compétences relatives à la justice et à la sécurité… ». Pas si simple. Le policier dépend du ministre de l’Intérieur, mais, lorsqu’il rédige un procès-verbal, en théorie, il rend des comptes au procureur ou au juge d’instruction, donc au ministre de la Justice. Toutefois, dans un commissariat, il existe bien d’autres tâches. En réalité, la question d’un rapprochement police-justice se pose depuis longtemps pour les services qui ne font « que » de la police judiciaire, comme les brigades du quai des Orfèvres ou, en province, les directions régionales.

Les flics dans la rue ! – Il faut « décharger les policiers et les gendarmes des tâches administratives ». Et pour cela, il faut recruter des « petites mains ». Aujourd’hui, les personnels administratifs représentent environ 10 % de l’ensemble des effectifs, alors que chez nos voisins européens, ils sont plus proches des 30 %. En Seine-Saint-Denis, les personnels de soutien ne seraient même que 5 %. Conclusion, 25 % du travail administratif serait effectué par des policiers. Mathématiquement, cela voudrait dire qu’un policier sur quatre n’est pas sur le terrain, et que la volonté du préfet Christian Lambert de mettre les « flics dans la rue » n’est qu’un vœu pieux. D’ici qu’il devienne socialiste…

Alors qu’aujourd’hui, on ne parle que d’argent, l’intérêt est évident : un personnel administratif coûte deux à trois fois moins cher et il ne faut que quelques semaines pour le former. Je suggère une autre piste pour mettre les flics sur le terrain : simplifier la procédure pénale qui date d’une époque où l’on tapait à deux doigts sur le clavier d’une « batteuse » et où l’avocat était gentiment prié d’aller voir ailleurs.

Alain Bauer va-t-il prendre sa retraite ? – Neuf millions d’euros de frais de fonctionnement, 81 personnes… À quoi peut bien servir l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ), s’interroge le député socialiste ? Et l’observatoire de la délinquance (ONDRP) n’est-il pas un instrument destiné à rendre crédible les politiques de sécurité du gouvernement… « Depuis sa création, il n’a été capable de proposer que des analyses secondaires sur les statistiques de police et de gendarmerie ». C’est donc l’INSEE qui pourrait prendre la relève, avec notamment des enquêtes de victimisation. Et une idée originale : la création d’une fondation, rattachée à l’École Nationale supérieure de police, dont la vocation première serait de penser la sécurité de demain. Ce qui, il faut bien le dire, nous changerait de ces réactions à fleur de peau, prises sous le coup de l’émotion d’un fait divers tragique.

La fin de la préfecture de police de Paris – « État dans l’État, « république de Lutèce », la PP a une histoire faite de sédimentations (…) Une hérésie juridique qu’il est urgent d’abolir ». Là, c’est le prof de droit qui refait surface. Il prend le contrepied de la politique actuelle, puisque, depuis la signature du décret présidentiel de 2009 qui étend sa compétence aux départements limitrophes à la capitale, le préfet de police de Paris (également préfet de la zone de défense d’Île-de-France) n’a jamais été aussi puissant. Et de relancer une idée, qui va plaire aux inspecteurs de sécurité de la Ville : donner au maire de Paris les mêmes pouvoirs de police que les autres maires.

Des maires « sherifs » – « Pourquoi faudrait-il que la police des villes relève de l’État ? » s’interroge M. Urvoas. Pour lui, les maires doivent être « les véritables coordonnateurs des actions locales de sécurité, répression comprise »… Les seuls services sur lesquels il est légitime que l’État exerce une compétence exclusive sont la police de l’Air et des Frontières (DCPAF), les CRS et la direction centrale du renseignement. La DCRI sauvée par les socialistes, je n’y aurais pas crû.

Et les polices municipales ? – « Le rôle de la police municipale n’est pas de se substituer à la police nationale mais de tisser un lien de confiance avec la population, conformément à une approche préventive clairement établie ». Sa mission première est donc d’assurer la tranquillité publique, celle qui contribue à la qualité de vie dans la ville (exécution des arrêtés du maire, nuisances sonores, voies de faits dans une cage d’escalier ou les parties communes d’un immeuble, etc.), et non pas de faire le boulot de la police nationale. Et, pour éviter tout amalgame, leur uniforme doit être différent. Bien entendu, contrairement à la position de Manuel Valls, ils n’ont pas à être armés, sauf, éventuellement, avec des armes de défense de 6° catégorie (bâtons, bombes lacrymo….)

CRS… PS ! – Environ 27 000 policiers et gendarmes sont chargés du maintien de l’ordre, mais, en fait, cela représenterait moins de 20 % de leur activité. Ce qui en période de disette ne semble pas très rationnel. L’idée serait de doter les escadrons de gendarmes mobiles de moyens plus importants, notamment héliportés et aéroportés, et de les réserver pour le maintien de l’ordre. Tandis que les CRS se spécialiseraient dans la lutte contre les violences urbaines au niveau de la région. Ils seraient convertis en « FRS (forces régionales de sécurité) placées sous la responsabilité des directeurs régionaux de la police nationale… »

Les gendarmes resteront à l’Intérieur – M. Urvoas sait que de nombreux gendarmes souhaitent se détacher de la place Beauvau. Il prend des gants pour dire que cela ne sera pas le cas : « Rien ne serait plus irresponsable à cet égard que de les jeter à nouveau au cœur d’un cyclone de changements qui, loin d’apporter une quelconque plus-value opérationnelle, pourrait bien se traduire, au contraire, par une véritable régression dont l’unique effet serait de renforcer leur amertume et le sentiment qui les assaille trop souvent d’être incompris du pouvoir politique ». Ils conserveront donc leur statut militaire, au sein du ministère de l’Intérieur, qui, si j’ai bien suivi, pourrait devenir un Grand ministère de la Règle et du droit. La gendarmerie devrait être mieux représentée au sein des hautes instances politiques mais c’est une autorité civile qui en assurerait la direction : « Une voix forte pour défendre leur intérêts et restaurer leurs capacités d’action ».

Jean-Jacques Urvoas ne veut plus d’une « grande muette », mais au contraire d’une police ouverte, dont l’image ne dépend pas seulement d’un représentant syndical interviewé sur un coin de trottoir. L’enjeu est de passer « d’une police crainte et dénigrée à une police respectée et valorisée. » Comment ne pas être d’accord ? Mais les anciens, comme moi, resteront dubitatifs. Ils se souviennent encore des belles promesses, des belles déclarations des années 80, pour arriver, en quelques années, à déstabiliser profondément cette vieille maison, qui pensait pourtant en avoir vu d’autres. Espérons que le prochain président de la République comprendra que la police ne doit être ni un pouvoir ni servir un pouvoir.

