LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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De la Cellule 34 à Honneur de la police

Certains journaux ont fait le rapprochement entre ces deux groupuscules en raison d’un modus operandi identique. À des époques différentes, ils se sont fait connaître en envoyant balles_ un-solo-meurtrier.1252134834.jpgune balle par la poste à des personnalités. Pour dire quoi ? Que la prochaine n’arrivera pas par le courrier ?

Honneur de la police est un mouvement résistant de la dernière guerre, mais dans les années 70-80, ce nom a été emprunté par une société secrète dont on n’a jamais identifié les membres.

Gaston Defferre, en 1981, alors qu’il était depuis peu à la tête du ministère de l’Intérieur, avait reçu deux balles à quelques semaines d’intervalle, dont l’une dans une enveloppe à l’entête de la Préfecture de police.

Coluche, alors qu’il était candidat aux élections présidentielles, n’en avait reçu qu’une – mais il n’était pas ministre, juste un clown qui nous faisait rire, et qui parfois nous faisait rire jaune.

Autant de petits cadeaux accompagnés d’une missive signée Honneur de la police. Cette mystérieuse faction avait déjà fait parler d’elle dans le passé, mais cette fois en revendiquant des actions criminelles, comme l’attentat contre la voiture de Maurice Lourdez, responsable du service d’ordre de la CGT. Il était reproché au dit service d’ordre des violences contre un policier (Le Xuan) lors d’une manifestation, le 23 mars 1979. La lettre de revendication adressée à l’AFP dénonçait le laxisme du ministre de l’Intérieur (Christian Bonnet), en affirmant : « Les policiers de tout grade, solidaires, se préparent désormais à assurer eux-mêmes leur défense ».

Et en septembre 1979, dans la demi-heure qui suit l’assassinat de Pierre Goldman, un correspondant anonyme téléphone à l’AFP pour revendiquer ce meurtre au nom d’Honneur de la police : « Pierre Goldman a payé ses crimes, la justice du pouvoir ayant montré une nouvelle fois son laxisme, nous avons fait ce que notre devoir nous commandait ». En décembre de la même année, c’est un chercheur du CNRS qui essuie des coups de feu, puis l’année suivante, une bombe explose au domicile du président de la Ligue des droits de l’homme, avec à chaque fois une revendication de ce réseau factieux. Certains ont alors fait le rapprochement avec le mouvement d’extrême droite Delta (du nom du commando), qui avait revendiqué au moins deux meurtres dans les années précédentes. Sans preuve. L’enquête n’a jamais démontré non plus que des policiers étaient mêlés à ces attentats. Une seule certitude : il y avait dans l’ombre des gens qui s’agitaient autour de la sécurité. Ainsi en septembre 1982, une bombe explose devant un commissariat du VII° arrondissement de Paris. L’attentat est revendiqué par un groupe inconnu, barbouzes.1252135467.gif« Malheur de la police ». Avec ces mots : « Face aux 357 des tueurs en uniforme nous opposons aujourd’hui la destruction de l’un de leurs lieux de réunion ».
Un attentat qui ressemble fort à un truc de barbouzes qui veut que pour justifier une action, l’on s’invente un ennemi…

Mais dans ces années-là, il reste encore quelques vétérans de la Libération de Paris dans les rangs de la police ou parmi ses retraités.  Et ils rouscaillent ferme de voir ainsi traîner dans la boue Honneur de la Police, l’un des plus importants réseaux clandestin de la Préfecture de police.

Son histoire commence sous l’impulsion d’Arsène Poncey, vétéran de 14-18 et brigadier au commissariat du VI° arrondissement. À la demande du Comité français de la libération nationale (CFLN), Poncey crée un mouvement de policiers résistants, le groupe Valmy, de l’Armée des volontaires. Depuis la Préfecture, il coordonne la fabrication de faux papiers et organise une filière pour les prisonniers de guerre évadés. Plus tard, avec l’aide notamment de Paul Turgné, inspecteur aux RG, et d’Adrien Pelletier, le mouvement met en place un réseau pour aider les juifs à échapper aux rafles nazies. Trahis par l’un des leurs (qui sera exécuté en 43) plusieurs de ses membres sont arrêtés, dont Arsène Poncey. Il est mort au camp de Mauthausen. Une salle porte son nom à la préfecture de police de Paris.

adrien-peltier.1252135560.jpgQuant à Turgné, il passe à travers les mailles du filet et emboîte le pas d’Adrien Peltier (photo de gauche) et du commissaire Edmond Dubent, lorsque ceux-ci décident de prendre la relève et plus tard de créer Honneur de la police. Dubent dirigera le mouvement depuis son bureau aux services techniques de la police. Mais c’est Peltier, capitaine FFI dans la clandestinité, qui assurera les missions sur le terrain.

Edmond Dubent est arrêté en décembre 43. Il est mort au camp de Nordhausen, en mars 1945. La 53° promotion de commissaires (2001/2003) porte son nom. Après son arrestation, Adrien Peltier prend la direction d’Honneur de la police. Recherché par ses collègues des brigades spéciales des RG, en juin 44, il rejoint le maquis. Le brigadier Fournet le remplace. C’est ce dernier, en synergie avec les deux autres grands mouvements de résistance, Front national (qui malgré son nom était je crois d’obédience communiste) et Police et patrie, qui parviendra à mobiliser 2.000 à 3.000 policiers pour « prendre » la préfecture de police. Peltier a terminé sa carrière comme commissaire principal. Il est mort en 1982. Quant au brigadier Fournet (dont je n’ai pas retrouvé le prénom), je crois qu’il a obtenu le grade de commissaire divisionnaire.

Paul Turgné a eu moins de chance. Lui qui avait été torturé par la Gestapo, et qui avait réussi à s’enfuir du train qui le menait à Dachau, il est abattu « bêtement » par des soldats allemands, lors d’un contrôle d’identité, le 19 août 1944, alors qu’il tente de rejoindre la Préfecture.

Honneur de la police a joué un rôle essentiel durant l’Occupation. Plus de 130 de ses membres seraient morts aux combats, fusillés, ou en déportation.

