LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 15 of 20)

Garde à vue : une réforme à la hâte

Le défi, c’est de faire entrer un maximum de choses dans un minimum de temps. A l’horizon de quelques mois, la garde à vue va donc devenir une véritable course contre la montre pour les policiers et les gendarmes. Voyons un peu… Top chrono !

lapin-alice-au-pays-des-merveilles.1295600217.jpg1/ Arrestation des suspects, perquisition, relevé des traces et indices, saisies et… retour au service : 2 à 3 heures

2/ Notification de la garde à vue et des droits, procès-verbal sur l’état civil (et non pas sur les faits. Quid s’il s’agit de faux papiers ?) et premières vérifications : 1 heure

3/ Recherche des avocats et organisation du transport à l’unité médico-judiciaire (voir plus loin) : 2 à 3 heures.

4/ Retour au service où les avocats attendent. On leur explique la situation de la personne qu’il représente. Et on leur demande de patienter le temps de préparer une première audition : 1 heure.

5/ Première audition des suspects en présence de l’avocat : 1 ou 2 heures par individu.

6/ Une petite pause casse-croûte et… il reste 12 heures de garde à vue. Si l’on retranche un temps de repos raisonnable, tant pour les suspects, que leurs avocats et les policiers, il reste 5 ou 6 heures pour boucler l’affaire. Autant demander la prolongation tout de suite.

Il aura fallu une décision du Conseil constitutionnel, deux arrêts de la Cour européenne et deux décisions de la Cour de cassation, pour que le gouvernement admette l’archaïsme de la garde à vue à la française. Le législateur est donc aujourd’hui « en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l’ordre public au cours d’une mesure progressivement devenue un symbole de l’enquête policière », déclare le député Michel Hunault, en ouverture du débat du 18 janvier 2011. Il s’agit pour les parlementaires de légiférer dans l’urgence sur une situation que chacun savait intenable. Et, pour l’anecdote, c’est la première fois que l’Assemblée nationale est saisie d’un projet de loi qui fait suite à une QPC (question prioritaire de constitutionnalité).

L’application de cette réforme va profondément chambouler les pratiques policières – et au-delà. À tel point qu’une période de rodage paraît indispensable. Le problème, c’est la date butoir fixée par le Conseil constitutionnel : le 1er septembre 2011. Il reste donc sept mois pour voter la loi, former les OPJ, les magistrats et les avocats, et mettre en place les structures nécessaires. Or, pour l’instant, on n’en est qu’au projet (voir le mécanisme du vote de la loi sur Vie-Publique).

Bouh !…

Évidemment, parmi les modifications, la plus importante concerne la place de l’avocat dans le déroulement de la garde à vue. Par la force des choses, un consensus s’est aujourd’hui dégagé pour admettre sa présence, tant auprès des parlementaires de la majorité que des policiers.

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Voici l’article le plus simple, et sans doute le plus marquanr, de cette loi : « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui. »

C’est lapidaire à souhait, comme l’était antan l’article 12 du Code pénal : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. » D’ailleurs, pour certains élus, cette réforme est la plus importante depuis la suppression de la peine de mort. La comparaison est un peu forte.

En attendant, cette petite phrase risque fort de ringardiser à jamais tous les films policiers, car c’est la fin de la fameuse scène du face-à-face entre le flic et le criminel.  Ou pour le moins l’introduction d’un nouvel acteur, l’avocat, ce qui risque de faire fondre le charme. D’autant qu’on ne voit guère ce dernier encourager son client à faire des confidences – sauf à pouvoir négocier la qualification de l’infraction, ce qui n’est pas prévu (pour l’instant) à ce stade.

Il faudra donc que les enquêteurs s’habituent et qu’ils ne comptent plus ni sur les aveux ni sur ces confidences grappillées au fil d’un entretien à bâtons rompus (?). Du coup, c’est l’articulation même de l’enquête policière qui va se trouver modifiée. L’audition du suspect, ce morceau de roi que se réserve souvent le chef de groupe, ne fera plus recette. Les actes les plus importants deviendront alors la perquisition, les saisies et les confrontations.

Comment devrait se dérouler une mesure de garde à vue new look ?

Une fois sur place, l’avocat est informé des faits qui sont reprochés à son client. A priori, il n’aura toutefois pas accès à l’ensemble du dossier, ni aux dépositions des autres personnes qui pourraient être impliquées. Ce qui veut dire que l’avocat est là essentiellement pour s’assurer que les droits de son client sont respectés – et non pour participer à l’enquête. En revanche, il est évident que les déclarations effectuées en sa présence revêtiront un caractère plus « officiel » que par le passé. À tel point que l’on peut se demander si l’OPJ ne va pas remplacer le magistrat !

Je crois qu’il faut bien préciser le rôle exact de l’avocat. Car s’il agit comme conseil dans l’affaire, il ne peut  alors représenter qu’une seule personne ; les différents suspects n’ayant pas nécessairement des intérêts convergents. Ce qui impose un avocat pour chacun des gardés à vue. Or, s’il s’agit d’un crime ou d’un délit en bande organisée,  il peut y avoir dix ou vingt personnes interpellées en même temps. Je me souviens d’une affaire où les procédures (une par client) étaient posées sur le sol, et faisaient le tour de mon bureau. Donc, 20 gardés à vue = 20 avocats. Il va falloir repousser les murs…

Et l’on suppose que ces 20 avocats vont suivre le dossier jusqu’au bout. Car on n’imagine pas que le procureur ou le juge d’instruction puisse rompre la chaîne… Or une enquête de ce genre, qui met en cause beaucoup de gens, entraîne généralement une garde à vue de 48 heures. Je me demande comment ils vont s’organiser…

En dehors de la présence de l’avocat, les choses, semble-t-il, ne changeront pas énormément. La garde à vue reste le domaine privilégié de l’OPJ, sous le contrôle du procureur (dans les débats, il semble qu’on ait un peu oublié le juge d’instruction). Mais la mesure est désormais encadrée. Elle ne peut être utilisée que pour les crimes ou les délits punis d’une peine d’emprisonnement (donc pas les contraventions) et pour les raisons qui seront énumérées dans le Code. Ce qui peut poser quelques problèmes, notamment dans les interventions sur la voie publique. On risque de voir s’envoler le nombre de procédures pour rébellion, uniquement pour justifier une interpellation un peu hâtive qui ne correspondrait pas aux critères de la loi.

Dans les modifications attendues, on peut noter que le gardé à vue aura désormais la possibilité d’informer deux personnes, un proche et son employeur. Alors qu’aujourd’hui, c’est l’un ou l’autre. Même si dans les faits, les enquêteurs savent souvent se montrer conciliants.

