LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

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L’histoire sans fin de la garde à vue

Après un premier élan positif, les avocats traînent à présent des pieds. Ils ont un peu l’impression d’un marché de dupes. Et là, je ne parle pas de leurs honoraires, puisqu’il s’agit, à lire certains commentaires du billet précédent, d’un sujet chaud, mais de leurs prérogatives durant la garde à vue.

Ils en veulent plus : parler librement avec leur client, poser des questions à l’issue des auditions, participer aux perquisitions… Mais ils souhaitent surtout accéder à l’intégralité de la procédure.

petite-fille-menottes-copie.1303208256.jpgEn deux mots, ils veulent avoir en main suffisamment d’éléments pour représenter leur client, et non pas servir d’alibi à une réforme en mi-teinte.

Pas question pour autant de bloquer le système, mais plutôt, suggère le bâtonnier de Paris, de faire des remarques écrites. Jointes au dossier, elles pourront ensuite être soumises au juge qui (sous-entendu) pourra vérifier la conformité de la procédure avec l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ce qui risque de gonfler sérieusement les contentieux. D’autant qu’à ce jour, il n’a rien été prévu pour les procédures déjà effectuées. En effet, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré nulles « sans délai » les gardes à vue effectuées sans l’assistance effective d’un avocat, mais elle ne s’est pas penchée sur le passé…

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la plus haute juridiction française a été saisie de faits précis. En l’occurrence, quatre étrangers placés en garde à vue, puis en rétention, pour séjour irrégulier. Alors que la Cour d’appel de Lyon avait jugé la procédure régulière, celle de Rennes l’avait au contraire invalidée.

Dans sa décision du 15 avril, la Cour de cassation s’est prononcée sur deux questions :

–      Les dispositions régissant la garde à vue sont-elles conformes à la Convention européenne ;

–      et sinon, l’effet doit-il être immédiat ou différé dans le temps.

À la première question, réponse claire : Pour que le droit à un procès équitable soit respecté, « il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ».

Et dans la foulée, elle a répondu à la seconde en optant pour une application immédiate, dans la mesure où les « États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenues de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ». (À noter, pour répondre à certaines questions, que ce ne sont pas les policiers qui doivent respecter les décisions européennes, mais les États.)

Une décision conforme à celle du Conseil constitutionnel qui, lui, avait cependant estimé que « l’inconstitutionnalité » ne prendrait effet qu’au 1er juillet 2011.

D’où cette application en catastrophe.

Quel manque de clairvoyance dans les hautes sphères de l’État ! Et alors qu’on a l’impression que rien n’est réglé, les parlementaires se tete-dans-le-sable_christianaubry.1303208797.pngpenchent déjà sur une nouvelle réforme : la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs.

Parfois, on a envie de faire « pause ». Quant à moi, je me demande si la seule réforme qui vaille la peine ne serait pas celle de cette Constitution archaïque qui fait de la France un pays de moins en moins républicain et de plus en plus ridicule.

Garde à vue : le pataquès !

shadok-escalier_castaliefr.1303022469.jpgD’après ce qu’on raconte, ces premières heures de la nouvelle garde à vue se sont plutôt bien déroulées. Et la hotline de la préfecture de police n’a même pas tiédi. Il faut dire que policiers, gendarmes et avocats ont fait au mieux  pour s’adapter à la loi pondue en catastrophe par nos parlementaires – sauf que cette loi ne sera applicable qu’au 1er juin, comme l’indique l’article 26.

Nous sommes donc dans la situation paradoxale suivante : D’un côté, une loi qui n’est pas applicable avant plusieurs semaines, et de l’autre, une décision de la Cour de cassation qui prescrit une application immédiate.

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Autrement dit, pour faire simple, les gardes à vue actuellement effectuées sont soit illégales, soit illégales. Alors qu’avant, elles étaient seulement illégales.

C’est le bâtonnier des Deux-Sèvres qui a levé le lièvre. Il estime, avec juste raison, que l’on ne peut pas « laisser au pouvoir judiciaire le soin de détricoter ce que le pouvoir législatif a tricoté, c’est un non-sens ».

Alors, il faut s’interroger : les OPJ sont-ils tenus d’appliquer les nouvelles normes ? Après tout, ce bras de fer entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif ne les concerne pas. Leur bible, à eux, c’est le Code de procédure pénale. Point barre.

Bon, on peut toujours se dire qu’aucun gardé à vue n’ira déposer une plainte ! Quoique… Supposons un suspect qui passe des aveux sur les conseils de son avocat et qui décide par la suite de nier les faits… Un autre avocat ne pourra-t-il pas faire annuler lesdits aveux sous prétexte qu’ils ont été obtenus en présence d’un confrère à lui, alors que la loi n’était pas encore applicable ?

Je sais, c’est un peu tordu…

Enfin, pour l’instant, les avocats ont d’autres soucis : Ils font leurs comptes.

Et le compte n’y est pas !

À ce jour, ils percevaient une indemnité de 61 euros H.T. pour une vacation de 30 minutes, soit 122 euros de l’heure. On leur propose aujourd’hui 300 euros pour les premières vingt-quatre heures et 150 euros de plus en cas de prolongation de la garde à vue.

Or les calculs du ministère de la justice sont basés sur une présence effective de trois heures durant la première période de garde à vue. À l’ancien tarif, ils devraient donc toucher 366 euros. Ce qu’ils réclament.

D’après les projections du gouvernement, lors d’une permanence de 24 heures, les avocats traiteront en moyenne trois affaires, soit 900 euros H.T (voir encadré).

Juste pour se fixer les idées, car aucune comparaison n’est évidemment possible (les avocats ont des charges), durant ces mêmes 24 heures, le policier gagnera à peu près 9 fois moins.

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Et le Conseil national des barreaux (CNB) appelle à une journée de mobilisation le mercredi 4 mai « pour que l’intervention de l’avocat en garde à vue fasse l’objet d’une prise en charge assurant l’effectivité des droits nouveaux ouverts à nos concitoyens ».

Mais qui va payer ?