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Le 14 août 1944, le préfet de police Amédée Bussière lance un appel aux policiers en les exhortant à ne pas faire grève et à ne pas se révolter contre les Allemands, et il termine son discours en affirmant que de leur attitude dépendait l’honneur de la police…

Ils ne l’écoutent pas, ces policiers résistants. Ils désobéissent. Je ne sais pas s’ils étaient de droite ou de gauche, mais en prenant le contrepied d’une hiérarchie inféodée à l’Occupant et en en ne se laissant pas gangréner par le climat de soumission qui dominait alors, on peut dire qu’ils ont fait preuve d’une force morale exceptionnelle.

Et n’en déplaise à ce préfet frileux, ce sont bien eux qui ont sauvé l’honneur de la police française.

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– Sur ce blog, voir La police sous l’occupation allemande.
– Sur le site de Gilles Primout, on peut lire Le journal de bord des assistantes sociales de la PP. Elles nous racontent heure par heure le siège de la Préfecture, comme elles l’ont vécu.
– Et sur le site Beaucoudray, La libération de Paris vue d’un commissariat.

Assassinat du juge Michel : un complice retourne en prison

C’était le 21 octobre 1981, un tueur grimpé sur le tansad d’une moto tire trois balles de 11.43 dans la tête de Pierre Michel, Premier juge d’instruction à Marseille. En 1988, François Girard a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commandité ce meurtre. Sorti de prison en 2005, pour raison de santé, vendredi dernier il a été mis en examen dans une affaire de trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et la France.

juge-michel.1251874888.jpgMichel était un juge hors du commun, chéri par les policiers et tout juste toléré par certains de ses collègues. Il faut reconnaître qu’il était parfois borderline, n’hésitant pas à faire pression sur les suspects, à les piéger dans leur cellule, à leur proposer des marchés pour pêcher un plus gros gibier… Mais quels résultats ! En 8 ans, une demi-douzaine de laboratoires d’héroïne décapités et de nombreuses affaires retentissantes, comme la tuerie du « Bar du téléphone » ou l’imprimerie de faux billets de la maison de retraite « Les cigales ».

On peut dire que dans son domaine, c’était un crack ! Faut dire qu’il avait été à bonne école. En arrivant à Marseille, il fait ses premières armes avec le juge Saurel, ce magistrat qui avec les commissaires Le Mouël, Morin et Aimé-Blanc a démantelé la « French Connection ».  D’emblée il reprend le flambeau de son mentor, notamment avec l’aide du commissaire Lucien Aimé-Blanc. Ce dernier, aux méthodes un peu marginales (tu m’en veux pas, Lucien ?) avait trouvé là son alter ego : une véritable connivence s’était installée entre les deux hommes.

Après le meurtre du juge François Renaud, à Lyon, en 1975, l’assassinat de ce deuxième magistrat a fait craindre que le milieu n’adopte les méthodes mafieuses à l’époque en cours en Italie… Inutile de dire que tous les moyens furent mis en oeuvre pour trouver les coupables…

Pourtant cette affaire a bien failli être classée !

La moto est retrouvée 48 heures après le meurtre. Elle avait été volée un an auparavant. Aucune piste, juste un fragment d’empreinte relevé derrière un autocollant. Un travail de fourmi pour les spécialistes de l’identité judiciaire, plus de 160.000 fiches consultées avant de tirer le bon numéro : Charles Giardina, un mécanicien au chômage, proche de la bande de la Carpette. Le conducteur habituel de la machine, une Honda 900 « Bol d’or », serait un certain Gilbert Ciaramaglia, qui lui est un truand chevronné. En recoupant certaines informations, les enquêteurs pensent que c’est Gaëtan Zampa, alias Tany, qui lui aurait confié la moto, en lui recommandant de la garder en réserve, « pour un coup ». Or le juge Michel avait Zampa dans le collimateur de longue date. Et il croyait bien le tenir, car lors du démantèlement d’un laboratoire clandestin (l’une de ses dernières opérations), il avait déniché dans la sacoche de l’un des trafiquants les coordonnées du monsieur. Et il avait fait connaître haut et fort sa volonté de pousser son avantage.

Mais les policiers ne parviennent pas à réunir la moindre preuve, juste des présomptions. Pendant ce temps, l’intéressé s’insurge – dans la presse – des accusations qui sont portées contre lui. En désespoir de cause, il est incarcéré en novembre 1983 pour des infractions financières. Six mois plus tard, il se pend dans sa cellule. Compatissant, un codétenu se porte à son secours et lui entaille la gorge. « J’ai voulu lui faire une trachéotomie », dira-t-il, imperturbable.

Considéré comme le tueur, Ciaramaglia est mis en examen. Mais au bout de deux ans d’instruction, faute de preuves, le juge Patrick Guérin renonce. Blanchi dans cette affaire, il sera condamné pour d’autres faits. Quant au voleur de la moto, son corps calciné et criblé de balles sera retrouvé en 1985, dans le bois d’Aubagne, près de Marseille.

Tous les flics qui s’intéressent au grand banditisme suivent cette enquête de près, et pour quelques-uns, la vengeance du milieu n’est pas nécessairement le mobile… Le juge Michel aurait mis le doigt sur un truc explosif : une mystérieuse filière de trafic d’influence qui aurait gangréné l’administration pénitentiaire et qui aurait permis à certain détenus (fortunés) d’obtenir des « grâces médicales »… Hypothèse qui n’a jamais vraiment été exploitée. Mais, ceux qui ont approché le magistrat les semaines précédant sa mort l’ont trouvé particulièrement tendu – et ce ne sont pas les menaces d’un truand qui aurait pu le perturber à ce point !

juge-michel_moto.1251874521.jpgFinalement, il faudra attendre 1986 pour qu’on commence à y voir clair. Et la lumière vient de Suisse, en la personne d’un détenu qui tente ainsi de négocier un allègement de sa peine. Et il donne des noms : Charles Altiéri et François Checci. Le premier pilotait la moto tandis que le second faisait feu sur le juge. Ils auraient agi à la demande de deux hommes : Homère Philippi, dit Mimi, un proche de Zampa, dont le nom est apparu dans le casse de la Société générale de Nice ; et François Girard, dit Le blond, condamné à une peine de 12 ans pour une affaire de trafic de stupéfiants instruite par le juge Michel. Incarcérés au moment des faits, tous deux auraient organisé ce meurtre du fond de leur cellule…

Altiéri, Checci et Girard ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Pour le premier par contumace, puisqu’il était parvenu entretemps à s’échapper de la prison suisse où il purgeait une peine de 20 ans de prison (il a été arrêté à Chypre en 1993). Quant à Philippi, à ma connaissance, il n’a jamais été retrouvé.

