LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Auteur/autrice : G.Moréas (Page 37 of 82)

Police : Le blues des Bleus

Des policiers, de dos, la voix déformée, livrent leur état d’âme… C’est ce que l’on peut voir sur trois vidéos qui se baladent sur le Net*. Les propos n’apportent pas grand-chose. Il est question des conditions de garde à vue, des suicides, de la politique du chiffre…  Rien de nouveau, autant de sujets qui reviennent de façon récurrente dans les doléances de plusieurs syndicats. Mais quel spectacle dérangeant ! Que des policiers se livrent à la caméra derrière l’anonymat, un peu comme des nationalistes corses ou des témoins sous X, cela a quelque chose d’affligeant.

rumeurs-sur-le-rouergue-par-christin-et-tardi.1290673467.jpgEt même si ces enregistrements étaient bidonnés, ce qui ne semble pas le cas, ils soulignent le malaise profond qui a gagné la Grande maison – surtout chez les policiers de base, les Bleus comme on les appelle.

On a l’impression d’un enfermement. Lorsqu’on endosse l’uniforme, on accepte de se marginaliser. Car d’une certaine manière, on se met à l’écart, non seulement de la société, mais aussi de la famille, des proches, des amis. Car sans arrêt, il faut jouer un rôle. Imaginez un repas entre amis… Et toi, tu fais quoi dans la vie ? Je suis flic ! Un long silence, et lorsque la conversation reprend, elle n’est plus tout à fait la même. Je me souviens d’une amie qui s’était fait voler son sac à main, alors que nous étions en vacances à l’étranger, et qui s’est retournée vers moi, furax, en m’accusant de n’avoir rien fait pour éviter ça. Je n’étais plus l’ami, j’étais le flic.

C’est pour ça que l’esprit de corps est si fort dans ce métier.

Mais aujourd’hui, l’esprit de corps est en déliquescence. Les policiers vivent dans la méfiance. Le gardien se méfie de l’officier qui lui-même se méfie du commissaire. Et ce dernier se trouve dans la position de commander des hommes et des femmes qu’il ne comprend pas, sous la houlette d’une hiérarchie politico-administrative qui ne laisse la place à aucune initiative.

Or, le policier, quelle que soit sa position dans la grille indiciaire, n’est performant que par son initiative. Si l’on dit à un gardien, je veux tant de contredanses, à un OPJ, tant de gardes à vue…, on étouffe toute envie d’en faire plus.

Ces temps-ci, les règlements de comptes entre voyous se succèdent à Marseille, c’était la même chose sur la Côte d’Azur, il y a trente ans. Mais à l’époque, pour régler un problème, on disait à un patron, vous avez carte blanche.

Je serais curieux de savoir si ces mots font encore partie du vocabulaire, dans la police d’aujourd’hui.

Et les policiers de terrain sentent bien que les décisions ne sont pas toujours les bonnes. Que les opérations coups de poing sont l’aveu d’un échec. Mais ils n’ont qu’un droit, celui de se taire.

Lorsqu’une affaire surgit, à Marseille, à Grenoble, en région parisienne…, aussitôt le ministre de l’Intérieur bombe le torse devant les caméras (il paraît qu’il adore ça), généralement entouré de gens que personne ne connaît. En cherchant bien dans ses souvenirs, on peut reconnaître ici ou là le directeur de la sécurité publique ou de la PJ. Mais ils ne prennent pratiquement jamais la parole.

Alors, pour avoir des infos, les journalistes se tournent vers les représentants syndicaux. Les seuls qui ont le droit de parler. Un braquage dans une bijouterie, et le syndicaliste de service nous explique ce qui s’est passé, comme s’il y était, comme s’il savait de quoi il retourne, lui qui n’est plus sur le terrain parfois depuis des années.

Un ancien directeur de la police me disait, il y a quelques jours, « il n’y a plus de commandement ». À tel point que pour donner des responsabilités à un commissaire, on le nomme préfet. extrait-du-film-fpc-production.1290673637.JPG

Alors, si la pression est aussi forte en haut de la pyramide, qu’on imagine ce que vivent les policiers de base… Ils ne se sentent ni soutenus ni aidés ni compris ni… aimés. On leur demande de se contenter d’exécuter les ordres, sans discuter. J’allais dire… comme des ministres. Et d’ailleurs, tout comme un ancien ministre, quelques-uns pensent à démissionner. Mais les temps sont durs. Il faut faire bouillir la marmite.

En attendant, certains voudraient s’affranchir de ce devoir de réserve qui les bâillonne. Et pour cela, ils reprennent l’argumentaire juridique du commandant Philippe Pichon – juste pour pouvoir s’exprimer. A moins que les choses ne soient plus graves, et que gronde, dans la police, un mécontentement plus profond.

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*FPC Production, le un, le deux, le trois.

Mesrine au Canada : la légende écornée

Le 30 juin 1969, l’escouade des homicides du Québec découvre le corps d’Evelyne Lebouthillier, 58 ans, un tablier noué autour du cou. Elle gît sur le sol, dans le salon du motel dont elle est propriétaire, Les trois Sœurs, à Percé. L’hôtel où justement sont descendus Jacques Mesrine et Jeanne Schneider, sa compagne. Le cadavre est recouvert d’une couverture et, à première vue, le vol semble être le mobile du crime.

mesrine_la-presse_quebec..jpgLe couple est arrêté en Arkansas, aux E-U, au mois d’août, et leur procès se tient en janvier 1971.

Verdict : innocents !

Percé, le bout de la Gaspésie, le bout du bout. Un bled où il ne se passe jamais rien. Mesrine y reste quatre jours : un mort. Troublant, non ! Contre toute évidence, il a toujours nié ce meurtre, alors qu’il a reconnu avoir tué deux gardes forestiers et qu’il a revendiqué plein d’autres assassinats qu’il n’a jamais commis. Il faut reconnaître qu’étrangler une femme avec son tablier, cela ne correspond pas à l’image du bonhomme. Alors, qu’a-t-il voulu dire, plus tard, en écrivant : « Nous étions ainsi accusés d’un meurtre que je n’avais pas commis » ? Que Jeanne Schneider était la coupable ?

C’est l’une des questions soulevées par le québécois Eric Veillette, sur son site Historiquement logique. Né au moment des faits, en novembre 1971, il a toujours été fasciné par la légende de Mesrine. Il a lu de nombreux ouvrages sur le sujet et il dit avoir adoré les deux films de Jean-François Richet – mais pour lui cela reste du cinéma. En tant qu’historien à l’Université du Québec à Trois-Rivières, il a décidé de reconstituer le séjour du truand au Canada en dépiautant la presse et les archives locales.

