LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 3 of 20)

Le secret professionnel face à la lâcheté de la société

Le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Mgr Éric de Moulins-Beaufort, piégé par un journaliste pugnace, a soutenu que « le secret de la confession est plus fort que les lois de la République ». Tollé général dans les médias et réaction immédiate du cabinet du ministre de l’Intérieur : l’ecclésiastique est convoqué par Gérard Darmanin « afin de s’expliquer sur ses propos ».

À quel titre, cette convocation ? On ne sait pas trop, car si le ministre de l’Intérieur est également ministre des Cultes, c’est essentiellement pour que chacun, en France puisse pratiquer la religion qu’il souhaite, s’il le souhaite. Il n’a aucun pouvoir hiérarchique sur les gens d’église, d’autant que depuis 1905, les prêtres ne sont plus payés par l’État, mais par les dons de fidèles, via des associations cultuelles.

Pour ne pas être en reste, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, toujours péremptoire, affirme que le secret de la confession n’est pas absolu. Pour lui, un prêtre qui reçoit dans le cadre de la confession des confidences sur des faits de pédocriminalité a « l’impérieuse obligation de mettre un terme à ces faits ». S’il ne le fait pas, il peut être condamné, « cela s’appelle non empêchement de crime ou de délit », a-t-il affirmé.

J’aurais préféré qu’il dise que les prêtres, comme tout un chacun, ont l’impérieuse obligation « morale » de réagir pour sauver un enfant. Car en droit, les choses ne sont pas si tranchées qu’il veut bien l’affirmer : la loi prévoit la dénonciation obligatoire de certains faits – sauf si la loi en dispose autrement.

Une inaction qui porte atteinte à l’action de la justice – Plusieurs articles du code pénal punissent la personne qui n’aurait pas informé les autorités judiciaires ou administratives d’une infraction mentionnée par ces dits articles alors qu’elle en a eu connaissance, d’une manière ou d’une autre.

On va se limiter à l’article 434-3 qui vise les actes (privations, mauvais traitements, agressions sexuelles…) infligés à un mineur ou à un adulte qui n’est pas en mesure de se protéger « en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse ».

La personne qui a connaissance de tels actes a l’obligation de parler, de désigner les « coupables », ou a minima de dénoncer les faits. À défaut, elle encourt une peine qui peut atteindre cinq ans d’emprisonnement.

Les exceptions – Évidemment, il y a des exceptions. L’article 434-3 se termine par cette phrase sibylline Continue reading

Affaire Jubillar : un meurtre sans cadavre ?

L’infirmière de 33 ans Delphine Jubillar a disparu de sa maison de Cagnac-les-Mines, commune rurale du Tarn, dans la nuit du 15 au 16 décembre 2020. Son mari, Cédric Jubillar, a été mis en examen six mois plus tard pour meurtre aggravé ; et écroué, notamment « pour protéger les indices et les preuves éventuelles de son crime ».  Ses avocats, qui fustigent les lenteurs de l’instruction, viennent de demander sa remise en liberté.

Ceci n’est pas un oiseau

Rendre la justice, c’est oublier ses a priori, ses émotions, ses certitudes ou celles des enquêteurs, les complaintes des médias et des réseaux sociaux… pour ne s’en tenir qu’aux faits, qu’ils soient à charge ou à décharge, dans la ligne du code de procédure pénale.

Je disserte sur ce blog, mais je ne rends pas la justice.

Si les magistrats ont la conviction de la culpabilité de Cédric Jubillar, au point de le placer derrière les barreaux, personne à ce jour ne peut objectivement écrire le scénario du crime. Sauf à imaginer un machiavélisme de polar, comment concevoir que ce jeune homme a pu tuer son épouse et fait disparaître son corps et toutes traces de son acte en l’espace de quelques heures ?

Et pourtant, son comportement et les circonstances de cette disparition ont immédiatement intrigué les gendarmes. Les recherches pour retrouver la jeune femme étant demeurées vaines, à défaut de charge, ils lui ont laissé la bride sur le cou, le surveillant étroitement, guettant la faute, la confidence… Mais il semble bien qu’ils aient fait chou-blanc. C’est donc au vu d’éléments ténus qu’il a été écroué. Avec un gros point d’interrogation : où est passé le corps de la victime ?