Le budget consacré à l’intervention de l’avocat est évalué à 100 millions d’euros. Et comme les caisses de l’État n’ont jamais été aussi vides, il faut bien prendre l’argent quelque part. Qu’à cela ne tienne, une loi prochaine devrait décider que tous les justiciables engageant une action en justice en matière civile et administrative seront tenus d’acquitter une taxe. On parle de 30 euros – Une sorte de droit d’entrée.

Quand même, payer pour obtenir justice, cela laisse perplexe…

Supposons que cette manifestation du 4 mai se transforme en une grève générale. Plus d’avocats nulle part en France pour assister les gardés à vue. Au bout de deux heures de vaine attente, comme le prévoit la loi, les OPJ vont donc enregistrer la déposition de leur client. Sauf que, et c’est l’incipit même de la nouvelle loi, « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faite sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »

Il serait donc possible d’enregistrer les déclarations d’un suspect, tout en refusant ses aveux !

Il n’est pas concevable, bien sûr, de laisser la machine judiciaire se bloquer par la seule volonté d’un corps de métier. Il faudrait donc dans ce cas envisager soit que les avocats n’aient pas le droit de grève, cshadoks.1303023072.gifomme les policiers, soit qu’ils puissent faire l’objet d’une réquisition, comme les médecins. Pour les médecins, ce n’est pas un bon exemple. Ceux-ci s’y refusent et ça n’a jamais vraiment marché.

La chute d’Henri Botey, le parrain de Pigalle

On le surnommait le «  premier proxénète de France », il a fait la Une des journaux dans les années 80 et si les macchabées ont jalonné son environnement, lui s’en est toujours sorti. Même si parfois les balles ont sifflé à ses oreilles. Aujourd’hui, à agecanonix_asterix..jpg77 ans, il encourt dix ans de prison, en tant que tenancier (en sous-marin) de deux bars de Pigalle où les hôtesses, dit-on, travaillaient au bouchon. « Le client devait payer une bouteille de champagne, facturée entre 200 € et 300 € avant de pouvoir monter avec une fille. Il devait ensuite débourser 200 € pour la passe », raconte Le Parisien.

Un drôle de personnage que ce Botey. Pendant des dizaines d’années, lui et sa femme, Carmen, ont tenu le haut du pavé du Paris des noctambules. Pratiquement aucune boîte de nuit, aucun bar louche, pas un hôtel de passes de la capitale n’échappaient alors à l’emprise du couple – même s’il ne possédait aucun titre de propriété. Et cela semblait dans l’ordre des choses. Les policiers laissaient faire, certains même en croquaient, et les politiques y trouvaient leurs comptes. À tel point que Mitterrand, au début de son premier mandat, s’en étonne et tonne. Il charge Pierre Touraine, le directeur de la PJ parisienne, de faire le ménage. Ce qui va entraîner pas mal de remous. Car bien sûr, ce proxénétisme quasi officiel, transformé en un business lucratif où chacun s’y retrouve, n’est possible que si les autorités ferment les yeux. Une myopie justifiée par la mine de renseignements que les RG soutirent à ces messieurs-dames et, plus curieusement, par la préservation du folklore crapoteux de Pigalle.

Quand même, le proxénétisme classé patrimoine national, cela laisse rêveur…

Pour être honnête, il n’est pas exclu qu’avant Mitterrand, Giscard d’Estaing ait eu lui aussi la même attitude. On dit que le réseau de Botey l’avait activement soutenu lors de sa campagne électorale. En tout cas, peu après les élections de 1974, il y a remise à l’heure : le seigneur des julots se retrouve dans le collimateur de la Brigade mondaine, avec à la clé une inculpation pour proxénétisme. Une procédure toutefois gentillette, avec au passage un sérieux redressement fiscal. Un bon moyen de pression. Une somme qui équivaudrait à près de 3 millions d’euros, qu’il aurait, murmure-t-on, intelligemment négociée…

Et ses affaires reprennent. Mais dans la police, certains commencent à traîner les pieds. Ils ont du mal à comprendre la protection dont bénéficient les époux Botey. Mauvais flics, va ! Entre la BSP, le nouveau nom de la brigade mondaine, et les services de la rue du Faubourg-Saint-Honoré (l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains), le torchon brûle. Et les chefs de service ont bien du mal à éviter les chausse-trappes parfois tendues par leurs propres collègues. Comme toujours en cas de guéguerre des polices, les informateurs sont pressurés. Du coup, les proxénètes ne savent plus à quel saint se vouer et leur situation devient moins confortable. Ce qui n’est pas bon pour les affaires. Côté positif : quelques flics ripoux, victimes collatérales de ce manège, sont priés de faire leurs valises.

Mais pas à dire, sous la gauche, il devient plus difficile de gérer sa petite entreprise, car les protecteurs de Botey ne sont plus aux manettes. Du coup, il se trouve affaibli. Et dans le milieu, c’est comme dans la jungle, cela ne pardonne pas. Ou tu es prédateur ou tu te retrouves au mauvais bout de la chaîne alimentaire. En 1987, l’un de ses anciens employés, Alain Picaud, pense qu’il est grand temps pour le vieux (il a 54 ans) de prendre sa retraite. Ce qui ne serait pas très inquiétant si derrière ne se dessinait l’ombre de Jacky Imbert, alias Le Mat. Botey demande protection à André Gau, dit Dédé Gode, qui a le tort de ne pas prendre l’affaire au sérieux. Lui qui est l’un des derniers survivants de la guerre des gangs entre Tany Zampa, Francis le Belge, les frères Zemour et le clan des Siciliens, va mourir bêtement dans une cabine téléphonique de Neuilly, flingué par un demi-sel. Picaud sera d’ailleurs arrêté peu après et passera aux aveux sans trop se faire prier.

Quant à Botey, qui se trouvait également dans la cabine téléphonique, il s’en sort indemne (voir sur ce blog « La petite histoire de la PJ »).