Sur le plan judiciaire, l’enquête sur l’assassinat du juge Michel a donc été bouclée, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il reste des zones d’ombre. Peut-être un jour l’un des protagonistes nous apportera-t-il un autre éclairage, comme un testament.

Les étrangers face au mouchardage

Une agence bancaire du LCL appelle la police pour arrêter l’un de ses clients malien, et d’après le site Rue89, de grandes surfaces, de grandes enseignes commerciales, agissent de même. Pas pour arrêter des voleurs, mais simplement pour signaler des étrangers en situation irrégulière. coup-de-pied_picsou.1251620354.jpgOn peut se demander si ces gens agissent par esprit civique, par crainte des foudres de la loi ou pour des motifs moins avouables…

Et les policiers qui interviennent, le font-ils à bon escient ?

En fait, pour répondre à la dénonciation du banquier, ceux-ci disposaient de deux possibilités :
– soit, ils se fiaient à sa seule parole, et dans ce cas leur intervention ne semble pas légitime, car une simple dénonciation ne vaut pas flagrant délit ;
– soit, ils prenaient le temps de vérifier et d’obtenir confirmation de l’objet de la dénonciation, et dans ce cas leur intervention se justifiait par l’existence  d’ « une ou plusieurs raisons plausibles » d’un délit (Cass. 6 juillet 2007).

Ce qui revient à s’interroger sur les modalités qui entourent l’interpellation d’un étranger…

Dans une préfecture – La Cour de cassation a tranché de façon très nette : pas de prétextes, pas de subterfuges, pas de coups fourrés. Pour que l’intervention des policiers soit régulière, il faut que la personne se présente spontanément ou en exécution d’une convocation qui expose clairement la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement.

Dans un commissariat ou une gendarmerie – Il en est de même. Ainsi, des gendarmes qui avaient saisi l’opportunité d’une convocation en vue de l’examen du dossier de mariage d’un étranger pour l’interpeller en vue de son placement en rétention, ont été désavoués par la Cour de cassation (11 mars 2009). Conditions d’interpellation irrégulières, ont dit les juges.

Chez un commerçant – La question ne devrait pas se poser. Dans le cas du Malien dénoncé par son banquier, le juge des libertés et de la détention a assimilé cette situation aux deux précédentes et il a décidé de le relâcher.

Lors d’un contrôle d’identité – Les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de répondre à toute réquisition d’un officier de police judiciaire en fournissant les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France (article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

La loi reconnaît donc à un OPJ le droit de contrôler un étranger, mais la question qui se pose est la suivante : Comment savoir qu’il s’agit d’un étranger ?

En effet, une jurisprudence constante interdit au policier de se fier à des critères physiques, comme la couleur de la peau, la langue, l’accent, les vêtements, etc. Pour faire simple, un contrôle d’identité effectué dans le seul but de déterminer qu’une personne n’est pas de nationalité française n’est pas légitime (sauf cas particulier du contrôle Schengen).

En revanche, si le policier est en possession d’éléments extérieurs qui permettent de présumer de l’existence d’une infraction à la législation sur les étrangers, son intervention est justifiée au sens de l’art. 78-2 du Code de procédure pénale. Le fait par exemple de circuler dans un véhicule immatriculé à l’étranger semble être un élément suffisant.

Dans les autres hypothèses où le contrôle d’identité serait effectué sur présomption d’un délit d’une autre nature, ou sur réquisition du procureur de la République, ou pour prévenir une atteinte à l’ordre public (ou même lors d’un contrôle relatif au respect de la législation du droit du travail), la découverte « fortuite » de la situation irrégulière de l’étranger équivaut alors à un flagrant délit.

Mais les contrôles de ce type ont souvent bon dos… En racontant tout ça, je prends d’ailleurs des risques, car on patouille dans la demi-teinte et l’hypocrisie. À tel point qu’en 2006, une longue circulaire interministérielle (Justice, Intérieur) donnait aux forces de l’ordre toutes les ficelles pour arrêter les étrangers sans se mettre dans une situation considérée comme illégale…  On y précisait par exemple que la convocation adressée à un étranger devait « proscrire toute indication mensongère (…)  sans pour autant donner d’indice révélant le risque d’intervention d’une mesure de rétention et de reconduite ». Et de fournir des exemples-types de convocation. Certains y ont vu là des indications faites aux forces de l’ordre pour détourner l’esprit de la loi. Et la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et plusieurs associations ont porté l’affaire devant le Conseil d’État. Ils ont été déboutés.

En fait, la volonté politique de contrôler l’immigration sauvage trouve ses limites dans la liberté d’aller et venir librement et dans l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. shadoks.gif

N’empêche que ces… collaborateurs de police, qu’ils soient fonctionnaires (pour eux, c’est une obligation légale), banquiers, commerçants ou opérateurs téléphoniques, nous mettent mal à l’aise. Ils semblent se fondre trop facilement dans un paysage qui se banalise : la dénonciation de son prochain.

La police sous l’occupation allemande

Pour le 65° anniversaire de la Libération de Paris, Nicolas Sarkozy a rendu hommage à ceux qui ont libéré la capitale et notamment à la police parisienne. Un hommage bien modéré si on le compare au discours grandiloquent de Dominique de Villepin, cinq ans auparavant. Le Président a évoqué une Libération de Paris_Pierre Albert Leroux.jpgminorité de policiers résistants « à l’image de leurs compatriotes », tandis qu’à l’époque le Premier ministre commémorait « la mémoire des 167 policiers tombés pour la liberté des Parisiens ». L’un appelle à se « montrer digne de l’héritage », tandis que l’autre déclamait : « soyez les dignes héritiers de vos grands anciens ».