Enfin, le droit d’être examiné par un médecin demeurerait inchangé, mais bizarrement, celui-ci ne donnerait plus son avis sur l’aptitude (physique ou mentale) de son patient au maintien en garde à vue. On peut donc supposer que la décision reviendra à l’OPJ, en fonction du certificat délivré par le praticien. Il y a là un transfert de responsabilité.

À noter, pour rester dans le domaine médical, qu’une circulaire interministérielle (Justice/Santé) prévoit que, depuis le 15 janvier, l’examen doit se dérouler dans l’Unité médico-judiciaire (UMJ), lorsqu’il en existe une sur le ressort du TGI. Il faut donc prévoir, dit le directeur général de la police nationale, une escorte pour accompagner les gardés à vue. Un véritable casse-tête pour certains services, même si des dérogations sont envisageables. « Cette circulaire (…) va mobiliser un grand nombre de policiers et de véhicules alors même qu’on réduit les effectifs et les moyens matériels », remarque l’ UNSA Police.

Et enfin, et c’est important, la loi doit garantir le respect de la dignité humaine, notamment en interdisant les fouilles à corps intégrales liées à la sécurité. Une telle fouille resterait possible, mais uniquement pour des raisons concernant l’enquête. Dans ce cas, elle est assimilée à une perquisition – donc, en enquête préliminaire, il faut l’accord de l’intéressé.

À mon avis, cette réforme de la garde à vue effectuée bourgeois-de-calais.1295600407.jpgsous pression ne peut être qu’un replâtrage. Et il faudra attendre un remaniement sérieux de la procédure pénale pour que la France possède enfin un système qui préserve au mieux les droits de la défense et la dignité humaine, sans nuire au bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.

Pas d'arête dans le foie gras

Les députés sont entrés en résistance. Mais ils auront beau faire, lorsqu’on lance au bon peuple l’idée audacieuse d’instaurer la transparence financière en  politique, on ne peut pas revenir en arrière. Jean-Luc Warsmann, le président de la arete-poisson_site_frvocabulary.pgcommission des lois, l’a bien compris. Devant ses collègues qui refusaient de voter une loi qui les touche au portefeuille, il leur a dit : « On ne peut pas envoyer le message ce soir que, lorsque quelqu’un fraude délibérément, il ne se passe rien ! »

Pourtant, ce sera (presque) le cas, si le mois prochain le vote de la loi sur la transparence financière de la vie politique est adoptée en l’état. Le texte initial prévoyait une peine de deux ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende pour le député qui aurait fait une fausse déclaration sur son patrimoine ou qui aurait menti sur le montant de ses revenus – autrement dit qui se serait enrichi sur le dos des citoyens qui l’ont élu. Car en fait, tout ce qu’on leur demande, c’est de justifier d’un enrichissement personnel durant leur mandat. Ce texte ne vise donc que les tricheurs…

Or, d’un trait de plume, on vient de gommer les deux ans de prison pour ne conserver que l’amende.
Étonnant, non, alors que sans cesse et cela pour le moindre délit, on augmente le nombre d’années de prison ! Au point que bientôt les peines en correctionnelle seront plus élevées qu’en cour d’assises – d’où l’idée du jury populaire pour les délits.

Je me demande comment nos députés vont réagir, alors qu’ils doivent voter – aujourd’hui – la LOPPSI 2. Vont-ils par exemple adopter ce nouvel article du code pénal (226-4-1) sur la lutte contre la cybercriminalité, qui prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement pour toute personne qui usurpe l’identité d’un tiers en vue de troubler sa tranquillité ou de porter atteinte à son honneur ? Ou cet article 332-16-1 du code du sport qui menace de six mois de prison le supporteur d’un club qui serait passé outre à l’interdiction de se rendre à un match…

Sûr qu’ils vont faire machine arrière. L’arête est trop grosse. Mais si ce n’était pas le cas, si nos députés préféraient s’autoamnistier tout en sanctionnant durement « les autres », s’ils n’hésitaient pas à prévoir de lourdes peines de prison pour leurs concitoyens tout en refusant de châtier leurs collègues indélicats, voire malhonnêtes, on serait en droit de s’interroger. On serait en droit de s’interroger sur leur légitimité. famille-oie.1292923426.gif

Allez, je leur souhaite malgré tout un joyeux Noël. Après tout, ça ne mange pas de pain. Et comme disait Marguerite, ma grand-mère d’adoption : « Pour déguster le foie gras, il faut d’abord gaver les oies. »

Si Julian Assange était français…

« Le préservatif se serait déchiré pendant un rapport sexuel consenti », nous dit l’avocat du cofondateur de WikiLeaks. Or, lorsque sa partenaire a découvert qu’il n’était plus couvert, elle a vu rouge, rouge comme une notice d’Interpol, et elle a déposé une plainte pour viol.

wikileaks_censure.1291455613.jpgJ’espère que le monsieur y a pris du plaisir, car depuis, il est en cavale. Pas loin de rejoindre Ben Laden au hit-parade des gens les plus recherchés de la planète.

Sans être dans le secret des dieux, personne n’est dupe. On sent bien que les E-U sont derrière cette mascarade de justice – avec la complicité de nombreux autres États. Il faut dire que les Américains ont un sacré problème : une constitution psychorigide et des lois qui ne changent pas tous les trois mois. Pas étonnant qu’ils jalousent notre si beau pays…
Un pays où « de simples soupçons, et non des preuves formelles » suffisent pour incriminer un individu, comme le rapporte la note du Monde du 29 nov. 2010 : Comment Washington voit la lutte contre le terrorisme en France ().

Une chose est sûre, si Julian Assange avait été français, on ne lui aurait pas reproché de se découvrir durant l’amour. Non, on aurait feuilleté le Code pénal, et dans le capharnaüm des textes qui visent « les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation », on aurait nécessairement trouvé des raisons pour embastiller ce monsieur. On l’a bien fait pour justifier la surveillance d’un journaliste…

Mais c’est quoi les intérêts fondamentaux de la nation ? D’après l’art. 410-1, cela va de l’intégrité de son territoire, à sa sécurité, ses institutions, ses moyens de défense et de diplomatie, l’équilibre de son milieu naturel, son environnement et son patrimoine culturel, etc. En fait, on peut tout y mettre. Ainsi, quand Éric Cantona appelle à retirer son argent des banques pour faire capoter le système, il ne sait pas qu’il a probablement commis un délit contre la sûreté de l’État. Car il s’agit de déclarations propres à ébranler directement ou indirectement la confiance dans la solidité de la monnaie. Et le fait d’inciter le public à des retraits massifs de fonds pourrait être considéré comme l’élément déterminant de ce délit. Je mets tout cela au conditionnel, car il s’agit d’un droit peu appliqué. Bon, il a de la chance notre footballeur-acteur, pour déclencher l’action publique, il faut une plainte du ministre des Finances. Et pour l’instant, Mme Lagarde s’est contentée de le renvoyer dans ses buts.