Un éclairage différent qui écorne la légende.

evelyne-bourthillier et son motel.jpg

En 1968-1969, alors qu’il est recherché en France pour plusieurs vols à main armée, Mesrine s’enfuit au Canada. On peut penser qu’il cherche à reconstruire sa vie. Avec sa compagne, il trouve un job en mars 69, au service d’un handicapé, le richissime Georges Deslauriers. Lui est cuisinier et chauffeur, elle gouvernante. Mais à la suite d’une querelle avec le jardinier, tous deux sont licenciés. Le tempérament sanguin de Mesrine reprend alors le dessus. Le couple enlève et séquestre Deslauriers pour obtenir une rançon. L’affaire foire – et de nouveau, c’est la cavale.

Le 21 juin, ils s’arrêtent au motel Les trois Sœurs, à Percé. Ils en repartent le 25, en laissant leur chat à la garde d’une voisine, pour se rendre à Montréal.

Malgré leurs dénégations, l’enquête révèle un faisceau de présomptions à charge, voire de preuves. Ainsi, il est quasiment certain qu’ils seraient revenus en Gaspésie à bord d’une voiture de location. La veille du meurtre, on les aurait vus à environ 600 km du motel ; et plusieurs témoins affirment qu’ils ont passé la nuit à Percé. Le gardien d’une discothèque dit que le couple se trouvait dans son établissement vers 22 heures. Or la discothèque se trouve à cinq minutes à pied du motel. A quatre heures du matin, ils auraient pris une collation à Carleton, à environ 200 km de là. Et c’est sur cette route, sous un pont, qu’un adolescent a découvert un coffret renfermant des papiers personnels de la victime.

De plus, les empreintes relevées sur un verre et sur un guéridon, dans le salon où a été découvert le corps, sont celles de Mesrine et de Schneider, et, affirme le spécialiste de la police technique, elles ne peuvent remonter à plus de 24 heures.

Enfin, dans les bagages réexpédiés par les autorités américaines, on trouve des bijoux (une montre, deux colliers, une bourse…) et un réveille-matin, une sorte de copie d’ancien. Le tout semble appartenir à la victime. Ce que confirme sa sœur. D’ailleurs, une antiquaire déclare avoir vendu un réveil analogue, quelques années plus tôt, à Mme Lebouthillier.

Lors du procès qui a lieu en janvier 1971, le couple est défendu par Me Raymond Daoust, l’un des avocats pénalistes les plus en vue du pays. Il aurait été engagé, dit-on, par le père de Mesrine, depuis la France. Habilement, celui-ci désarçonne les témoins à charge. Il démontre que les bijoux et le réveil ne sont pas des preuves, car il pourrait tout aussi bien s’agir d’objets identiques. Il fait venir à la barre une femme, qui a fréquenté le couple à Montréal, et qui certifie que ces objets leur appartiennent.

Et pour couronner le tout, l’avocat fait citer un expert qui contredit le technicien de la police technique : pour lui les empreintes digitales peuvent être anciennes. Autrement dit, elles auraient été laissées par les accusés lors de leur séjour au motel. Un verre sale qui serait resté cinq jours sur un guéridon, au milieu du salon du motel… Bon.

Durant les audiences, Mesrine en fait des tonnes. Il intimide les témoins. Il n’hésite pas à pousser des coups de gueule, au point que le président menace de le juger en son absence. Mais il a réponse à tout. Le réveil ! Il l’a acheté à Montréal. La montre ! À Paris. Etc.

Au bout de trois semaines, le jury prononce l’acquittement. eric-veillette.jpgFranchement, je ne suis pas sûr que devant une cour d’assises française le résultat aurait été identique…

Lorsque j’ai demandé à Eric Veillette pourquoi il s’était intéressé à ce truand, et surtout ce qu’il en pensait. Il m’a répondu : « Je crois que Mesrine fascine parce qu’il reste encore des questions en suspens, en particulier dans la compréhension de sa personnalité ».

Là, je peux aider. Il était barge.

Le gendarme Jambert se serait suicidé

Deux balles dans la tête. Le 4 août 1997, Christian Jambert est retrouvé mort dans le sous-sol de son pavillon, près d’Auxerre. Une carabine .22 LR près de lui. Il avait 56 ans. « Suicide d’un homme dépressif », a écrit le médecin sur le certificat de décès. C’est ce que vient de confirmer le procureur d’Auxerre.

le-gendarme-christian-jambert_lyonnerepublicaine.1289984087.jpgÀ l’époque, les enquêteurs n’avaient pas poussé très loin leurs investigations. Ils savaient que leur collègue avait déjà tenté de mettre fin à ses  jours, deux ans auparavant. Qu’il supportait mal de ne pas avoir été écouté dans l’affaire des disparues de l’Yonne. Alors, pourquoi imposer le supplice moral d’une autopsie à ses proches…

Mais le choc passé, ceux-ci réagissent. Le doute s’insinue… On peut penser qu’en 2000, l’arrestation d’Émile Louis, condamné par la suite pour le meurtre de sept jeunes filles handicapées, a renforcé leurs doutes. Car d’un seul coup, tout le monde prend conscience qu’il avait raison, le gendarme. Et personne ne l’avait pris au sérieux.

Tout a commencé en 1981. L’adjudant enquête à l’époque sur le meurtre d’une jeune femme de 23 ans, dont le corps a été retrouvé dans un abri à bestiaux, à Rouvray, près d’Auxerre.  Ses soupçons se portent sur son amant, un homme d’une cinquantaine d’années, chauffeur de car pour le compte d’une association d’aide aux handicapés : Emile Louis. D’autant que deux ans auparavant, le bonhomme avait fait partie de « ses » suspects dans une enquête sur la disparition d’une autre femme. Une affaire non résolue qui lui est restée en travers de la gorge. Jambert ne le lâche plus, et il parvient finalement à le confondre, non pas sur le meurtre de sa maîtresse, mais pour des attouchements sexuels sur les trois enfants de la DDASS dont il a la garde avec son épouse. Louis prend quatre ans, mais pour Jambert, ce n’est pas suffisant. Il poursuit ses investigations et c’est ainsi qu’il découvre que sept jeunes filles handicapées, âgées de 16 à 22 ans,  ont disparu depuis 1977. Et, chose incroyable, la justice comme l’administration ont estimé qu’il s’agissait de simples fugues…

Christian Jambert est convaincu d’avoir mis la main sur un tueur en série, un pervers, une sorte d’assassin érotomane. Mais la justice ne suit pas. Pourtant, son rapport de synthèse est accablant, et il est corroboré par l’audition de onze témoins, dont Simone Delagneau, l’ex-épouse du suspect. Ce document ne sera même pas enregistré officiellement. On le retrouvera presque par hasard, vingt ans plus tard, dans les archives du palais de justice.

