LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Droit (Page 14 of 20)

Colonna peut-il être acquitté ?

Aucun élément matériel sérieux, aucune preuve tangible n’est venu conforter la culpabilité d’Yvan Colonna lors de ce troisième procès. Certes, il existe contre lui un solide faisceau de présomptions. Il y a bien cette lettre sortie de nulle part, mais c’est une arme à double tranchant. Il faut dire que son origine reste mystérieuse. D’autant que son signataire dit ne jamais l’avoir écrite, et son destinataire ne  jamais l’avoir reçue… Pourtant, Christian Lothion, le directeur central de la police judiciaire, ne pouvait faire autrement que de rapporter cette pièce devant la cour d’assises – ce qui ne veut pas dire qu’il en connaisse l’origine. Il a d’ailleurs déclaré ne pas savoir s’il existait un original, ajoutant que, s’il s’agissait d’un faux, il en assumait la responsabilité. Ceux qui le connaissent ne peuvent mettre en doute son intégrité. Pourtant, cela ressemble tellement à une manipulation qu’il aurait mieux valu oublier cette pseudo-pièce à conviction de dernière minute. Le président de la Cour en a décidé autrement. Il l’a versée au dossier, invoquant « la liberté de la preuve », prenant ainsi le risque d’un pourvoi en cassation. Et d’un quatrième procès.

Contrairement aux États-Unis, chez nous, l’accusé n’a pas à démontrer son innocence, raison pour laquelle la défense ne bénéficie d’aucun moyen d’investigation. C’est au ministère public d’apporter la preuve de sa culpabilité. Et, dans cette affaire, pas d’empreintes ADN, pas d’empreintes digitales, pas de caméras, pas d’écoutes, pas d’aveux… seulement des mises en cause, des rétractations, des témoignages… En fait, le principal de l’accusation tourne autour de déclarations et sur le fait qu’après le meurtre, le berger se soit mis en cavale. On le disait au Venezuela, au Brésil, aux Antilles… exfiltré du territoire par on ne sait quel réseau, et pendant ce temps, il gardait ses moutons.

Extrait de l'intervention du ministre de l'Intérieur après l'arrestation d'Yvan Colonna

Les neuf magistrats professionnels qui composent la Cour d’assises spéciale (compétente pour juger les crimes en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants en bande organisée) vont donc avoir du mal à rendre leur jugement. D’autant que, cette fois, leur verdict devra être motivé, et pas seulement basé sur l’intime conviction. Autrement dit, chacun expliquera sa décision dans un écrit joint à la liste des questions. Or, si l’on revient en arrière, on peut se demander sur quels arguments concrets, en 2009, leurs prédécesseurs se sont basés pour répondre à la question n° 31 : Yvan Colonna est-il coupable d’avoir « volontairement donné la mort » à Claude Érignac ? Oui, ont-ils répondu à la majorité, c’est-à-dire au moins cinq d’entre eux.

Devant une cour d’assises d’appel normalement constituée, il aurait fallu dix voix sur quinze, soit les deux tiers. Me Dupont-Moretti avait d’ailleurs souligné cette anomalie, estimant que dans ces conditions, la moindre des choses serait que le verdict soit motivé. Pour le procès 2011, le président de la cour d’assises lui a donné raison, estimant que la motivation était « conforme aux exigences d’un procès équitable, au sens de la convention européenne des droits de l’Homme ». Il ne s’agit pas pour autant d’une fleur faite à l’accusé, mais plutôt de l’application stricto sensu du principe de précaution : éviter à tout prix que le jugement ne soit à nouveau remis en cause par la cour de cassation. Pourquoi ? Parce que celle-ci doit se prononcer sur le même sujet le 15 juin prochain, en réponse au pourvoi de l’islamiste algérien Rachid Ramda, condamné pour des attentats commis à Paris en 1995.

D’autant que dans la réforme de la procédure concernant la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale, Michel Mercier, le garde des Sceaux, a inséré un article 365-1 qui prévoit que l’arrêt des cours d’assises sera dorénavant motivé. Le président ou l’un de ses assesseurs devra « énoncer les principales raisons qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises ». Si la loi est adoptée, sa mise en application est prévue pour le 1er janvier 2012.

Pour en arriver là, la route a été longue.

Le Conseil constitutionnel saisi de deux QPC a décrété, en avril 2011, qu’il appartenait au législateur de fixer des règles claires de nature à exclure l’arbitraire, que ce soit dans les enquêtes pénales ou devant les juridictions. Message reçu cinq sur cinq par Michel Mercier.

De son côté, la Cour européenne des droits de l’homme s’était dans un premier temps déclarée favorable à la motivation du verdict des cours d’assises (arrêt Taxquet) avant de faire légèrement machine arrière, en novembre 2010 : «  La non-motivation du verdict d’un jury populaire n’emporte pas, en soi, violation du droit de l’accusé à un procès équitable. »

Yvan Colonna, lui, n’est pas jugé par un jury populaire mais par des magistrats professionnels. Raison de plus pour qu’ils motivent leur décision. Cela peut jouer en sa faveur, car il est plus difficile d’expliquer les raisons d’une condamnation que de répondre simplement par oui ou par non.

Quel que soit le verdict, on gardera en mémoire une enquête perturbée par les appétits de chacun : un flic qui visait la casquette de préfet, un préfet qui se prenait pour un flic, un juge qui se voyait place Vendôme et un ministre de l’Intérieur qui louchait vers l’Élysée. Pas vraiment la sérénité.

 

 

Yvan Colonna, lui, n’est pas jugé par un jury populaire mais par des magistrats professionnels. Raison de plus pour qu’ils motivent leur décision. Cela peut jouer en sa faveur, car il est plus difficile d’expliquer les raisons d’une condamnation que de répondre simplement par oui ou par non.

 

 

 

 

 

 

Garde à vue : les temps changent…

Le modérateur du Monde explique, dans le journal de ce week-end, les difficultés de son métier : comment éviter le couperet de la justice sans pour cela tomber dans la censure ? Car, d’après le service juridique du journal, le fait de porter atteinte par des allégations ou des imputations à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps de métier est une diffamation. Même de façon indirecte, ou par sous-entendu. Un dilemme qui s’est posé après les propos tenus par Luc Ferry. Et du coup, sur ce blog, certains commentaires ont sauté. Il faut dire que tous les patrons de presse ont encore en mémoire la mésaventure survenue, en novembre 2008, à Vittorio de Filippis, l’ancien directeur de Libération… À l’heure du laitier, il est arrêté à son domicile, comme l’aurait été un dangereux malfaiteur. Son délit ? Il fait l’objet d’une plainte en diffamation déposée par le patron de Free, à la suite d’un commentaire posté par un internaute.