Alors, vous imaginez… Un bonhomme qui se permettrait de dévoiler des notes diplomatiques dans lesquelles on découvrirait que nos élus (et même nos magistrats) vont régulièrement faire carpette à l’ambassade américaine de Paris, ou encore que notre Président est entouré d’une cour de conseillers « qui évitent de le contredire ou de provoquer son mécontentement ». Au point d’avoir détourné l’avion présidentiel pour éviter qu’il puisse apercevoir la Tour Eiffel éclairée aux couleurs de la Turquie, à l’occasion de la visite du premier ministre turc. Une bonne blague de Bertrand Delanoë (Voir la note du Monde du 30 nov. 2010 : Nicolas Sarkozy, « l’Américain » ().

Mais comme Assange n’est ni français ni réfugié en France, Éric Besson, notre ministre de l’Économie numérique s’en prend à l’un des hébergeurs de WikiLeaks qui, lui, se trouve sur notre territoire. Il demande au vice-président du CGIET (Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies) comment faire pour neutraliser ce site. Pour mémoire, le CGIET est placé sous l’autorité directe du ministère des Finances.

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Les autorités se donnent le droit de nous espionner, d’écouter notre téléphone, d’ouvrir notre courrier, de placer chez nous des micros ou des caméras, et lorsque la situation se renverse, et que pour une fois, c’est nous, les petits, qui pouvons jouer les voyeurs, tous les grands de ce monde montent au créneau pour défendre leur intimité.

Qu’on ne s’y trompe pas, c’est une véritable révolution qui est en marche. Une révolution virtuelle. Selon les résultats, soit on va s’acheminer vers un monde dans lequel les internautes deviendront tous des malfaiteurs en puissance ; soit, au contraire, vers une légitimation de la liberté de l’information.

J’ai un peu le trac, d’un seul coup.

Vente à la sauvette chez LOPPSI

Tout a commencé en octobre 2007. Nicolas Sarkozy a voulu un nouveau livre blanc sur la sécurité. Une commission créée pour la circonstance planche sur le sujet et, en 2008, il ne reste plus qu’à passer à l’acte. D’où LOPPSI 2 (LOPPSI 1, c’était en 2002), projet présenté au parlement en mai 2009 par son successeur au ministère cuisine_le-traiteur-du-pavillon-gourmand.1291101725.jpgde l’Intérieur, MAM en personne. En cette fin d’année 2010, c’est le successeur du successeur qui suit le dossier. Certes, les amendements pleuvent, (ils seront examinés mi-décembre) mais la loi devrait finalement être adoptée dans les prochaines semaines. En tout cas avant 2012.

On peut imaginer combien elle a été mitonnée !

Dans ce fatras de nouvelles dispositions, au milieu de la lutte contre la grande criminalité, la cybercriminalité, les actes de pédophilie, etc., j’en ai retenu une : la vente à la sauvette.

Il s’agit d’un amendement destiné à s’insérer dans la partie « crimes et délits contre la nation, l’État et la paix publique », qui créé le délit de vente à la sauvette. Le fait de vendre sur un bout de trottoir des fruits, des gadgets ou je ne sais quoi, deviendrait ainsi punissable de six mois de prison et 3 750 € d’amende. Alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une contravention de 4° classe. Avec, comme il est de mise pour tout nouveau texte, un petit plus : la peine d’emprisonnement et l’amende seront aggravées si l’infraction est commise en bande organisée.

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Cela, nous disent les députés, afin d’être en mesure de procéder à « l’interpellation » et au « placement en garde à vue, notamment afin de permettre la recherche de l’identité de l’auteur et l’inscription dans les fichiers de police, en particulier au STIC ». Bon, sauf que…

Aujourd’hui, le contrôle d’identité autorise une retenue de quatre heures et, une fois à la disposition de l’OPJ, rien n’empêche celui-ci de placer le suspect en garde à vue, puisque l’enquête préliminaire le permet, quelle que soit l’importance de l’infraction (même si cela se pratique rarement pour une contravention). Il est vrai que bientôt, après la réforme, il en sera sans doute autrement. Mais la garde à vue sera alors impossible si la peine encourue est inférieure à un an d’emprisonnement. Alors…

Ou les députés ne connaissent rien à la procédure pénale ou leurs arguments pour faire de la vente à la sauvette un délit sont fallacieux.

Et de s’interroger ! Ont-ils consulté policiers et gendarmes avant de pondre ce texte ? Car je ne sais pas s’ils sont conscients du surcroît de travail – et de frais – engendrés par ce petit changement… Garde à vue, médecin, avocat, probablement aide juridictionnelle, mise sous scellés de la marchandise, transfert du suspect, présentation à un magistrat, comparution immédiate, etc.

Et n’y a-t-il pas quelque chose de ridicule à faire de « la vente à la sauvette en bande organisée » un délit aggravé ! D’abord, c’est quoi une bande organisée ? Je n’ai pas trouvé de définition dans le projet de loi, mais si l’on en croit Georges Brassens, « sitôt qu’on est plus de quatre, on est une bande de cons »… Mais, cela ne s’applique pas seulement aux vendeurs de grigris sur les trottoirs des villes, hein !

De quoi qu’y se mêle le poète !

Plus sérieusement, il y a plein d’autres choses dans cette loi « tant attendue ». En épluchant la liste des amendements, on apprend, par exemple, que le système d’alerte des populations est obsolète. Et qu’en plus de sa modernisation, il pourrait être prévu l’envoi de message SMS pour aviser le bon peuple d’un danger imminent. La sirène du premier mercredi du mois aurait-elle vécu ?

Ou encore que la loi HADOPI, ce truc que le monde entier nous envie, est en contradiction flagrante avec la loi sur la sécurité. Car le fait de généraliser la surveillance d’Internet pourrait inciter les internautes à crypter leurs liaisons. « Ce qui a amené la NSA américaine et les services de renseignements britanniques à alerter leur gouvernement respectif sur les conséquences en matière de sécurité nationale dans le cas où une loi de type HADOPI serait adoptée dans ces pays ».

Qu’en pense-t-on à la DCRI ?