Il faudra attendre 1996 pour que l’enquête démarre réellement. Grâce à la télévision. Dans son émission Perdu de vue, Jacques Pradel lance un appel à témoin, et un ancien collègue d’Emile Louis se manifeste : Il l’a aperçu alors qu’il creusait un trou, de la taille d’une tombe, en 1981.

C’est le début de l’affaire des disparues de l’Yonne.

Au mois de mars 2004, Émile Louis est condamné à emile_louis_scenedecrime.1289984170.jpgvingt de réclusion criminelle par la cour d’assises du Var pour viols et agressions sexuelles aggravées d’actes de barbarie contre sa seconde épouse et sa belle-fille.

Le 25 novembre 2004, c’est l’épilogue de l’affaire des disparues de l’Yonne. Émile Louis est reconnu coupable de l’assassinat des sept jeunes handicapées. Il est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d’une peine incompressible de 18 ans.

2004 ! C’est justement l’année où le parquet d’Auxerre a ouvert une information judiciaire sur la mort de Christian Jambert. Car le médecin légiste qui a pratiqué l’autopsie (effectuée sept ans après sa mort) a estimé que le suicide était peu probable. Par la suite, deux autres rapports d’autopsie seront nettement plus nuancés, avançant que l’hypothèse du suicide était vraisemblable.

C’est donc aujourd’hui l’avis du procureur. Il estime que « l’enquête n’a pas permis de caractériser des éléments constitutifs d’un crime ».  Car, les experts ont estimé que le fusil .22 LR, modifié pour pouvoir tirer en rafales, pouvait avoir lâché deux projectiles avec une seule pression du doigt sur la détente (alors que la première autopsie relève une entrée de balle dans la bouche et l’autre dans la tempe). Et le procureur prend bien soin de mentionner que toutes les pistes ont été suivies. Même les plus extravagantes (citées par une agence de presse) : « Réseau de prostitution, réseau pédophile, menaces islamistes, trafic d’armes dans un centre d’instruction de la gendarmerie, la piste Émile Louis, ou encore le suicide de Pierre Bérégovoy ».

Je ne sais pas si le juge d’instruction va décider de suivre ou non les réquisitions du parquet, mais une chose est sûre, ce gendarme a montré des qualités d’enquêteur hors du commun. Pendant des années, il a été le seul à détenir la vérité, et personne ne l’a écouté. Je crois qu’on peut lui donner un coup de chapeau.

La sécurité est-elle un enjeu pour 2012 ?

La composition du nouveau gouvernement Fillon n’apporte guère d’éléments pour déchiffrer ce que pourrait être la politique de demain en matière de sécurité. Place Beauvau, rien ne change. En revanche, la nomination de Michel Mercier au schtroupf-violoniste_site_klariscope.JPGministère de la Justice est une surprise. On pouvait s’attendre en effet à un garde des Sceaux fort, capable de calmer les esprits dans les rangs des magistrats et suffisamment disponible pour traiter les dossiers en souffrance, comme la réforme de la garde à vue, celle de la procédure pénale ou les problèmes de l’administration pénitentiaire. Au lieu de cela, Michel Mercier s’annonce comme un garde des Sceaux à mi-temps, puisqu’il semble acquis qu’il ne compte pas démissionner de la présidence du conseil général du Rhône, poste qu’il occupe depuis 21 ans – surtout à quelques mois d’élections cantonales importantes (avant l’arrivée des conseillers territoriaux, en 2014).

De plus, alors qu’il était le mandataire financier de la campagne présidentielle de François Bayrou, il est apparu en filigrane dans une enquête de la brigade financière sur l’attribution de marchés concernant le tramway Rhônexpress, une filiale du groupe Vinci, qui relie la gare de la Part-Dieu à michel-mercier_lyon-capitale.jpgl’aéroport Saint-Exupéry. Ce tram-train est l’une des navettes les plus chères du monde pour les usagers (derrière Londres et Rome). Or, pour LyonCapitale, Vinci n’a rien eu à débourser pour exploiter cette ligne, puisque son investissement lui sera intégralement remboursé en 30 ans (avec les intérêts) par le Conseil général. Bon, mais il ne faut pas voir le mal partout : le parquet vient de classer le dossier.

En cette longue période pré-électorale, la sécurité va-t-elle revenir sur le devant de la scène ou au contraire passer en pertes et profits ? Il faut dire que si Nicolas Sarkozy en a fait sa chose personnelle depuis maintenant huit ans, le bilan n’est pas fameux. Et bizarrement, c’est peut-être un angle d’attaque intéressant pour l’opposition.

Lors de leur congrès d’été, les écolos se sont penchés sur le sujet. Des balbutiements. Mais avec Eva Joly comme probable tête d’affiche, le mouvement Europe Ecologie-Les Verts pourrait être crédible dans ce domaine. Une carte à jouer.

Mais, bien sûr, ceux qu’on attend surtout, ce sont les socialistes. Car depuis les années Mitterrand, ils traînent une casserole. Au point que certains aujourd’hui en font des tonnes – du moins dans leurs déclarations. Car à en croire Marianne2, les propositions soumises à la sagacité de Martine Aubry sont au contraire d’une banalité affligeante : Accroître la présence des gendarmes et des policiers dans la rue… Revenir sur des milliers d’emplois supprimés… Redonner toute sa place à l’esprit de responsabilité… Définir des « zones de sécurité prioritaires »…. Déployer, dans ces zones, une « police des quartiers » [qui] aura pour mission de témoigner de l’engagement durable de l’État, de restaurer un climat de confiance avec la population et d’appuyer l’action quotidienne des différents services publics en reprenant la philosophie de la doctrine de la « police de proximité ». Etc.

Que de phrases creuses ! Ces gens qui aspirent au pouvoir devraient lire l’opinion de Stéphane Liévin*, brigadier-chef, OPJ et syndicaliste. Je crois que cela éclairerait leur lanterne.

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Enfin, c’est simple : pour faire des propositions de terrain, il faut demander l’avis des gens de terrain. Des policiers et des gendarmes au quotidien. Des gens qui aiment leur métier et qui réfléchissent utilement à la possibilité de le faire évoluer. Quant aux politiciens, qu’ils se réservent les grands principes, qu’ils nous disent par exemple ce qu’ils pensent du rattachement de la gendarmerie au ministère de l’Intérieur. Faut-il aller plus loin ou revenir en arrière ? Et la DCRI ! Faut-il la conserver ou recréer les RG et la DST ? Et la vidéosurveillance, les polices municipales, le surpeuplement des prisons, la sécurité privée, la réforme de la garde à vue, l’aide juridictionnelle…

En fait, on voudrait bien que ces gens qui louchent sur notre bulletin de vote, arrêtent de nous parler comme si on était des analphabètes et qu’ils nous accordent un peu de considération.