Tir sur les manifestants : une rumeur qui fait long feu

Les forces de l’ordre ont-elles le droit d’ouvrir le feu contre des manifestants ? La rumeur a pris naissance après la publication de deux nouveaux décrets le 30 juin 2011. La presse s’en est fait l’écho, notamment Le Monde, dans son édition du 17 août. Parmi la liste des armes pouvant être utilisées pour le maintien de l’ordre, il est expressément mentionné un fusil à répétition de calibre 7.62. Une arme de précision.

Erreurs de communication à répétition – Comment interpréter cette décision ? À mon avis, ce texte envisage la possibilité de placer des tireurs d’élite à proximité d’une manifestation. Non pas pour le tir aux pigeons, mais par sécurité ! Les OT (observateurs-tireurs), comme les appellent les gendarmes, sont dotés d’un fusil à lunette. En maintien de l’ordre, leur mission est avant tout  d’observer. Mais en cas de nécessité, ils pourraient faire usage de leur arme. Pour cela, ils sont en liaison permanente avec l’autorité responsable. On comprend bien qu’ils ne sont pas là pour tirer dans la foule, mais pour neutraliser un énergumène qui se risquerait à ouvrir le feu contre les forces de l’ordre, ou d’ailleurs, contre d’autres manifestants. Imaginons qu’un déjanté, genre Behring Breivik, se glisse dans une manifestation bon enfant. Il tire à droite à gauche. Les policiers et les gendarmes ripostent. Et c’est l’hécatombe. Le tireur d’élite est justement là pour éviter ce risque.

Il aurait été si simple de l’expliquer…

Dernière sommation : On va faire usage de la force ! –  Il n’en demeure pas moins que, dans certaines situations, il est possible d’utiliser la force, voire des armes, dûment répertoriées dans le décret (grenades, lanceurs de balles de défense…), pour disperser un attroupement. Le Code pénal ne vise que l’attroupement, c’est-à-dire un rassemblement de personnes susceptibles de troubler l’ordre public. Le nouveau texte dit que l’intervention doit être proportionnée au trouble à faire cesser. Ce qui ne veut pas dire grand-chose puisqu’il s’agit d’une notion subjective. CRS et gardes mobiles ne peuvent faire usage de ces armes que sur l’ordre exprès de « l’autorité civile », sauf s’ils sont attaqués ou s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent.

La dispersion de l’attroupement ne s’impose pas aux forces de l’ordre. C’est une décision politique, relayée par l’autorité civile qui se trouve sur place.

Un commissaire qui va qui vient – Dans l’ancien Code pénal, les autorités civiles susceptibles de donner l’ordre d’utiliser la force pour disperser un attroupement étaient le préfet, le sous-préfet, le maire ou l’un de ses adjoints, le commissaire de police ou un officier de police judiciaire. Dans la pratique, c’était souvent le commissaire responsable du service d’ordre qui faisait les sommations. On lui prêtait la double casquette : magistrat de l’ordre administratif et judiciaire. En tant que militaire, l’officier de gendarmerie ne pouvait pas prendre cette décision. Et il n’était pas inhabituel de voir le commissaire, fort de son expérience en la matière, calmer les ardeurs d’un préfet ou d’un sous-préfet trop prompt à en découdre. Mais, en 1995, patatras ! le commissaire disparaît de la liste des autorités civiles. Il est remisé au rang des OPJ. On dit que le directeur général de la police de l’époque, M. Guéant, en avait marre de voir le moindre « commissouille » discutailler les ordres d’un préfet… Je ne sais pas si l’anecdote est vraie. Mais il est amusant de constater qu’aujourd’hui, il refait surface. Pourquoi ce revirement ? Les commissaires de police seraient-ils devenus plus dociles ? Peut-être ! Mais il y a une autre explication : l’apparition du gendarme parmi les autorités civiles.

Le nouvel article R. 431-3 est ainsi rédigé : « Dans les cas d’attroupements (…) le préfet ou le sous-préfet, le maire ou l’un de ses adjoints, le commissaire de police, le commandant de groupement de gendarmerie départementale ou, mandaté par l’autorité préfectorale, un commissaire de police ou l’officier de police chef de circonscription ou le commandant de compagnie de gendarmerie départementale doivent être présents sur les lieux en vue, le cas échéant, de décider de l’emploi de la force après sommation. »

Des militaires chargés de l’autorité civile, cela laisse dubitatif. Raison pour laquelle, le législateur, dans sa grande sagesse (?), avait antérieurement rectifié le Code de la défense. En effet, une loi de 2009 a modifié la compétence de la gendarmerie nationalecommentaires. Elle n’est plus chargée « d’assurer par la force des armes la défense de la patrie et des intérêts supérieurs de la nation », mais de « veiller à la sûreté publique et d’assurer le maintien de l’ordre et l’exécution des lois ».

Pour faire simple, on peut dire aujourd’hui que les gendarmes sont des militaires de plus en plus civils, tandis que pour les policiers, c’est le contraire. Ils vont bien finir par se rencontrer…

Cette rumeur révèle le climat négatif qui peu à peu s’installe dans notre pays. On a l’impression d’un gouvernement aux abois, qui craint que la population ne se rebelle, que des manifestations éclatent, voire des émeutes, et qui accumule les moyens d’auto-défense ; et de l’autre, un peuple qui sombre dans la parano et qui entrevoit des lendemains noirs et une répression aveugle. La défiance à tous les étages.

Un sale climat, cet été…

Le canon à eau dans les manifs

David Cameron a déclaré qu’il était prêt à mettre les canons à eau en action – si nécessaire. Une véritable renversée pour les Britanniques, jusqu’à présent peu enclins à utiliser la force dans les manifestations. Ces engins ont une mauvaise image, et pourtant, il s’agit d’un moyen efficace et peu dangereux pour disperser une émeute. En France, pour l’instant, tout est calme, mais les CRS viennent de toucher de magnifiques camions « lanceurs d’eau ». Une première, car, à ce jour, seule la préfecture de police de Paris utilisait ce type de matériel.