Quant aux académiciens, ils seront heureux d’apprendre la naissance officielle d’un nouveau mot : « vidéoprotection », lequel devra remplacer dans tous les textes législatifs et réglementaires le mot « vidéosurveillance » – ce qui évidemment, change tout.

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Pour les policiers et les gendarmes, bonne nouvelle : la moitié des véhicules neufs rejetteront moins de 130 g de CO2 au kilomètre. Mais ils seront peut-être plus intéressés de savoir qu’un concours de recrutement spécifique à l’Île-de-France va voir le jour (avec une obligation d’exercer pendant huit ans dans l’enfer de la capitale ou sa périphérie), conformément au décret du 14 décembre 2009. Ou que « l’indemnité de fidélisation » va évoluer pour les fonctionnaires actifs exerçant dans ladite région.

Quant aux magistrats, il va falloir qu’ils se familiarisent avec la vidéoconférence, car extraire un détenu de sa cellule coûte cher. 1 270 ETPT pour 155 000 extractions réalisées en 2008. Pour les nuls qui en seraient restés à l’euro, l’ETPT est une mesure du temps de travail. Ainsi, un fonctionnaire à temps plein représente pour les technocrates 1 ETPT. Mais s’il travaille à mi-temps, il ne compte plus que pour 0,5 ETPT.

À tout hasard, je vous donne la formule :

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Pour économiser des ETPT, les juges devront-ils procéder à des interrogatoires à distance ?

Alors, finalement, que faut-il penser de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ? Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle est aussi tarabiscotée que son titre. Dans un communiqué de presse de juillet 2009, le Syndicat de la magistrature déclarait que cette loi « révèle une conception de la société à la limite de la paranoïa », et que le projet  « est rédigé (sciemment ?) de manière si complexe et si obscure qu’il sera inintelligible pour le justiciable et les professionnels en charge de le mettre en application ».

Tellement complexe, qu’on peut même se demander si tous les élus savent pour quoi ils votent. georges-brassens-2.1291102821.jpg

Du coup, je comprends mieux pourquoi j’ai rien compris. Allez, je préfère me remettre un petit coup de Brassens : « Bande à part, sacrebleu ! c’est ma règle et j’y tiens. Parmi les noms d’élus, on n’verra pas le mien ».

Déchéance de nationalité : pour qui et pour quoi ?

La déchéance de la nationalité française, dont l’objectif serait de protéger les forces de l’ordre, présente-t-elle un intérêt quelconque ? On peut en douter. Si la crainte d’aller en prison ne fait pas reculer un criminel, il y a  gros à parier que le risque de se voir – en plus – déchu de sa nationalité ne lui fera ni chaud ni froid.

Cette loi va s’insérer dans l’article 25 du Code civil. Ce sera l’alinéa 5. Pour la petite histoire, cet alinéa 5 existait déjà par le passé et prévoyait la déchéance pour toute condamnation criminelle à une peine de plus de cinq ans d’emprisonnement. Il a été supprimé en 1998, sous le gouvernement Jospin.

Qui est visé par ce texte ?

Le Code parle d’un « individu qui a acquis la nationalité française ». Or, pour un adulte, il n’y a que deux moyens : la naturalisation ou le mariage (et de manière marginale, la réintégration).

Si l’on en croit ces deux tableaux (l’un du Parlement, l’autre de l’Institut national d’études démographiques), c’est donc environ 100 000 personnes par an qui seraient concernées.

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Pour les mineurs, c’est plus compliqué. Ceux qui sont nés en France, par exemple, et qui y résident, obtiennent automatiquement la nationalité française à leur majorité. Mais je dois avouer que je suis incapable de dire si ces jeunes Français sont potentiellement « révocables », tout comme les enfants des personnes naturalisées (le charmant titre « Effets collectifs », dans le premier tableau)…

De plus, cette déchéance ne concerne que les personnes qui bénéficient d’une deuxième nationalité. Ce qui doit être le cas de presque tous les immigrés (sauf les apatrides, évidemment) puisque la France accepte le principe de la double nationalité.

Ainsi, l’année dernière, alors que M. Eric Besson nous faisait le grand jeu sur « l’identité nationale » et « la fierté d’être Français », la France a même renforcé le principe de la double nationalité en dénonçant partiellement une convention européenne signée par une douzaine de pays, dont le nôtre. Cette convention, qui date de 1963, et qui a été modifiée en 1993, estime que « le cumul de nationalités est une source de difficultés ». Et qu’un ressortissant européen qui acquiert la nationalité d’un état signataire doit abandonner sa nationalité antérieure.

Depuis le 5 mars 2009, ce n’est donc plus le cas pour les Français. Et les personnes qui auraient perdu leur nationalité sur le fondement de cette convention, peuvent même la retrouver si elles le souhaitent.

C’est sans doute en raison de la complexité des textes que Carla Bruni s’emmêle parfois ses jolis pinceaux lorsqu’on lui demande si elle est française, italienne, ou les deux à la fois. Affirmant devant les Italiens : « Automatiquement, quand on épouse une personne, si c’est bien votre question, on a la double nationalité. Si l’on n’en a plus besoin, il faut faire une demande pour y renoncer. Mais cela m’aurait peiné de le faire. » – Ou aux Etats-Unis, devant une caméra télé : « Non, je suis juste française maintenant (…) On ne peut pas garder la double nationalité. »

Pour faire simple, notre pays admet qu’un étranger puisse devenir français tout en restant étranger et qu’un Français puisse devenir étranger tout en restant français…

Cela dit, si l’objectif de cette loi est de « protéger » les membres des forces de l’ordre, ils ne sont pas seuls à être concernés. On peut trouver le détail dans les articles 221-4 et 222-8 du Code pénal : magistrats, jurés, avocats, officiers publics ou ministériels, douanes, administration pénitentiaire, sapeurs pompiers, gardiens assermentés, etc.

Alors, policiers et gendarmes sont-ils satisfaits de cette nouvelle mesure ? Je ne crois pas me tromper en disant qu’ils n’en ont rien à battre. Lorsqu’on risque sa peau, on se fiche bien de savoir si le type qui tient le flingue va perdre ou non sa carte  nationale d’identité. Non, on prie surtout pour que l’administration n’ait pas lésiné sur le prix des gilets pare-balles.

Sûr qu’ils préféreraient, en cas de pépin, que leur famille bénéficie à la fois d’un soutien psychologique et d’une aide efficace pour régler les difficultés matérielles.

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Les policiers doivent-ils apprendre à désobéir a été lu 20 946 fois et a suscité 187 commentaires.