Les faits – Le 16 décembre 2020, à 4 h 09, les gendarmes reçoivent un appel de Cédric Jubillar : réveillé par sa fille de 18 mois, il vient de constater la disparition de sa femme, qui habituellement dort sur le canapé du salon. Les gendarmes arrivent très vite. À 4 h 50, ils estiment qu’ils sont face à une « disparition inquiétante ». Ils effectuent les premières recherches dans les alentours et donnent l’alerte : rapidement des moyens considérables sont mis en place, comme seuls savent le faire les militaires de la gendarmerie.

Les premières constatations – Delphine Jubillar aurait quitté le domicile en pleine nuit sans prendre ses lunettes, ni son sac à main, ni aucun effet personnel. Seul son téléphone portable n’est plus là. Il a borné pour la dernière fois à 22 h 55, en accrochant un relais à proximité de son domicile. Il n’a pas été retrouvé. Probablement déchargé, il est passé en mode « messagerie » à 7 h 48. Cédric Jubillar a tenté de joindre son épouse jusqu’à 10 h : de très nombreux appels sont enregistrés sur la boîte vocale de celle-ci. Avant de prévenir les gendarmes, vers 4 h, il avait appelé l’une de ses amies, espérant qu’elle avait pu l‘héberger. C’est du moins ce qu’il affirme. Continue reading

J’ai été avocat

Le 3 avril 2012, François Fillon, alors Premier ministre, prenait un décret-passerelle qui ouvrait aux ex-ministres et parlementaires l’accès à la profession d’avocat, sans s’embarrasser de la formation théorique et pratique ni du certificat d’aptitude à la profession (CAPA). Une issue de secours pour des politiques à quelques semaines de l’élection présidentielle.

Cette possibilité fut supprimée l’année suivante sous la pression du Conseil national des barreaux et du barreau de Paris et, d’une façon bien plus modeste, de ce blog. Un soutien à une profession qui m’était étrangère, dans un billet titré un peu vite : Moi aussi, je veux être avocat !

Cérémonie de prestation de serment

C’était pour de faux, évidemment.

Pas cap ! m’a dit quelqu’une, à deux doigts de remettre en cause ma virilité… morale.

Piqué au vif, je me suis lancé.

Les jeunes qui envisagent le barreau rament dure avant de revêtir la robe : au minimum bac+6. Mais il existe pas mal de petites portes, ce qui, à juste titre, doit les faire renâcler. Or justement, il se trouve que j’ai passé une partie de ma vie à ouvrir des portes pour avoir un jour le plaisir de les claquer.

Alors, je me suis renseigné…

Les fonctionnaires et anciens fonctionnaires de catégorie A qui ont exercé des activités juridiques pendant huit ans au moins dans une administration ou un service public sont exemptés de la formation et du CAPA (art. 98 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession), mais ils ne sont dispensés ni du diplôme universitaire ni d’un examen de contrôle des connaissances en déontologie et en réglementation professionnelle. (À la différence des commissaires de police, les magistrats qui veulent changer de robe sont inscrits directement au barreau sans être soumis à la condition légale du diplôme.)

Mon « certif’ » obtenu difficilement à 13 ans étant manifestement un peu léger, la première chose était de décrocher l’équivalent d’une maîtrise, diplôme minimum requis pour accéder au barreau. Je me suis donc rapproché de l’Université de Paris-Nanterre, non pas en souvenir de Mai-68, mais parce que j’avais lu que des enseignants de cette faculté se déplaçaient à la Maison d’Arrêt toute proche pour donner des cours à des détenus qui manifestaient l’envie de s’en sortir. Par un raisonnement simpliste et aujourd’hui non assumé, je m’étais dit : s’ils forment des taulards, ils doivent pouvoir former un ancien flic ! Continue reading

Une claque politique

Au cri de ralliement des chevaliers français, mardi dernier, un homme a giflé le président de la République, alors que ce dernier se livrait au rituel du serrage de mains. L’agresseur, Damien Tarel, 28 ans, a été rapidement plaqué au sol, tandis que l’un des agents de la protection rapprochée ceinturait Emmanuel Macron dans une prise arrière, comme pour le contenir et l’empêcher de riposter. Au passage, je ne suis pas certain que cette réaction (filmée) ait été appréciée…

La classe politique, les éditorialistes, les juristes et tutti quanti en ont fait une montagne, le Premier ministre appelant même à un sursaut républicain – à deux doigts de demander une minute de silence – tandis que les communicants de l’Élysée tentaient, mais vainement, d’appuyer sur la pédale de frein.

