LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Assassinat du juge Michel : un complice retourne en prison

C’était le 21 octobre 1981, un tueur grimpé sur le tansad d’une moto tire trois balles de 11.43 dans la tête de Pierre Michel, Premier juge d’instruction à Marseille. En 1988, François Girard a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour avoir commandité ce meurtre. Sorti de prison en 2005, pour raison de santé, vendredi dernier il a été mis en examen dans une affaire de trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et la France.

juge-michel.1251874888.jpgMichel était un juge hors du commun, chéri par les policiers et tout juste toléré par certains de ses collègues. Il faut reconnaître qu’il était parfois borderline, n’hésitant pas à faire pression sur les suspects, à les piéger dans leur cellule, à leur proposer des marchés pour pêcher un plus gros gibier… Mais quels résultats ! En 8 ans, une demi-douzaine de laboratoires d’héroïne décapités et de nombreuses affaires retentissantes, comme la tuerie du « Bar du téléphone » ou l’imprimerie de faux billets de la maison de retraite « Les cigales ».

On peut dire que dans son domaine, c’était un crack ! Faut dire qu’il avait été à bonne école. En arrivant à Marseille, il fait ses premières armes avec le juge Saurel, ce magistrat qui avec les commissaires Le Mouël, Morin et Aimé-Blanc a démantelé la « French Connection ».  D’emblée il reprend le flambeau de son mentor, notamment avec l’aide du commissaire Lucien Aimé-Blanc. Ce dernier, aux méthodes un peu marginales (tu m’en veux pas, Lucien ?) avait trouvé là son alter ego : une véritable connivence s’était installée entre les deux hommes.

Après le meurtre du juge François Renaud, à Lyon, en 1975, l’assassinat de ce deuxième magistrat a fait craindre que le milieu n’adopte les méthodes mafieuses à l’époque en cours en Italie… Inutile de dire que tous les moyens furent mis en oeuvre pour trouver les coupables…

Pourtant cette affaire a bien failli être classée !

La moto est retrouvée 48 heures après le meurtre. Elle avait été volée un an auparavant. Aucune piste, juste un fragment d’empreinte relevé derrière un autocollant. Un travail de fourmi pour les spécialistes de l’identité judiciaire, plus de 160.000 fiches consultées avant de tirer le bon numéro : Charles Giardina, un mécanicien au chômage, proche de la bande de la Carpette. Le conducteur habituel de la machine, une Honda 900 « Bol d’or », serait un certain Gilbert Ciaramaglia, qui lui est un truand chevronné. En recoupant certaines informations, les enquêteurs pensent que c’est Gaëtan Zampa, alias Tany, qui lui aurait confié la moto, en lui recommandant de la garder en réserve, « pour un coup ». Or le juge Michel avait Zampa dans le collimateur de longue date. Et il croyait bien le tenir, car lors du démantèlement d’un laboratoire clandestin (l’une de ses dernières opérations), il avait déniché dans la sacoche de l’un des trafiquants les coordonnées du monsieur. Et il avait fait connaître haut et fort sa volonté de pousser son avantage.

Mais les policiers ne parviennent pas à réunir la moindre preuve, juste des présomptions. Pendant ce temps, l’intéressé s’insurge – dans la presse – des accusations qui sont portées contre lui. En désespoir de cause, il est incarcéré en novembre 1983 pour des infractions financières. Six mois plus tard, il se pend dans sa cellule. Compatissant, un codétenu se porte à son secours et lui entaille la gorge. « J’ai voulu lui faire une trachéotomie », dira-t-il, imperturbable.

Considéré comme le tueur, Ciaramaglia est mis en examen. Mais au bout de deux ans d’instruction, faute de preuves, le juge Patrick Guérin renonce. Blanchi dans cette affaire, il sera condamné pour d’autres faits. Quant au voleur de la moto, son corps calciné et criblé de balles sera retrouvé en 1985, dans le bois d’Aubagne, près de Marseille.

Tous les flics qui s’intéressent au grand banditisme suivent cette enquête de près, et pour quelques-uns, la vengeance du milieu n’est pas nécessairement le mobile… Le juge Michel aurait mis le doigt sur un truc explosif : une mystérieuse filière de trafic d’influence qui aurait gangréné l’administration pénitentiaire et qui aurait permis à certain détenus (fortunés) d’obtenir des « grâces médicales »… Hypothèse qui n’a jamais vraiment été exploitée. Mais, ceux qui ont approché le magistrat les semaines précédant sa mort l’ont trouvé particulièrement tendu – et ce ne sont pas les menaces d’un truand qui aurait pu le perturber à ce point !

juge-michel_moto.1251874521.jpgFinalement, il faudra attendre 1986 pour qu’on commence à y voir clair. Et la lumière vient de Suisse, en la personne d’un détenu qui tente ainsi de négocier un allègement de sa peine. Et il donne des noms : Charles Altiéri et François Checci. Le premier pilotait la moto tandis que le second faisait feu sur le juge. Ils auraient agi à la demande de deux hommes : Homère Philippi, dit Mimi, un proche de Zampa, dont le nom est apparu dans le casse de la Société générale de Nice ; et François Girard, dit Le blond, condamné à une peine de 12 ans pour une affaire de trafic de stupéfiants instruite par le juge Michel. Incarcérés au moment des faits, tous deux auraient organisé ce meurtre du fond de leur cellule…

Altiéri, Checci et Girard ont été condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité. Pour le premier par contumace, puisqu’il était parvenu entretemps à s’échapper de la prison suisse où il purgeait une peine de 20 ans de prison (il a été arrêté à Chypre en 1993). Quant à Philippi, à ma connaissance, il n’a jamais été retrouvé.