Écoutes et espionnage

La plainte déposée par Le Monde pour violation du secret des sources incite à faire le point sur les  « interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications ». Les zozors, comme on disait dans le temps ! Depuis les fameuses « bretelles » que jadis de mystérieux noctambules des PTTtelephone_site_design-technology.JPG plaçaient sur les câbles des centraux téléphoniques, l’eau a coulé sous les ponts. Aujourd’hui, on obtient tout d’un clic de souris. Et l’écoute d’une conversation téléphonique a souvent moins d’importance que les informations que l’on peut glaner en périphérie : identifications, points de chute, relations, géolocalisation, etc.

Pour 2008, le budget de la justice consacré à ces écoutes était d’environ 33.2 M€ (pour faire un parallèle, celui des analyses génétiques était de 17.5 M€). Soit environ 12% des frais de la justice pénale. Une manne qui alimente les opérateurs et certaines officines habilitées. Un marché juteux. Mais qui devrait bientôt prendre fin avec la mise en service de « la plate-forme nationale des interceptions judiciaires ». Celle-ci permettra aux OPJ et aux agents de la douane judiciaire de surveiller, depuis leur poste de travail, et en temps réel, l’ensemble des communications électroniques (téléphonie fixe et mobile, fax, flux internet, et probablement les images).

Elle devrait voir le jour en 2012, malgré l’avis défavorable de certains conseillers de l’Intérieur. Comme Alain Bauer, qui parle d’une usine à gaz (cité par Sophie Coignard, Le Point). Aujourd’hui, seule fonctionne une mini plate-forme dite STIJ (système de transmission des interceptions judiciaires). Elle permet aux OPJ, depuis leur bureau, de lire les SMS et de prendre connaissance de certaines données connexes (date, heure, numéro, etc.).

Le secret de l’instruction sera paraît-il garanti, pourtant, certains juges sont dubitatifs. Auraient-ils peur que de grandes oreilles indiscrètes se glissent dans leurs dossiers ?

Rappelons que dans le cadre d’une information judiciaire, c’est le juge d’instruction qui accorde l’autorisation de placer une écoute, sous forme d’une commission rogatoire, dite « technique », pour une durée de quatre mois renouvelables. Ensuite, c’est  l’officier de police judiciaire qui gère. Sauf découverte d’une affaire incidente, seuls les éléments qui concernent l’enquête sont retranscrits.

En enquête de flagrance ou en enquête préliminaire, c’est le juge des libertés et de la détention qui donne son feu vert, sur requête du procureur de la République. La durée est de quinze jours renouvelables (délai à vérifier dans Loppsi 2).

Au ministère de l’Intérieur, on n’est pas en reste. Depuis 2007, il existe aussi une plate-forme d’interception (une usine à gaz ?) destinée à prévenir tout acte de terrorisme (loi du 3 janvier 2006). Elle était à l’époque gérée par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, mais je dois avouer qu’aujourd’hui, je ne sais pas trop comment elle fonctionne.

Les écoutes administratives de sécurité partent tout azimut, mais sont fortement encadrées : demande écrite du ministre de tutelle du service qui sollicite l’écoute et décision écrite et motivée du Premier ministre ou de l’une des deux personnes spécialement déléguées par lui. L’autorisation est accordée pour quatre mois et les enregistrements doivent être détruits dans les dix jours. Une commission a été créée pour veiller au respect des dispositions légales.  Elle est destinataire de la demande  et peut émettre un avis défavorable. Elle a également le pouvoir de contrôler toute interception pour en vérifier la légalité.

Ces écoutes, dites administratives, sont secrètes, et leur divulgation tombe sous le coup de la loi. Elles ne peuvent être utilisées dans une procédure judiciaire, raison pour laquelle on trouve parfois cette formule laconique en préliminaire d’une enquête : Selon un informateur anonyme…

Cette réglementation sur les interceptions télécoms est-elle respectée ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais il semble bien qu’il y ait des ratés. Ainsi, dans l’affaire de Tarnac, la Cour d’appel doit très prochainement se prononcer sur la légalité des interceptions effectuées sur le réseau internet de l’épicerie de la commune, où certains des suspects travaillaient, car l’écoute a été effectuée sans l’autorisation du juge des libertés et de la détention, alors que les policiers agissaient en enquête préliminaire.

De même pour un système de vidéosurveillance mis en place au domicile parisien de Julien Coupat. D’après Me Thierry Lévy et Jérémie Assous, seul un juge d’instruction aurait pu décider de cette surveillance technique. Or il n’a été saisi que trois mois plus tard.

Dans l’affaire du Monde, après s’être emberlificoté dans des réponses vaseuses, le patron de la DCRI a sorti de sa manche l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 (JO du 13), lequel vise la surveillance et le contrôle des communications radioélectriques. Une mission séculaire de la DST et de la DGSE qui n’a rien à voir avec les téléphones portables. Donc, mauvaise pioche, car il n’a réussi, semble-t-il, qu’à dévoiler une ficelle de la maison. D’ailleurs, aussitôt dit, Le Canard a mis ses pieds palmés dans la mare : les policiers utilisent ce procédé pour requérir les opérateurs télécoms « hors de tout contrôle », écrit en résumé l’hebdomadaire.

Le titre de ce billet est celui d’un livre que j’avais publié en 1990, et qui avait eu un certain retentissement dans les médias (et qui m’avait valu quelques désagréments). J’y dénonçais l’absence d’encadrement juridique des écoutes. Certains députés de l’opposition (la majorité actuelle) s’en étaient d’ailleurs inspirés pour exiger une loi. Celle justement de 1991.

Sous le pont Mirabeau coule la Seine…

Ce livre est obsolète, c’est un peu comme si l’on comparaît le Minitel à un iPad, mais je ne peux m’empêcher de citer un extrait du « bêtisier des écoutes » :