Lorsqu’un commissaire de police donne l’ordre de charger des manifestants, c’est que tout a échoué. L’affrontement direct est la dernière des solutions. Or les moyens préliminaires sont peu nombreux : gaz lacrymogènes, obstacles de rue pour limiter les déplacements ou barrages humains, qui nécessitent de nombreux effectifs et mettent souvent à vif les nerfs des policiers ou gendarmes, obligés de rester statiques sous les injures ou les projectiles. Or, deux hommes dans un camion lanceur d’eau peuvent vider un périmètre de ses occupants. Et cela sans risque. Car, à ma connaissance, personne n’a jamais été sérieusement blessé par un jet d’eau, même puissant.

Extrait de l'article de Dominique Noël dans Police Pro (mai-juin 2011)

Lors d’une interview donnée au magazine Police Pro, en février dernier, Hubert Weigel, alors directeur des CRS, expliquait les raisons de ce choix, notamment lié à la diminution des effectifs, à une augmentation des interventions et à l’évolution des techniques de maintien de l’ordre. « Moins il y a de confrontations physiques, mieux on se porte ! » expliquait-il. Il faut dire qu’Internet a changé la donne. De nos jours, les photos ou les vidéos amateurs d’une manif font le tour de la planète en quelques minutes. Avec, souvent, un objectif amplificateur ou déformant. Et les États se trouvent confrontés à un dilemme, un problème d’image : celle d’un pays où la rue a pris le pouvoir ou celle d’une police exagérément répressive. Entre les événements de Grande-Bretagne et ceux de Syrie, on a les deux extrêmes.

C’est sans doute cette réflexion qui a amené la Direction centrale des CRS à s’intéresser aux camions lanceurs d’eau, en étudiant notamment les dispositions prises en Allemagne. Elle dispose depuis quelques mois de neuf véhicules de ce type et en attend encore une douzaine. Deux sont tout neufs, les autres sont des camions-citernes des Eaux et Forêts, relookés par les techniciens du service auto. J’espère qu’on n’a pas dépouillé les pompiers et qu’il leur reste de quoi lutter contre les incendies !

En Allemagne, l’utilisation des lanceurs d’eau fait partie de la routine, alors que de l’autre côté de la Manche, on est quasi au bout de la chaîne répressive. Presque un aveu d’échec. Surtout quand le Premier ministre parle d’une « riposte »… Quant à la France, elle fait ses premiers pas dans ce domaine (sauf à Paris).

Iveco Magirus, le spécialiste des véhicules de lutte contre l’incendie, est bien placé dans la construction de ces engins particuliers. Toutefois, même si on n’en voit pas au salon de l’auto, Mercedes en fabrique également. Le 4000 Renault M210 (photo du haut), de taille relativement petite (6 m.15) possède une citerne de 4.000 litres. Le débit de son canon est de 500 litres à la minute avec une portée d’environ 30 mètres. Ce qui lui donne une autonomie d’action théorique de huit minutes. Mais quel que soit le modèle, il s’agit dans la pratique d’expédier des « rafales » en pointillés, et il est possible de graduer la force du jet suivant le but recherché : dissuader ou refouler. L’objectif n’est pas de viser les gens, mais de les faire déguerpir, comme on le voit sur cette capture d’écran. Toutefois, dans le passé, des petits malins avaient imaginé de colorer l’eau pour mieux repérer les groupes les plus virulents.

Comme tout matériel de police, ces engins ne sont pas vraiment sympathiques. On peut imaginer un monde sans agressivité, sans casseurs, où les canons à eau deviendraient des objets de collection. Hélas, on n’en est pas là. Et pas besoin d’être prophète dans son pays pour savoir que les difficultés qui nous attendent n’iront pas sans une recrudescence des manifestations, plus ou moins violentes – pas seulement en Grande-Bretagne et en Grèce.

Il paraît que ce tour de vis social, dont les premiers signes se font déjà sentir, serait le prix à payer pour rétablir l’équilibre financier mondial…

Les policiers doivent-ils être armés ?

Les Norvégiens se posent la question, après le massacre sur l’île Utøya. Cette interrogation, certains avaient osé la formuler en France, il y a quelques dizaines d’années. J’étais de ceux-là. Enfin, il ne s’agissait pas de désarmer les policiers, mais d’adapter leur armement en fonction de leurs missions. L’évolution de la société nous a donné tort. L’armement des policiers n’a jamais été si conséquent. La course en avant a même pris un tel élan, que, lorsqu’une une arme non létale est mise au point, comme le lanceur de balles de défense (le Flash-Ball), on cherche immédiatement à la rendre plus puissante, donc plus dangereuse. Et pourtant, les policiers sont des « gardiens de la paix ». Ils ne sont pas là pour combattre qui que ce soit, mais pour assurer l’ordre. La paix civile. C’est tellement vrai que s’il y avait une menace d’insurrection, les pouvoirs de police seraient transférés à l’autorité militaire. Une règle qui, au passage, aurait dû être prise en compte avant de rattacher les gendarmes au ministère de l’Intérieur.

Trond Berntsen, le policier norvégien qui assurait la surveillance du camp d’Utøya, aurait-il pu neutraliser Anders Behring Breivik, s’il avait été armé ? Rien n’est moins sûr. On imagine un garde-champêtre face à un dément en croisade ! Mais dans ce cas précis, la véritable question était ailleurs. Ce n’était même pas le temps de l’intervention. La police est tombée dans le piège tendu par ABB. Et, tandis qu’elle se démenait pour faire face à un attentat à l’explosif, il appliquait froidement le deuxième volet de son plan. Non, ce qui nous paraît incompréhensible, c’est qu’un meeting politique regroupant 600 jeunes à quelques dizaines de kilomètres de la capitale ait pu être organisé sans qu’il y ait le moindre service d’ordre ! Pour nous, Français, c’est inimaginable. En région parisienne, dès que trois pékins se réunissent, ce sont des dizaines de cars de CRS et de gendarmes mobiles qui sont embusqués à proximité, prêts à foncer, si nécessaire.

Une autre culture – mais quand même…

Ce drame amène les Norvégiens à réfléchir à l’armement de leur police, pourquoi n’en ferions-nous pas autant ? J’ai toujours pensé que, dans son service quotidien, le policier n’avait pas à être transformé en porte-avions. L’arme et les munitions devraient être adaptées aux missions. Le cas d’école : en novembre 2006, à la sortie du Parc des Princes, un policier en légitime défense tire sur un hooligan. La balle le traverse et tue un homme qui se trouvait derrière lui. Une munition bien trop puissante pour un flic chargé de surveiller un parking.