Et comme le patron de Free fait aujourd’hui partie du triumvirat qui a repris Le Monde, on peut dire que les temps changent… (Là, je vais me faire virer !)

Donc, M. de Filippis, le « présumé coupable », est menotté, conduit au commissariat, puis au dépôt : « On me demande de vider mes poches, puis de me déshabiller […] de baisser mon slip, de me tourner et de tousser trois fois. » Une demi-heure plus tard, deuxième fouille à corps, cette fois par les gendarmes, avant d’être conduit devant le juge d’instruction qui le mettra en examen pour diffamation.

Ces fouilles réitérées ont été  supprimées en juin 2009. Aujourd’hui, « les personnes déférées ne sont plus soumises par les gendarmes qu’à une palpation de sécurité effectuée au travers des vêtements et assortie d’un passage sous un portique de sécurité permettant de détecter la présence de métaux », a déclaré le ministre de la Justice, le 31 mai 2011, en réponse à la question d’un député. De même, les fouilles de sécurité effectuées par les policiers « doivent respecter le principe de respect de la dignité des personnes ».

Même son de cloche en matière de garde à vue. La loi qui vient d’entrer en application précise qu’elle doit « s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne ». Les mesures de sécurité, lorsqu’elles sont nécessaires, « ne peuvent constituer en une fouille intégrale ».

On va donc moins tousser dans les commissariats – du moins du côté des gardés à vue.

Et même si elle pose des problèmes d’application, cette réforme de la garde à vue et les mesures connexes, vont dans le sens du respect de la dignité humaine et des libertés individuelles. Tout le monde devrait s’en réjouir. Un petit pas pour l’homme, comme disait Armstrong.

Suivi d’un grand pas en arrière avec le projet de loi réformant l’hospitalisation sous contrainte, ce qui, en langage policé, donne : « Loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge », dont le projet vient d’être adopté en deuxième lecture. Il fait suite à un discours du chef de l’État, en 2008, qui lui-même faisait suite au meurtre d’un étudiant, à Grenoble, commis par un malade mental enfui de l’hôpital.

Quel rapport, me direz-vous ? Eh bien, cette loi instaure ce que de nombreux professionnels de la santé appellent « la garde à vue psychiatrique ».

Cela concerne environ 70 000 personnes par an. Le texte réforme l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et l’hospitalisation d’office (HO) ; et prévoit – c’est une nouveauté – la possibilité de soins forcés en mode ambulatoire. Autrement dit, à la maison.

Mais dans un premier temps, et dans tous les cas, le malade est interné pour une période d’observation de 72 heures.

D’après le Collectif des 39, qui rassemble essentiellement des psychiatres, il s’agit ni plus ni moins d’une « surveillance sociale planifiée ». Ce texte, qui s’appuie sur un principe de précaution exacerbé, « va instituer une logique sécuritaire induisant un contrôle inédit de la population ».

Bon, le ton est plutôt partisan, mais en quoi cette loi peut-elle être une atteinte à la dignité et aux libertés individuelles ?

Si l’internement à la demande d’un tiers reste la règle, désormais un simple certificat médical suffit en cas de « péril imminent ». Une notion subjective à la seule appréciation du praticien. Il se voit donc confier un pouvoir supérieur à celui de l’officier de police judiciaire qui, lui, ne dispose que de 24 heures.

Pouvoir que le médecin ne revendique pas, car son patient pourrait très bien ressentir cette possibilité comme une menace latente, avec le risque que s’instaure un climat de méfiance. Le contraire de ce qui doit être.

À l’issue de cette période d’observation de 72 heures, le malade fera l’objet d’une hospitalisation forcée (complète ou partielle), ou sera astreint à des soins à domicile. Dans ce dernier cas, s’il n’est pas assidu aux consultations médicales, il encourt le risque d’être de nouveau enfermé. C’est un peu la liberté conditionnelle.

Le médecin se voit donc contraint de dénoncer le malade qui rompt le protocole médical – ce qui sur le plan de la déontologie est inenvisageable.

Lorsque l’internement est décidé par le préfet, la personne concernée doit obligatoirement être maintenue en milieu fermé. Et seul ce fonctionnaire peut prendre la décision de la laisser sortir. Cette mesure place donc le préfet devant une alternative redoutable : accepter le risque de remettre « un fou dangereux » dans la nature, ou, au nom du principe de précaution, maintenir un malade, même en voie de guérison, en milieu fermé.

Au bout de quinze jours, les personnes qui font l’objet d’un enfermement en hôpital psychiatrique ont la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention afin de demander leur… libération.

L’intervention du juge judiciaire (exigée par le Conseil constitutionnel) est la démonstration forte que cette loi est un premier pas vers la pénalisation des maladies mentales. Une arme à double tranchant, si l’on se souvient qu’au siècle dernier, en Union soviétique, les psychiatres avaient découvert une nouvelle forme de monomanie : le « délire réformiste ».

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Le dessin sur la garde à vue est de Michel Grégeois.

Ferry botte en touche

Le philosophe Luc Ferry a été entendu à la brigade des mineurs. Ou plus exactement à la brigade de protection des mineurs (BPM).  Car les policiers qui travaillent dans ce service du quai de Gesvres tiennent beaucoup à cet aspect de leur mission : la protection des enfants. C’est dans cette optique qu’ils pourchassent violeurs, pédophiles ou parents indignes. C’est même le seul service de police judiciaire dont la mission essentielle n’est pas la répression.

Ce sont donc ces enquêteurs un peu particuliers qui vont tenter de faire le tri entre rumeurs, ragots et réalité. Pas facile.