Henri Botey n’est pas un dur, mais plutôt un homme d’affaires. Des affaires très spéciales. De mémoire, il n’a jamais été inscrit au fichier du grand banditisme. Et le fait d’apprendre aujourd’hui qu’il a tenu Marine Le Pen sur les fonts baptismaux a dû en faire sourire plus d’un : d’anciens truands, d’anciens policiers, et surtout de très actuels politiciens qui en ont sans doute marre de voir la squelette_blog-a-la-fortune-du-mot.1302851977.jpgdame s’envoler dans les sondages…

Décidemment, ces temps-ci, les vieux truands sont sur la sellette. Comme si la PJ raclait ses fonds de tiroir. A moins qu’à la DCRI  on soit en train d’expurger l’ancien fichier des RG… Entre nous, j’ai comme l’impression que dans les mois à venir, bien d’autres squelettes vont sortir des placards.

Fisc : des policiers qui n’en sont pas

Ils disposent des mêmes pouvoirs que les officiers de police judiciaire : garde à vue, perquisitions, saisies, réquisitions, écoutes téléphoniques, etc., et pourtant ce ne sont ni des policiers ni des gendarmes, mais des agents du fisc. Ce sont les nouveaux officiers fiscaux judiciaires (OFJ). Leur mission : la lutte contre les fraudes fiscales, et notamment contre ces assemblages tortueux qui mènent tout droit au paradis… fiscal.

police-fiscale.jpgCes fonctionnaires du fisc ont reçu une formation de trois mois à l’École nationale supérieure des officiers de police de Cannes-Écluse. Trois mois !…  Cela peut paraître bien court, alors que l’instruction des élèves officiers s’étale sur 18 mois. Et pour mémoire, par le passé, il fallait compter cinq ans de pratique avant de recevoir l’habilitation d’OPJ.

Afin de se donner les moyens de poursuivre les délinquants qui s’en prennent au portefeuille de l’État, en novembre dernier, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) a vu le jour. Il s’agit d’un service de police judiciaire dans lequel sont regroupés officiers et agents de PJ, et les tout nouveaux OFJ. C’était une aspiration de l’ancien ministre du budget, M. Éric Woerth, mais, si j’ai bien compris, à l’époque, il voyait plutôt là un moyen d’éloigner les policiers des enquêtes fiscales. Peut-être pour avoir la mainmise sur un outil redoutable…

Depuis, les affaires sont passées…

Tout cela s’accompagne d’un changement de la procédure judiciaire applicable aux enquêtes fiscales. Cette procédure est à deux niveaux. Une saisine en amont sur la base de simples présomptions et, en aval, des investigations menées sous l’autorité du procureur ou du juge d’instruction. Or, il est dit dans la circulaire du ministère de la justice que cette nouvelle brigade n’a pas « la possibilité de réaliser des enquêtes d’initiative ; elle ne pourra procéder qu’aux enquêtes qui lui seront confiées par les magistrats, dans le cadre des procédures d’enquête préliminaire ou d’information judiciaire… » Une vue de l’esprit, d’autant que cette même circulaire précise que la mission de base est de rechercher et constater les infractions. D’ailleurs, un haut fonctionnaire de Bercy, cité par Le Figaro, déclare que « cette redoutable brigade » pourrait déclencher ses investigations « à partir de présomptions et sans contrôle fiscal préalable. »

Alors, quel avantage par rapport aux services existant aujourd’hui ? La justification tient dans « la plus-value que constitue pour les magistrats la compétence d’enquêteurs spécialisés disposant d’une compétence nationale et d’une expérience… » Ce qui n’est pas vraiment gentil pour les policiers spécialisés dans ce domaine au sein de la préfecture de police et de la direction centrale de la PJ, auxquels du reste sont intégrés plus de 80 inspecteurs des impôts. Ni pour les autres fonctionnaires du fisc ou des douanes qui se démènent au sein de services spécialisés, tellement nombreux, qu’il serait bien fastidieux de les énumérer ici.

Les deux précédents ministres de l’Intérieur avaient d’ailleurs freiné des quatre fers, conscients que la création d’un service de police judiciaire auprès de Bercy serait plutôt mal interprétée. Finalement, comme c’est souvent le cas ces temps-ci, on fait quand même mais on fait a minima : cette brigade a finalement été rattachée à la direction centrale de la police judiciaire.

Toutefois, cette démarche de nos dirigeants laisse un sentiment de malaise. Sous prétexte de pourchasser les milliardaires qui cachent une partie de leur fortune sous des cieux plus cléments (Tiens, qu’est donc devenue l’Île de Liliane Bettencourt ?), on peut se demander si l’objectif n’est pas de s’attaquer aux citoyens plus modestes, vous et moi.

Quoi de plus normal, me direz-vous ! Rien ! Mais ne risque-t-on pas demain de voir des gros bras fiscalistes harnachés comme les gens du RAID, flic_lessor.jpgenfoncer notre porte sous prétexte qu’on a un peu triché sur les frais de déplacements lors de sa déclaration d’impôts !

Une police fiscale répressive…

Prostitution : sale temps pour les michetons

Après des mois de travail, une commission parlementaire gauche-droite a opté pour une répression qui viserait les clients des prostitué(e)s. Et Mme Bachelot s’est emparée du projet en affirmant qu’il faut lutter contre cette forme de « violence faite aux femmes ».  Les associations qui militent pour l’abolition de cette profession ancestrale parlent plus volontiers d’une atteinte à la dignité de la une-gueule-de-bois-en-plomb-de-tardi-dapres-leo-malet.jpgfemme. On oublie donc les hommes, qui représenteraient pourtant, du moins dans la capitale, plus de 20% des personnes prostituées. Et l’on mélange tout. La prostitution volontaire, qui pose un problème de morale publique, et la prostitution forcée qui, elle, relève de la criminalité organisée. Il faut d’ailleurs reconnaître que celle-ci s’est considérablement aggravée ces vingt dernières années, même si les chiffres avancés sont souvent fantaisistes. Une chose est sûre : les julots qui tapent le carton au fond d’un bar enfumé en surveillant du coin de l’œil leurs gagneuses, c’est du folklore.