Les anciens policiers ont connu la MAT 49 qui équipait les cars de police secours. Un pistolet-mitrailleur à la culasse mobile… beaucoup trop mobile, qui avait la fâcheuse tendance à partir tout seul. Les anciens d’Algérie en gardent un triste souvenir, au point qu’en patrouille, on n’aimait pas trop en avoir un dans les reins. J’ai vu, à Versailles, un sous-brigadier de police pointer cet engin sur un énergumène qui venait d’assommer deux de ses collègues. À peine armé, la rafale est partie… Une arme bien trop dangereuse pour celui qui n’a pas la formation nécessaire.

Une police suréquipée est-elle plus dissuasive ? Sans doute pas plus que la prison ou que la peine de mort. D’ailleurs, si les truands raisonnaient (mais ça se saurait), avant de prendre une arme, ils penseraient aux circonstances aggravantes. Avec ou sans, la peine prononcée peut aller du simple au double.

Alors, le principal risque d’armer les policiers serait-il de voir les malfaiteurs s’armer plus encore ? comme l’a déclaré un responsable norvégien. La question vaut d’être posée. Effectivement, certains voyous sont passés du pistolet au fusil à pompe, et aujourd’hui à la Kalachnikov. Est-ce pour faire face à un « adversaire » de mieux en mieux équipé ? Je ne le crois pas. Non, c’est la peur, la peur tout court, qui exacerbe le désir d’avoir un « calibre en pogne » pour monter sur un coup. En poussant le raisonnement jusqu’au bout, on pourrait se demander si les malfrats ne seraient pas moins couillus qu’avant…

Contrairement à ce que l’on entend parfois, si les policiers sont armés, ce n’est pas pour se défendre, mais, comme le dit le Code de déontologie, « pour protéger l’individu et la collectivité contre les atteintes aux personnes et aux biens ». C’est sur cette base que doit être pensé l’équipement de la police. Le reste n’est que démagogie.

Garde à vue : la feuille de route de l’Union européenne

La France est loin du compte. Si la loi sur la garde à vue votée au mois d’avril se rapproche des règles minimales voulues par l’U-E, il est sûr qu’elle n’est pas suffisante. À la lecture des nouvelles propositions du Parlement européen et du Conseil, on peut dire que certaines des mesures appliquées aujourd’hui – avec bien des difficultés de la part des policiers et des gendarmes – ne sont que la portion congrue de la procédure de demain.

La croisée des cheminsDans un document du 8 juin 2011, l’Union fixe une nouvelle directive « relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et au droit de communiquer après arrestation ». Elle concerne les personnes soupçonnées d’un crime ou d’un délit et celles qui sont visées par un mandat d’arrêt européen. Ces mesures font partie d’un pack global qui sera présenté au fil des ans et qui tient compte « des différences entre les traditions et systèmes juridiques des États membres ». L’idée est de rapprocher les différentes législations. Tout part d’un constat : la feuille de route de 2009 n’a pas été entièrement prise en compte et bien des efforts restent à faire.

Perquisitions, contrôle des lieux de détention, etc. – Le rôle de l’avocat tient une place importante dans cette directive. « Que la personne concernée soit privée de liberté ou non, elle doit pouvoir bénéficier de l’assistance d’un avocat dès son audition. » Même s’il n’existe aucun élément concret contre elle. À partir du moment où il ne s’agit pas d’un témoin – au sens vrai : quelqu’un qui a vu ou entendu quelque chose – l’enquêteur doit envisager la présence d’un avocat. Il s’agit là d’une sérieuse difficulté, car la marge est souvent étroite entre un témoin et un suspect, et c’est parfois en témoignant qu’un individu peut devenir suspect. On doit donc s’interroger sur la validité de l’article 62 (modifié par la loi du 14 avril 2011) de notre Code de procédure pénale qui autorise une « retenue » de quatre heures des personnes contre qui il n’existe « aucune raison plausible de soupçonner qu’elles ont commis ou tenté de commettre une infraction ». Car, aux yeux de l’U-E, cette absence de garde à vue pourrait très bien être paraître… suspecte. On est sur le fil.

La participation de celui-ci ne doit pas se limiter aux auditions mais il doit être présent à tous les actes de la procédure concernant directement la personne soupçonnée. Ce qui est souvent le cas des perquisitions.

À noter que la proposition européenne donne également à l’avocat la possibilité de contrôler les lieux de détention. Et que les entretiens qu’il peut avoir avec son client « ne sont limités d’aucune manière ». On s’éloigne donc des trente minutes autorisées par la loi française. Un héritage du passé.

L’absence de l’avocat – Il ne peut être dérogé à la présence de l’avocat que dans des conditions exceptionnelles. « Toute dérogation doit être justifiée par des motifs impérieux tenant à la nécessité urgente d’écarter un danger qui menace la vie ou l’intégrité physique d’une ou plusieurs personnes. » Ce qui serait par exemple le cas dans une affaire de prises d’otages. La décision de transgresser ce postulat ne peut se fonder exclusivement sur le type d’infraction ou sur sa gravité. Le contraire de ce que dit notre Code qui retient la particularité de l’enquête, ou l’urgence. Ou qui vise justement un type d’infraction particulier, les crimes et délits en bande organisée (art. 706-73). Dans ce cas, le suspect peut-être gardé à vue en l’absence de son défenseur durant une période qui peut atteindre 72 heures.

De quoi faire bondir les sages de Bruxelles !

D’autant que pour tous les autres crimes et délits, l’officier de police judiciaire peut demander que les auditions et confrontations se déroulent hors la présence de l’avocat durant les douze premières heures. Vingt-quatre heures dans certaines conditions.

Alors que l’article 8 de la Directive parle de circonstances exceptionnelles et d’une décision prise par une autorité judiciaire, chez nous, pour les premières vingt-quatre heures, c’est le procureur qui se prononce. Le juge des libertés et de la détention n’intervenant que dans un second temps. Or, pour la CEDH, le procureur, comme on le sait, n’est pas représentatif du pouvoir judiciaire.