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*Entretien entre Stéphane Liévin, représentant du personnel du syndicat Unité-SGP Police, et Laurent Mucchielli, directeur de recherches au CNRS. On peut le trouver ici.

Une seule balle pour le parrain québécois

Il avait 86 ans. Nicolo Rizzuto, dit Nick, ou encore Le Vieux, a été abattu mercredi 10 novembre, dans sa somptueuse demeure de Cartierville, à Montréal. Il se trouvait dans sa cuisine lorsqu’il a été atteint d’une balle dans la tête, une seule, tirée depuis le bois situé à l’arrière de sa maison. Un petit trou dans la vitre, et c’est tout. Constatations confirmées par le résultat de l’autopsie.

Qui était donc ce vieux bonhomme ?impact-de-balle_illustration-france-soir.jpg

Né en Sicile, il émigre au Canada en 1954. Rapidement, il se lie à des mafieux italiens, notamment calabrais, les Cotroni, qui tiennent le haut du pavé à Montréal. Il fera aussi alliance avec les Bonanno, l’une des cinq familles de la Cosa Nostra de New-York.

À cette époque, le clan Bonanno tient une place prépondérante dans  le trafic de stupéfiants aux États-Unis. Montréal étant considéré alors comme la base arrière du réseau. L’héroïne vient des laboratoires du sud de la France, jusqu’au jour où les Américains se fâchent. En 1971, Nixon tape du poing sur la table, et c’est le démantèlement de  la French Connection – aussitôt remplacée par la Pizza Connection.

Mais dans les années 76-81, une guerre éclate entre les trois familles. Une vingtaine de morts, tant au Québec qu’en Italie. Finalement, Nick Rizzuto, ce petit homme que l’on dit illettré, remporte la victoire (ou du moins la première manche). Il a gagné sa place au soleil et devient le parrain incontesté de la mafia de Montréal.

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Nick a trempé dans le scandale du village olympique de Montréal, pour les Jeux de 1976, et il a forcément croisé le chemin d’un truand français qui, lui aussi, avait mouillé sa chemise pour ce projet juteux : Gilbert Zemour. Mais celui-ci ne devait pas être de taille, car, bien vite, il est rentré au pays. « L’exportation » de la famille Zemour n’a pas fonctionné. Concurrence trop dure, sans doute.

En fait, depuis longtemps, c’est le fils, Vito Rizzuto, qui a pris les commandes. Pour l’heure, il purge une peine de prison aux Etats-Unis pour avoir occis trois membres de la famille Bonanno. Sans doute le chapitre final de la guéguerre des années quatre-vingt. En réalité,  il n’a été arrêté qu’en 2004, perdant du coup son surnom de Teflon Don (on n’avait jamais réussi à lui « coller » une affaire sur le dos auparavant). Du fond de sa cellule, on dit qu’il n’en continue pas moins à diriger son commerce. Tel ce fumeux projet d’investissement pour la construction du pont de Messine. Le pont de la mafia, comme on dit en Italie. Un moyen inespéré de recycler des centaines de millions de narcodollars. D’après des écoutes téléphoniques effectuées en 2005, la famille aurait été prête à investir cinq milliards d’euros dans ce projet. Soit la quasi-totalité du montant des travaux. En fait, personne ne connaît le montant de la fortune de Rizzuto. L’année dernière, par exemple, il a fait l’objet d’un redressement fiscal pour avoir négligé de déclarer l’équivalent d’environ quatre millions d’euros, une somme qui représenterait « seulement » les intérêts perçus sur un compte en Suisse…

En 2004-2005, une opération de grande envergure a été lancée au Canada, aux Etats-Unis, en Italie, en Suisse, en France…, pour démanteler un réseau de blanchiment d’argent. Une enquête difficile, pour arriver, en 2007, à des dizaines d’interpellations dans ces différents pays. En fait, on comprend bien qu’aujourd’hui, le principal souci de la mafia est de réinsérer l’argent du crime et de la drogue dans les circuits traditionnels. Ce qui devient de plus en plus difficile. Cela nécessite une organisation internationale et des contacts à tous les niveaux, tant dans le monde des affaires que de la politique. En Italie, lors de cette enquête, on aurait frôlé le pouvoir en place… Dans ce bizness, il semble bien que le clan Rizzuto soit tête de liste.

On ne vit pas vieux chez les Rizzuto. Le patriarche est une exception. Ainsi son gendre, Paolo Renda a été enlevé… On ne l’a jamais revu. L’un de ses lieutenants, Agostino Cuntrera, pressenti pour prendre du galon, a été assassiné. C’est tellement chaud dans la « famille » que, lors d’une arrestation, les policiers ont eu la surprise de constater que plusieurs de ses membres portaient un gilet pare-balles, sous le costard. Ce qui ne devait pas être le cas de son petit-fils. L’insouciance de la jeunesse (42 ans)…  Il a été joseph-ducarme_ctv-montreal.JPGtué en décembre dernier. Plusieurs balles, en pleine rue. Le suspect, dont on sait juste qu’il est noir, n’a pas été identifié. Du moins pour la police. Car, trois mois plus tard, une fusillade, rue Saint-Jacques, à Montréal, avait pour cible un certain Joseph Ducarme, que l’on présente comme l’ancien chef de l’ancien gang des 67. Un gang de rue. Il s’en est tiré sans bobo, mais il y a eu deux morts. Dans son camp, d’autres n’ont pas eu sa chance. Plusieurs sont décédés de mort violente et un autre circule en fauteuil roulant.

En fait, les autorités locales semblent compter les coups. Une guerre a débuté, mais il reste encore des doutes sur l’identité du véritable adversaire, le challenger de la Rizzuto and son. Car ce gang de rue ne serait que la partie visible de l’iceberg. Une autre famille pourrait bien être à l’affût, planquée derrière la glace : celle des Calabrais. Ils ont une revanche à prendre.

En attendant, le clan des Siciliens contre un gang de rue, ça parle au diable, comme disent nos cousins québécois.

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Alors que ce blog était en panne, une première version de ce billet a été publiée sur Le Monde.fr, dans la rubrique internationale. Cette seconde mouture a été mise à jour en fonction des derniers éléments connus. (Et j’ai enlevé la virgule de trop …smiley.png)

« Commissariat » : un film dérangeant

Lorsqu’on parle de la police, c’est souvent pour la blâmer et parfois, mais plus rarement, pour saluer une réussite : l’arrestation d’un assassin, le sauvetage d’un enfant… Mais qui connaît la vie de son commissariat ? C’est toujours avec une certaine appréhension que l’on pousse la porte… Un univers différent, un endroit qui a sa propre vie, ses propres règles. Et on est bien content d’en sortir.

en-cellule.jpgC’est donc sans grande conviction, que je suis allé voir Commissariat, le film de Ilan Klipper et Virgil Vernier*. En traînant les pieds.  Avec en plus la crainte de m’enquiquiner pendant une heure et demie.