Le client, avant, pendant ou après ? – Si cette nouvelle loi annoncée pour 2012 voit le jour, elle ne va pas manquer de poser de sérieux problèmes d’application. L’infraction sera-t-elle constituée lors d’une éventuelle négociation des tarifs, ce qui reviendrait à un délit d’intention, ou lors du règlement ? Et comme celui-ci se pratique généralement à huis clos… Si le but est de décourager la clientèle, il faut que cette nouvelle infraction constitue un délit puni d’une peine de prison, afin d’être raccord avec la nouvelle procédure sur la garde à vue. En fait, si j’ai bien compris, il s’agit plutôt de donner un pouvoir supplémentaire à la police afin de perturber au maximum le commerce des charmes, comme c’est déjà le cas pour le racolage passif. En effet, cette infraction, abrogée en 1994, a été rétablie par une loi de 2003 : « Le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles… ». Et dans la foulée, on est passé de la contravention au délit, avec à la clé, une peine de deux mois de prison. Mais comment déterminer que telle position constitue l’élément matériel de ce délit ? Le fait pour une femme de poireauter en minijupe sur un coin de trottoir est-il suffisant ? Sur le terrain, c’est donc le policier qui estime si l’attitude ou le comportement d’une personne peut être considéré comme du racolage. Demain, avec cette nouvelle loi, du moins s’il s’agit d’un délit d’intention, comment les policiers feront-ils la différence entre un passant et un futur client ? Pas facile non plus pour les juges, qui aujourd’hui déjà, souvent par manque d’éléments concrets, ne donnent pas suite au délit de racolage passif. On en arrive à cette situation où la sanction consiste en l’interpellation, la garde à vue, le fichage, etc. En fait, il y a un autre but : inciter les personnes émigrées qui se prostituent à se placer sous la protection de l’État français et à dénoncer le réseau auquel elles appartiennent. Si elles collaborent, elles peuvent recevoir un titre de séjour, sinon, elles sont reconduites dans leur pays d’origine.

Le commerce de son corps – La prostitution indépendante (et non forcée) relève-t-elle de la liberté de chacun ? Chez les féministes, la question fait débat entre ceux qui prêchent le fait de pouvoir disposer de son corps, le credo des années 70, et les autres, qui visent à la protection de la femme. En droit, le meilleur équilibre, adopté par la plupart des pays, se traduit par la pénalisation du proxénétisme sans pour cela interdire la prostitution. Mais la prostitution génère souvent des nuisances, non seulement par la présence de ces dames ou de ces hommes qui guettent le chaland, mais surtout par la population qu’elle draine. Et les plus gênants ne sont pas les clients, mais les pervers qui rôdent autour. À Paris, « la rue des branleurs » a souvent été citée comme exemple.

L’État proxénète – En passant, il est amusant de noter que les agents du fisc se moquent éperdument de savoir si la prostitution est une atteinte à la dignité humaine. Pour eux, c’est un métier libéral. Dans un rapport du Sénat qui date d’une dizaine d’années, on pouvait lire que les pratiques de l’administration fiscale faisaient encourir le risque de voir l’État poursuivi pour des faits de proxénétisme. Pire, sans doute pour montrer que tout le monde est solidaire, le proxénète est lui-même imposé sur les revenus qu’il tire de son activité illicite. Difficile d’être précis, mais le chiffre d’affaires annuel de la prostitution atteindrait plusieurs milliards d’euros.

Un problème de santé publique – Il y a quelques mois, le Conseil national du sida a attiré l’attention sur la santé des personnes prostituées. Dans un rapport, il est fait mention, entre autres, de la pression policière, laquelle entraîne plus de clandestinité. Le Conseil s’attaque notamment à la loi sur le racolage passif qui contribue à déplacer la prostitution vers « des lieux plus discrets, plus isolés et donc plus dangereux ». Qu’en sera-t-il avec cette nouvelle loi qui vise la clientèle ? Pour éviter de se faire prendre, les clients vont exiger des endroits toujours plus à l’écart du monde… Et ces femmes que l’on dit vouloir protéger, vont courir encore plus de risques. Pour les mêmes raisons, leur suivi médical est quasi inexistant. Il y a quelques jours, la Haute autorité de la santé a d’ailleurs tiré le signal d’alarme en demandant le renforcement de la surveillance épidémiologique des gonococcies (la chaude-pisse), notamment dans les milieux à risques.

Entre dignité et liberté – La France est un pays nettement abolitionniste, sans toutefois aller jusqu’à interdire la prostitution volontaire. En balance entre dignité et liberté. Chacun n’est-il pas libre de faire ce qu’il veut de son corps ! Et la liberté, disent certains, c’est la substance même de la dignité. Oui, mais à plusieurs reprises, les plus hautes instances judiciaires du pays ont considéré que notre liberté n’allait pas jusqu’à admettre qu’une personne puisse déprécier sa qualité « d’homme ». Ainsi, le Conseil constitutionnel parle de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ». Il faut donc en déduire qu’on n’est pas tout à fait libre d’utiliser son corps comme on le veut.

Vous vous souvenez de ce spectacle idiot qui consistait à utiliser des nains comme projectiles. Bien entendu, ceux-ci étaient consentants et rétribués en conséquence. Peu importe qu’ils soient consentants, a dit le Conseil d’État, personne ne peut consentir à sa dégradation de qualité d’homme. Et la dignité humaine est mise à mal lorsqu’on utilise comme un objet une personne souffrant d’un handicap physique. On est bien là dans les limites de la liberté edith_piaf.1302169464.jpgde son corps. Et pourtant, la France ne condamne pas le suicide. Ce qui est condamnable, ce n’est donc pas l’atteinte que l’on peut porter à son enveloppe charnelle, mais l’image que l’on donne de la qualité humaine.

La fille de joie est triste, chantait Édith Piaf.

Garde à vue : course contre la montre

Il ne reste qu’un petit mois aux parlementaires pour accoucher de la loi qui va réformer la garde à vue – et sérieusement tournebouler le traintrain des policiers et des gendarmes. En effet, le projet qui est actuellement discuté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, prévoit, en son article 18, que la loi devra entrer en vigueur « le premier jour du deuxième mois suivant la publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 ».

extrait-alice-au-pays-des-merveilles.1301823002.gifJe vais vous faire une confidence : le texte est tellement embrouillé, que même ça, j’ai du mal à imprimer. Le premier jour du deuxième mois…

Conclusion : il reste trois semaines avant le vote définitif. La difficulté majeure, on l’a bien compris, c’est la présence de l’avocat. Pour l’instant, certains tentent de faire entrer de force une sorte d’audition libre qui pourrait être effectuée sans sa présence, et sans contrainte d’aucune sorte – sauf celle d’être placé en garde à vue en cas de refus. Cette mesure, envisagée un temps, puis repoussée par les deux assemblées, refait surface dans l’article 11 bis qui rappelle que l’OPJ n’est pas obligé d’utiliser la garde à vue, même si les conditions sont réunies. Mesure qui ne semble pourtant pas en phase avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est du moins l’avis de Jean-Jacques Urvoas, le Monsieur sécurité du PS. Pragmatique, il propose donc que la personne qui accepterait une audition libre « dispose d’un statut protecteur minimum », comme la possibilité de téléphoner à son avocat.