Dites-le avec des fleurs !

Après un léger cafouillage juridico-administratif : qui fait quoi ? les gendarmes drômois ont ouvert une enquête pour violence légère contre une personne dépositaire de l’autorité publique.

Et 48 heures plus tard, en comparution très immédiate, Damien Tarel se retrouve face à ses juges. Le procureur parle d’un acte « parfaitement inadmissible ». Il fallait le dire. Il requiert 18 mois de prison pour violences volontaires sur une personne dépositaire de l’autorité publique. Droit dans ses cuissardes médiévales, le prévenu assume. Son avocate s’échine à rappeler qu’il ne peut y avoir de « justice d’exception » et que des travaux d’intérêt général seraient préférables à une incarcération, etc. Elle aurait pu ajouter qu’il ne serait pas malin d’entrer dans le jeu de son client et de faire de ce procès la catachrèse de l’anti-macronisme… Au final, le tribunal suit le ministère public sur la durée de la peine, limitant toutefois son exécution immédiate à 4 mois d’emprisonnement.

Le condamné fait de plus l’objet de peines complémentaires symboliques comme la privation de ses droits civiques et l’interdiction d’exercer une fonction publique. Tiens, on ne lui a pas sucré le RSA !

Emmanuel Macron semble le seul à avoir compris le piège. Il rame pour prendre ses distances avec cet événement : « Ce n’est pas grave de recevoir une gifle quand on va vers une foule ! » Continue reading

Cour d’assises : dans le secret du délibéré

Le procès d’assises qui a conduit à la condamnation de Jonathann Daval, le 21 novembre 2020, pour le meurtre de son épouse Alexia, s’est tenu à Vesoul sous le feu des projecteurs, mais le verdict a été élaboré à l’abri des regards, dans le secret du délibéré.

Personne ne saura ce qui s’est dit derrière la porte de la chambre des délibérations, mais il n’est pas inintéressant de connaître la démarche qui a amené la cour à prononcer une peine de 25 ans de réclusion criminelle, alors que l’avocat général, Emmanuel Dupic, avait conclu son réquisitoire en demandant la perpétuité (art. 221-4 du code pénal, qui dans son 9° ter vise le meurtre commis par le conjoint de la victime, son concubin ou son partenaire pacsé).

Une peine, comme l’a souligné Randall Schwerdorffer, l’avocat de Daval, « qu’on prononce contre les criminels les plus dangereux de la société : Francis Heaulme, tueur d’enfants, Fourniret, Marc Dutroux, Guy Georges… ».

Néanmoins, si l’avocat général requiert une condamnation au nom de la société, si les avocats plaident au nom de leurs clients, c’est finalement la cour qui décide : trois magistrats et six personnes « ordinaires » (neuf en appel) tirées au sort plusieurs fois pour participer à une aventure dont ils garderont à jamais le souvenir.

Ils auront la lourde tâche de se forger une opinion sur une enquête judiciaire, longue de plusieurs années, qu’ils découvriront au fil du procès. En l’espace de quelques jours ou de quelques semaines, ils vont devoir se glisser dans la peau d’un citoyen-juge avec pour tout bagage juridique une formation de quelques heures au cours de laquelle ils auront reçu des notions de procédure pénale et le canevas du déroulement du procès. Pour mieux comprendre, lors des débats, ils peuvent poser des questions aux accusés et aux témoins, en prenant garde toutefois de ne pas manifester leur opinion. Les jurés s’intègrent très vite et sont rapidement en phase avec le ministère public, disait il y a quelques jours l’ancien président de cour d’assises de Paris Dominique Coujard, lors d’une conférence aux avocats du barreau de Paris. « J’ai toujours été surpris par l’intelligence des jurés et leur scrupule à bien juger », ajoutait-il.

C’est leur présence qui justifie l’oralité des débats. Continue reading

Floutage de gueule

Après les attentats du mois dernier, droite extrême et extrême droite sont parties au quart de tour dans une surenchère sécuritaire. Un classique, puisqu’il en est de même après chaque attentat. Mais c’est Éric Ciotti qui a décroché le pompon en réclamant la création d’un « Guantanamo à la française ». Pas mieux, a dû se dire Marine Le Pen.