La garantie d’une vraie justice – Même difficulté lorsqu’il s’agit du droit de communiquer avec un tiers après l’arrestation, qui, en France, peut être repoussé par le procureur, à la demande de l’officier de police judiciaire. Une sorte de mise au secret que ne supportent pas les instances européennes. Pour elles, ce droit de communiquer, ainsi que le droit à ne pas contribuer à sa propre incrimination, sont des garanties importantes contre d’éventuels mauvais traitements.

Les conséquences prévisibles – En cas de violation du droit d’accès à un avocat, la personne soupçonnée se retrouve à la case départ. Et les États membres « risquent de devoir supporter de coûts considérables » résultant des dommages-intérêts qui pourraient être versés aux requérants ayant obtenu gain de cause auprès de la CEDH.

À la lecture de ce jeu de recommandations, on se dit que cette réforme de la garde à vue, décidée en catastrophe après des années de valse-hésitation, n’est finalement qu’une loi toute provisoire. D’autant, comme l’a précisé la Cour de cassation, que les décisions de l’Union européenne doivent être appliquées par les États membres sans même attendre une modification de notre législation.

D’où cette situation drolatique dans laquelle le pouvoir législatif court derrière le pouvoir judiciaire… Allez, on n’a pas fini d’en parler.

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Quant à ce blog, il sera silencieux durant une dizaine de jours, car je me prépare à des vacances bien méritées, sous le soleil de Bretagne.

STIC : la fin annoncée d’un fichier controversé

Le fameux STIC (système de traitement des infractions constatées), pointé du doigt pour ses dysfonctionnements et sa propension à ne jamais être mis à jour, devrait bientôt être rangé aux oubliettes. À sa création, officiellement en 2001 (mais il fonctionnait bien avant), son objectif était de faciliter la constatation des infractions, d’en rassembler les preuves et d’en rechercher les auteurs. Il devait également servir d’outil statistique. Mais bien vite, il est devenu un fichier fourre-tout, et surtout un fichier à sens unique. Une fois l’information engrangée, peu d’espoir d’obtenir une rectification. Comme l’avait souligné la CNIL en 2009, constatant l’absence quasi-systématique de suivi, notamment lorsque les personnes fichées étaient mises hors de cause.

On se souvient de la démarche du commandant de police Philippe Pichon* qui avait dénoncé, en 2008, le mauvais fonctionnement de ce fichier – ce qui lui a valu des ennuis judiciaires et administratifs qui ne sont toujours pas réglés.

Depuis, les choses se sont améliorées, mais ce dernier aspect n’a guère évolué : une fois inscrit au STIC, on y reste.

D’après le ministre de l’Intérieur, qui répondait à la question de la députée Danielle Bousquet (PS), le STIC et son pendant à la gendarmerie nationale, le JUDEX, devraient tous deux être remplacés « dans un avenir proche » par le TPJ (traitement des procédures judiciaires). Moi, j’en étais resté au fichier Ariane, mais j’ai peut-être loupé une marche… Ce nouvel outil devrait faire l’objet de mises à jour régulières et assurerait l’échange d’informations entre les services d’enquêtes et l’autorité judiciaire. Pour cela, il sera relié à la base de données « Cassiopée » qui pourrait bientôt être opérationnelle. Du moins l’espère-t-on place Vendôme ! Un projet qui ne remonte pas à la mythologie grecque mais dont les balbutiements datent quand même de près de dix ans.

Depuis, elle en a connu des soucis, la belle Cassiopée ! Des bugs à répétition, un cahier des charges aux pages manquantes, l’impossibilité par exemple de corriger une erreur ou d’effectuer une recherche globale sur une même personne, etc. Un fiasco informatique selon certains, une perte de temps pour d’autres, soulignant que l’on va plus vite avec l’ancienne formule. D’ici qu’on en revienne à la plume Sergent-Major…

Tant de problèmes, qu’à l’automne 2009, son installation a été suspendue durant plusieurs semaines et qu’une cellule de crise a été mise en place au ministère de la Justice. Le premier prestataire, la société Atos Origin, est alors montrée du doigt. Aujourd’hui présidée par l’ancien ministre des Finances (2005-2007) Thierry Breton, la reprise en main a été énergique. M. Breton a mis Atos au même régime que France Telecom. La méthode dite des « vagues de lean », qui, d’après Rue89, nous vient tout droit du Japon : « Le travail de chaque salarié est observé, mesuré, puis des axes d’amélioration définis afin d’éliminer temps et gestes inutiles. » Résultat : un stress croissant chez les salariés et un taux d’absentéisme qui explose. En deux mots, un copier-coller de ce qui s’est passé à France Telecom. Rien à voir avec Cassiopée, car la société Sopra a pris le relais depuis longtemps. Mais le projet patine toujours. « En définitive, les principaux griefs du ministère de la Justice à l’encontre de la société Atos Origin portent sur son manque de réactivité et de moyens dans la gestion de certaines crises techniques. Compte tenu de l’importance des fonds publics investis dans ce projet et de l’enjeu qui s’attache à une justice moderne et dématérialisée, cette situation ne saurait plus être tolérée à l’avenir », dit clairement le député Étienne Blanc (UMP) dans son rapport du 15 février 2011.

Extrait du rapport du député Etienne Blanc

Mais bientôt tout sera au point : un fichier unique police-gendarmerie couplé à celui de la justice. Si certains s’inquiètent de ces nouveaux outils, ils ont tort. L’objectif, nous dit-on, n’est pas de « fliquer » un peu plus la population mais au contraire d’être efficace tout en respectant la protection des données personnelles. Un juste équilibre auquel on ne peut que s’associer. À condition que ne se reproduisent pas les erreurs du passé et qu’une réglementation sérieuse encadre leur fonctionnement. Pour l’instant, à ma connaissance, seul un groupe de travail présidé par Alain Bauer veille au grain. Il a été créé en 2006 et pérennisé en 2009, avec déjà des suggestions intéressantes, comme celle de renforcer le rôle des contrôles et des audits (!). « Ainsi, l’Inspection générale des services de la police nationale (IGPN) a été mandatée pour procéder à des contrôles inopinés au sein des services de police », a déclaré le ministre de l’Intérieur.

Pour être franc, je pensais que c’était déjà le cas… En tout cas, malgré les rapports publics de M. Bauer, et plusieurs avis de la CNIL et des autorités européennes, les résultats obtenus en cinq ans ne sont pas vraiment convaincants.

Avec l’évolution de la technique, les fichiers ont de plus en plus pour objet d’anticiper les comportements individuels ou ceux de certaines populations, en déterminant des échelons dans la dangerosité. Du coup, le plus important, ce ne sont plus les fichiers, mais les critères de sélection.