A priori, Luc Ferry n’a pas apporté d’éléments nouveaux. D’ailleurs, il n’a pas vraiment été entendu comme témoin, puisqu’il n’est témoin de rien. Plutôt comme le dénonciateur d’un fait criminel, en l’occurrence, « une partouze avec des petits garçons ». Ainsi que le prévoit l’article 17 du Code de procédure pénale : les officiers de police judiciaire « reçoivent les plaintes et les dénonciations (et) procèdent à des enquêtes préliminaires… »

Était-il tenu d’indiquer le nom de la personne qu’il soupçonne de ces faits ? Bien sûr que non ! Personne ne peut l’obliger à dévoiler ce que, d’après lui, tout « le bal des faux-culs » sait. En tenant ces propos à la télé, il a sans doute fait allusion à une rumeur qui a couru lors de la campagne pour les Présidentielles de 1995,  et dont l’Express s’était fait l’écho – pour la démentir. Je ne suis même pas sûr que les policiers lui aient posé la question, car ils auraient pris le risque de se rendre complices d’une dénonciation calomnieuse (art. 226-10). En revanche, ils ont pu solliciter des éclaircissements et s’intéresser aux personnes qui lui ont rapporté ces faits criminels. Et comme il a fait allusion au Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin pourrait bien se voir à son tour convoquer Quai de Gesvres.

Était-il opportun d’ouvrir une enquête préliminaire pour vérifier ces allégations ? C’est l’avis de Mme Dati, l’ancienne ministre de la Justice. Elle a accusé M. Ferry de non-dénonciation de crime. Or, en droit français, sauf si l’on peut éviter par ses déclarations l’accomplissement d’un crime, sa réitération ou ses conséquences, la loi n’oblige pas à dénoncer un acte criminel, ni d’ailleurs son auteur (il y a des exceptions, comme pour les fonctionnaires). Seuls ceux qui ont connaissance « de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuels » sur des mineurs de 15 ans ou certaines personnes vulnérables sont tenus d’en informer les autorités (art. 434-3). Peut-on reprocher ça à Luc Ferry ? Non, puisque justement, il dénonce. Ce sont les autres, ceux qui n’ont rien dit, qui pourraient être visés… Mais comme la loi date de 1998, et que les faits sont probablement antérieurs, on imagine mal que l’article 434-3 actuel puisse s’appliquer. Dans ce cas précis, la loi peut-elle être rétroactive ? Là, je sèche. Les lois, c’est un peu comme les poupées gigognes, chacune cache l’autre.

Donc, enquête judiciaire ou pas ? On peut s’interroger sur l’opportunité de la décision du procureur de Paris, d’autant que Le Figaro Magazine avait déjà relancé la rumeur sans que personne ne réagisse. Et pas d’enquête non plus, lorsqu’en 2009, Marine Le Pen s’en était pris à Frédéric Mitterrand, l’accusant de faire l’apologie du tourisme sexuel dans son livre autobiographique La mauvaise vie, publié en 2005.

Dans la Grèce ancienne, philosophe signifiait « ami de la sagesse ». Pythagore aurait été le premier à revendiquer ce titre, par humilité dit-on, pour ne pas qu’on le range dans la catégorie des « sages ». On peut se demander si Luc Ferry, notre Pythagore cathodique, n’a pas oublié la définition du mot philosophe, lorsqu’il s’est fendu de cette déclaration…

Enfin, je dis ça, c’est un théorème…

Pour Luc Ferry, c’est plutôt une bévue : on ne peut imaginer qu’il ait agi de façon préméditée, comme un pion dans une campagne électorale où tous les coups semblent permis – surtout en dessous de la ceinture.

Enquête pour « Recherche des causes de la mort »

Après la mort de la comédienne Marie-France Pisier, dont le corps a été retrouvé à 4 heures du matin dans la piscine de sa résidence, dans le Var, le procureur et les médias ont fortement insisté sur l’aspect non-criminel de l’enquête de police. Il s’agit de rechercher les causes de la mort, sans plus, a-t-on répété à l’envi.

marie-france-pisier.1303721616.jpgEt de s’interroger : La  procédure est-elle la même pour une célébrité ou pour un SDF découvert gélé sous ses cartons ?

La réponse se trouve dans le Code de procédure pénale – qui, lui, ne tient pas compte de la personnalité de la victime.

Peu importe que la raison de la mort paraisse évidente (noyade, pendaison, blessure par balle, etc.), ce qui interpelle, ce sont les circonstances qui ont conduit au décès. S’il subsiste la moindre interrogation, l’enquêteur doit faire son métier : enquêter. S’agit-il d’un suicide ? d’un accident ? d’un crime maquillé en suicide… En revanche, un décès violent sur la voie publique qui ne présenterait aucune difficulté particulière (comme le SDF), entrerait, lui, dans le champ d’une procédure civile.

Depuis la loi de mai 2009, qui vise à la simplification et la clarification du droit, le texte prévoit que l’OPJ peut faire usage des articles 56 à 62 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire la procédure dite de flagrance, mais, c’est là la différence, non pas à son initiative, uniquement sur instructions du procureur de la République. L’enquêteur possède donc les mêmes prérogatives qu’en enquête criminelle : auditions, confrontations, perquisitions, saisies, réquisitions (par exemple, aux opérateurs téléphoniques), etc., sans pouvoir toutefois utiliser la contrainte de la garde à vue.

L’une des différences tient à l’autopsie, qui du coup devient quasi obligatoire… C’est quand même le meilleur moyen d’identifier les causes de la mort. Ce n’était pas le cas par le passé. C’est ainsi que dans l’affaire Boulin, dans un premier temps, à la demande de la famille, il n’y a pas eu d’autopsie mais seulement un examen clinique du corps. Il en a été différemment, si j’ai bonne mémoire,  pour Claude François, qui est mort électrocuté dans sa salle de bains.

À noter que cette procédure a été étendue aux blessures graves, dans l’hypothèse où la victime ne peut pas s’expliquer. Comme ce serait le cas pour une personne sérieusement blessée par balle à son domicile, l’arme à portée de la main.

Si aucun élément nouveau n’intervient dans les premiers jours de l’enquête sur la recherche des causes de la mort, le procureur peut alors décider de classer le dossier ou de poursuivre les investigations en enquête préliminaire. Toujours sans possibilité de garde à vue – puisqu’à ce stade, il n’existe pas d’infraction.