Sur le plan judiciaire, l’enquête sur l’assassinat du juge Michel a donc été bouclée, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il reste des zones d’ombre. Peut-être un jour l’un des protagonistes nous apportera-t-il un autre éclairage, comme un testament.

17 Comments

  1. Essce

    Moi, je m’étonne de ne pas voir citée une seule fois les noms de Gaston Deffere (excusez moi pour le nom sans doute mal écrit) et ces chers Guerrini !!! Je lisais plus haut que le milieu d’aujourd’hui avait changé …., bof, on trouve toujours les financiers et les politiques tout en haut du système mafieu, après, c’est vrai, il y a les truands … Moi, j’ai grandi pas très loin de Marseille, où j’ai toujours appris que les plus élevés, chez les truands sont ceux que l’on voit et dont on parle le moins. En tout cas, hommage à notre juge Michel et aux siens (familles, amis, policiers, qui ne l’ont jamais trahi)

  2. Just'

    …Mais Robert Kéchichian???

  3. Tietie007

    Je ne savais pas que Michel avait été le juge qui avait assisté à l’exécution de Ranucci, remplaçant Ilda di Marino, qui faisait une dépression !

  4. lourdes

    Donc ,l’ex mourrant est revenu à La Santé ?????????? pas, le Juge Michel, hélas…..

  5. Javi

    @Christophe: si vraiment vous pensez que le rapport léger renforce les droits de la défense, je crois qu’on ne peut plus rien pour vous.

    Sincèrement: vous professez des opinions de droite (lutte contre les voyous plus importante que les droits et libertés de la défense). Si vous n’êtes pas satisfait de ce gouvernement, qui est un des plus rétrograde de l’après guerre, que vous faudra-t-il?

  6. Tietie007

    Tany Zampa, dont la boîte, le Krypton, à Aix en Provence, est fermée depuis plus de 20 ans, mais le bâtiment est toujours debout !

    • charlie

      Bonjour, à quoi sert donc ce batiment maintenant ?

  7. Péhène

    « Et, à partir de cet instant-là, l’avocat assisterait aux auditions! »
    Ce qui est complétement irréaliste. Si certains gardés à vue célèbres et/ou richissimes pourront imposer à leur(s) avocat(s) de rester 24 heures avec eux dans les locaux de police, le commun des mortels ne disposera pas de ce privilège. Ce n’est pas une question de finances (quoique) mais au jour d’aujourd’hui je ne vois pas les barreaux capables de fournir des avocats pour toutes les prolongations de garde à vue en France.

  8. christophe

    Comme beaucoup, je n’ai pas connu ce qui a l’air d’avoir été un grand monsieur de la Justice (avec un grand J).
    Ce genre de personne représentait très bien ce qu’était un juge indépendant. Il avait son travail à cœur.
    Il existe encore des magistrats tels que lui, et heureusement. Certainement ne sont-ils plus forcément autant médiatisés qu’à l’époque. Les affaires sont plus nombreuses, tournent autour de beaucoup plus de personnes, beaucoup moins ciblées. La grande criminalité a mutée. Je me dis qu’il n’y a – presque – plus de « caids » comme on a pu les connaitre, comme l’étaient les Zampa, ou plus récemment les Hornec (même si ces derniers paraissent encore actifs), en chefs de clans tournant autour d’une région.
    Désormais, les clans sont limités, pour beaucoup, à des cités; et chaque cité a sa bande. Autour de cela, les trafiquants font sont des « livreurs » avec des carnets de commande, passant d’une cité à une autre.
    Les plus gros sont même installés en Espagne, voir encore plus au Sud.

    La justice n’est plus la même non plus. Nous sommes passés de magistrats avides de justice, des enquêteurs (précisément ce que l’on reproche maintenant au juge d’instruction) à, très souvent des magistrats désormais juristes. Et ce n’est pas la même chose.
    Avant de parler du fond des affaires, des victimes, on vous parle des droits de la défense, de nullité d’acte, de procédure…
    Il n’y a qu’à voir le rapport Leger, qui est d’actualité, en ce moment (en tous les cas le pré-rapport du mois de Mars qui « traine » sur la toile); on parle, les 3/4 du temps des « droits de la défense ». Et c’est précisément à cet endroit-là que se perd notre justice. Il ne s’agit plus de résoudre les affaires, mais d’en défendre le plus possible les mis en cause. Un exemple: les nouvelles moutures des garde à vue que l’on nous prépare. Avocat aux 1ère et 12ème avec accès aux auditions dès cette 12ème heure. Et, à partir de cet instant-là, l’avocat assisterait aux auditions! Déjà que l’on perdait pas mal de temps, en début de garde à vue, mais alors là, ca va être de pire en pire, d’autant que cette même commission préconise l’enregistrement de toutes les auditions de gardés à vue (crimes et délits). Plus la création d’une nouvelle « mini-gav ».
    On parle de plus en plus de droits, et de moins en moins du fond du dossier.