Mais qu’en est-il ? Quel a été le rôle de la police tant sous l’occupation allemande qu’à la Libération ?

Pas facile de répondre à ces questions. Même les historiens sont partagés. On a l’impression que dès qu’il s’agit de la police, chacun réagit avec ses sentiments (ou ses ressentiments) et rarement avec jugement.

À l’époque, la préfecture de police de Paris est toute puissante, tandis que les services de sûreté, compétents sur le territoire national, font figure de parents pauvres. Mais tout n’est pas rose à la « Tour pointue » où les services, et surtout leurs chefs, se tirent la bourre à qui mieux-mieux. En 39, après la déclaration de guerre, le Parti communiste est mis au ban de la société, et les Renseignements généraux prennent le pas sur les autres directions : la chasse aux cocos est ouverte. Plus tard les RG auront même leurs propres brigades de répression.

Pourtant, la police n’est pas à droite, et la sûreté de la rue des Saussaies est même marquée à gauche. Alors, pourquoi cette prise de position ? Certains historiens estiment que dans cette période trouble, les policiers ont vu là l’opportunité d’obtenir des réformes sans cesse différées et aussi la possibilité de vider de vieux contentieux avec le monde politique… Mais le plus probable, c’est que les policiers ont été aveuglés par leur culture de l’obéissance, fidèles au vieux dicton : les gouvernements passent, la police reste.

Il faut d’ailleurs rappeler qu’aux termes du traité d’armistice signé le 22 juin 1940, il était précisé (en résumé) que dans les régions de la France occupée, le Reich exerçait tous les pouvoirs. Et sur instruction du Gouvernement de Vichy, l’ensemble des services administratifs français devaient collaborer avec les autorités militaires allemandes. france_zone-occupee-et-zone-libre_wikipedia.1251362963.png

Lorsqu’en 1941, le PC s’engage dans la lutte armée contre l’occupant (attentat, assassinats de soldats allemands…), la France se retrouve dans la situation de tous les pays occupés : les résistants des uns sont les terroristes des autres. Et depuis Londres, sans les condamner tout à fait, le général de Gaulle fait savoir qu’il n’approuve pas ces actes qui ne correspondent pas à l’idée qu’il se fait de la guerre. Et qui de plus font souvent des victimes civiles.

Au début de l’Occupation, à Paris, la police relève des autorités militaires allemandes, mais peu à peu, sous la houlette de Karl Oberg, les SS vont prendre la prédominance. Et les choses se passent plutôt mal.
Aussi, après une épuration massive des cadres (plus de 50 % des commissaires sont révoqués), le maréchal Pétain charge René Bousquet de réorganiser la police. La loi du 23 avril 1941 institue une direction générale de la police nationale (redevenue sûreté nationale de 1944 à 1966) et place les polices municipales sous la direction des préfets, comme c’est déjà le cas à Paris.

Quelques mois plus tard, le ministre de l’intérieur créé 3 services destinés à pourchasser les « ennemis du régime » : une police aux questions juives (PQJ), un service de police anticommuniste (SPAC) et un service des sociétés secrètes.

Bousquet passe un accord avec Oberg : la police va disposer d’une certaine autonomie, à condition de rendre des comptes aux autorités allemandes.

À ses yeux, cet accord est sans doute un moindre mal ! La volonté de ne pas laisser la Gestapo agir seule et surtout tenter de limiter la malfaisance des barbouzes françaises qui leur lèchent les bottes.

On doit à Bousquet le fichier sur le recensement des juifs (fichier tulard, du nom de son créateur, l’inspecteur André Tulard), l’institution du port de l’étoile Jaune et de nombreuses rafles, dont celle du Vel d’Hiv, la plus grande arrestation massive de juifs en France durant la seconde guerre mondiale (16-17 juillet 1942).

Pourtant, en décembre 43, jugé trop mou, Bousquet est débarqué. Il est remplacé par Joseph Darnand qui cumule les fonctions de secrétaire d’État au maintien de l’ordre et de chef de la milice. Cette fois la police s’aligne sur le modèle nazi. En janvier 44, les Cours martiales voient le jour et des simulacres de procès ont lieu en catimini derrière les murs des prisons. La cruauté n’a plus de limites.

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Parallèlement, la Gestapo française, surnommée « la carlingue », sévit au 93 rue Lauriston, à Paris. Elle est dirigée par Henri Laffont. En 1944, il crée, avec le nationaliste algérien Mohamed el-Maadi et un petit proxénète nommé Raymond Monange, la féroce légion nord-africaine ou Bat-d’Af (à ne pas confondre avec les combattants de la guerre 14-18). On retrouve parmi les membres de la carlingue des noms célèbres du banditisme et… un ancien flic, un certain Pierre Bonny. Pour être honnête, il faut dire qu’à la Libération, on découvrira que d’autres noms célèbres du banditisme ont choisi une voie différente: la résistance.

Le bilan de cette époque est lourd. Lors du procès du préfet Amédée Bussières, en 1946, il est fait mention de l’arrestation de 16.553 personnes entre juin 42 et août 44 pour propagande communiste ou gaulliste (3.400 par la PM, 11.285 par les RG et 1.868 par la PJ).

Il faut bien reconnaître qu’au début, on trouve fort peu de résistants affichés parmi les policiers. Tout au plus peut-on noter ici ou là l’action personnelle de certains qui, sans se faire remarquer, « arrangent des coups ». Cependant peu à peu, plusieurs mouvements prennent vie. Notamment Police et patrie, France combattante et, le plus influent, Honneur de la police, dont les responsables seront arrêtés fin 44. La Gestapo créa bien une cellule spéciale pour surveiller la police, mais elle ne parviendra jamais à décapiter ses réseaux, ce qui laisse penser qu’ils bénéficiaient au moins d’une certaine protection au sein de la Grande maison.