Si une infraction est découverte, sans parler de crime, par exemple non-assistance à personne en danger ou le cas  particulier du suicide assisté, l’OPJ devra prendre soin d’ouvrir une enquête préliminaire distincte.

Avant la loi de 2009, les pouvoirs de l’OPJ se limitaient, en théorie, à l’article 74 : constatations et réquisitions. Dans la pratique, il poussait souvent plus loin, cherchant à cerner l’environnement de la personne décédée (était-elle suicidaire ? Avait-elle des problèmes particuliers ? ). Et tentait également de recueillir des témoignages. Mais pas question par exemple de faire une perquisition ou de fouiller une voiture. Quant à l’autopsie, c’était selon.

Lorsqu’il n’y a aucune trace de violence, c’est souvent le médecin qui mettra en branle l’enquête pour mort suspecte, simplement en émettant des réserves sur le certificat de décès, ce qui aura pour conséquence d’interdire la délivrance du permis d’inhumer par le maire.

Aujourd’hui, entre une enquête pour recherche des causes de la mort et une enquête en crime flagrant, en dehors de la garde à vue, il n’existe quasiment aucune différence. Sauf que dans un cas, on cherche un suspect, et dans l’autre, il s’agit de déterminer s’il y a eu ou non une infraction criminelle.

L’histoire sans fin de la garde à vue

Après un premier élan positif, les avocats traînent à présent des pieds. Ils ont un peu l’impression d’un marché de dupes. Et là, je ne parle pas de leurs honoraires, puisqu’il s’agit, à lire certains commentaires du billet précédent, d’un sujet chaud, mais de leurs prérogatives durant la garde à vue.

Ils en veulent plus : parler librement avec leur client, poser des questions à l’issue des auditions, participer aux perquisitions… Mais ils souhaitent surtout accéder à l’intégralité de la procédure.

petite-fille-menottes-copie.1303208256.jpgEn deux mots, ils veulent avoir en main suffisamment d’éléments pour représenter leur client, et non pas servir d’alibi à une réforme en mi-teinte.

Pas question pour autant de bloquer le système, mais plutôt, suggère le bâtonnier de Paris, de faire des remarques écrites. Jointes au dossier, elles pourront ensuite être soumises au juge qui (sous-entendu) pourra vérifier la conformité de la procédure avec l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ce qui risque de gonfler sérieusement les contentieux. D’autant qu’à ce jour, il n’a rien été prévu pour les procédures déjà effectuées. En effet, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré nulles « sans délai » les gardes à vue effectuées sans l’assistance effective d’un avocat, mais elle ne s’est pas penchée sur le passé…

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la plus haute juridiction française a été saisie de faits précis. En l’occurrence, quatre étrangers placés en garde à vue, puis en rétention, pour séjour irrégulier. Alors que la Cour d’appel de Lyon avait jugé la procédure régulière, celle de Rennes l’avait au contraire invalidée.

Dans sa décision du 15 avril, la Cour de cassation s’est prononcée sur deux questions :

–      Les dispositions régissant la garde à vue sont-elles conformes à la Convention européenne ;

–      et sinon, l’effet doit-il être immédiat ou différé dans le temps.

À la première question, réponse claire : Pour que le droit à un procès équitable soit respecté, « il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ».

Et dans la foulée, elle a répondu à la seconde en optant pour une application immédiate, dans la mesure où les « États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenues de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ». (À noter, pour répondre à certaines questions, que ce ne sont pas les policiers qui doivent respecter les décisions européennes, mais les États.)

Une décision conforme à celle du Conseil constitutionnel qui, lui, avait cependant estimé que « l’inconstitutionnalité » ne prendrait effet qu’au 1er juillet 2011.

D’où cette application en catastrophe.

Quel manque de clairvoyance dans les hautes sphères de l’État ! Et alors qu’on a l’impression que rien n’est réglé, les parlementaires se tete-dans-le-sable_christianaubry.1303208797.pngpenchent déjà sur une nouvelle réforme : la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs.

Parfois, on a envie de faire « pause ». Quant à moi, je me demande si la seule réforme qui vaille la peine ne serait pas celle de cette Constitution archaïque qui fait de la France un pays de moins en moins républicain et de plus en plus ridicule.

Garde à vue : le pataquès !

shadok-escalier_castaliefr.1303022469.jpgD’après ce qu’on raconte, ces premières heures de la nouvelle garde à vue se sont plutôt bien déroulées. Et la hotline de la préfecture de police n’a même pas tiédi. Il faut dire que policiers, gendarmes et avocats ont fait au mieux  pour s’adapter à la loi pondue en catastrophe par nos parlementaires – sauf que cette loi ne sera applicable qu’au 1er juin, comme l’indique l’article 26.

Nous sommes donc dans la situation paradoxale suivante : D’un côté, une loi qui n’est pas applicable avant plusieurs semaines, et de l’autre, une décision de la Cour de cassation qui prescrit une application immédiate.

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Autrement dit, pour faire simple, les gardes à vue actuellement effectuées sont soit illégales, soit illégales. Alors qu’avant, elles étaient seulement illégales.

C’est le bâtonnier des Deux-Sèvres qui a levé le lièvre. Il estime, avec juste raison, que l’on ne peut pas « laisser au pouvoir judiciaire le soin de détricoter ce que le pouvoir législatif a tricoté, c’est un non-sens ».

Alors, il faut s’interroger : les OPJ sont-ils tenus d’appliquer les nouvelles normes ? Après tout, ce bras de fer entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif ne les concerne pas. Leur bible, à eux, c’est le Code de procédure pénale. Point barre.

Bon, on peut toujours se dire qu’aucun gardé à vue n’ira déposer une plainte ! Quoique… Supposons un suspect qui passe des aveux sur les conseils de son avocat et qui décide par la suite de nier les faits… Un autre avocat ne pourra-t-il pas faire annuler lesdits aveux sous prétexte qu’ils ont été obtenus en présence d’un confrère à lui, alors que la loi n’était pas encore applicable ?

Je sais, c’est un peu tordu…

Enfin, pour l’instant, les avocats ont d’autres soucis : Ils font leurs comptes.

Et le compte n’y est pas !

À ce jour, ils percevaient une indemnité de 61 euros H.T. pour une vacation de 30 minutes, soit 122 euros de l’heure. On leur propose aujourd’hui 300 euros pour les premières vingt-quatre heures et 150 euros de plus en cas de prolongation de la garde à vue.