    Bref, je m’écarte du sujet, le Juge Michel, un grand Monsieur. C’est certain. A la hauteur des « flics » que l’on avait à l’époque; je pense à Lucien-Aimé Blanc, que vous avez cité, à Robert Broussard, qui ont été les plus médiatisés.
    Peut-être un peu plus « éloignés » du pouvoir en place, un peu moins regardant, face leur carrière administrative(question d’époque, encore une fois)!
    Enfin, c’est une impression…
    à vous lire.

  9. ingres

    Pour le détail « tan-sad », le synonyme recommandé par la Commission de terminologie de l’automobile en 1973 : selle biplace (cf CNRTL), donc pas forcément une selle secondaire comme l’entend le motard chevronné et plutôt « ancien »…

  10. PML

    Trés révélateur ce détail du « tan sad », où comment on finit pas retrouver dans des rapports de police des énormités que nul n’ose relever, de peur de déplaire ou de se fatiguer…

  11. un flic

    Un héros victime du devoir…Un grand monsieur que je n’ai connu que grace au cinéma et aux bouqins (trop jeune à l’époque) …Juste une petite précision il n’y a pas de tan sad sur une Honda 900, il y a une selle . Un tan sad est une sorte de « double selle monoplace » située derrière la selle conducteur et que l’on trouve principalement sur les motos de conception ancienne ou d’inspiration « rétro »

  12. FC

    Correction (je crois): Gaëtan Zampa est incarcere en novembre 1983, et non pas novembre 2003 comme ecris dans l’article.
    Merci pour votre blog.

    ____________________

    Merci à vous d’avoir relevé cette erreur.

    J’ai corrigé le texte. Cordialement.

    GM

  13. CHRISTINA BIANCA TRONCIA

    J’avais déposé un commentaire sous un article de Philippe Madelin et je m’aperçois que mon message est également bien adapté à cet article alors voici : »Ce que je comprends, peut-être naïvement me diront certains, c’est que dans tous domaines hiérarchisés (politiques, militaires, industriels, commerciaux, bancaires, éducatifs, justiciers et même médicaux ! Je n’en connais pas qui ne le soient pas !), tout être humain, depuis le bas de l’échelle, regarde vers le haut et voit un beau ciel bleu et ensoleillé (le paradis personnifié !!! Que l’on nous fait d’ailleurs savamment miroiter dès notre arrivée dans la Société à partir du plus jeune âge !) qui lui donne bien envie de grimper les marches (parfois même, quelques-uns en sautent quelques-unes, quelquefois bien aidés, soutenus et/ou poussés, et parfois même quelques-uns ont un parachute accroché au dos (pour redescendre sans bobos, on ne sait jamais !!!), pour l’atteindre ! Ce que ne savent pas la plupart d’entre eux, c’est que le bel horizon qu’ils entrevoient n’est qu’un leurre, ce qui les attend, en général, étant une belle toile d’araignée, avec en son centre, une belle équipe de mutants, auparavant petits insectes bien innocents devenus dangereuses mygales ! Et les voilà alors englués dans cette vase secrétée par ces entropophages !!! Comprenne qui pourra ! »

  14. Dominique Hasselmann

    La suppression programmée du juge d’instruction (voir l’interview, avec ses arguments irréfutables, de Robert Badinter, hier dans « Le Monde ») devrait éviter à l’avenir ce genre de règlement de comptes.

    Voilà comment on lutte contre l’insécurité.

  15. alexandre clément

    Si je me souviens bien, Girard est sorti de prison pour des raisons médicales. Ce qui est en général l’astuce principale des gros bonnet du trafic de Stup. C’est comme ça que Kechichian a pu sortir des Baumettes aussi et se retrouver en Sicile où probablement il continuait à tourner de l’héroïne. Mais Kechichian avait bénéficié des complicités d’un médecin des Baumettes et d’une des pontes de la médecine pénitentiaire qui était aussi membre du comité central du RPR, parti gaulliste de l’époque.
    Pour le reste oui, il reste des zones d’ombres. Certains juges marseillais qui ont travaillé avec le juge Michel contestent cependant l’idée que celui-ci était isolé.
    Un ouvrage très intéressant, celui d’Alain Laville, journaliste à Nice Matin, a été écrit sur cette question. Alain Laville est mort cependant très jeune. Quelqu’un sait-il de quoi ? C’est un mystère qui me tarauce

    • christophe

      alain laville est décédé en 2003 d’une crise cardiaque à l’age de 52 ans

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