Dans l’Hexagone, les gendarmes veillent sur les câbles de cuivre de la SNCF, mais, à des milliers de kilomètres, en Guyane, leur mission est tout autre : Ils pourchassent les chercheurs d’or. Ils sont environ 250 – et 750 militaires – à patrouiller sur un territoire rempli d’embûches. Le plan Harpie bat son plein. Ou plus exactement Harpie 2, car, après les opérations Anaconda et Harpie 1, l’année dernière, le président de la République a relancé la mobilisation contre l’orpaillage clandestin. Et cette fois avec de grands moyens. La mission n’est pas sans danger : un soldat y a déjà laissé la vie (voir le blog secretdefense). Dans une vidéo, sur le site de la gendarmerie, on peut se faire une idée de leur job. Rien à voir avec des contrôles de vitesse sur l’autoroute… Les pieds dans les charentaises, on peut rêver d’aventures… Mais là, ce n’est pas du cinoche. Il ne s’agit pas de surprendre un cowboy solitaire accroupi près d’un fleuve, en train de tamiser du sable, mais de dénicher les puits et les galeries creusés par des colonies de clandestins à la recherche des précieuses pépites.
Il faut reconnaître qu’avec la montée fulgurante du cours de métal jaune, malgré les risques, le jeu en vaut la chandelle.
Vous me direz, après tout, ils ne volent personne. Mauvaise pioche. Cela ne se passe plus ainsi dans un monde qui se veut policé. D’autant que l’or fait partie des richesses naturelles de la Guyane. C’est même son premier produit d’exportation. Autour de 2 à 3 tonnes par an. Et ils sont environ 65 opérateurs à se partager le pactole, en exploitant une centaine de sites autorisés. Alors que, d’après les chiffres de 2006, retenus par une commission d’enquête du Sénat, il y aurait environ 350 sites d’orpaillage illégal, employant entre 5 000 et 10 000 personnes. Ce qui représenterait, selon les estimations de la gendarmerie nationale, 10 tonnes d’or natif par an.
Mais le problème majeur est environnemental. Essentiellement en raison de l’utilisation du mercure pour réaliser l’amalgame de l’or, procédé interdit depuis 2006. Avec des rejets conséquents de ce métal liquide dans les eaux des fleuves. 13 tonnes par an. Et une déforestation sauvage estimée à 500 hectares par an. Les conséquences sont terribles sur la vie des habitants des rives*. Et tout ce petit monde underground génère évidemment une délinquance associée, comme la prostitution, le blanchiment d’argent et les règlements de comptes.
Une loi de 2009 a renforcé les moyens juridiques pour lutter contre l’orpaillage illégal, en donnant, par exemple, la possibilité de faire démarrer la garde à vue non pas au moment de l’arrestation, comme c’est la règle, mais lors de l’arrivée dans les locaux où celle-ci doit se dérouler. Avec un délai qui ne peut excéder vingt heures (art. 141-4 du Code minier).
Pas facile d’être un État de droit dans ces contrées.
Cependant, dans la région, les garimpeiros ne sont pas les seuls soucis des policiers et des gendarmes. Ce territoire, grand comme le Portugal, possède le niveau de vie le plus élevé du continent sud-américain. Un attrait pour les habitants, bien plus pauvres, des pays d’alentour. Et notamment le Brésil. 60% des étrangers mis en cause dans des crimes ou des délits sont des Brésiliens. Et cela pourrait encore s’aggraver après la mise en service du pont routier sur le fleuve Oyapock, lequel va bientôt relier la Guyane à l’État de l’Amapá. Raison pour laquelle un centre de coopération policière (CCP) entre les deux pays devrait bientôt voir le jour. Cette cellule aura compétence pour tous les problèmes liés à la sécurité (sauf le terrorisme), et notamment la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants et l’immigration irrégulière. Ce CCP sera, me semble-t-il, la première coopération transfrontière hors de l’espace Schengen. Avec toutefois une présence française bien modeste : 3 gendarmes et 1 policier.
D’après un article un rien alarmiste du Figaro, pour une population d’environ 230 000 habitants, la Guyane arrive juste derrière la Seine-Saint-Denis (six fois plus peuplée) en matière de délinquance. Mais surtout, il s’agit d’une délinquance souvent violente. Il faut dire que les armes sont partout. Elles proviennent en grande partie du voisin brésilien, le plus important fabricant d’armes de l’Amérique du Sud. Pour le procureur de Cayenne, cité dans cet article, la situation est critique. « Les magistrats ne veulent plus venir en Guyane, effrayés par la quantité de travail que nous avons, mais aussi parce qu’ils ont peur de se faire attaquer au coin de la rue ». Quant au chef de la BAC, qui a exercé vingt ans en métropole, il soupire : « La différence, c’est qu’ici, tu peux perdre la vie pour 3 euros ».
Rien à voir pourtant avec un pays voisin, et presque homonymique : le Guyana, (l’ancienne Guyane britannique ) où le risque est omniprésent ; ni même avec le Venezuela, qui vient de publier des chiffres alarmants. Mais le taux de criminalité en Guyane est néanmoins deux fois supérieur à celui de la métropole. Et il est certain que sans l’arrivée d’effectifs supplémentaires, gendarmes et policiers, les choses ne vont pas s’arranger, car outre une immigration clandestine exponentielle, la Guyane est le département français où le taux de natalité est le plus élevé.
40% des homicides commis sur l’ensemble de la planète ont lieu en Amérique Latine, où, parallèlement au crime organisé, au narcotrafic et au blanchiment d’argent, la délinquance de rue connaît un accroissement qui va de pair avec la pauvreté. Entre ces deux extrêmes, on peut presque parler de l’émergence d’une criminalité moyenne, centrée notamment sur le trafic d’armes, le trafic de personnes et le trafic sexuel. Une activité criminelle qui deviendrait… coutumière.
Avec un contre-coup : l’utilisation de plus en plus fréquente des forces armées pour effectuer des opérations de police. Un véritable risque pour ce monde en recherche d’équilibre.
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