Or les calculs du ministère de la justice sont basés sur une présence effective de trois heures durant la première période de garde à vue. À l’ancien tarif, ils devraient donc toucher 366 euros. Ce qu’ils réclament.

D’après les projections du gouvernement, lors d’une permanence de 24 heures, les avocats traiteront en moyenne trois affaires, soit 900 euros H.T (voir encadré).

Juste pour se fixer les idées, car aucune comparaison n’est évidemment possible (les avocats ont des charges), durant ces mêmes 24 heures, le policier gagnera à peu près 9 fois moins.

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Et le Conseil national des barreaux (CNB) appelle à une journée de mobilisation le mercredi 4 mai « pour que l’intervention de l’avocat en garde à vue fasse l’objet d’une prise en charge assurant l’effectivité des droits nouveaux ouverts à nos concitoyens ».

Mais qui va payer ?

Le budget consacré à l’intervention de l’avocat est évalué à 100 millions d’euros. Et comme les caisses de l’État n’ont jamais été aussi vides, il faut bien prendre l’argent quelque part. Qu’à cela ne tienne, une loi prochaine devrait décider que tous les justiciables engageant une action en justice en matière civile et administrative seront tenus d’acquitter une taxe. On parle de 30 euros – Une sorte de droit d’entrée.

Quand même, payer pour obtenir justice, cela laisse perplexe…

Supposons que cette manifestation du 4 mai se transforme en une grève générale. Plus d’avocats nulle part en France pour assister les gardés à vue. Au bout de deux heures de vaine attente, comme le prévoit la loi, les OPJ vont donc enregistrer la déposition de leur client. Sauf que, et c’est l’incipit même de la nouvelle loi, « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faite sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »

Il serait donc possible d’enregistrer les déclarations d’un suspect, tout en refusant ses aveux !

Il n’est pas concevable, bien sûr, de laisser la machine judiciaire se bloquer par la seule volonté d’un corps de métier. Il faudrait donc dans ce cas envisager soit que les avocats n’aient pas le droit de grève, cshadoks.1303023072.gifomme les policiers, soit qu’ils puissent faire l’objet d’une réquisition, comme les médecins. Pour les médecins, ce n’est pas un bon exemple. Ceux-ci s’y refusent et ça n’a jamais vraiment marché.

Garde à vue : course contre la montre

Il ne reste qu’un petit mois aux parlementaires pour accoucher de la loi qui va réformer la garde à vue – et sérieusement tournebouler le traintrain des policiers et des gendarmes. En effet, le projet qui est actuellement discuté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, prévoit, en son article 18, que la loi devra entrer en vigueur « le premier jour du deuxième mois suivant la publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 ».

extrait-alice-au-pays-des-merveilles.1301823002.gifJe vais vous faire une confidence : le texte est tellement embrouillé, que même ça, j’ai du mal à imprimer. Le premier jour du deuxième mois…

Conclusion : il reste trois semaines avant le vote définitif. La difficulté majeure, on l’a bien compris, c’est la présence de l’avocat. Pour l’instant, certains tentent de faire entrer de force une sorte d’audition libre qui pourrait être effectuée sans sa présence, et sans contrainte d’aucune sorte – sauf celle d’être placé en garde à vue en cas de refus. Cette mesure, envisagée un temps, puis repoussée par les deux assemblées, refait surface dans l’article 11 bis qui rappelle que l’OPJ n’est pas obligé d’utiliser la garde à vue, même si les conditions sont réunies. Mesure qui ne semble pourtant pas en phase avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est du moins l’avis de Jean-Jacques Urvoas, le Monsieur sécurité du PS. Pragmatique, il propose donc que la personne qui accepterait une audition libre « dispose d’un statut protecteur minimum », comme la possibilité de téléphoner à son avocat.

Mouais, sauf que pour l’enquêteur, il n’y a pas trop d’alternatives, puisque l’article préliminaire de la réforme prévoit grosso modo que les déclarations hors la présence de l’avocat ne servent pas à grand-chose. Si une personne veut avouer son crime, l’OPJ devra impérativement suspendre l’audition, placer le suspect en garde à vue, et reprendre l’audition après l’arrivée de l’avocat. Bon, on en était où ? Vous disiez que vous aviez tué…

D’autres amendements sont moins réalistes, comme celui qui conteste aux procureurs le droit d’accorder une prolongation, puisque la Cour européenne ne reconnaît pas le statut de magistrat à ces… magistrats. Ou encore cet autre pour qui la présentation au procureur ne peut pas être effectuée par des moyens audiovisuels, mais uniquement en face-à-face. Ou celui qui veut modifier le Code de la santé publique pour les personnes en état d’ivresse dans un lieu public. Plutôt que de les enfermer en cellule de dégrisement, il suffirait de les confier à l’un de leurs proches ou à une association habilitée.

Cela part d’un bon sentiment, mais on imagine la scène… Dans un petit commissariat aux effectifs ergépépépisés, le chef de poste bataille au téléphone pour dénicher à trois heures du mat’ la bonne âme susceptible de prendre en charge le soulard qui pour l’heure est en train de foutre le bordel dans sa boutique !

Il reste trois mois avant que cette mesure n’entre en application. Trois mois pour former les OPJ et les APJ, changer les formulaires, les procès-verbaux, les logiciels, organiser des services, prévoir les locaux pour accueillir les avocats, les médecins… Sans parler de l’organisation des services, police, gendarmerie, justice… Quant au Conseil national des Barreaux, il doit compter ses troupes – et ses sous. Car l’addition passe malbatonnier-brigitte-marsigny_-cnb.1301823128.JPG. Garde des sceaux cherche budget désespérément. Si le chiffre de 122 € semble faire l’unanimité, on s’interroge : s’agit-il d’une indemnité horaire ou du montant de la vacation, quelle que soit sa durée.

En septembre 2009, le président de la République se réjouissait des propositions du comité Léger sur la réforme de la procédure pénale, et notamment de la suppression du juge d’instruction. Alors que l’urgence, on le savait déjà, était de réformer la garde à vue. Que de temps perdu ! Que d’imprévoyance !