J’avais tort. Je suis resté scotché à mon siège avec parfois la larme à l’œil. L’affiche souligne qu’il s’agit d’un film d’amour, mais c’est la détresse qui domine. La misère au quotidien. Et de la compassion, autant pour ces jeunes flics qui se cherchent que pour leurs « clients ».

Un film tout simple. Des séquences mises bout à bout. Et bizarrement, on n’en sort pas indemne. Encore maintenant, les images me tournent dans la tête.

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Sûr, on est loin d’une série télé ! Ici, les « criminels » sont des anthunes.jpggens ordinaires. Comme cet alcoolique qui s’est fait plus ou moins bastonner par ses voisins, sans doute lassés d’entendre ses vociférations. Et c’est sans pudeur, comme à un psy, qu’il se confie à l’officier de police qui l’a mis en garde à vue. « Je ne fais de mal à personne, dit-il en résumé, de temps en temps, je bois un coup, ou je fume un joint, ou les deux. » Il est touchant. Il a le même regard que Houellebecq et il parle comme Modiano. Ou le contraire, c’est selon.

samantha3.jpgEt cette jeune femme, Samantha, avec sa beauté toute simple, soulignée, comme une provocation, par une méchante cicatrice au menton. Il y a tant de vie passée, tant de tristesse dans son regard…

Quant aux policiers, surtout les plus jeunes, on les sent aussi perdus que les autres. Déracinés, loin de chez eux, affectés dans une ville qu’ils ne connaissent pas, avec l’impression qu’ils portent un uniforme trop grand pour eux. Ils ne sont pas encore flics et ils ne sont plus tout à fait pas flics.

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Ils supportent mal d’être marginalisés, de ne pas être aimés. Aussi, lorsqu’ils sauvent un enfant des flammes, un jeune Marocain, c’est comme une réconciliation. « Peut-être, maintenant, vont-ils nous voir autrement… ». L’image de la fliquette qui danse de joie devant l’immeuble en feu s’affiche comme un symbole. « Le plus beau moment de ma vie », dira-t-elle plus tard.

Mais si le commissariat est un lieu de vie, c’est plutôt de la vie des autres dont il est rempli. Des histoires qui passent, un procès-verbal plus long que nécessaire, un peu d’écoute, des conseils… puis le boulot qui reprend le dessus : « Allez, signe là ! » affiche-film-commissariat.jpg

Et le film se termine par une sorte de parabole, un gros plan sur l’employé qui nettoie les geôles de garde à vue – au karcher, car le commissaire trouve que ça décape mieux.

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*Le film a été tourné au commissariat d’Elbeuf. Il sort le 10 novembre, dans une dizaine de salles (dossier de presse et extraits ici).

DCRI : Police politique ?

Pour un simple article publié dans un journal satirique, la délégation parlementaire au renseignement change son ordre du jour et auditionne deux responsables de la police nationale. Comme ses travaux sont placés sous le sceau du secret, le débat est à huis clos. Décidément, le secret-défense, c’est un peu comme une porte qu’on nous claque au nez…

jack-palmer-filature-par-petillon.jpgSurveillance des journalistes d’investigation, vols mystérieux à leur détriment, et maintenant les révélations du Canard enchaîné qui accusent  Nicolas Sarkozy d’avoir créé un faramineux cabinet noir. Un truc d’une telle envergure, que même François Mitterrand, dans ses rêves les plus paranoïaques, n’aurait jamais imaginé… Le Président de gauche disait : « Il n’y a pas de services d’écoutes à l’Élysée ». Le Président de droite, lui, préfère dire que cela ne le concerne pas.

Aussi, lorsque le ministre de l’Intérieur déclare : « Il n’y a pas de police politique dans notre pays », faut-il le croire ?

La DCRI (direction centrale du renseignement intérieur) : police politique au profit d’un homme et d’un parti – ou police républicaine au service de la France ?

Pour les spécialistes, une question s’est posée en 2008, lors de sa création : Est-il opportun de dissoudre deux services qui ont fait leurs preuves, les Renseignements Généraux et la Surveillance du Territoire, pour en faire une direction unique ?

Les RG sont nés en 1907. Ils pratiquaient ce qu’il est convenu d’appeler le renseignement ouvert. Et même si ce service traînait quelques casseroles célèbres, comme l’affaire du pasteur Doucé*, tout le monde reconnaît qu’il fonctionnait plutôt bien. Et ce ne sont pas les préfets (du moins s’ils avaient le droit de s’exprimer), qui diront le contraire. Bon nombre regrettent ces RG qui les informaient au jour le jour sur la vie de leur département, une sorte de baromètre qui permettait, parfois, de régler les problèmes avant qu’ils ne prennent de l’ampleur. Mais la prévoyance, tout comme la prévention, n’est plus de mise.

La DST est plus récente. Après la guerre, elle a succédé au « Contrôle général de la surveillance du territoire », créé en juin 1934, sans doute pour faire face aux premières gesticulations du petit bonhomme moustachu qui venait de prendre le pouvoir en Allemagne. Sa mission essentielle était de « lutter contre les activités d’espionnage et d’ingérence » sur le sol français. À la différence des RG, la DST était un service de police judiciaire compétent sur l’ensemble du territoire. Elle traînait également quelques casseroles, dont la plus connue reste la pose de micros dans les bureaux du Canard enchaîné. D’ailleurs, Claude Angeli, le rédacteur en chef de cet hebdomadaire, celui-là même qui vient de signer de graves accusations contre le Président,  a fait apposer une plaque commémorative dans son bureau, juste au-dessus du trou par lequel les « plombiers » envisageaient de faire passer les fils des micros.

Si l’on veut définir une police politique, il faut conjuguer deux critères : renseignement et répression.

Les RG à l’ancienne faisaient indéniablement du renseignement politique et social, mais n’avaient pas de pouvoirs de police judiciaire, sauf exception. La DST, elle, avait un véritable pouvoir répressif, mais ne faisait pas – en principe – de renseignement sur la politique interne du pays. Son objectif premier était le contre-espionnage. On peut dire, toutefois, que les événements de Mai-68 ont marqué un tournant. Plus tard, la lutte contre le terrorisme a changé la donne. Et il faut bien reconnaître que RG, DST et PJ se sont souvent marché sur les pieds, parfois au détriment de leur efficacité.

Cette concurrence peut-elle justifier la création de la DCRI ?