Du côté de la majorité, pas question d’abandonner du terrain à 18 mois des présidentielles : durcissement du projet de loi sur le séparatisme (qui cherche son point d’équilibre : la liberté d’expression peut-elle être à sens unique ?) et cascade d’amendements à la proposition de loi relative à la sécurité globale.

Ce texte sur la sécurité globale a été porté par les députés Alice Thourot et l’ancien patron du RAID Jean-Michel Fauvergue. Avec l’appui de l’ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, aujourd’hui président du groupe LREM a l’Assemblée nationale. Il fait l’objet d’une procédure accélérée.

Initialement, cette proposition de loi visait à créer un « continuum de sécurité » en rapprochant policiers, gendarmes, polices municipales et sécurité privée. Soit 400 à 500 000 personnes qui œuvreraient toutes pour notre sécurité. Toutefois, Gérard Darmanin a recentré cette proposition de loi sur la protection des forces de sécurité. Une façon de les dorloter, alors que de sombres nuages s’accumulent au-dessus de la France. Notamment en mettant en application sa promesse « de ne plus pouvoir diffuser l’image des policiers et des gendarmes sur les réseaux sociaux » (une proposition de loi en ce sens avait d’ailleurs été déposée en mai 2020 par le député Éric Ciotti).

Du coup, un texte qui aurait pu faire consensus est pointé du doigt comme une atteinte aux droits à l’information et un nouveau croche-pied à nos valeurs républicaines.

Toutefois, si l’on passe outre à la démagogie sécuritaire, peut-on trouver des justifications sérieuses à une telle décision ?

L’image, notre image, fait partie intégrante de la vie privée. Or, depuis une loi promulguée le 18 mars 1803, reprise texto dans l’article 9 du code civil, « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Oui, je sais, ça sonne bizarre aujourd’hui… Il en résulte qu’une personne dont l’image est rendue publique sans son consentement, par la reproduction de son visage ou de toute autre manière, peut agir en justice. Mais souvent, ce droit se heurte à la liberté d’expression qui est considérée comme l’un des fondements d’une société démocratique. C’est d’ailleurs au nom de la liberté d’expression que le président Macron défend les caricatures de Charlie Hebdo : pour qu’en France « les Lumières ne s’éteignent jamais » (hommage à Samuel Paty, 21 octobre 2020). Il appartiendra donc au juge, lorsqu’il est saisi, de trouver l’équilibre entre ces deux droits fondamentaux. Mais souvent, Continue reading

Fadettes, pirouettes, cacahouètes…

Le 6 octobre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a tranché : la collecte et la conservation systématiques des métadonnées – toutes ces traces qu’on laisse sur Internet ou via notre smartphone – sont incompatibles avec les traités et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Certains pourraient être tentés de dire qu’on n’en a rien à faire de cette Charte, sauf que, proclamée il y a vingt ans, à Nice, elle est juridiquement contraignante depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009. En fait, pour ceux qui espèrent une Europe « plus humaine », il s’agit d’une avancée considérable. Et même si la route est longue, cette Charte est sans doute le premier pas vers une souveraineté européenne. Un projet porté pour la France par Emmanuel Macron, qui passe par le renforcement de l’État de droit au sein de l’UE et par l’adhésion de celle-ci à la Convention européenne des droits de l’homme.

Cela pour dire qu’on ne peut pas s’asseoir sur une décision de la CJUE : ce n’est pas un diktat, mais la simple application des traités que les 27 pays de l’Union ont voulus et signés. D’ailleurs, dans l’arrêt concernant les demandes de décision préjudicielle déposées par la France et la Belgique, la Cour s’est astreinte à trouver un compromis entre le souci affiché de renforcer les libertés publiques et les nécessités opérationnelles des services enquêteurs.

Toutefois, c’est un sérieux coup de frein aux méthodes d’investigation adoptées ces dernières années, tant par les services de renseignement que par les services d’enquête. Et cette décision risque fort de faire passer à la trappe le chantier (intellectuellement séduisant, mais combien dangereux) de l’enquête prédictive. Projet basé, pour ce que l’on en sait, sur la captation des données de chacun d’entre nous, afin de les passer à la moulinette de mystérieux algorithmes : on surveille tout le monde et un changement de comportement fait d’un innocent un suspect. Un projet pour lequel des entreprises privées ont déjà investi de gros moyens et qui nous mène tout droit vers une police de la pensée, telle qu’elle est imaginée par George Orwell – une police chérie de tous les césars aux petits pieds.