Et le plus amusant, si l’on peut dire, c’est que la Cour de cassation, « dont beaucoup de membres sont aujourd’hui entrés dans une forme de rébellion » nous dit Le Figaro, pourrait prendre une décision à la mi-avril, qui risquerait d’accélérer encore plus le mouvement.

Mi-avril, c’est à peu près la période où devraient commencer les premiers tests sur le terrain.

Il y a biendepute-philippe-houillon_cnb.1301823267.JPG longtemps, un technocrate avait pondu une circulaire enjoignant aux policiers en civil de ne plus griller les feux rouges. Je me souviens de ce dialogue radio, qu’on se racontait entre nous :

–      Broussard : Vous en êtes où de la filoche ?

–      Le chef de groupe, depuis sa voiture : Euh !… On les a perdus patron ! Le feu est passé au rouge, alors, on a été obligé de s’arrêter…

Cette réforme est nécessaire. Mais elle a été si mal préparée, si mal expliquée, qu’elle est mal reçue par les policiers et les gendarmes. Et si demain, dans une sorte de grève du zèle, le nombre de gardes à vue augmentait ?

Quelle pagaille !

L’étrange docteur Krombach

Dieter Krombach, cardiologue allemand, âgé aujourd’hui de 75 ans, a-t-il violé et tué sa belle-fille, la jeune Kalinka ? C’est la question à laquelle devront répondre les jurés de la Cour d’assises de Paris. Or, au-delà de la tragédie, cette affaire pose quantité de questions sur le fonctionnement de la justice au sein de l’Union européenne.

Kalinka Bamberski .JPGKalinka Bamberski est une belle adolescente blonde, grande, élancée. Elle est morte mystérieusement, en pleine santé, le 10 juillet 1982, à Lindau, en Bavière, où elle vivait avec sa mère. À 350 km de la frontière française.

Lors de l’autopsie pratiquée deux jours plus tard, le médecin légiste mentionne des traces de sang et d’un liquide blanchâtre (?) sur les parties génitales. Et ça s’arrête là. Pas de prélèvements, pas d’analyses.
Le légiste s’étonne toutefois de l’état du corps de la jeune fille, et de la nature du médicament que le docteur Dieter Krombach, son beau-père, dit lui avoir administré pour tenter de la ranimer.

Par la suite, il dira qu’en fait il lui a injecté un produit à base de fer pour favoriser son bronzage.

Les organes génitaux de la victime sont prélevés, probablement pour un examen ultérieur, lequel ne sera hélas jamais effectué : le scellé a été égaré. Kalinka aurait été victime du syndrome de Mendelson. En quelque sorte, elle serait morte noyée dans ses régurgitations de liquide gastrique. Un risque qui est toujours pris en compte lors d’une anesthésie et qui justifie l’intubation du patient.

La question était donc de savoir pourquoi Kalinka n’était plus consciente ? La justice allemande rendra finalement un non-lieu, en 1987, sans avoir répondu à cette question.

Mais pendant ce temps, André Bamberski, le père de la jeune fille, a déposé une plainte en France. Une nouvelle autopsie est pratiquée et cette fois, les légistes concluent que la mort est consécutive à une injection d’un produit à base de cobalt et de fer. Finalement, en 1991, Krombach est inculpé d’assassinat par un juge d’instruction parisien. Jugé en son absence, par contumace, en 1995, il écope de quinze ans de réclusion criminelle. Mais il saisit la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamne la France, en rappelant « que le droit pour tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin même d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ». Ce qui n’était pas le cas chez nous. À l’époque, celui qui manquait volontairement à la justice ne pouvait pas voir sa cause défendue par un avocat. À la suite de cet arrêt, dit arrêt Krombach, en 2004, la procédure française a d’ailleurs été modifiée (loi Perben II), tirant un trait sur les jugements par contumace pour les remplacer par une procédure nouvelle, dite de défaut criminel. Avec des débats contradictoires, mais devant une cour d’assises composée uniquement des seuls magistrats, sans la présence de jurés. Sauf erreur de ma part, et pour des raisons historiques (crainte d’abus par un régime totalitaire) l’Allemagne n’admet pas qu’un individu soupçonné d’un crime soit jugé hors sa présence.

En 2001, la justice française transmet le dossier à la justice allemande. Mais cette condamnation lui donne du grain à moudre : Elle met en avant l’impossibilité de poursuivre une personne déjà condamnée dans un autre État-membre pour les mêmes faits. L’Allemagne refuse donc de rouvrir le dossier.

Situation bloquée, jusqu’à l’accord au sein de l’Union européenne sur la possibilité d’extrader ses nationaux d’un État-membre à l’autre. En 2004, la France délivre donc un mandat d’arrêt européen contre Dieter Kromback, mais l’Allemagne refuse d’y donner suite, sous prétexte qu’il a été reconnu innocent dans son pays.

Quand on pense que cet accord sur les extraditions au sein de l’Europe est basé sur la confiance mutuelle des États !

La justice allemande a donc claqué la porte au nez du père de la victime, et, chez nous, du côté de la place Vendôme, il a l’impression que ça traîne des pieds.

En tout cas, tout comme lui, on ne peut s’empêcher de penser que ce bizarre cardiologue bénéficie de protections occultes… Par exemple, en 1997, il a été condamné pour avoir violé une jeune fille de 16 ans alors qu’elle était sous anesthésie : deux ans de prison avec sursis. Devant une Cour d’assises française, il en risquait vingt.

En désespoir de cause, en 2009 (la prescription d’une peine criminelle est de 20 ans, il restait donc 6 ans à courir), Bamberski décide de faire enlever celui qu’il considère comme l’assassin de sa fille. Récupéré par la police, Krombach est incarcéré. Il est actuellement détenu à Fresnes, où il bénéficierait, dit-on, de l’assistance de son ambassade. Et la justice vient d’admettre le procédé, en se référant notamment au cas du terroriste Carlos. On se souvient que cet individu, de son vrai nom Illitch Ramirez Sanchez, assassin entre autres de deux policiers, a été enlevé par la DST, en 1994, à Khartoum, au Soudan, où il coulait des jours heureux. Son jugement en France a malgré tout été considéré comme régulier.