Résistants_libération Paris.jpgDepuis le débarquement du 6 juin 1944, les Parisiens suivaient l’avancée des alliés vers l’est. Et l’appel au combat lancé le 6 août par le général de Gaulle a sans doute mobilisé nombre de Français qui s’étaient jusqu’alors contentés de subir le joug de l’oppresseur. Le 11, les cheminots se mettent en grève, et le ravitaillement de la capitale doit désormais se faire par la route. Les vivres arrivent au compte-gouttes, le marché noir bat son plein, et les Parisiens ont faim. On envisage des soupes populaires.
Le 15, la CGT lance un ordre de grève général, en fait un véritable appel au soulèvement, qui est largement suivi par les postiers, la presse, les employés du métro…, les gendarmes et la police.

Le 17, la police libère les détenus politiques et le lendemain, 4.000 policiers en civil portant des brassards tricolores se pressent devant la préfecture de police de Paris. Les lieux sont occupés. La résistance armée s’organise, tandis qu’un char canonne les murs du bâtiment.
Le 21, un avion de la 2° DB survole la capitale et lâche un message de Leclerc dans la cour de la Préfecture : « Tenez bon, nous arrivons ». Passant outre aux ordres des Américains, la 2° DB marche alors sur Paris. Et à l’aube du 25 août 1944, les premiers chars pénètrent dans la capitale.

Quelques semaines plus tard, le général de Gaulle attribue la Légion d’honneur à la préfecture de police de Paris – raison pour laquelle la tenue d’apparat est rehaussée de la fourragère rouge.

D’une certaine manière, par cet acte symbolique, le Général affiche ainsi la volonté d’une amnistie générale des forces de l’ordre. La France a besoin de sa police pour se reconstruire.

Il faut se souvenir que certains policiers, souvent isolés, ont fait preuve de courage et d’initiative. Que d’autres, comme ceux de la Surveillance du Territoire, ont très vite choisi leur camp en pratiquant le double jeu au détriment de l’occupant, jusqu’à la dissolution du service en novembre 42 (recréé par de Gaulle en 1944 et dissous par Sarkozy en 2008).

Mais il s’agit d’exceptions.prisonniers-allemands.1251363368.jpg

Aujourd’hui, on est en droit de porter un œil critique sur le comportement d’une grande partie des policiers durant l’occupation allemande. Parallèlement, on peut se demander quelle aurait été la réaction de l’ennemi s’il avait dû à la fois mater une rébellion des forces de l’ordre et dans le même temps assurer la police du pays…

Mais on ne bâtit pas l’histoire sur des hypothèses.

Finalement, le président Sarkozy a raison, les policiers se sont comportés comme le reste de la population, certains de façon abjecte, d’autres courageusement, mais la plupart se sont contentés de survivre.

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Ce petit résumé n’a aucune prétention historique. Je remercie entre autre pour leur contribution involontaire, Jean Marc BERLIERE, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Bourgogne à Dijon, Denis PESCHANSKI, chargé de recherche au CNRS (Institut d’Histoire du Temps Présent) à Paris, Jean-Paul MAURIAT, sous-directeur honoraire de la D.S.T., Pierre PETIT, sous-directeur honoraire de la Police Nationale et André OLIVIER, Lieutenant de Police honoraire, qui sous la direction d’André Mahé, président de Police et humanisme, ont je crois mélangé l’Histoire et leurs souvenirs personnels dans des textes parus dans Le Veilleur, en septembre 1995.
Voir également sur Criminocorpus, le texte de Jean-Marc Berlière et des photos de la libération de Paris, sur Westfront.
Les aquarelles sont du peintre militaire Pierre Albert Leroux.

Quand GDF met la pression

 L’autre jour, en recevant ma facture de gaz, j’ai bondi ! Plus de 1.000 € en deux mois ! J’attrape le téléphone, et un gentil monsieur m’explique qu’il s’agit d’une estimation. Finalement, après palabres, il accepte de prendre en considération « mon » relevé et de me faire parvenir une facture rectificative. Son montant est de 335 €. Trois fois moins.

J’en discute à droite et à gauche, et je m’aperçois que plein de gens sont dans mon cas. Alors, je saute dans mon trench-coat et je me lance sur la piste de Gaz de France !

Hélas, Gaz de France n’existe plus ! Il faut aujourd’hui parler de GDF-SUEZ. Suez ! ça me dit quelque chose. Mais oui, bien sûr !… Je sors un vieux bouquin d’André Fontaine, l’ancien patron du Monde, Histoire de la guerre froide, livre que tous les blogueurs invités de ce journal devraient avoir sur leur table de nuit, et en feuilletant les pages je me souviens que cette entreprise a failli par le passé nous entraîner dans la 3° guerre mondiale. Rappelez-vous, l’histoire du canal de Suez… On aurait dû se méfier…

La fusion de GDF et de Suez a été voulue par le gouvernement Villepin, qui a ramené la participation de l’État à environ 30 % du capital social. Et comme ça renâclait à gauche et du côté des syndicats, on nous a raconté alors que le groupe italien Enel* voulait mettre la main sur GDF, ce qui d’après Le Canard enchaîné était faux. Et d’ajouter aussi, pour ne pas froisser notre ego, que notre ancienne entreprise publique allait absorber le mastodonte du CAC 40. Or d’après les économistes, c’est exactement le contraire qui s’est produit. C’est d’ailleurs le patron de Suez, Gérard Mestrallet, qui est devenu le PD-G de ce nouveau groupe.

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Mais nous, petits consommateurs, nous n’avons pas à faire à ce monsieur, mais avec sa filiale GrDF (gaz réseau distribution de France), qui depuis janvier 2008 est chargée de la distribution du gaz jusqu’à notre porte et à Dolcevita qui encaisse nos sous (là il s’agit d’une marque et non d’une société). Et il apparaît que pour des raisons de rentabilité, les compteurs ne sont plus relevés qu’une seule fois par an – alors que la facturation est bimestrielle. Et comme le temps où l’usager indiquait lui-même le montant de sa consommation est terminé, que le « contrat de confiance » n’existe plus, on paie un produit qu’on est supposé (soupçonné ?) avoir consommé. Si aujourd’hui, GDF-SUEZ n’a plus confiance en nous, pourquoi nous, nous aurions confiance en eux ? D’autant, que cette entreprise semble bien avoir inventé une nouvelle forme de cavalerie financière – à notre détriment.