En deux mots, les services concernés vont donc devoir apprendre à travailler autrement, puisqu’aujourd’hui, la première démarche des enquêteurs consiste le plus souvent à « faire les fadettes » des suspects ou des victimes, s’il y en a, et ensuite à tracer leur Internet.

Pourtant, il ne faut pas faire celui qui tombe du placard. Déjà, en 2016 Continue reading

Éric Dupond-Moretti va-t-il affranchir les procureurs ?

Éric Dupond-Moretti est en omission. Pour un avocat, l’omission est une décision administrative qui entraîne la suppression de son nom au Tableau de l’Ordre. Mais c’est un acte réversible et rien ne l’empêchera de renfiler la robe si la politique lui tourne le dos. À moins qu’il ne remonte sur les planches !

Mais cet homme à facettes est également en omission dans ses premières déclarations de ministre, déclarations qui ne collent pas nécessairement avec ses positions antérieures et qui font craindre qu’il nous déçoive (voir sur Dalloz-Actualité l’article de Pierre Januel sur son audition par les élus).

Il est d’ailleurs un peu agaçant de l’entendre sans cesse répéter que « la justice est au service du justiciable », et jamais un mot pour les victimes. Une déformation professionnelle pour ce grand avocat qui a surtout défendu des accusés. Il faut dire que, malgré des avancées récentes, comme la transposition de la directive européenne de 2012 établissant les droits a minima pour les victimes, le procès pénal ressemble à un ring où s’affrontent l’avocat du suspect et le ministère public. La victime souvent est simple spectateur.

Or, depuis Bonaparte, le procureur qui représente le ministère public dépend hiérarchiquement du pouvoir exécutif.

Parmi les réformes que Dupond-Moretti souhaiterait mettre en œuvre, c’est sans conteste la plus importante : l’indépendance du parquet. Un projet en forme de marronnier (1993, 2008, 2013…) pour se rapprocher du monde idéal de Montesquieu où les élus voteraient les lois au nom du peuple, où le gouvernement en assurerait la mise en œuvre et où la justice en surveillerait la bonne application.

En fait, le plus gros du travail est déjà fait, puisque le projet de loi constitutionnelle réformant le Conseil supérieur de la magistrature a été adopté en 2016. Mais ce projet ne deviendra définitif qu’après avoir été approuvé par référendum ou par le Parlement réuni en congrès. Or le Congrès se réunit sur proposition du président de la République, mais celui-ci a préféré reprendre l’idée dans un nouveau projet de loi constitutionnelle, baptisé « pour un renouveau de la vie démocratique », présenté par le gouvernement précédent le 29 août 2019.

Comme la loi de 2016, ce projet de loi prévoit de modifier l’article 65 de la Constitution afin que les magistrats du parquet soient dorénavant nommés sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature (à l’identique des juges), lequel assurera également l’action disciplinaire.

« De la sorte, peut-on lire dans ce texte, tout en maintenant le principe selon lequel les politiques publiques de la justice, dont la politique pénale, relèvent du gouvernement, conformément à l’article 20 de la Constitution, les membres du parquet verront leur indépendance confortée. »

Il n’est donc pas interdit de penser que, lors d’un tête-à-tête, Emmanuel Macron et Éric Dupond-Moretti aient calé la réalisation de ce projet qui traîne depuis des lustres, le premier comptant sur le talent du second pour le mettre en exergue. Continue reading

Atteintes sexuelles sur mineurs : bientôt la fin de la prescription ?

Après le livre de Vanessa Springora, dans lequel elle dénonce le comportement de l’écrivain Gabriel Matzneff, le parquet de Paris a décidé l’ouverture d’une enquête préliminaire pour viols sur mineur de 15 ans. Les faits se seraient déroulés dans les années 1980.

Généralement, le substitut du procureur qui prend connaissance d’une plainte  vérifie si l’infraction dénoncée s’est déroulée « dans un temps non prescrit » : 1 an pour les contraventions, 6 ans pour les délits, 20 ans pour les crimes et même parfois 30 ans. La lecture est rapide, et si les faits sont trop anciens, il a tôt fait de cocher la case « extinction de l’action publique ».

Il en va différemment pour les infractions sexuelles : depuis #MeToo, les dossiers sont étudiés avec plus d’attention, afin de permettre à chacune des victimes d’avoir accès à la justice, et cela même si les infractions semblent prescrites.