Mouais, sauf que pour l’enquêteur, il n’y a pas trop d’alternatives, puisque l’article préliminaire de la réforme prévoit grosso modo que les déclarations hors la présence de l’avocat ne servent pas à grand-chose. Si une personne veut avouer son crime, l’OPJ devra impérativement suspendre l’audition, placer le suspect en garde à vue, et reprendre l’audition après l’arrivée de l’avocat. Bon, on en était où ? Vous disiez que vous aviez tué…

D’autres amendements sont moins réalistes, comme celui qui conteste aux procureurs le droit d’accorder une prolongation, puisque la Cour européenne ne reconnaît pas le statut de magistrat à ces… magistrats. Ou encore cet autre pour qui la présentation au procureur ne peut pas être effectuée par des moyens audiovisuels, mais uniquement en face-à-face. Ou celui qui veut modifier le Code de la santé publique pour les personnes en état d’ivresse dans un lieu public. Plutôt que de les enfermer en cellule de dégrisement, il suffirait de les confier à l’un de leurs proches ou à une association habilitée.

Cela part d’un bon sentiment, mais on imagine la scène… Dans un petit commissariat aux effectifs ergépépépisés, le chef de poste bataille au téléphone pour dénicher à trois heures du mat’ la bonne âme susceptible de prendre en charge le soulard qui pour l’heure est en train de foutre le bordel dans sa boutique !

Il reste trois mois avant que cette mesure n’entre en application. Trois mois pour former les OPJ et les APJ, changer les formulaires, les procès-verbaux, les logiciels, organiser des services, prévoir les locaux pour accueillir les avocats, les médecins… Sans parler de l’organisation des services, police, gendarmerie, justice… Quant au Conseil national des Barreaux, il doit compter ses troupes – et ses sous. Car l’addition passe malbatonnier-brigitte-marsigny_-cnb.1301823128.JPG. Garde des sceaux cherche budget désespérément. Si le chiffre de 122 € semble faire l’unanimité, on s’interroge : s’agit-il d’une indemnité horaire ou du montant de la vacation, quelle que soit sa durée.

En septembre 2009, le président de la République se réjouissait des propositions du comité Léger sur la réforme de la procédure pénale, et notamment de la suppression du juge d’instruction. Alors que l’urgence, on le savait déjà, était de réformer la garde à vue. Que de temps perdu ! Que d’imprévoyance !

Et le plus amusant, si l’on peut dire, c’est que la Cour de cassation, « dont beaucoup de membres sont aujourd’hui entrés dans une forme de rébellion » nous dit Le Figaro, pourrait prendre une décision à la mi-avril, qui risquerait d’accélérer encore plus le mouvement.

Mi-avril, c’est à peu près la période où devraient commencer les premiers tests sur le terrain.

Il y a biendepute-philippe-houillon_cnb.1301823267.JPG longtemps, un technocrate avait pondu une circulaire enjoignant aux policiers en civil de ne plus griller les feux rouges. Je me souviens de ce dialogue radio, qu’on se racontait entre nous :

–      Broussard : Vous en êtes où de la filoche ?

–      Le chef de groupe, depuis sa voiture : Euh !… On les a perdus patron ! Le feu est passé au rouge, alors, on a été obligé de s’arrêter…

Cette réforme est nécessaire. Mais elle a été si mal préparée, si mal expliquée, qu’elle est mal reçue par les policiers et les gendarmes. Et si demain, dans une sorte de grève du zèle, le nombre de gardes à vue augmentait ?

Quelle pagaille !

L’étrange docteur Krombach

Dieter Krombach, cardiologue allemand, âgé aujourd’hui de 75 ans, a-t-il violé et tué sa belle-fille, la jeune Kalinka ? C’est la question à laquelle devront répondre les jurés de la Cour d’assises de Paris. Or, au-delà de la tragédie, cette affaire pose quantité de questions sur le fonctionnement de la justice au sein de l’Union européenne.

Kalinka Bamberski .JPGKalinka Bamberski est une belle adolescente blonde, grande, élancée. Elle est morte mystérieusement, en pleine santé, le 10 juillet 1982, à Lindau, en Bavière, où elle vivait avec sa mère. À 350 km de la frontière française.

Lors de l’autopsie pratiquée deux jours plus tard, le médecin légiste mentionne des traces de sang et d’un liquide blanchâtre (?) sur les parties génitales. Et ça s’arrête là. Pas de prélèvements, pas d’analyses.
Le légiste s’étonne toutefois de l’état du corps de la jeune fille, et de la nature du médicament que le docteur Dieter Krombach, son beau-père, dit lui avoir administré pour tenter de la ranimer.

Par la suite, il dira qu’en fait il lui a injecté un produit à base de fer pour favoriser son bronzage.

Les organes génitaux de la victime sont prélevés, probablement pour un examen ultérieur, lequel ne sera hélas jamais effectué : le scellé a été égaré. Kalinka aurait été victime du syndrome de Mendelson. En quelque sorte, elle serait morte noyée dans ses régurgitations de liquide gastrique. Un risque qui est toujours pris en compte lors d’une anesthésie et qui justifie l’intubation du patient.

La question était donc de savoir pourquoi Kalinka n’était plus consciente ? La justice allemande rendra finalement un non-lieu, en 1987, sans avoir répondu à cette question.