D’une certaine manière oui. Mais il ne s’agit en fait que de l’aspect visible d’un plan d’ensemble voulu par le président Sarkozy pour remanier en profondeur tout ce qui vise en France au renseignement et à la sécurité nationale.

On peut classer les services de renseignement en fonction de leur ministre de tutelle.

Pour l’Intérieur : La DCRI et la direction du renseignement de la préfecture de police de Paris (DRPP), dont on entend rarement parler.

Pour la Défense : La DGSE (direction générale de la sécurité extérieure), la DRM (direction du renseignement militaire) et la DPSD (direction de la protection et de la sécurité de la défense).

Pour les Finances : La DNRED (direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières) et la cellule de renseignement financier, Tracfin.

Il s’agit là des services officiels. Existe-t-il d’autres structures plus secrètes ? Je ne sais pas.

L’intégration de la gendarmerie nationale dans le giron du ministère de l’Intérieur fait sans doute partie de ce raz-de-marée invisible qui a secoué depuis deux ans le petit monde de l’ombre.

Et, bien sûr, tout remonte à l’Élysée, via le coordinateur national du renseignement, Bernard Bajolet qui, à la tête d’une structure d’une petite vingtaine de personnes, est chargé de veiller à la bonne coopération des services spécialisés. Dans les faits, il conseille le Président, répercute ses instructions et chaque chef de service est tenu de lui rendre compte de son activité. C’est donc the big boss du renseignement.

L’objectif de cette nouvelle organisation, comme il est dit dans un décret de décembre 2009, est de créer une véritable communauté française du renseignement.

Je ne suis pas qualifié pour juger de l’efficacité du système. En revanche, comme tout citoyen, j’ai le droit de m’interroger sur le risque de dérives éventuelles…

Heureusement, et c’est un petit ouf de soulagement pour la démocratie, il a été créé une « délégation parlementaire au renseignement » constituée de sénateurs et de députés, spécialement habilités pour pouvoir traiter d’informations classifiées.

Ce sont eux qui ont entendu – à huis clos – le patron de la police et celui de la DCRI. À l’origine, ils devaient se contenter d’établir des rapports confidentiels au profit du Premier ministre et du Président. Mais certains parlementaires ont estimé que c’était un peu court. Il a donc été admis que cette délégation rédigerait un rapport annuel public sur son activité.

Les lecteurs de John le Carré le savent bien, dès qu’on touche aux services secrets, cela devient d’un compliqué… Même Brice Hortefeux semble s’y perdre, lorsqu’il dit que la DCRI est là pour arrêter des terroristes. Car il ne s’agit que de l’une de ses missions, et parmi les autres, il y a, évidemment, celles qui étaient antérieurement réservées aux RG. Sauf qu’à présent, on ne peut rien en connaître.

Car dans ce service polyvalent où se traitent des affaires secrètes et d’autres qui ne devraient pas être secrètes, comment s’y retrouver ? On est bien obligés de se poser des questions… Qu’est-ce qui se trame, à l’abri des regards curieux,  derrière les murs de ce bâtiment de Levallois dont les portes sont fermées même à la justice et dont l’activité de ses agents reste un mystère pour le commun des mortels ?

On saura bien un jour si l’on avait raison de s’inquiéter… Peut-être, comme pour la cellule élyséenne de Mitterrand, devant des juges – du moins si la justice a survécu au vent des réformes.

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*Joseph Doucé était le fondateur d’un espace d’accueil pour certaines minorités sexuelles. Il a été enlevé, en juillet 1990, alors qu’il était sous l’étroite surveillance du groupe des enquêtes réservées des RG de la préfecture de police. Son corps a été retrouvé en forêt de Rambouillet. Plusieurs policiers ont été mis en cause dans cette affaire qui, à l’époque, avait fait grand bruit. Il y a environ trois ans, je crois qu’un non-lieu général a été délivré par le juge d’instruction. On ne saura jamais qui a tué le pasteur.

Garde à vue : l’illusion d’une diminution

Le premier objectif du projet de loi sur la réforme de la garde à vue est d’en réduire le nombre. Tel qu’il est présenté, ce texte atteindra-t-il son but ? Rien n’est moins sûr.

Tout est parti d’une idée simpliste : on remplace une mesure contraignante par une mesure logo-projet-loi-gav..JPGlibrement acceptée. C’est ainsi qu’est née « l’audition libre du suspect ». Par principe, elle est destinée à se substituer à la garde à vue (qui deviendrait donc l’exception), sauf  lorsqu’il existe un mandat de recherche ou si la personne visée se trouve dans un local de police ou de gendarmerie contre son gré.

Il est attendu de cette réforme une baisse importante du nombre de gardes à vue, environ 300.000  en moins, dont 140.000 pour les seuls délits routiers.

Si pour les infractions liées à la circulation routière, le chiffre est réaliste, pour le reste, certains policiers sont dubitatifs.

Il faut savoir d’abord que l’audition libre existe déjà dans les faits. Car, même si l’on trouve le nombre de gardes à vue trop élevé, curieusement, il est deux fois moins important que le nombre de personnes mises en cause pour crimes ou délits : 580.000  gardes à vue (hors délits routiers) en 2009, pour 1.2 million de personnes impliquées. Si l’on se contente d’aligner des chiffres, on peut donc en déduire qu’environ 600.000 « mis en cause » n’ont pas fait l’objet d’un placement en garde à vue. Un sur deux.

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En effet, pour les délits punis d’une peine d’amende ou pour les contraventions, dans la pratique, les OPJ n’utilisent jamais la garde à vue. Alors, que le projet limite ou non la mesure aux crimes ou aux délits punis d’une peine d’emprisonnement, cela ne change rien à l’affaire. Impact nul.

C’est uniquement lorsque le suspect suit le policier ou le gendarme de son plein gré, ou lorsqu’il défère à une convocation, que  l’audition libre trouve son plein emploi. Ce qui peut être interprété comme l’obligation, a contrario, de placer en garde à vue toute personne qui se trouve « sous main de police » à la suite d’une interpellation. Alors qu’aujourd’hui la décision est à l’initiative de l’OPJ.

Prenons l’exemple d’une bagarre. Les policiers arrivent et embarquent tout le monde : auteurs, victimes et témoins. Une fois au commissariat, on s’explique et l’OPJ ne va placer en garde à vue que les suspects sérieux, et parfois, personne, s’il n’y a pas de blessés.

Il reste donc au législateur à faire la différence entre une invitation, une interpellation et une arrestation, sinon, on risque de voir grimper sérieusement le nombre de gardes à vue…

Très franchement, à ce stade du projet de loi, je n’ai pas tout compris. Comment, les chose vont-elles s’articuler… Car si l’audition se fait « librement », c’est-à-dire sans la présence d’un avocat, que se passe-t-il le reste du temps ? La personne concernée est-elle libre de ses mouvements ? Est-elle placée en cellule ou lui demande-t-on d’attendre dans le hall d’entrée ? Peut-on lui imposer les opérations de signalisation (photo, empreintes…) destinées à alimenter les fichiers ? Etc.
Et si la personne venue de son plein gré décide de s’en aller… L’OPJ devra-t-il  la laisser partir ou la placer en garde à vue ?