En faisant entrer des notions subjectives dans la mémoire d’un ordinateur, ne joue-t-on pas avec le feu ?

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* Philippe Pichon vient de sortir un essai, La tentation anarchique ou Lettre ouverte à Julien Coupat, aux éditions Jean-Paul Rocher.

Garde à vue : les temps changent…

Le modérateur du Monde explique, dans le journal de ce week-end, les difficultés de son métier : comment éviter le couperet de la justice sans pour cela tomber dans la censure ? Car, d’après le service juridique du journal, le fait de porter atteinte par des allégations ou des imputations à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps de métier est une diffamation. Même de façon indirecte, ou par sous-entendu. Un dilemme qui s’est posé après les propos tenus par Luc Ferry. Et du coup, sur ce blog, certains commentaires ont sauté. Il faut dire que tous les patrons de presse ont encore en mémoire la mésaventure survenue, en novembre 2008, à Vittorio de Filippis, l’ancien directeur de Libération… À l’heure du laitier, il est arrêté à son domicile, comme l’aurait été un dangereux malfaiteur. Son délit ? Il fait l’objet d’une plainte en diffamation déposée par le patron de Free, à la suite d’un commentaire posté par un internaute.

Et comme le patron de Free fait aujourd’hui partie du triumvirat qui a repris Le Monde, on peut dire que les temps changent… (Là, je vais me faire virer !)

Donc, M. de Filippis, le « présumé coupable », est menotté, conduit au commissariat, puis au dépôt : « On me demande de vider mes poches, puis de me déshabiller […] de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois. » Une demi-heure plus tard, deuxième fouille à corps, cette fois par les gendarmes, avant d’être conduit devant le juge d’instruction qui le mettra en examen pour diffamation.

Ces fouilles réitérées ont été  supprimées en juin 2009. Aujourd’hui, « les personnes déférées ne sont plus soumises par les gendarmes qu’à une palpation de sécurité effectuée au travers des vêtements et assortie d’un passage sous un portique de sécurité permettant de détecter la présence de métaux », a déclaré le ministre de la Justice, le 31 mai 2011, en réponse à la question d’un député. De même, les fouilles de sécurité effectuées par les policiers « doivent respecter le principe de respect de la dignité des personnes ».

Même son de cloche en matière de garde à vue. La loi qui vient d’entrer en application précise qu’elle doit « s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne ». Les mesures de sécurité, lorsqu’elles sont nécessaires, « ne peuvent constituer en une fouille intégrale ».

On va donc moins tousser dans les commissariats – du moins du côté des gardés à vue.

Et même si elle pose des problèmes d’application, cette réforme de la garde à vue et les mesures connexes, vont dans le sens du respect de la dignité humaine et des libertés individuelles. Tout le monde devrait s’en réjouir. Un petit pas pour l’homme, comme disait Armstrong.

Suivi d’un grand pas en arrière avec le projet de loi réformant l’hospitalisation sous contrainte, ce qui, en langage policé, donne : « Loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », dont le projet vient d’être adopté en deuxième lecture. Il fait suite à un discours du chef de l’État, en 2008, qui lui-même faisait suite au meurtre d’un étudiant, à Grenoble, commis par un malade mental enfui de l’hôpital.

Quel rapport, me direz-vous ? Eh bien, cette loi instaure ce que de nombreux professionnels de la santé appellent « la garde à vue psychiatrique ».

Cela concerne environ 70 000 personnes par an. Le texte réforme l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office (HO) ; et prévoit – c’est une nouveauté – la possibilité de soins forcés en mode ambulatoire. Autrement dit, à la maison.

Mais dans un premier temps, et dans tous les cas, le malade est interné pour une période d’observation de 72 heures.

D’après le Collectif des 39, qui rassemble essentiellement des psychiatres, il s’agit ni plus ni moins d’une « surveillance sociale planifiée ». Ce texte, qui s’appuie sur un principe de précaution exacerbé, « va instituer une logique sécuritaire induisant un contrôle inédit de la population ».

Bon, le ton est plutôt partisan, mais en quoi cette loi peut-elle être une atteinte à la dignité et aux libertés individuelles ?

Si l’internement à la demande d’un tiers reste la règle, désormais un simple certificat médical suffit en cas de « péril imminent ». Une notion subjective à la seule appréciation du praticien. Il se voit donc confier un pouvoir supérieur à celui de l’officier de police judiciaire qui, lui, ne dispose que de 24 heures.

Pouvoir que le médecin ne revendique pas, car son patient pourrait très bien ressentir cette possibilité comme une menace latente, avec le risque que s’instaure un climat de méfiance. Le contraire de ce qui doit être.

À l’issue de cette période d’observation de 72 heures, le malade fera l’objet d’une hospitalisation forcée (complète ou partielle), ou sera astreint à des soins à domicile. Dans ce dernier cas, s’il n’est pas assidu aux consultations médicales, il encourt le risque d’être de nouveau enfermé. C’est un peu la liberté conditionnelle.

Le médecin se voit donc contraint de dénoncer le malade qui rompt le protocole médical – ce qui sur le plan de la déontologie est inenvisageable.

Lorsque l’internement est décidé par le préfet, la personne concernée doit obligatoirement être maintenue en milieu fermé. Et seul ce fonctionnaire peut prendre la décision de la laisser sortir. Cette mesure place donc le préfet devant une alternative redoutable : accepter le risque de remettre « un fou dangereux » dans la nature, ou, au nom du principe de précaution, maintenir un malade, même en voie de guérison, en milieu fermé.

Au bout de quinze jours, les personnes qui font l’objet d’un enfermement en hôpital psychiatrique ont la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention afin de demander leur… libération.

L’intervention du juge judiciaire (exigée par le Conseil constitutionnel) est la démonstration forte que cette loi est un premier pas vers la pénalisation des maladies mentales. Une arme à double tranchant, si l’on se souvient qu’au siècle dernier, en Union soviétique, les psychiatres avaient découvert une nouvelle forme de monomanie : le « délire réformiste ».

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Le dessin sur la garde à vue est de Michel Grégeois.