Pourtant, elle ne doit pas être dans le besoin, avec un gaz qui a augmenté de plus de 15 % l’année dernière (oui, mais le pétrole flirtait avec les 150 dollars le baril, nous a-t-on dit), et une baisse de 11 % au mois d’avril, alors que le prix du pétrole n’avait jamais été aussi bas depuis des lustres. Avec aussi un bilan qui pavoise : 83,1 milliards de chiffres d’affaires en 2008 et 6,5 milliards de résultats nets. Et un avenir au rose fixe, avec une progression de 35 % du résultat opérationnel d’ici à deux ans, comme l’a promis son Big boss lors de la présentation du bilan de la société.

En fait, il faut être réaliste : le service public n’existe plus. Qu’il s’agisse de l’énergie, des transports, du téléphone, etc., c’est la guerre commerciale, la course aux profits, et pour nous des prix qui s’envolent et qui le plus souvent sont à dessein incompréhensibles. On a l’impression que tout est fait griffu-par-manchette-tardi_casterman.1251105903.jpgpour nous embrouiller. Qui est capable de comparer les tarifs d’Orange et de SFR ? Ou de prévoir le prix d’un billet SNCF ? Demain c’est la taxe carbone qui va zigzaguer d’un foyer à l’autre selon des critères obscurs pour le commun des mortels.

Il s’agit de procédés qu’on peut qualifier de déloyaux et contre lesquels il est difficile de se battre. Mais à défaut de se battre, on peut résister – pour commencer en limitant au maximum les prélèvements automatiques et en surveillant attentivement ses factures.
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* Enel vient de s’associer (joint-venture) avec EDF pour le développement de futures centrales nucléaires de type EPR en Italie.
N.B. Je sais bien qu’on s’éloigne ici de l’objet de ce blog, mais ça m’a fait du bien.

La caméra qui fait mouche

flic-heureux_image-lessor.jpgPour Brice Hortefeux, les caméras de surveillance sont dissuasives, mais elles permettent aussi d’identifier les auteurs d’un crime ou d’un délit. C’est la première fois que j’entends dans la bouche d’un ministre ce dernier argument, alors que c’est le seul qui les justifie réellement. Juste pour sourire, je me permets d’apporter une petite touche à ses propos, grâce à cette vidéo découverte sur le Net*.

Attention, c’est très court…

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Ou « Caméra de surveillance insolite » sur Dailymotion
*Sur la vidéosurveillance, et beaucoup plus sérieux, lire le billet de Jean-Marc Manach sur son blog, Bugbrother.

La sécurité dans Paris : qui fait quoi ?

En 2009, les Parisiens vont verser 270,48 millions d’euros à la préfecture de police. En ont-ils pour leur argent ? D’après l’Observatoire national de la délinquance, logo_paris_manicore.1250758238.jpgl’ensemble des atteintes aux biens a légèrement diminué dans la capitale, avec cependant des pics notables pour les cambriolages et les vols avec violences. Quant aux atteintes volontaires à l’intégrité physique, les statistiques sont biaisées par les violences conjugales, domaine où la police ne peut pas grand-chose.

Mais les chiffres reflètent-ils la réalité ?

Ainsi le mois dernier, on nous annonce, cette fois au plan national, une hausse inquiétante de la délinquance. Et pour montrer que la récréation est bien terminée, le (nouveau) ministre de l’Intérieur admoneste les préfets : « Vous serez jugés selon vos résultats ! » assène-t-il. Dans la foulée, il décide de constituer dans chaque département  « un état-major de la sécurité ».

Ce mois-ci, ce sont les cambriolages qui flambent, et Brice Hortefeux annonce qu’il va convoquer une vingtaine de préfets (les 10 meilleurs et les 10 plus mauvais !), et il laisse planer la menace d’un étêtage des chefs de la police et de la gendarmerie. Brrr !

Pourtant, si je me souviens bien, il y a six mois, le ministre de l’Intérieur (l’ancien) annonçait une baisse générale des crimes et délits : 3 558 329 en 2008 contre 3 589 293 en 2007.

Conclusion : à force de disséquer les chiffres de la délinquance, on n’y comprend plus rien.

Mais revenons à Paris. À la différence des autres métropoles régionales, la sécurité de Paris n’appartient pas au maire, mais au préfet de police. Cette particularité s’explique en partie par la centralisation dans la capitale de quasiment tous les leviers de commande de la nation, mais aussi par une sorte de tradition. Car c’est seulement en 1977 que des élections municipales y ont été organisées. Et c’est ainsi que Jacques Chirac restera dans l’histoire comme le premier maire de Paris depuis Jules Ferry, en 1871.

Une loi de 1986 a cependant restitué au maire de Paris certaines responsabilités : la police de la voirie (salubrité de la voie publique, sécurité des foires, des marchés…) et la conservation du domaine public.

Puis une loi de 2002 lui a aussi confié la police municipale en matière de bruits de voisinage et une compétence pour ce qui concerne la circulation et le stationnement (avec certaines restrictions).

Le maire de Paris dispose d’ailleurs de fonctionnaires – auxquels on ne veut surtout pas donner le nom de policiers : les inspecteurs de sécurité de la Ville de Paris. Longtemps, ceux-ci se sont plaints d’être sous-employés : quasiment aucun pouvoir, peu de moyens et des chefs qui n’avaient aucune envie de marcher sur les plates-bandes de la Préfecture de police. Je me souviens encore, alors que je leur donnais des cours, des réflexions désabusées de certains d’entre eux…

Il semble qu’aujourd’hui ils soient traités avec un peu plus d’égard par leurs collègues policiers. Mais leurs pouvoirs n’ont pourtant guère évolué. Madame Françoise de Panafieu, candidate  malheureuse contre Bertrand Delanoë, s’était prononcée pour la création « d’une force d’intervention municipale » – ce qui entre nous ne veut strictement rien dire. Car ou bien on laisse les choses en état, ou l’on décide de créer une véritable police municipale. Ce n’est pas la politique du maire actuel, pas plus que celle de ses prédécesseurs (il semble que Jean Tiberi, en fin de règne, était prêt à franchir le pas).

controle-catacombes.jpg

Contrôle des inspecteurs de sécurité dans les catacombes de Paris (photo de Véronique et Jacques Münch)