1970 – René Pleven, garde des Sceaux : « … L’écoute téléphonique ne doit être utilisée que pour protéger la sécurité de l’État ou l’intérêt public… Actuellement, la véritable garantie réside dans la conscience des ministres qui disposent en pratique du moyen de recevoir des écoutes… »
1973 – Albin Chalandon, futur ministre de la justice : « … Inadmissible (que les écoutes) soient utilisées comme cela en France, pour espionner systématiquement ceux qui sont d’une façon ou d’une autre mêlés à la vie publique, amis ou ennemis du pouvoir. »
1974 – Valéry Giscard d’Estaing, nouveau président de la République : « Il faut supprimer les écoutes… si elles existent. »
1974 – Raymond Marcellin, ancien ministre de l’Intérieur : « Les écoutes sont une corvée nécessaire que le gouvernement va essayer de refiler aux magistrats. »
1977 – Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur : « … Il n’y a plus d’écoutes d’hommes politiques, de journalistes et de syndicalistes. Les seules écoutes sont celles relevant de la criminalité, et particulièrement des affaires de drogue… »
1981 – Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur : « Il faut en finir pour toujours avec les écoutes. »
1982 – Pierre Mauroy, Premier ministre : « … C’est un hommage au gouvernement d’avoir supprimé les écoutes téléphoniques… »
1986 – Jacques Chirac, Premier ministre, s’engage à : « … Limiter les écoutes téléphoniques à celles qui sont décidées par l’autorité judiciaire ou exigées par la sécurité de l’Etat. »le-flic-solitaire_dessin-de-savaro_collection-personnelle.1285401743.jpg
1986 – Jacques Toubon, député, à l’Assemblée nationale : « … Quand j’entends ricaner sur les bancs socialistes lorsque le Premier ministre annonce que nous allons supprimer l’essentiel des écoutes téléphoniques […] Nous voulons faire ce que vous n’avez pas fait. Le courage que vous n’avez pas eu, nous l’aurons. »

2010 – Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur : Le gouvernenent ne pratique « aucune écoute téléphonique illégale ».

… Les jours s’en vont, je demeure.

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La DCRI en question a été lu 10 197 fois et a suscité 32 commentaires.

Les nouveaux pouvoirs des huissiers

Les détectives privés voient d’un sale œil les nouveaux moyens d’investigation que la loi devrait bientôt donner aux huissiers de justice. En gros, toutes les administrations, nationales ou locales, ainsi que les plaque huissier-de-justice_site_lyon-entreprises.1282892151.jpgentreprises contrôlées ou concédées par l’État, les régions, les départements et les communes, auront l’obligation de leur fournir les renseignements qu’ils sollicitent. Il s’agit le plus souvent d’informations concernant l’identité, la situation de famille, l’employeur, les débiteurs, le patrimoine immobilier, etc.

À ce jour, par exemple, même s’ils ont accès au FICOBA (fichier national des comptes bancaires et assimilés), ils doivent se rapprocher du procureur de la République pour obtenir des informations bancaires. Ce ne sera plus le cas. Les banquiers devront répondre aux demandes des huissiers sans pouvoir leur opposer le secret professionnel. Il est vrai qu’il y a tellement de gens qui ont accès à nos comptes, qu’on peut se demander s’il existe encore un secret bancaire…

Idem pour la poste, les impôts, la caisse d’assurance-maladie, les caisses de retraite, etc.

Il est certain qu’avec ces nouvelles mesures, les huissiers vont gagner en efficacité et en rapidité. Et surtout y gagner tout court. Cela va sans doute dans le sens d’un désengagement de l’État dans les procédures civiles…

Dans la foulée, il est même question de leur donner un pouvoir encore plus exorbitant, un pouvoir que même les officiers de police judiciaire ne possèdent pas (sauf exceptions) : la force probante de leurs constatations. Il s’agit d’ailleurs d’une décision annoncée par Mme Alliot-Marie dans un discours du mois de décembre 2009.

Cela signifie qu’il deviendra quasi impossible de contester un constat d’huissier, que ce soit pour un litige privé (divorce, garde des enfants, bail locatif…), professionnel (absence injustifiée, contrôle des déplacements, des frais…) ou commercial (marchandise non conforme, concurrence déloyale…).

Ce constat, qui est déjà une arme redoutable dans une procédure, va donc devenir une arme fatale.

Pour cela, il faut modifier le statut de l’huissier de justice, qui date de 1945. Mais cette perspective doit gêner certains élus aux entournures, car le texte a été modifié, supprimé, rajouté… Aux dernières nouvelles, il est maintenu.

Que se passera-t-il si l’huissier a commis une erreur ? Comment la victime de cette erreur pourra-t-elle justifier de sa bonne foi ? La responsabilité de l’huissier sera-t-elle engagée ?

Plein de questions sans réponse.

On les bichonne nos huissiers. Ainsi, ils se plaignent de rencontrer de plus en plus de difficultés pour pénétrer dans un immeuble : plus de concierges, digicode électronique, etc. Eh bien, le législateur écrit sans sourciller que le propriétaire ou le syndic doit leur permettre d’accéder aux parties communes. Et, incapable d’expliquer comment faire, il botte en touche : « Les modalités d’application du présent article sont définies par décret en Conseil d’État. »

En attendant, les détectives privés s’interrogent sur leur avenir. « Je suis outré, m’a dit l’un d’entre eux. Cette corporation (des huissiers) ne pense qu’à faire des actes. Ils profitent d’un système inique… D’autant que c’est la porte ouverte à tous les abus… » detective_site_privedetective.jpg

Il faut dire que pour les cabinets qui se sont spécialisés dans la recherche des débiteurs, c’est un véritable coup bas. Du jour au lendemain, ils vont perdre toute leur clientèle. En effet, pourquoi s’adresser à des enquêteurs privés qui obtiennent des renseignements par la bande, alors que les huissiers pourront agir officiellement – et en plus, aux frais du débiteur ?

Et l’on peut penser que les sociétés de recouvrement vont également souffrir de cette concurrence. C’est pourtant dans ce domaine que les huissiers sont le plus critiqués, car, profitant de leur statut d’officier ministériel, ils ont souvent tendance à mélanger leur action publique et leur activité commerciale.

Pour faire simple, il faut se rappeler que si l’huissier de justice dispose de certains pouvoirs lorsqu’il agit en vertu d’un titre exécutoire délivré par un juge, ou dans certains domaines précis, comme les chèques impayés, dans les autres cas, il fait du bizness. C’est d’ailleurs une profession libérale classée dans le haut de la grille des rémunérations.
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Les deux billets sur les Verts et la sécurité ont été lus 25 450 fois et ont suscité 130 réactions. Des réflexions souvent pertinentes. J’espère que le « ministre de l’Intérieur Vert » en tiendra compte, en 2012.smiley.png

Manouches sans le savoir

En 68, après l’expulsion de Cohn-Bendit, les étudiants criaient : « Nous sommes tous des juifs allemands ! » On n’a encore entendu personne revendiquer son appartenance à la communauté des gens du voyage. Mais au fait, que faut-il roulotte_site_les-roulottes-du-pradal.jpgpour être considéré comme un nomade ? J’ai feuilleté le dictionnaire et j’ai trouvé cette définition : personne qui n’a pas de domicile fixe et qui se déplace continuellement.