La fin programmée des commissaires de police

Récemment, Claude Guéant, le ministre de l’Intérieur, a annoncé la mise en place d’une cellule de réflexion destinée à plancher sur le devenir des officiers de police et des commissaires. L’idée serait de les réunir au sein d’un corps unique. La police se rapprocherait donc encore un peu plus du modèle militaire. Elle comprendrait deux niveaux, les sous-officiers et les officiers. Si l’on prend en compte les passerelles qui peu à peu se mettent en place entre la gendarmerie et la police, il n’est pas interdit de penser qu’à long terme on s’achemine vers l’instauration d’un truc un peu hybride, à moitié militaire, à moitié civil. Pourtant, cette « fusion » police-gendarmerie est encore aujourd’hui loin de faire l’unanimité. Ainsi, début mai, c’est en tapinois que les premiers gendarmes ont incorporé le corps des gardiens de la paix.

Pour la création de ce corps unique, les syndicats des officiers sont plutôt demandeurs. Ce serait l’aboutissement logique de la réforme de l’ancien corps des inspecteurs de police, disent-ils.

Ont-ils raison ?

Toute réforme d’un service public doit s’accompagner d’une réflexion à deux niveaux : l’intérêt supérieur de la collectivité et l’intérêt légitime des fonctionnaires d’État.

L’intérêt de la collectivité – Quoiqu’on en dise parfois, la police française est efficace et n’a rien à envier à celle d’autres pays d’Europe. Et les problèmes qui surgissent ici ou là sont plutôt les conséquences d’une législation un rien obsolète, et souvent en retard sur les grands principes européens qui concernent les libertés individuelles. En créant un corps unique d’officiers de police ne risque-t-on pas de briser l’élan, de casser l’outil, en instaurant le confort d’une carrière douce et programmée ? Ou d’assister au vieillissement linéaire de l’encadrement ? Des fonctionnaires du haut de l’échelle qui seraient tous de la même génération ! Alors qu’aujourd’hui, à responsabilités proches, on peut trouver un commissaire de 25 ans et un commandant en fin de carrière. L’expérience et le dynamisme : un binôme gagnant.

L’intérêt légitime des fonctionnaires concernés – La moitié des commissaires sont recrutés par d’autres biais que le concours externe (bac+5). Trois possibilités s’offrent aux candidats : le concours interne, la voie d’accès professionnelle et le choix. Cette dernière possibilité (5%) est ouverte aux commandants de police sur proposition d’une commission de sélection. Le risque, si demain il existe un corps unique, c’est que seule cette dernière possibilité subsiste. Un avancement uniquement au choix n’est pas un gage d’équité. D’autant que le système actuel a fait ses preuves. La police nationale est sans doute l’une des administrations qui permet le plus facilement l’ascension sociale : Robert Broussard a commencé sa carrière comme commis aux écritures pour terminer préfet. L’officier de police adjoint Claude Cancès est devenu directeur de la PJ. L’actuel préfet de Seine-Saint-Denis, Christian Lambert a débuté comme gardien de la paix. Etc. Perso, et sans chercher à me comparer, je dois avoir le certificat d’études primaires, enfin je crois.

Quant aux commissaires de police, dont le recrutement se fait déjà au compte-gouttes, ils ne voient pas d’un bon œil cette fusion des deux corps qui se cache – pour l’instant – derrière le projet d’une formation commune. Celle-ci s’effectuerait à l’ENSP (École nationale supérieure de police) de Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, près de Lyon. Sauf que cet établissement est trop petit. Il comporte 168 chambres. Pour porter sa capacité à 240, il faudrait investir 15 millions d’euros. Et même dans ce cas, saturée, l’école y perdrait son âme. D’où le projet de récupérer une caserne, à Bron, à 17 km de là. Budget prévu 47 millions d’euros. De plus, cela entraînerait des changements de statuts. L’école des commissaires est un établissement public, tandis que celle des officiers est un service de police. Une idée poussant l’autre, il est question à présent de créer une véritable « police academy », laquelle assurerait une formation commune aux officiers et commissaires. Ce qui est, évidemment, le premier pas vers un corps unique.

On tourne autour du pot, mais on y revient sans cesse.

Synergie-Officiers (extrait)

Pourtant, le commissaire de police est un monument historique. Son origine remonte au 17° siècle. Dans les facultés de droit, on avait même l’habitude de dire, autrefois, qu’il était l’exception au principe de la séparation des pouvoirs : magistrat de l’ordre administratif et magistrat de l’ordre judiciaire.

Je mets au passé, car il faut bien reconnaître que sauf dans des services de police judiciaire (au sens large), le commissaire est de plus en plus tourné vers l’administratif. Plusieurs ont d’ailleurs coiffé la casquette de préfet…

Syndicat indépendant des commissaires de police (extrait)

N’empêche que cette fusion n’est pas nécessairement une bonne chose. Elle n’entraînerait aucune économie budgétaire, et l’on ne voit pas en quoi l’efficacité de la police en serait améliorée. Il s’agit donc d’un choix purement politique, et non technique. Le SICP (syndicat indépendant des commissaires de police), par exemple, ne voit pas l’intérêt réel de ce rapprochement ni les avancées qui en résulteraient pour le service public, « si ce n’est de générer des tensions artificielles ». Alors que Synergie-Officiers parle d’un projet historique et se vante d’avoir « su convaincre en dépit de tous les conservatismes ».

Quant à moi, déjà que je regrette ce vieux képi ringard que je n’ai coiffé qu’une seule fois, le jour du défilé de la 23° promotion des commissaires…

La nouvelle carte de police annonce la couleur

Il aura fallu une longue réflexion pour franchir le pas, mais c’est fait, ou presque, la nouvelle carte de police fait son apparition. Elle a la taille d’une carte de crédit, et rejoint ainsi le format de la carte de presse ou de la carte d’avocat.

carte-police.1304847032.JPGEn fait, c’est la carte d’agent ministérielle qui a été revisitée. Mais, pour les policiers, il s’agit d’un véritable outil de travail qui mentionne expressément les droits particuliers attachés à cette profession. Si j’ai bien compris, les préfets et hauts fonctionnaires l’ont trouvée tellement chouette qu’ils l’ont copiée. Ainsi, au démarrage, il devait y avoir seulement deux visuels,  policiers et agents administratifs ; on en est à onze. Ce qui a sérieusement augmenté la facture. On imagine la bagarre des corps pour obtenir telle ou telle mention. Par exemple, les agents de l’Identité judiciaire, les fameux techniciens des scènes de crime, très mode à la télé, n’ont pas eu droit au mot « POLICE », inscrit en rouge (une tradition depuis deux générations de cartes). Ils devront se contenter d’un « Police technique et scientifique », en noir. J’espère qu’ils vont s’en remettre. Ou l’inscription du droit à réquisition, cette petite phrase, dans le bas de la carte, qui mentionne que « Les Autorités Civiles et Militaires sont invitées à LAISSER PASSER ET CIRCULER LIBREMENT le titulaire de la présente carte qui est autorisé à requérir pour les besoins du service l’assistance de la force publique ».