Le sulfureux toubib est-il coupable de viol sur mineur et de meurtre ? Il existe un sérieux faisceau de présomptions contre le bonhomme, bagnard_unicefr.jpgmais les jurés (cinq hommes et quatre femmes) auront bien du mal à détecter une preuve formelle. Il n’en reste pas moins qu’il a reconnu avoir injecté un produit à l’adolescente, hors de tout besoin thérapeutique. Et, d’après les légistes français, ce produit serait lié à son décès. Cela semble suffisant pour confirmer sa condamnation par contumace pour  violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Quinze ans de réclusion criminelle, à 75 ans…

Jury populaire : un trompe-l’œil démocratique ?

 « La justice est rendue au nom du peuple français, désormais elle sera rendue aussi par le peuple français », a déclaré Nicolas Sarkozy dans son discours du 3 février. Et pour cela, d’ici à la fin de l’année, il y aura des jurés populaires qui siégeront auprès des magistrats professionnels dans les tribunaux correctionnels.

pecheur-peche-filet.1296990931.jpgUn message récurrent du président de la République . Il en a été question lors de ses vœux de fin d’année, et pour la première fois, si j’ai bonne mémoire, après le meurtre d’une joggeuse, près de Lille. C’était en septembre 2010.

Il s’agissait probablement d’une déclaration faite sous le coup de l’émotion, car, quelques mois auparavant, le députe UMP Jean-Paul Garraud (ancien magistrat), et plusieurs de ses collègues, avaient déposé une proposition de loi pilepoil en sens opposé : la suppression du jury populaire en cour d’assises, du moins en première instance. Pour lui, ce système (de double cour d’assises, qui date de 2000) s’avère « extrêmement lourd » et mobilise « beaucoup d’énergie, de temps et d’argent ».

Et il voulait ainsi corriger un phénomène qui va en s’amplifiant : la correctionnalisation des crimes (voir l’extrait du texte parlementaire en encadré).

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Il est vrai qu’aujourd’hui, un très grand nombre d’infractions criminelles sont « déqualifiées ». On appelle ça la correctionnalisation judiciaire. Ainsi, un vol à main armée se transforme en vol avec violence ou un viol devient une agression sexuelle. Et, au lieu de passer devant une cour d’assises, le… « présumé coupable » est jugé en correctionnel – donc, sans jury populaire. Gain de temps, gain d’argent. Je n’ai pas trouvé de statistiques sur ce sujet. C’est de la cuisine interne. Mais je ne crois pas me tromper beaucoup en disant que les ¾ des infractions criminelles sont ainsi passées au tamis.

Il faut dire que réunir un jury n’est pas une mince affaire. Les 9 jurés sont tirés au sort dans une urne qui contient 23 bulletins, lesquels proviennent d’un autre tirage au sort sur les listes électorales. L’accusé peut récuser 5 noms et le ministère public 4. Chaque juré doit ensuite prêter serment, notamment « d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui sont retenues contre l’accusé (…) de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection et de se rappeler que l’accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ». Et il est « réquisitionné » pour plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Les cours d’assises se réunissent environ 3 000 fois par an. Ce qui donne 29 000 jurés-citoyens. En réalité plus, car il y a les suppléants et les jugements en appel, où 12 jurés sont nécessaires.

Or, les tribunaux correctionnels prononcent environ 600 000 jugements par an. Faites les comptes…

Cela dit, il faut s’interroger. Le jury populaire est-il un plus pour la démocratie ?

Si l’on regarde dans la gamelle des autres, on voit qu’au Japon, le système a été rétabli en 2009 (supprimé en 1943) afin de « renforcer la démocratie ». Décision qui n’a pas fait l’unanimité, notamment en raison de la possibilité de prononcer la peine de mort.

Tandis qu’en Suisse, c’est le contraire. Le dernier jugement d’un jury populaire a été prononcé à Genève, en décembre dernier. Un Péruvien a été condamné à 16 ans de prison pour avoir tué une jeune clandestine et violé plusieurs femmes, ainsi que sa fille adoptive âgée de treize ans.

Aux États-unis, le jury populaire est nécessaire pour les affaires criminelles (sauf rares exceptions), et en Espagne, il est possible même pour certains délits, sur décision du juge d’instruction.

Il est donc difficile de se faire une opinion. En France, la tradition républicaine veut que le peuple se prononce pour juger les affaires criminelles. Mais il faut bien admettre que la réforme de l’an 2000 a remis en cause le verdict populaire en instituant la possibilité de faire appel d’une décision de cour d’assises. L’idée du député Jean-Paul Garraud n’était donc pas si bête : des magistrats professionnels en première instance et une décision populaire s’il y a appel.

Mais on ne peut à la fois supprimer les jurés pour les crimes et les créer pour les délits. Donc, c’est l’impasse. D’autant que 600 000 décisions de justice, ça fait quand même beaucoup de monde à mobiliser. Ce qui risque de siphonner sérieusement le budget de la Justice. Et même de représenter un coût pour les entreprises. Aussi, pour ne pas trop les pénaliser, et protéger le taux de croissance du pays, je propose de réserver cette mission aux chômeurs. Toutes catégories confondues et avec les DOM, il y a là un potentiel de 4,3 millions de personnes qui ne demandent qu’à se rendre utiles.

Soyons sérieux. Si l’on veut que la justice soit rendue « par le peuple français », avant de tout chambouler, il faut commencer par envoyer les individus accusés d’un crime devant une cour d’assises. Et ensuite, on pourra parler de jurys populaires au sein des tribunaux correctionnels.

Certains estiment qu’il faudrait réserver cette possibilité aux délits les plus graves. Mais dans ce cas, qui va décider ? Le procureur ? Impossible ! D’abord, ce n’est pas un magistrat indépendant du pouvoir exécutif, et surtout, il s’agirait d’une justice à la tête du client. Il faut donc modifier en conséquence le Code pénal ou le Code de procédure pénale, ou les deux, en précisant les délits qui doivent être jugés selon cette nouvelle norme.

homme-yeux-bandes_dutronwordpress.1296990863.jpgSauf que les infractions les plus graves sont le plus souvent criminelles.

On se mord la queue.

Cela dit, on ne peut être que sceptiques sur la valeur que nos dirigeants portent sur notre opinion. Rappelons-nous qu’en 2005, on a donné un avis négatif au référendum sur le traité pour une constitution européenne, et que trois ans plus tard, dans un bel ensemble, nos élus ont passé outre !