Et d’un seul coup, le choc ! Plus possible de se dire « ça n’arrive qu’aux autres »… Moi qui ai déjà découvert mon identité nationale chez le garagiste du coin, voilà que je m’aperçois que pendant quatre ans, n’ayant plus de domicile fixe, j’ai fait partie des gens du voyage.

Pour savoir à quelles foudres judiciaires j’avais échappé, pour m’être ainsi mis hors la loi, je suis passé du dico au Code pénal, et notamment à la loi du 3 janvier 1969 « relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant en France sans domicile fixe ».

On y dit, en deux mots, que les personnes âgées de plus de seize ans, dépourvues de domicile ou de résidence fixe depuis plus de six mois doivent être munies d’un titre de circulation si elles logent de façon permanente dans un véhicule, une remorque ou un autre abri mobile.

Lorsque j’ai vendu mon appart, mes meubles et même mes livres (sniff !) pour m’offrir le bateau dont je rêvais depuis tout môme, j’ignorais ça… Étant du coup sans domicile fixe, et vivant donc dans un « abri mobile », j’étais manouche sans le savoir ! Et à ce titre, n’aurais-je pas dû être en possession de ce fameux livret de circulation à faire viser tous les trois mois ?

Pour obtenir ce titre de circulation, nous dit la loi, il faut être rattaché à une commune. Décision prise par le préfet ou le sous-préfet, après avis motivé du maire. Et, bien entendu, si l’on est étranger, on doit fournir les documents qui justifient sa présence sur le sol français.

Vous me direz, des gens qui vivent sur un bateau, c’est pas foison ! Pourtant, loin de la péniche friquée du quai de Seine, on trouve dans de petits ports fluviaux ou maritimes, voire au mouillage sauvage, dans des criques parfois inaccessibles, des mouille-cul à la carène envasée à jamais. Des marins qui se sont contentés de larguer les amarres avec la société. Des SDF de la mer. Ils ne sont pas à plaindre. D’ailleurs, si vous gagnez leur confiance, et qu’ils acceptent de raconter leur histoire, votre vie vous semble bien terne.

Certes, cette loi sur les gens du voyage ne s’applique pas aux bateliers. Mais un batelier, c’est un  professionnel. Or ceux-là ne sont pas des pros. Ce que confirme d’ailleurs le Code civil (art. 102) en parlant des « personnes vivant à bord d’un bateau de navigation intérieure immatriculé en France ».

C’est aussi ce que doit penser le maire de Lattes, commune près de Montpellier, qui a décidé d’interdire aux « plaisanciers » de Port Ariane d’habiter leur bateau plus de trois mois par an. Et, au passage, d’augmenter les loyers de 30 à 60 %. Et comme ces manouches fluviaux ne veulent pas se laisser faire, et qu’ils se sont regroupés en une sorte de comité de défense, il les menace de saisir le tribunal administratif en vue de les expulser.

lettre-du-maire-de-lattes.JPG

A Lattes, on appelle ça un coup de latte en vache. Il paraît que cet élu fait la même chose pour ceux qui habitent en mobil-home…

Il est comme nos dirigeants : tout le monde dans le rang. Et je veux voir qu’une seule tête, scrogneugneu !

Pour les gens qui vivent en caravane, c’est bien plus simple : obstruction sur la voie publique. Une modeste contravention de 4° classe (art. R 644-2 du Code pénal), et après, on enchaîne : contrôle d’identité, titres de séjour, situation…

Mon bateau.jpgBien sûr, l’amalgame entre les gens du voyage, comme ci ou comme ça, ne tient pas vraiment la route. Mais ils ont en commun une vie de bohème qui nous renvoie une image, vraie ou fausse, d’insouciance, de liberté. Comme un pied de nez à la société. Et je crois que c’est en çà qu’ils sont le plus dérangeants. Mais de là à les mettre à l’index…

D’ailleurs, s’il fallait mettre à l’index tous ceux qui nous dérangent, on n’aurait pas assez de ses deux mains.

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Encore faut-il prouver la légitime défense a été lu 2 540 fois et a suscité 41 commentaires.

Encore faut-il prouver la légitime défense…

L’incompréhension prime à la suite de l’incarcération de ce septuagénaire qui a blessé deux jeunes filles avec son fusil de chasse. Une pétition circule parmi les habitants de Nissan-Lez-Enserune pour soutenir « Papy René », comme l’appellent les internautes.

code-penal_francesoir.jpgLe procureur de la République estime que la légitime défense n’est pas certaine, alors que le citoyen répond : Si des cambrioleurs pénètrent chez moi, j’ai le droit de les tuer.

Et l’air de rien, on soulève un débat vieux comme le droit pénal.

S’il est assez simple de comprendre la légitime défense des personnes (proportionnée à l’attaque, actuelle, etc.), on a plus de mal à assimiler les subtilités qui s’appliquent à la défense des biens. Il faut dire que souvent les deux se combinent : le cambrioleur surpris en flagrant délit ne va-t-il pas devenir violent pour protéger sa fuite ?

Même le législateur, en 1986, s’est montré perplexe.

Lorsque le gouvernement a voulu fondre la légitime défense des personnes avec celle des biens, les députés s’y sont opposés, de crainte des excès qui auraient pu résulter d’une telle loi. En revanche, les sénateurs y étaient favorables. Résultat : un texte de compromis, avec des critères spécifiques à la légitime défense des biens.

Tout d’abord, il doit s’agir de repousser un crime ou un délit flagrant – ce qui exclut les contraventions. Si un type file un coup de pied dans la portière de votre voiture, vous n’êtes pas autorisé à lui péter le nez.

Ensuite, le but est de mettre fin à l’infraction (le plus souvent un vol). Une fois celle-ci terminée, la défense n’est plus légitime. Autrement dit, on ne tire pas sur un cambrioleur qui s’enfuit, ou qui se rend. Enfin, l’article 122-6 du Code pénal parle d’une riposte « strictement nécessaire ». Pour les juges, cela signifie qu’il doit y avoir des sommations, ou pour le moins une sérieuse mise en garde, avant, par exemple, d’utiliser une arme. Et si malgré tout, le voleur refuse de se rendre ou de s’enfuir, alors l’usage de la violence est « autorisé ». Il faut dire que devant un gaillard qui fait front, on a vite fait de passer de la défense de ses biens à celle de sa peau…

C’est en application de ce « principe d’avertissement » que les pièges à feu ne peuvent se justifier que si des pancartes bien lisibles signalent leur présence. C’est un peu le panonceau « Attention chien méchant » de nos villas de banlieue.