La sécurité de Paris est donc assurée par les 35.000 fonctionnaires (dont 19.000 policiers) de la Préfecture de police. Parmi eux, on compte 6.000 fonctionnaires municipaux*, dont 2.284 agents de surveillance de Paris (ASP)**. Ces derniers assurent la circulation et le stationnement dans la capitale. Le budget annuel de fonctionnement est d’environ 2.600 millions d’euros. Au mois de mars 2009, lors de l’adoption d’un nouveau contrat de sécurité signé avec le préfet de police et le procureur de la République, Bertrand Delanoë a dit : « Il n’y a dans notre ville, qu’une seule police, celle de l’État, à laquelle il appartient d’assurer la sécurité et l’ordre public », et d’ajouter au passage que le « budget spécial pour la police » de la ville avait augmenté de 48 % en 8 ans.

budget-police-paris.jpg

Alors que le financement des transports et des infrastructures du Grand-Paris n’en finit pas de poser problème, on peut se demander comment demain va s’opérer la répartition du coût de la police pour cette nouvelle entité de plus de six millions d’habitants… Quelle sera la contribution des uns et des autres ?

Quant au maire de Paris, il y a fort à parier que ses pouvoirs de police vont de nouveau évoluer dans les prochaines années – et qu’un jour ou l’autre on verra dans la capitale déambuler des policiers municipaux.

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* Source Wikipédia  –  ** Source mairie de Paris

De l’Artic Sea à Clotilde Reiss : le prix à payer

En suivant l’épopée de ce bateau finlandais, battant pavillon maltais avec un équipage russe, on se perd en conjectures. L’imagination se débride : contrebande, mafia, espionnage… ? Puis on apprend qu’il y a une demande de rançon… Il s’agit donc d’un acte de piraterie.

artic-sea-tvn24.jpgActivité florissante depuis que certains pays – et notamment la France – ont ouvert la boîte de Pandore en acceptant de négocier avec les ravisseurs.

On se souvient de l’affaire du Ponant, où l’on a vu les hommes du GIGN effectuer la transaction avec les pirates et leur remettre la rançon exigée. Même si, comme l’a affirmé le général Jean-Louis Georgelin, il ne s’agissait pas d’argent public, mais de fonds remis par la compagnie d’assurances.

Et lors de la prise d’otages à bord du voilier Tanit, on entend encore Hervé Morin, le ministre des Armées, informer les ravisseurs que la France était prête à payer. Il a ensuite justifié ses propos par la présence parmi les otages d’un enfant de trois ans.

Pour aller plus loin, et même si les choses sont différentes, la libération de Clotilde Reiss pose également question. Bien sûr, tout le monde se réjouit de sa libération, mais s’agit-il d’une victoire ? Autrement dit, dans cette « transaction », notre pays a-t-il montré sa force ou sa faiblesse ? Car de fait, même si on parle de « caution », la France a bel et bien payé une rançon. Combien ? On ne sait pas. Bernard Kouchner nous dit qu’il ne s’agit pas d’une grosse somme. D’autres parlent de 300.000 dollars. En tout cas, on est loin des précédentes déclarations du ministre des Affaires étrangères, lorsqu’il « exigeait » la libération immédiate de la jeune femme. Il est vrai qu’il a dû se faire tancer pour de tels propos…

La France est donc entrée dans l’ère de la négociation. On ne tape plus du poing sur la table, on paie.

Entendons-nous bien, je ne suis pas dans la critique mais dans le questionnement. Devant la détresse qui résulte d’une prise d’otages, que ce soit le fait de truands, de pirates ou d’un État, la réaction première, la réaction normale, est de se dire que l’argent n’a aucune importance. Le principal, n’est-il pas de sauver la ou les victimes !

Pourtant, il y a une trentaine d’années, alors que les enlèvements avec demande de rançon se multipliaient en France, les autorités ont pris une décision publique : on ne paie plus.  Et nous, les policiers sur le terrain, on a dû faire avec. Pas facile à expliquer aux parents d’un otage ! En se coupant ainsi de la famille, cela nous donnait double travail, mais peu à peu les enlèvements ont pratiquement cessé*.

Aujourd’hui, ce revirement de la part des plus hautes autorités de notre pays va-t-il entraîner une résurgence de ce type de délinquance ?… Mais au fait, existe-t-il une politique claire dans ce domaine ?

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* Sur ce blog « Les enlèvements avec demande de rançon ».

Une affaire criminelle qui en rappelle une autre

Le jeune garçon soupçonné d’avoir tué sa famille en Corse-du-Sud a été écroué, mais les gendarmes de la section de recherches ne sont pas satisfaits. Malgré les aveux, malgré les preuves, ils poursuivent leurs investigations. Peut-on corse-carte.jpgenvisager que cet adolescent ait « imaginé » un rôle qu’il n’a pas tenu ? Qu’il cherche à protéger quelqu’un ? Qu’il soit sous une emprise qui échappe aux enquêteurs ? Ou faut-il admettre simplement l’horreur d’un quadruple crime qui restera à jamais incompréhensible ? Un jeune meurtrier « dans un état proche d’un coup de folie », comme l’a dit (un peu vite ?) son avocate.

Cette affaire en rappelle une autre, tout aussi terrible et tout aussi mystérieuse. C’était le 27 février 1995…
Au petit matin, le permanent du commissariat de Marly-le-Roi reçoit un appel téléphonique. Une voix affolée : « Venez vite ! On a assassiné toute ma famille ». Incrédules, les policiers se rendent sur place, une somptueuse villa située à l’orée de la forêt domaniale, chemin des Gressets, à Louveciennes. Sidérés, ils découvrent les corps de six personnes, toutes tuées par balles. Seuls survivants du massacre, une petite fille de 2 ans ½, et Alexis P., âgé de 17 ans, qui vient justement de les prévenir. Les victimes sont ses parents, ses grands-parents et un couple d’amis de la famille.

C’est le début d’une affaire bizarre, et à dire vrai inconcevable, que les journalistes ont appelé La tuerie de Louveciennes. Même s’il ne reconnaît pas spontanément son acte, Alexis craque très vite. Au bout de quelques heures, il avoue être l’auteur de ces six meurtres, sans aucun motif sérieux, si ce n’est une mésentente avec son père.