Mais pendant ce temps, André Bamberski, le père de la jeune fille, a déposé une plainte en France. Une nouvelle autopsie est pratiquée et cette fois, les légistes concluent que la mort est consécutive à une injection d’un produit à base de cobalt et de fer. Finalement, en 1991, Krombach est inculpé d’assassinat par un juge d’instruction parisien. Jugé en son absence, par contumace, en 1995, il écope de quinze ans de réclusion criminelle. Mais il saisit la Cour européenne des droits de l’homme, qui condamne la France, en rappelant « que le droit pour tout accusé à être effectivement défendu par un avocat, au besoin même d’office, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable ». Ce qui n’était pas le cas chez nous. À l’époque, celui qui manquait volontairement à la justice ne pouvait pas voir sa cause défendue par un avocat. À la suite de cet arrêt, dit arrêt Krombach, en 2004, la procédure française a d’ailleurs été modifiée (loi Perben II), tirant un trait sur les jugements par contumace pour les remplacer par une procédure nouvelle, dite de défaut criminel. Avec des débats contradictoires, mais devant une cour d’assises composée uniquement des seuls magistrats, sans la présence de jurés. Sauf erreur de ma part, et pour des raisons historiques (crainte d’abus par un régime totalitaire) l’Allemagne n’admet pas qu’un individu soupçonné d’un crime soit jugé hors sa présence.

En 2001, la justice française transmet le dossier à la justice allemande. Mais cette condamnation lui donne du grain à moudre : Elle met en avant l’impossibilité de poursuivre une personne déjà condamnée dans un autre État-membre pour les mêmes faits. L’Allemagne refuse donc de rouvrir le dossier.

Situation bloquée, jusqu’à l’accord au sein de l’Union européenne sur la possibilité d’extrader ses nationaux d’un État-membre à l’autre. En 2004, la France délivre donc un mandat d’arrêt européen contre Dieter Kromback, mais l’Allemagne refuse d’y donner suite, sous prétexte qu’il a été reconnu innocent dans son pays.

Quand on pense que cet accord sur les extraditions au sein de l’Europe est basé sur la confiance mutuelle des États !

La justice allemande a donc claqué la porte au nez du père de la victime, et, chez nous, du côté de la place Vendôme, il a l’impression que ça traîne des pieds.

En tout cas, tout comme lui, on ne peut s’empêcher de penser que ce bizarre cardiologue bénéficie de protections occultes… Par exemple, en 1997, il a été condamné pour avoir violé une jeune fille de 16 ans alors qu’elle était sous anesthésie : deux ans de prison avec sursis. Devant une Cour d’assises française, il en risquait vingt.

En désespoir de cause, en 2009 (la prescription d’une peine criminelle est de 20 ans, il restait donc 6 ans à courir), Bamberski décide de faire enlever celui qu’il considère comme l’assassin de sa fille. Récupéré par la police, Krombach est incarcéré. Il est actuellement détenu à Fresnes, où il bénéficierait, dit-on, de l’assistance de son ambassade. Et la justice vient d’admettre le procédé, en se référant notamment au cas du terroriste Carlos. On se souvient que cet individu, de son vrai nom Illitch Ramirez Sanchez, assassin entre autres de deux policiers, a été enlevé par la DST, en 1994, à Khartoum, au Soudan, où il coulait des jours heureux. Son jugement en France a malgré tout été considéré comme régulier.

Le sulfureux toubib est-il coupable de viol sur mineur et de meurtre ? Il existe un sérieux faisceau de présomptions contre le bonhomme, bagnard_unicefr.jpgmais les jurés (cinq hommes et quatre femmes) auront bien du mal à détecter une preuve formelle. Il n’en reste pas moins qu’il a reconnu avoir injecté un produit à l’adolescente, hors de tout besoin thérapeutique. Et, d’après les légistes français, ce produit serait lié à son décès. Cela semble suffisant pour confirmer sa condamnation par contumace pour  violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner.

Quinze ans de réclusion criminelle, à 75 ans…

Le beau mec est mort de vieillesse

C’était il y a quelques jours, dans le service de gériatrie d’un hôpital parisien. Sans être le parangon de la série de France 2, c’était vraiment un beau mec, à l’ancienne, capable du pire comme du meilleur. Quand j’ai débarqué en PJ, dans le petit monde du banditisme, les anciens m’ont rebattu les oreilles des exploits de extrait-image-le-deuxieme-souffle.1301126910.jpgMonsieur Madeleine, comme disaient les flics qui avaient lu Victor Hugo (si si, y en avait !).

Bernard Madeleine est né après la Première Guerre mondiale, à Le Fresne-Camilly, dans le Calvados. Je ne connais pas ses états de service durant « la suivante », mais dans son livre, Monsieur Madeleine, aux éditions du Rocher (écrit sous la pression amicale d’Alphonse Boudard et préfacé par José Giovanni), il raconte que s’il a commis un hold-up, après la débâcle de l’armée française, c’était pour se payer le voyage vers Londres, via l’Algérie, où il comptait rejoindre De gaulle (archives Le Parisien ). James Sarazin dans Dossier M… comme milieu (Éd. Alain Moreau) est moins musical. Pour lui, Madeleine a commencé sa carrière en se livrant à de petits cambriolages, comme la plupart des truands, puis son activité s’est recentrée sur les escroqueries « aux faux policiers ». Faut dire que les cartes bleu-blanc-rouge circulaient pas mal, à cette époque. Une chose est sûre, il a fini par se faire coincer : dix ans de travaux forcés.

Pour un jeune homme qui avait passé une partie de sa jeunesse au bagne pour enfants, l’addition a dû paraître salée.

Aussi, en 1960, on peut imaginer qu’il avait une revanche à prendre sur la société. Il se spécialise alors dans les agressions à main armée, et, avec sa bande, se livre à une série de braquages, certains plutôt violents.  Les policiers en recensent une quinzaine, dont neuf où il est directement mis en cause. Et une demi-douzaine de blessés parmi les victimes.

Ses lieutenants sont les frères Noël qui, lors de leur arrestation, seront trouvés en possession d’un important lot de diamants provenant d’un fabuleux hold-up commis à Milan, en Italie.