Pour une fois que la justice est humaine, personne ne va s’en plaindre !

À Paris, c’était la position du procureur François Molins et c’est également celle de M. Rémy Heitz, son successeur. Il faut dire que le législateur leur a grandement facilité la tâche par la loi promulguée le 6 août 2018 renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes. Celle-ci porte à 30 ans le délai de prescription, à compter de la majorité de la victime (art. 7 du code de procédure pénale), pour le crime de viol commis sur un mineur. Tandis que pour les délits d’agression sexuelle ou d’atteinte sexuelle le délai reste de 20 ans après la majorité.

« Cet allongement de la prescription de l’action publique permettra de donner aux victimes le temps nécessaire à la dénonciation des faits, notamment pour prendre en compte le phénomène de l’amnésie traumatique… », peut-on lire sous la signature de Nicole Belloubet, la garde des Sceaux, dans la circulaire d’application du 3 septembre 2018. Celle-ci mentionnant d’autre part que la nouvelle loi s’applique aux personnes nées après le 6 août 1980, qui ont donc atteint leur majorité en 1998, soit 20 ans avant la promulgation de la loi.

Pourquoi 20 ans ? Cela correspond à l’ancien délai de prescription, car si la prescription est déjà acquise, la nouvelle loi ne s’applique pas. Continue reading

Carlos en cassation : le diable est dans les détails

Carlos continue son cinéma. Ses avocats ont bien travaillé. La peine de prison à vie, dont il a écopé pour l’attentat du drugstore Saint-Germain, a été annulée le 14 novembre 2019. Cette décision est la dernière d’une saga judiciaire qui dure depuis bientôt un demi-siècle.

Le Drugstore Publicis de Saint-Germain-des-Prés était un lieu branché de la capitale où les touristes, avec un peu de chance, pouvaient côtoyer des célébrités. Inauguré en 1965, il a fermé trente ans plus tard. Durant cette période, il a connu deux faits criminels saillants : la fausse arrestation de Mehdi Ben Barka, sur le trottoir, devant l’établissement, et l’attentat à la grenade pour lequel Ilitch Ramirez Sanchez, dit Carlos, a été condamné l’année dernière.

F2, le journal de Bruno Masure : arrestation de Carlos

C’était le 15 septembre 1974. Un peu après 17 heures, du premier étage, un homme jette une grenade sur la clientèle. Le bilan est terrible : deux morts et 34 blessés. Carlos, est à l’époque quasi inconnu, il n’apparaîtra réellement dans le viseur des services de police que l’année suivante, après le meurtre de trois personnes, dont deux policiers de la DST. C’est au cours de cette enquête qu’il sera découvert une cache d’armes et notamment un stock de grenades, identiques et de même origine que celle utilisée pour commettre l’attentat du drugstore. Carlos devient alors suspect numéro 1, et il revendiquera même cet attentat, mais en l’absence d’éléments concrets, le juge d’instruction prend une ordonnance de non-lieu en 1983, faisant ainsi courir le délai de prescription.

Pourtant, certains dossiers, même vides, restent à l’instruction des dizaines d’années. Alors, pourquoi une telle précipitation !

Peut-être en raison du contexte… Deux jours avant l’attentat au drugstore, des individus armés avaient pénétré de force dans l’ambassade de France à La Haye, aux Pays-Bas. Après avoir tiré sur des policiers, ils s’enferment avec onze otages dans le bureau de l’ambassadeur. Les terroristes se revendiquent de l’Armée rouge japonaise (JRA), un groupuscule d’extrême gauche uni à d’autres mouvements tout aussi dangereux dans une sorte d’amicale terroriste internationale au nom d’une révolution mondiale. Des gens redoutables, proches du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Or, qui dit FPLP dit Carlos, puisque depuis que Mohamed Boudia le « représentant » du mouvement palestinien à Paris, s’est fait exploser en démarrant sa R16, en plein Quartier latin, celui-ci est considéré comme le responsable de cette organisation pour l’Europe, avec la bénédiction du KGB qui finance et tire les ficelles.

Les preneurs d’otages veulent un million de dollars, un avion pour quitter le pays et la libération de l’un de leurs compatriotes, un certain Yatuca Furuya (vraisemblablement un pseudo) – qui bien sûr est l’enjeu principal. Les services français tombent du placard Continue reading

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