Le philosophe Luc Ferry a été entendu à la brigade des mineurs. Ou plus exactement à la brigade de protection des mineurs (BPM). Car les policiers qui travaillent dans ce service du quai de Gesvres tiennent beaucoup à cet aspect de leur mission : la protection des enfants. C’est dans cette optique qu’ils pourchassent violeurs, pédophiles ou parents indignes. C’est même le seul service de police judiciaire dont la mission essentielle n’est pas la répression.
Ce sont donc ces enquêteurs un peu particuliers qui vont tenter de faire le tri entre rumeurs, ragots et réalité. Pas facile.
A priori, Luc Ferry n’a pas apporté d’éléments nouveaux. D’ailleurs, il n’a pas vraiment été entendu comme témoin, puisqu’il n’est témoin de rien. Plutôt comme le dénonciateur d’un fait criminel, en l’occurrence, « une partouze avec des petits garçons ». Ainsi que le prévoit l’article 17 du Code de procédure pénale : les officiers de police judiciaire « reçoivent les plaintes et les dénonciations (et) procèdent à des enquêtes préliminaires… »
Était-il tenu d’indiquer le nom de la personne qu’il soupçonne de ces faits ? Bien sûr que non ! Personne ne peut l’obliger à dévoiler ce que, d’après lui, tout « le bal des faux-culs » sait. En tenant ces propos à la télé, il a sans doute fait allusion à une rumeur qui a couru lors de la campagne pour les Présidentielles de 1995, et dont l’Express s’était fait l’écho – pour la démentir. Je ne suis même pas sûr que les policiers lui aient posé la question, car ils auraient pris le risque de se rendre complices d’une dénonciation calomnieuse (art. 226-10). En revanche, ils ont pu solliciter des éclaircissements et s’intéresser aux personnes qui lui ont rapporté ces faits criminels. Et comme il a fait allusion au Premier ministre de l’époque, Jean-Pierre Raffarin pourrait bien se voir à son tour convoquer Quai de Gesvres.
Était-il opportun d’ouvrir une enquête préliminaire pour vérifier ces allégations ? C’est l’avis de Mme Dati, l’ancienne ministre de la Justice. Elle a accusé M. Ferry de non-dénonciation de crime. Or, en droit français, sauf si l’on peut éviter par ses déclarations l’accomplissement d’un crime, sa réitération ou ses conséquences, la loi n’oblige pas à dénoncer un acte criminel, ni d’ailleurs son auteur (il y a des exceptions, comme pour les fonctionnaires). Seuls ceux qui ont connaissance « de privations, de mauvais traitements ou d’atteintes sexuels » sur des mineurs de 15 ans ou certaines personnes vulnérables sont tenus d’en informer les autorités (art. 434-3). Peut-on reprocher ça à Luc Ferry ? Non, puisque justement, il dénonce. Ce sont les autres, ceux qui n’ont rien dit, qui pourraient être visés… Mais comme la loi date de 1998, et que les faits sont probablement antérieurs, on imagine mal que l’article 434-3 actuel puisse s’appliquer. Dans ce cas précis, la loi peut-elle être rétroactive ? Là, je sèche. Les lois, c’est un peu comme les poupées gigognes, chacune cache l’autre.
Donc, enquête judiciaire ou pas ? On peut s’interroger sur l’opportunité de la décision du procureur de Paris, d’autant que Le Figaro Magazine avait déjà relancé la rumeur sans que personne ne réagisse. Et pas d’enquête non plus, lorsqu’en 2009, Marine Le Pen s’en était pris à Frédéric Mitterrand, l’accusant de faire l’apologie du tourisme sexuel dans son livre autobiographique La mauvaise vie, publié en 2005.
Dans la Grèce ancienne, philosophe signifiait « ami de la sagesse ». Pythagore aurait été le premier à revendiquer ce titre, par humilité dit-on, pour ne pas qu’on le range dans la catégorie des « sages ». On peut se demander si Luc Ferry, notre Pythagore cathodique, n’a pas oublié la définition du mot philosophe, lorsqu’il s’est fendu de cette déclaration…
Enfin, je dis ça, c’est un théorème…
Pour Luc Ferry, c’est plutôt une bévue : on ne peut imaginer qu’il ait agi de façon préméditée, comme un pion dans une campagne électorale où tous les coups semblent permis – surtout en dessous de la ceinture.