Madeleine est arrêté en juin 1964, à Soulac, en Gironde, au Whisky à gogo, bar où il sirote un verre avec deux de ses complices. Pour les flics de l’antigang, c’est une belle prise. Ils comparent Madeleine à Pierre Loutrel, dit Pierrot le fou ou à Émile Buisson, l’ennemi public n°1 des années cinquante. Jugé en 1968, il prend perpète.

José  Giovanni, qui a été un proche de Madeleine avant de se reconvertir dans l’écriture et le cinéma, se serait inspiré du personnage pour écrire Le deuxième souffle, livre qui a été adapté par deux fois au cinéma. Dans le premier, Lino Ventura était Gustave Minda, dit Gu. Et Paul Meurisse interprète celui qui le traque, l’énigmatique commissaire Blot.

C’est un autre ancien truand, Michel Houdart, qu’un procureur avait surnommé « le Robin du Bois de St-Amand », qui m’a informé de la mort de Madeleine. Même s’ils n’étaient pas de la même génération, tous deux ont eu un passé commun.

« À 64 balais, Bernard remonte au braquage sur une affaire que j’avais montée, me dit Michel Houdart, parce que, entre le gang pressenti pour le taper et moi, le courant ne passait pas vraiment… Le chef en était l’un de ses autres fils spirituels… Du coup, le Vieux a décidé de remonter sur le tas après avoir vu un flic en service m’apporter de fausses plaques d’immatriculation… »

C’était à la poste de Châtelineau, en décembre 1982. L’un des premiers hold-up avec prise d’otages commis en Belgique. Les braqueurs enlèvent le directeur et séquestrent sa famille le temps de se faire ouvrir les coffres-forts. Un butin équivalant à plusieurs centaines de milliers d’euros.

Mais le coup se termine mal, du moins pour les truands. Le grain de sable. L’un des leurs, Francis Bindewald, grand seigneur, mais pied-nickelé, avait tenu à régler la boisson qu’il avait consommée à la cantine de la poste – et il oublie son portefeuille. Rapidement, une demi-douzaine de personnes se retrouvent sous les verrous. Madeleine écope de 15 ans, le policier véreux en prend 20, quant à Michel Houdart, il est condamné à mort.

Pourtant, Madeleine aurait pu passer au travers, car ses amis l’avaient poussé à s’exiler en Amérique du Sud avec son butin. Pensant qu’il était bien trop connu des poulagas pour ne pas être suspecté. Ce qui était vrai. Il a refusé, pour ne pas abandonner sa vieille mère.

L’affaire n’est pas close pour autant. Non seulement Houdart réussit à s’évader, mais la justice belge, qui s’était un peu emmêlée les pinceaux dans la procédure frontalière, se trouve plongée dans un imbroglio juridique invraisemblable.

Nouveau procès en 1991, en France cette fois. Bernard Madeleine, qui a purgé sa peine (remises comprises), vient témoigner. Il a alors 70 ans (46 en prison). Beau mec, jusqu’au bout des ongles, il fait un numéro de flûtiste devant le jury et endosse l’entière responsabilité du braquage. Il déclare : « Je suis de la vieille école. Celle qui ne tuait pas, qui ne blessait pas, et qui ne citait jamais les noms des camarades… ». Quant à Michel Houdart, en réponse aux témoins qui le chargeaient, il répond : « Je conteste certains faits, mais je respecte l’homme et la femme qui viennent de témoigner. Car ce sont les victimes. » (citations Lesoir.be).

Il a pris cinq ans. Ce qui est quand même mieux que la peine de mort. Il m’a dit : « Je suis un rebelle, un révolté, un emmerdeur…   comme tu voudras…   mais je n’ai pas du tout l’âme d’un truand oulivre-madeleine.1301125096.jpg d’un arnaqueur… Exactement comme Bernard Madeleine, d’où notre estime réciproque… »

Je laisse à chacun le soin d’apprécier… ou de juger. On a tellement pris l’habitude ces temps-ci des jugements à l’emporte-pièce… Quant à moi, je fais partie de cette génération de flics qui n’avaient pas d’ennemis, mais uniquement des adversaires. Et lorsqu’un délinquant a purgé sa peine, je crois qu’il a le droit au même respect qu’un autre. Et même plus qu’un autre, s’il choisit le droit chemin. Car c’est plus difficile pour lui.

La police des aliénés

Les policiers sont parfois appelés pour maîtriser un individu qui a visiblement perdu la raison. C’est une opération délicate, l’une des rares, d’ailleurs, où l’utilisation du Taser peut se justifier. Mais une fois cette mission menée à bien, les questions surgissent. Que faut-il faire de l’individu arrêté ? Garde à vue ? Procédure ? Ou au contraire, la mission de police administrative doit-elle prendre le pas sur la mission de police judiciaire…

asterix_uderzo.1300884803.gifHier, l’assemblée nationale a adopté en première lecture le projet de loi sur les soins psychiatriques. Cette réforme, voulue par le Président à la suite d’un meurtre commis par un schizophrène en cavale, est fortement contestée dans le monde médical et même chez les magistrats. Certains parlent d’une dérive sécuritaire, tandis que d’autres, plus terre-à-terre, notent qu’il s’agit d’un artifice pour masquer « la misère » des services psychiatriques (deux fois moins de lits qu’il y a vingt ans).

Mais le projet de loi prévoit également d’apporter des modifications à l’hospitalisation d’office – autrement dit l’internement sans consentement.  On parle de 70 000 personnes retenues ainsi contre leur gré. Dans le même temps, dans un avis publié au JO du 20 mars , Jean-Marie Delarue, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, tire la sonnette d’alarme. Il s’inquiète de l’accroissement préoccupant dans les hôpitaux de personnes dont la maladie n’exige plus qu’elles soient privées de liberté. Et il dénonce aussi (et surtout) les modalités de l’internement d’office lorsque la décision est prise par les préfets.

Quelles sont aujourd’hui les conditions requises pour procéder à un internement d’office ? Tout est dans le Code de la santé publique, lequel a fait l’objet d’un sérieux relookage dans les années 2000 (art. L3212 et suivants).

Le plus fréquemment, il s’agit d’une décision qui fait suite à la demande d’un tiers, souvent un parent. Cette demande doit être manuscrite et signée par la personne qui la formule. Elle est accompagnée de deux certificats médicaux datant de moins de quinze jours.