Meilhon, multirécidiviste ou multiréitérant ?

L’affaire de Pornic a relancé la polémique sur les multirécidivistes, avec, en toile de fond, le « laxisme » des juges qu’il faudrait, nous dit-on, encadrer par un jury populaire. En réalité, Tony Meilhon n’a bénéficié d’aucune faveur : condamné par treize fois, il a purgé l’intégralité de ses peines.

Avant cette affaire, le président Sarkozy avait parlé, lors de ses vœux, de « la violence chaque jour plus brutale de la part de délinquants multiréitérants ».

new-justice_southerndefender.1296303638.gifAlors, ce Meilhon, ce triste personnage, est-il un multirécidiviste ou un multiréitérant ?

Le législateur a fortement donné dans le domaine de la récidive ces dernières années, adoptant ce principe bien connu : Errare humanum est, perseverare diabolicum (là, j’ai pompé). Ce qui signifie qu’on peut se tromper une fois, mais pas deux. Enfin, c’est mon interprétation. En droit, cela se traduit par une peine plus sévère lorsqu’il y a pluralité d’infractions.

La récidive – La récidive est une circonstance aggravante. Elle s’applique lorsqu’une personne, après une condamnation définitive pour une première infraction, en commet une seconde. Même s’il n’y a pas de lien entre les deux infractions, du moins la plupart du temps. Par exemple trafic de stups et accident mortel de la circulation. Pour plus de détails, on peut se reporter à un billet de 2007 de Me Eolas, et au petit tableau ci-dessous.

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On voit qu’il est tenu compte non pas de la peine prononcée, mais de la peine encourue. Par exemple, l’auteur d’un viol, sans circonstances aggravantes, encourt une peine de 15 ans de réclusion criminelle. Quelle que soit sa condamnation, s’il récidive, il encourt cette fois une peine de 30 ans. La loi du 10 août 2007 prévoit en outre des peines minimales. Et celle de 2008 a instauré le dispositif de rétention de sûreté, qui donne la possibilité de « retenir » dans des centres fermés – après leur peine – les personnes à risques (pour la société) ayant été condamnées à au moins 15 ans de réclusion criminelle. Une proposition de loi du 13 janvier 2011 (une de plus), rabaisserait le seuil de déclenchement à une condamnation à 10 ans.

Cependant, notre Président n’a pas parlé de récidive, mais de réitération. C’est quoi ?

La réitération – Cette notion a été introduite dans le Code pénal en 2005. Elle est au croisement du « concours réel d’infractions » (voir plus loin) et de la récidive.

Cela concerne les personnes ayant déjà fait l’objet d’une condamnation mais qui ne sont pas visées dans le tableau ci-dessus. Notamment pour les petits délits. Exemple : une condamnation pour vol et, plus tard, un délit de fuite. Deux infractions différentes qui, même à des années d’intervalles, entraîneront la réitération. Du moins, c’est comme ça que je l’ai compris.

Pour compliquer un peu plus les choses, la police a une définition différente. Pour elle, le multiréitérant est un individu « fiché » pour de multiples faits. Ainsi, le préfet de police a effectué un pointage sur Paris et la petite couronne. Il avance le nombre de 11 400 personnes pouvant chacune être impliquées dans au moins cinquante affaires différentes et répertoriées au STIC. Mais on comprend bien que le législateur ne peut moduler la sanction encourue pour un crime ou un délit en se fiant uniquement à un fichier de police.

La réitération est donc en fait une récidive simplifiée, qui ne tient compte ni de la nature de l’infraction ni du temps écoulé. Dans les deux cas, le délinquant doit avoir été condamné au moins une fois. Toutefois, distinction importante, en matière de réitération, la peine n’est pas aggravée, mais elle se cumule avec les peines précédentes.

Mais attention, on peut aussi être l’auteur de plusieurs infractions sans être ni récidiviste ni réitérant !

Prenons le cas d’un individu qui a commis une série de vols, dont un avec arme. Il sera condamné pour chacun de ses vols, mais sa peine totale ne pourra excéder le maximum de l’affaire la plus grave, c’est-à-dire le braquage : 20 ans. On appelle ça le concours réel d’infractions.

Tout le monde a suivi ?

À ne pas confondre avec le concours idéal d’infractions : un seul acte, mais plusieurs infractions. Par exemple, un excès de vitesse suivi d’un accident corporel, suivi d’un délit de fuite. Ces cas sont juridiquement plus flous, mais la jurisprudence veut, généralement, que seule la qualification la plus grave soit retenue.

Alors, pour en revenir à Tony Meilhon est-il ou non un multirécidiviste ? L’opinion publique en est persuadée, la presse s’interroge et nos dirigeants enfoncent le clou. Mais que dit le droit ? Cet individu a fait l’objet d’une condamnation à quatre ans de prison devant une cour d’assises pour une agression sexuelle sur un codétenu, commise en 1997. Je ne connais pas la qualification exacte, mais, si les faits retenus contre lui à l’époque étaient punissables de dix ans d’emprisonnement, le délai est écoulé : pas de récidive, mais réitération. En revanche, si la peine encourue était supérieure à dix ans, il n’y a pas de délai. Conclusion, si demain, il devait être jugé pour viol ou meurtre, Meilhon serait alors en état de récidive. Sa peine serait doublée. Et, après sa peine, il pourrait être enfermé dans un centre de rétention.

Une chose est sûre, la récidive ou la réitération est un marqueur de l’échec de la répression. Si le délinquant ou le criminel a remis le couvert, c’est que le système n’a pas bien fonctionné. Or, les juges condamnent à la fois pour punir, pour protéger la société et pour tenter de réinsérer l’auteur des faits. La politique actuelle semble plutôt tourner autour de la punition, avec en filigrane cette affirmation : plus la peine encourue est forte, plus elle est dissuasive.  Eh bien, pour que cela marche, il faudrait sérieusement simplifier les choses. Ainsi, moi qui suis un peu branché dans ce domaine, j’ai dû consulter plusieurs ouvrages pour rédiger ce flic_indecis_lesso.1296304032.jpgbillet. Et je ne suis pas sûr de ne pas avoir commis d’erreurs. Alors, comment voulez-vous qu’un voyou, aux cellules grises souvent déficientes, puisse s’y retrouver ?

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