On imagine le dialogue dans un polar : « Vous pouvez partir, mais si vous partez, je vous arrête… »

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En plus, même si toutes les conditions sont remplies pour procéder à une audition libre, qui peut se prononcer sur le comportement de l’intéressé lorsque l’OPJ lui exposera les faits dont on le soupçonne ? Donnera-t-il son accord pour être privé de ses droits, et notamment de la présence d’un avocat ? Aujourd’hui, nul ne peut répondre à cette question. Car cela va dépendre en grande partie de la manière dont l’OPJ va présenter la chose.  Une sorte de négociation pour obtenir – avant chaque audition – l’accord du suspect.

C’est pas gagné.

D’autant que les syndicats de police n’ont pas vraiment été consultés sur cette réforme, ce qu’ils apprécient moyennement, et que beaucoup  sont plutôt contre. Ils pourraient bien donner pour consigne à leurs adhérents de montrer leur désaccord en appliquant le texte à la lettre. Une sorte de grève du zèle.

Il n’est donc pas impossible que l’on assiste à une baisse du nombre de gardes à vue pour les délits routiers et, qu’au contraire, elles augmentent significativement pour les autres délits, surtout les plus petits, donc les plus fréquents.

Et pour continuer à parler chiffres, mais cette fois en euros, avec cette réforme, le montant de l’aide juridictionnelle, qui a été d’environ 15.5 M€ pour l’année 2009, devrait être multiplié par 3, 4 ou 5. L’enjeu est donc aussi financier, car si les objectifs  de baisse ne sont pas atteints, le budget risque d’exploser…

Quant au ministre de l’Intérieur, il devra débourser 74.8 M€ pour l’équipement et la transformation des locaux. Aucune création de postes n’est toutefois envisagée.

Alors, que faut-il penser de tout ça ? Pour beaucoup, il s’agit d’une réformette bâtie en catastrophe pour se conformer aux recommandations du Conseil constitutionnel. Elle ne tient compte ni des arrêts de la Cour de cassation ni des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Et dans son volet « droit de la défense » (qui n’a pas été abordé ici), on est loin du compte. Mais il s’agit probablement d’une première étape. La suite viendra plus tard, lorsque la nouvelle procédure pénale verra le jour. Et il est probable aussi que ce jour-là, il y aura d’autres noms en bas du texte de loi.

Suicides en prison : des chiffres désespérants

Une Italienne s’adresse à Carla Bruni. Je suis la mère du garçon italien qui est mort dans la prison de Grasse, écrit-elle. Elle se plaint de mauvais traitements qui auraient conduit son fils au suicide ; elle se plaint de ne pas avoir été autorisée à voir le corps de son enfant, à l’hôpital Pasteur, à Nice ; elle se plaint de l’état dans lequel sa dépouille lui a été restituée, des semaines plus tard, affreusement mutilée et en état de décomposition*.

Ce sprison_blog-de-gilbertlecamfr.jpguicide, comme celui de ce jeune homme de 23 ans qui s’est pendu dans sa cellule à Fresnes, et qui vient de mourir ; ou ces quatre autres (dont deux jeunes de 17 ans), il y a trois semaines… Autant de morts qui nous rappellent que la France détient un triste record d’Europe : c’est dans nos prisons qu’il y a le plus de suicides.

Le ratio moyen de suicide dans notre pays est d’environ 1.7 pour dix mille habitants. Pour France Télécom, il n’est guère plus élevé, sauf que la cadence s’est accélérée ces derniers mois, et qu’on en a beaucoup parlé. Au point de voir le ministre du Travail intervenir dans le management des entreprises.

Mais il a oublié de balayer devant la porte des ministères. Dans la police, par exemple, on estime le nombre de suicides à 3.7 pour dix mille. Et je n’ai pas entendu parler d’un plan de réorganisuicides_police_snop.1288433616.JPGsation ou d’une remise en cause du management de la police. Au contraire, la pression est de plus en plus forte.

Dans les prisons, c’est bien pire. 115 suicides en 2009. La moyenne de ces dernières années est de 20 suicides pour dix mille détenus. Environ un suicide tous les trois jours. Cela est-il dû à la surpopulation ? Le taux de remplissage serait d’environ 140% dans les maisons d’arrêt, là où sont incarcérées notamment les personnes en attente de jugement. Certains établissements tournant même, paraît-il, autour de 200%. Mais pour l’INED (Institut national d’études démographiques), cela n’a rien à voir : « Contrairement aux idées reçues,suicides-prison-oct10.1288433683.JPG la surpopulation carcérale et le suicide n’évoluent pas de façon parallèle. […] Alors que le taux d’occupation des établissements pénitentiaires diminue au début des années 1990, le taux de suicide augmente. Et lorsque le taux d’occupation augmente à partir de 2002, celui du suicide a tendance à diminuer. […] La moitié des suicidés étaient seuls en cellule ».

Ce qu’on peut faire dire aux chiffres, quand même !

Dans son rapport, le contrôleur général des prisons, M. Jean-Marie Delarue, demande plus simplement une humanisation des conditions de détention. Tandis que pour faire face au manque de personnel et de places, on s’oriente tout au contraire vers la robotisation. Comme la reconnaissance biométrique, via le fichier BIOAP (décret du 7 juin 2010 sur Lexinter.net). À chaque déplacement, les détenus devront appliquer leur index sur une borne qui vérifiera leur identité. Sans parler de l’omniprésence des caméras de surveillance…

Il faut dire que, du fait du surpeuplement, les risques d’évasion augmentent. Vingt-et-une, en 2009.

Alors, quelles sont les mesures prises pour faire baisser le taux de suicides dans les prisons ?

On a généralisé le « kit de protection d’urgence » (drap et couverture indéchirables, pyjama en papier et matelas ininflammable) et, peu à peu, on installe des cellules lisses (rien pour se pendre). Enfin, pour aller plus loin, depuis le mois de juin, on teste le « codétenu de soutien ». Le taulard référent, en quelque sorte. Un détenu volontaire formé en trois ou quatre jours par la Croix Rouge pour se porter à l’écoute de ses compagnons de captivité. Dans le milieu médical ça renâcle ferme ! Partant du principe qu’un détenu « à risque suicidaire majeur » doit être pris en charge en milieu hospitalier. D’autant que la motivation de ces « psychologues d’occasion » pourrait être liée à quelques avantages (cellule individuelle, télévision gratuite, remises de peines, etc.) qui les éloignent d’une mission bénévole. Et les plus sincères, comment vont-ils réagir face à un échec si celui qui les a pris pour confident se donne la mort ! Cela doit déjà être difficile pour un professionnel, alors pour un amateur…

Ce concept fait partie des recommandations proposées dans le rapport du docteur Louis Albrand sur « la Prévention du suicide en milieu carcéral » déposé en janvier 2009. Il semblerait que dans ce rapport on ait censuré tout ce qui dérangeait pour ne conserver que cette idée. Laquelle présente du moins l’avantage de rien coûter.