Dans les autres cas, lorsqu’il s’agit de malades dangereux ou susceptibles de troubler gravement l’ordre public (environ 15 000 par an), c’est le préfet (à Paris, le préfet de police) qui prononce un arrêté pour décider de l’hospitalisation d’office. Et, le directeur de l’établissement doit lui transmettre dans les 24 heures un certificat médical établi par le psychiatre maison. Tous ces mouvements, (entrée, sortie, etc.) sont inscrits sur un registre (que certains nomment « fichier des fous »). Le préfet a ensuite trois jours pour transmettre les informations concernant sa décision au procureur de la République. Au bout de deux semaines, le psychiatre doit établir un nouveau certificat médical pour faire le point sur l’évolution de la maladie. Au vu de ce document, l’hospitalisation peut être maintenue pour une durée d’un mois, renouvelable ad vitam aeternam selon les mêmes modalités. Pour ressortir, le patient doit obtenir le feu vert du psychiatre et une décision positive du préfet. Avec le principe de précaution, c’est pas gagné…

C’est donc dans ce genre de situation que le policier ou le gendarme intervient, puisque le comportement dangereux se manifeste le plus souvent dans un endroit public. Il s’agit donc bien d’un acte de police administrative effectué sous l’autorité du préfet.

Sauf à Paris, où le commissaire de police possède, en cas d’urgence, le même pouvoir qu’un maire. C’est-à-dire celui de faire procéder à l’internement d’office, à charge d’en référer au préfet de police dans les 24 heures. Pouvoir personnel du commissaire d’arrondissement, dont se fait l’écho le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, dans un rapport où il accable la séculaire « infirmerie psychiatrique de la préfecture de police ». Et de s’interroger pour savoir si cette organisation parisienne « qui tire son origine de la compétence donnée au préfet de police en 1800 » présente des garanties suffisantes…

Depuis la nuit des temps, le sort des malades souffrant de troubles mentaux a toujours été lié au sort de ceux qui peuvent être victimes de leur comportement. Avec des controverses sans fin. Et le plus souvent, à défaut de pouvoir les soigner, on a choisi de les écarter de la société. Ce qui a conduit parfois, sous prétexte de bienséance, à des internements arbitraires. Car, dans les faits, on donne au médecin et au préfet le pouvoir du juge : priver quelqu’un de sa liberté.

Il n’y a pas de solution miracle, mais en liant le juge et le médecin, on pourrait peut-être se rapprocher du « moins mal ». En tout cas, le renforcement des pouvoirs du préfet pour placer ou maintenir quelqu’un dans un milieu fermé peut difficilement passer la porte d’une démocratie. Dans ce domaine, le représentant de l’État n’est légitime que pour gérer l’urgence. Ensuite, il doit passer la main.

Du 19 mars 1962 au 19 mars 2011

Hier, c’était la commémoration de la fin de la guerre d’Algérie. En mémoire aux 23.000 soldats et harkis qui sont morts durant ce conflit. Ce même jour, le président de la République a décidé de revêtir son uniforme de chef des armées. Et il a déclaré : place19mars62_pontarrion_creuse.1300618891.jpg« Aujourd’hui, nous intervenons en Libye … D’ores et déjà nos avions empêchent les attaques aériennes sur la ville [Benghazi]. D’ores et déjà d’autres avions, français, sont prêts à intervenir… ». Suivant en cela point par point les conseils éclairés de son nouveau mentor : BHL en personne. Et, toute la classe politique, comme un seul homme, s’est levée pour applaudir cette virile décision. Normal, puisque « nous le faisons pour protéger la population civile de la folie meurtrière d’un régime qui en assassinant son propre peuple a perdu toute légitimité ».

Quel lien entre l’Algérie et la Libye ? En dehors de la coïncidence des dates, pas facile de répondre à cette question. Et pourtant, dans le-monde_19-mars-2011.1300619007.JPGles deux cas, il s’agit bien d’une guerre civile. Aujourd’hui, nos forces sont engagées sur un sol étranger pour épauler des populations civiles en rébellion contre l’autorité de leur pays. Sur la pression de la France, la résolution 1973 de l’ONU a été adoptée afin de protéger « les manifestants pacifistes » (ainsi désignés par Hillary Clinton) de la répression féroce des forces loyales de Kadhafi (voir le site Agoravox).

On n’est pas loin du nouvel ordre mondial cher à George Bush.

capture3.1300619568.JPGAlors que la répression des manifestants est peut-être aussi féroce dans d’autres pays arabes, on ne peut s’empêcher de s’interroger : Va-t-on également intervenir au Bahreïn, au Yémen… ?

Et que se passerait-il si demain, l’Algérie, pays frontalier avec la Libye, décidait également de renverser le régime de Bouteflika ? Sommes-nous prêts à bombarder Alger ?

Le 19 mars 1962 est la date de l’entrée en vigueur du cessez-le-feu proclamé par le général de Gaulle, suite aux accords d’Évian. Le référendum qui a suivi a recueilli 90 % de réponses positives : les Français étaient donc contre la guerre d’Algérie. Je me demande ce que donnerait ucapture5.1300619306.JPGn référendum sur la décision d’engager nos forces en Libye ? Très bizarrement, je n’ai même pas vu un sondage sur la question…

Rappelons que la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies parle de « toutes les actions nécessaires, y compris militaires ». N’a-t-on pas mis la charrue avant les bœufs ? Avant d’ouvrir les hostilités, a-t-on réellement réfléchi aux autres possibilités ? Et quelles décisions sur le plan humanitaire, alors que des centaines de milliers de personne vivent l’exode ?

Je sais, je nage à contre-courant. Mais ces derniers mois, le survol des « cygnes noirs » me donne un peu le tournis. En 2003, lors d’une allocution, Jacques Chirac a déclaré : « La guerre, c’est toujours un ultime recours, c’est toujours un constat d’échec, c’est toujours la pire des solutions, parce qu’elle amène la mort et la misère. »

Pas mieux.

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Sur ce blog, on peut lire la Lettre à Jack Lang, suite à son voyage à Alger, en 2007, pour « une reconnaissance (par la France) des crimes commis par la colonisation ».
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