Les aveux du jeune homme sont corroborés par les constatations : les empreintes sur les armes, les traces de poudre sur ses mains et même un fragment de sa montre, qu’il a cassée en défonçant la porte de la chambre.

Tout est dit.

Pourtant, une dizaine de mois plus tard, Alexis revient sur ses aveux. Il parle d’un homme, un Russe. C’est lui qui aurait commis ces meurtres. Et il l’aurait obligé, lui, le jeune Alexis, à en assumer la responsabilité. Menaçant de tuer sa jeune demi-sœur et sa mère (biologique) dans l’hypothèse où il raconterait la vérité à la police.
Sans vraiment y croire, le juge délivre une commission rogatoire pour vérifier. Et les policiers découvrent que l’oncle du jeune homme a également été assassiné, quelque part en Biélorussie. Or ce dernier avait repris les affaires de son frère, des affaires sur lesquelles planait l’ombre de la mafia russe…

Mais il existe trop de preuves contre le jeune homme. Le juge boucle son dossier, et le 14 mars 1998, Alexis P. est condamné à huit ans de réclusion criminelle – alors que l’avocat général réclamait une peine de 18 à 20 ans.

Une condamnation en demi-teinte qui montre la perplexité des jurés. Le dossier d’assises apportait des preuves mais pas d’explications. Et du coup, ils ont eu un doute, doute qui a profité à l’accusé.

Cette histoire ressemble suffisamment à celle qui vient de se passer en Corse pour se dire que malgré les preuves et les aveux, les gendarmes ont bien raison de poursuivre leurs investigations. Car de deux choses l’une, ou cet adolescent affabule ou les événements se sont déroulés tels qu’il les rapporte – et dans les deux cas, il faut à tout prix savoir pourquoi.

Il en va de l’intime conviction des jurés.

Un flic évoque Thierry Jonquet

Hervé Jourdain appartient à un groupe de la brigade criminelle de Paris. Il vient de sortir son premier polar*, et lorsque nous en avons discuté, il m’a raconté que le goût de l’écriture lui était venu en lisant Thierry Jonquet. J’ai pensé qu’il était mieux placé que moi pour en parler…

« Ils étaient là, pataugeant dans la boue, hébétés, certains pleurants, d’autres hagards, les mains thierry-jonquet.jpgtremblantes, la gorge nouée par le dégoût, la pitié, la colère, la honte, un mélange confus de ces sentiments si voisins, tous à scruter le ciel gris-bleu, dans ce matin de printemps, tous à songer à ce qu’ils avaient fait une demi-heure, une heure plus tôt, quand le téléphone avait sonné chez eux pour les tirer du sommeil et les convoquer devant cette maisonnette d’apparence si banale, dressée au fond d’un terrain vague. »

C’est par ces mots que Thierry Jonquet, décédé dimanche dernier dans un hôpital parisien à l’âge de 55 ans, débutait Moloch, paru en 1998 chez Gallimard dans la collection Série noire. Ils, ce sont Dimeglio, le bon père de famille, le frêle inspecteur Dansel toujours vêtu de costumes noirs, le jeune israélite Choukroun, et bien sûr le chef de groupe, le bourru Rovère, merveilleusement interprété par Jean-François Balmer dans les épisodes de Boulevard du Palais, des flics de la brigade criminelle déjà croisés cinq ans plus tôt dans Les orpailleurs. Ils, ce sont des flics qui travaillent en équipe, des orfèvres de la procédure qui vont gamberger, fouiner, douter, renifler durant de nombreux jours sous le contrôle de la charmante et fragile juge d’instruction parisienne, Nadia Lintz. 

Certains s’accordent à dire que Jonquet a réinventé le polar noir en l’enracinant dans la critique sociale. D’autres disent qu’il était un auteur polémiste. J’y vois surtout un écrivain engagé, un auteur courageux qui, dès le début des années 1980, réglait ses comptes avec ses vieux camarades dans son roman de politique-fiction intitulé Du passé faisons table rase. Son dernier roman noir – Ils sont votre épouvante et vous êtes leur crainte – est révélateur de cette prise de risque. Cet amoureux de Belleville n’hésitait pas à s’y mettre en danger, dressant un tableau très réaliste de la banlieue où « Gaulois » de centre-ville et « Bronzés » des barres HLM ne se mélangeaient surtout pas, où une jeune enseignante de ZEP était confrontée à l’antisémitisme, où les gamins de cité, en perte de repères, étaient inexorablement attirés par les trompettes du djihad. 

Entre-temps, inspiré entre autres par l’affaire Kaskaz et le syndrome de Münchhausen – une sordide affaire d’empoisonnement d’un fils par sa mère qui vaudront un procès à Jonquet et à son éditeur – il  poursuivra son œuvre sans relâche. Peinture sociale dérangeante pour certains, sans concessions pour d’autres, Jonquet est surtout un écrivain scrupuleux, soucieux du détail, respectueux du fonctionnement policier et judiciaire. C’est son réalisme procédural, et la description de flics humains, certains pleurants, d’autres hagards, les mains tremblantes, la gorge nouée par le dégoût, la pitié, la colère, la honte… qui m’ont donné envie d’écrire.

J’entends encore dans ses mots les chants liturgiques émanant du Dépôt de la préfecture de police, les religieuses de la congrégation des sœurs de Marie-Joseph et de la Miséricorde priant chaque dimanche matin dans la chapelle attenante aux cellules réservées aux détenues. Ça ne s’invente pas. Jonquet était un bosseur. Il est le premier, le seul à ma connaissance, qui ait décrit aussi fidèlement le fonctionnement d’un groupe d’enquêteurs de la police judiciaire. Un collectif au service de la justice, au service de la jeune Nadia Lintz. Je l’affirme, c’est lui qui m’a donné l’envie d’écrire. Aujourd’hui, pourtant, j’ai un regret : celui de ne jamais l’avoir remercié.

Hervé Jourdain
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* Sang d’encre au 36 (éd. Les Nouveaux auteurs) sur ce blog – ou sur le blog de l’auteur .

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