De plus, les moyens utilisés doivent être proportionnés à la gravité des faits. Une notion plutôt subjective. Là où un homme dans la force de l’âge peut se contenter d’un bâton, un vieillard devra prendre un fusil… Mais parmi toutes ces subtilités juridiques, il y a une certitude : un homicide volontaire ne peut jamais être considéré comme un acte de défense d’un bien. Quelle que soit la valeur du bien. « Le gardien du Louvres qui tuerait un individu pour l’empêcher de détruire la Joconde ne pourrait donc pas être déclaré irresponsable sur le fondement de l’article 122-5.»*
Autrement dit, s’il y a mort d’homme, celle-ci ne doit pas être voulue, mais la conséquence inattendue d’une accumulation de circonstances. Cette règle interdit de facto l’usage de pièges qui seraient destinés à tuer et non à blesser.

Enfin, sauf dans l’un des deux cas de présomption (intrusion de nuit dans un lieu habité ; vols ou pillages exécutés avec violences), il appartient à la personne poursuivie de démontrer qu’elle a agi en état de légitime défense…

Mais de toute façon, il y aura une enquête.

Il faut noter combien le rôle du policier ou du gendarme est important dans ce type d’affaire. Les constatations sont capitales. Le procès-verbal doit mentionner chaque détail (description des lieux, éclairage, emplacement des protagonistes, endroit où se trouvait l’arme, etc.). Et, lorsque c’est possible, rien ne vaut une reconstitution dans les heures qui suivent.

La plupart du temps, l’opinion publique a du mal à admettre l’enquête, la garde à vue, la mise en examen… Et dans le cas présent la mise en détention. Comme dit le maire de Nissan-Lez-Enserune, on pourrait se contenter d’un contrôle judiciaire…

Dans un sens, il a raison. Mais, outre la crainte d’un trouble de l’ordre public, en laissant René Galinier rentrer chez lui, ne risquait-on pas de donner l’impression que chacun a le droit de se faire justice ?

flic_indecis_lesso.jpgC’est le cauchemar du législateur, ce qui explique sa grande prudence. La crainte que certains ne confondent légitime défense et « permis de tuer ».

*Droit pénal général, de Frédéric Desportes et Francis Le Gunehec, éditions Economica.

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L’autopsie, « dans le respect dû au mort » a été lu 12 313 fois et a suscité 18 commentaires.

L’autopsie, « dans le respect dû au mort »

Formule traditionnelle utilisée dans les réquisitions judiciaires, le respect dû au mort n’est pourtant pas un impératif du Code de procédure pénale. Rien n’est prévu. Aucun article n’encadre l’autopsie. Une loi pourrait prochainement modifier les choses.

chirurgien_blog-ecole-normale-de-filles-doran-volet.pgL’autopsie est systématique en cas de mort criminelle ou suspecte. Mais elle est souvent demandée par le procureur pour rechercher si les causes du décès peuvent avoir un lien avec une maladie, une opération chirurgicale, un accident, etc.

Il s’agit, pour les députés, de réglementer l’acte, la procédure…, mais aussi de renforcer les droits de la famille. Notamment « l’obligation de la restitution du corps dans des conditions préservant le respect dû au cadavre et la dignité des proches du défunt ». Comme c’est le cas pour les autopsies d’ordre médical.

Cela ne veut pas dire qu’aujourd’hui, on fait n’importe quoi. L’homme de l’art ne se livre pas sur un mort à des pratiques de potaches, de celles qu’on imagine dans les facultés de médecine… Et même si parfois quelques plaisanteries fusent, c’est pour mieux faire retomber la pression, tant l’atmosphère d’une autopsie est accablante. Je n’ai jamais sondé l’âme d’un légiste, mais peu de policiers restent insensibles devant ce corps nu, qu’on ausculte de l’intérieur. Et la Brasserie de l’Aubrac, située en face du quai de la Rapée, a vu plus d’une fois, au petit matin, deux ou trois individus pâlichons pousser la porte du bistroquet et, sans un mot, s’enfiler un verre de rhum.

Pourtant, par le passé, il y a eu de sérieux dysfonctionnements. Des boulettes, comme dans l’affaire Markovic, où la première autopsie n’avait pas révélé la balle, dans la tête de la victime. Mais aussi des erreurs psychologiques, lorsque les traces de l’intervention sont trop visibles, au point qu’il est bien difficile de présenter le corps à la famille. Je me souviens d’un homme que les parents ont refusé d’identifier, tant il était méconnaissable. Des années plus tard, ils étaient venus me trouver pour savoir s’ils pouvaient faire procéder à une exhumation en vue d’un test ADN. « Vous comprenez, on veut être sûrs », m’avaient-ils dit.

C’est un cas extrême. Mais il faut reconnaître que les enquêteurs, les légistes et les magistrats, obnubilés par la recherche de la vérité, se montrent parfois d’une insensibilité choquante.

On peut toutefois se demander si cette modification du Code de procédure pénale n’arrive pas un peu tard… N’est-on pas à la veille d’une nouvelle technique : l’autopsie virtuelle, ou « virtopsie ».

« C’est à mes yeux la révolution médico-légale du début du XXI° siècle », nous dit le docteur Bernard Marc, dans son livre Profession : médecin légiste, aux éditions Demos (que j’ai eu le plaisir de préfacer). Il s’agit profession-medecin-legiste.jpgd’un procédé qui permet de découper le cadavre en rondelles – sans le toucher. Avec l’énorme avantage de pouvoir se repasser l’enregistrement autant de fois que nécessaire, sans limitation dans le temps. Il est probable que dans les années à venir, cette technique remplacera un bon nombre d’autopsies traditionnelles.

Cette loi, visant à l’encadrement des autopsies judiciaires, donnera également aux proches la possibilité de réclamer le corps au bout d’un mois. Ce qui évitera des situations invraisemblables, comme la triste histoire de cette petite fille de quatre ans, citée dans Le Monde, dont les parents ont dû attendre plus de six mois avant de pouvoir l’enterrer.

Si nos parlementaires veulent ajouter un zeste d’humanité dans l’exercice de la justice, on ne peut que les encourager. C’est une démarche suffisamment inhabituelle pour mériter un petit coup de chapeau.

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Réforme de la GAV : une chance pour les policiers a été lu 22 012 fois et a suscité 79 commentaires. Certains lecteurs ont soulevé le problème de la retenue douanière, qui est de 24 heures comme la GAV, et 48 heures avec l’accord du procureur. On doit forcément aller vers une procédure à l’identique (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui), sinon, cela voudrait dire que les histoires de gros sous sont plus importantes que tout le reste. Ce qu’on ne peut croire…
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