Raison pour laquelle la carte de police est appelée parfois « carte de réquisition », ou carte de réquise. On dit aussi la brème, ou carte de pêche, mais cela fait un peu vieillot.

Ces nouvelles cartes sont équipées de deux puces dont une RFID (radio), et d’une piste magnétique. Ce qui inquiète un peu les syndicats, comme UNSA-Police :

capture_unsa.1304846850.JPG

Bienvenue au club, doivent penser les salariés du privé qui, sous prétexte de sécurité, connaissent pour beaucoup le retour de la pointeuse et de la surveillance en continue.

En fait, cette carte, c’est un peu le couteau suisse. Elle va servir de sésame pour l’accès aux locaux protégés, la consultation des fichiers, comme le STIC ; ou pour la signature électronique des procès-verbaux. Ou encore de passe Navigo, ou pour régler son repas au mess de la police, etc. Pour l’instant, il n’est pas question qu’elle soit acceptée au café du coin.

Elle pourra être utilisée depuis n’importe quel poste de travail du ministère, à condition qu’il soit équipé d’un lecteur – dont l’acquisition reste cependant à la charge de chaque service. L’Imprimerie nationale est en charge de la fabrication. Son coût est de 18 €. Pour la police, c’est 180 000 cartes carte-gendarmerie_2.1304847136.JPGqui seront mises en circulation entre 2011 et 2012 (les retraités devront attendre un peu). Quant à la gendarmerie, elle a pris une certaine avance avec un projet initié en 2008, légèrement différent, plus sobre, à mon avis un peu moins réussi, mais semble-t-il compatible. L’ensemble des personnels devrait être doté cette année.

Il est prévu de pouvoir la glisser dans un porte-cartes qui comprendrait la médaille et l’insigne de poitrine, c’est-à-dire le grade. Ce qui donne quelque chose de plutôt capture.1304847251.JPGrationnel et élégant. Mais peut-être pas très pratique lorsqu’il faudra la retirer pour la passer dans un lecteur…

La carte de police a sans doute perdu un peu de son prestige depuis que l’uniforme s’est imposé dans la police. Mais elle reste un objet mythique qu’on rêve souvent de cloquer sur le bureau de son patron. Sauf que dans la vraie vie, on la conserve précieusement. Elle suit la carrière, elle fait partie intégrante du policier, et il s’en sent responsable, un peu comme de son arme.

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Sur ce blog, éventuellement, La nouvelle carte d’identité : un tournant.

M-F Pisier : Questions sur une autopsie

On ne connaît toujours pas les causes et les circonstances de la mort de la comédienne. Alors qu’on serait tenté de croire que la police technique et scientifique et la médecine légale peuvent faire des miracles, il n’en est rien. La mort garde sa part de mystère.

marie-france-pisier.1304073208.jpgÀ ce stade de l’enquête, il semble bien que les éléments rassemblés par les gendarmes convergent vers un suicide. Le suicide est en France la troisième cause de mortalité après les maladies cardio-vasculaires et le cancer. Et environ un tiers des suicides se font par noyade.

C’est donc tout naturellement, en présence d’un noyé, que les enquêteurs penchent pour un acte volontaire. Sauf s’il y a des traces de violence, évidemment. Et comme les constatations se limitent souvent à celles qui sont effectuées sur le corps (absence de scène de crime), ils attendent beaucoup de l’autopsie.

Celle-ci n’est pas si simple, car, d’un cas à l’autre, la cause de la mort peut-être différente.

La syncope ou hydrocution – A peine dans l’eau, la victime perd connaissance et coule à pic. La mort est due à l’asphyxie et il n’y a pas d’eau dans les poumons. C’est le noyé blanc.

L’hypothermie – En dessous de 32 ° de température corporelle, il y a perte de connaissance, ce qui peut être fatal.

La noyade brutale – L’eau submerge les voies aériennes supérieures. Un spasme se produit qui provoque un arrêt cardiaque.

La noyade classique – Le réflexe de survie pousse la personne à se débattre, à regagner la rive… Mais elle avale de l’eau, à plusieurs reprises, jusqu’au moment où le liquide atteint les alvéoles pulmonaires, suscitant une détresse respiratoire. C’est le noyé bleu.

Il existe des suicides prémédités et des suicides spontanés. Dans le premier cas, en général, la personne met ses affaires en état et laisse une lettre pour ses proches ; dans l’autre, il faut souvent chercher l’explication dans les heures qui précèdent le passage à l’acte.

Il n’est pas inhabituel que la personne suicidaire prenne des médicaments ou de l’alcool, avant le geste ultime. Et parfois même, elle se leste d’objets ou de vêtements lourds. Je me souviens d’une affaire où le jeune homme sorti de l’eau avait les mains attachées dans le dos et des tampons féminins enfoncés dans la gorge. Affaire criminelle, à l’évidence. Pourtant, une reconstitution effectuée par le juge d’instruction a permis de déterminer qu’il était possible de réaliser soi-même les nœuds rudimentaires qui tenaient le cordage. Le magistrat a conclu au suicide. Je dois avouer qu’encore aujourd’hui, je reste sceptique.

Pourtant, les crimes par immersion sont rares. Et cela concerne le plus souvent des personnes qui ne peuvent se défendre, comme des enfants ou des vieillards. En revanche, il est fréquent qu’un assassin tente de faire disparaître le corps de sa victime en le jetant à l’eau. Souvent lesté, voire lacéré, pour éviter que la putréfaction ne le fasse remonter à la surface.

Ce billet ne cherche pas s’immiscer dans l’enquête sur le décès de Marie-France Pisier, il est juste destiné à mieux comprendre les difficultés que peuvent rencontrer les enquêteurs pour déterminer avec certitude les causes de sa mort.

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Biblio. : La parole est aux cadavres du lieutenant de police Perrine Rogiez-Thubert, et, Profession, médecin légiste, du docteur Bernard Marc. Ces deux livres aux éditions Demos.

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