En fait, sans l’avouer, au ministère de la Justice on sait bien que le problème est insoluble : surpopulation et manque de crédit. Alors on diminue le prix de l’abonnement télé, tout en sachant bien que l’idée la plus simple, mais politiquement incorrect, serait de vider les prisons. Mais on y vient peu à peu. Une proposition de loi a été déposée en juillet 2010 pour instaurer un « mécanisme de prévention de la surpopulation pénitentiaire ».

Pour l’instant, on  libère les détenus avant la fin de leur peine, non pas pour faire de la place, mais pour faciliter leur réinsertion – évidemment ! La grâce électronique est née. Ce que Le Canard enchaîné a appelé, méchamment, « la grâce honteuse de Sarko ».

C’est en fait le seul moyen rapide pour faire face au gonflement des sanctions pénales et à l’instauration des peines-planchers. Car les chiffres font mal.

Aujourd’hui, environ 234 000 personnes sont placées sous main de Justice, mais plus des deux tiers sont suivies en milieu ouvert et font l’objet de mesures alternatives à l’incarcération. Et malgré tout, les prisons craquent. 71 000 détenus d’ici deux ans et 80 000 prévus en 2017. Alors, les taulards aussi craquent. Et sans même parler de l’Europe, les tribunaux administratifs français condamnent la France et indemnisent des prisonniers, en raison des conditions inhumaines de leur détention.

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On peut lire, sur le site de l’Assemblée nationale, la proposition de loi déposée par Dominique Raimbourg et Jean-Marc Ayrault – l’article de Pierre Jourdin, juge d’application des peines, sur Ceras – la chronique lacanienne du psychologue Stéphane Lagana sur Ecole de la cause freudienne.
* Sur ce blog, L’autopsie, « dans le respect dû au mort ».

Épidémie de cambriolages dans la presse

Ces étranges cambriolages qui touchent des journalistes sont-ils le fait d’une coïncidence ou dévoilent-ils les agissements de sombres barbouzes ?

Les favoleur_ozepicesch.jpgits (du moins tels qu’ils sont connus) :

–      Vol d’un disque dur et de deux cédéroms au siège de Médiapart ;

–      Vol d’un ordinateur portable au Point ;

–      Vol, à son domicile, de l’ordinateur et du GPS d’un journaliste d’investigation du Monde.

Et comme ces médias ont fortement contribué aux révélations concernant l’affaire Woerth-Bettencourt, le compte est bon. Mais quel serait l’intérêt de se livrer à de tels larcins, alors qu’on peut imaginer des moyens plus sophistiqués pour accéder aux données privées de ces journalistes ? Ce n’est pas si simple. Recopier un disque dur, par exemple, demande du temps, et pas question, sur place, de pouvoir le scanner à fond pour récupérer les données effacées – peut-être les plus importantes pour un « espion ». Gérard Davet, du Monde, rechigne quant à lui à envisager une sorte de complot contre la presse. La crainte, peut-être, de tomber dans la paranoïa… Le mal est fait. Je pense qu’aujourd’hui, les journalistes doivent regarder leur ordinateur ou leur téléphone portable avec un œil différent… À quand des séminaires de sécurité pour les professionnels de l’info* ?

Pourtant, ces méthodes ne sont pas nouvelles. Elles ont existé par le passé. Au sein de ses services techniques, la DST abritait autrefois quelques spécialistes des coups tordus. Comme le groupe Fontaine, pour les opérations « serrurerie », le groupe Sonar, pour la pose des micros, etc. Les plombiers, comme les avait baptisés Le Canard enchaîné, après avoir surpris d’étranges individus en train de poser des micros dans leurs bureaux.  L’existence de ces équipes, spécialisées dans des actions complètement illégales, se justifiait évidemment par les missions liées à la sécurité du territoire et au contre-espionnage. Mais lorsque l’outil existe…

Ainsi, parallèlement à l’enquête judiciaire sur l’assassinat de Markovic*, en 1968, et alors que des photos scabreuses circulaient sur l’épouse de Georges Pompidou, candidat désigné à la succession de Charles de Gaulle, on n’a pas hésité à utiliser les connaissances des techniciens de la DST pour savoir qui tentait de déstabiliser le gouvernement en place.

Mais cela est-il envisageable aujourd’hui ? Une chose est sûre : les services compétents existent. D’ailleurs, il le faut bien, puisque la loi autorise, sous certaines conditions, « à mettre en place un dispositif technique ayant pour objet, sans le consentement des intéressés, la captation, la fixation, la transmission et l’enregistrement de paroles prononcées par une ou plusieurs personnes à titre privé ou confidentiel, dans des lieux ou véhicules privés ou publics, ou de l’image d’une ou plusieurs personnes se trouvant dans un lieu privé ». C’est l’article 706-96 du code de procédure pénale.

En clair, cela veut dire que des policiers sont autorisés à forcer votre porte, mais sans effraction, ce qui nécessite, vous en conviendrez, de sérieuses compétences. Le patron du groupe Fontaine avait l’habitude de dire que le plus dur n’était pas d’entrer, mais de refermer la porte derrière soi – sans laisser de traces.

Vous me direz, oui, mais cela ne vise que des affaires de terrorisme ! Euh… pas tout à fait. En réalité, la liste des infractions est plutôt longuette. On trouve, pêle-mêle, le trafic de stups, le proxénétisme, le vol, l’extorsion de fonds, la dégradation et la détérioration de biens, etc., à partir du moment où ces infractions sont le fait de bandes organisées. On y trouve  même le simple fait de ne pas justifier des ressources en rapport avec le train de vie. Il ne s’agit donc pas d’opérations exceptionnelles.

Alors, je ne sais pas qui sont les auteurs de ces cambriolages au détriment des gens de la presse, mais, et c’est presque machinal, on en vient à suspecter la DCRI ou d’autres services encore plus secrets. Cela prouve en tout cas combien le climat devient étouffant dans notre pays.

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– Les conseils de Jean-Marc Manach, sur Bugbrother – et sur ce blog, un rapide résumé de l’affaire Markovic, dans La PJ de 68.
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