Des policiers, de dos, la voix déformée, livrent leur état d’âme… C’est ce que l’on peut voir sur trois vidéos qui se baladent sur le Net*. Les propos n’apportent pas grand-chose. Il est question des conditions de garde à vue, des suicides, de la politique du chiffre… Rien de nouveau, autant de sujets qui reviennent de façon récurrente dans les doléances de plusieurs syndicats. Mais quel spectacle dérangeant ! Que des policiers se livrent à la caméra derrière l’anonymat, un peu comme des nationalistes corses ou des témoins sous X, cela a quelque chose d’affligeant.
Et même si ces enregistrements étaient bidonnés, ce qui ne semble pas le cas, ils soulignent le malaise profond qui a gagné la Grande maison – surtout chez les policiers de base, les Bleus comme on les appelle.
On a l’impression d’un enfermement. Lorsqu’on endosse l’uniforme, on accepte de se marginaliser. Car d’une certaine manière, on se met à l’écart, non seulement de la société, mais aussi de la famille, des proches, des amis. Car sans arrêt, il faut jouer un rôle. Imaginez un repas entre amis… Et toi, tu fais quoi dans la vie ? Je suis flic ! Un long silence, et lorsque la conversation reprend, elle n’est plus tout à fait la même. Je me souviens d’une amie qui s’était fait voler son sac à main, alors que nous étions en vacances à l’étranger, et qui s’est retournée vers moi, furax, en m’accusant de n’avoir rien fait pour éviter ça. Je n’étais plus l’ami, j’étais le flic.
C’est pour ça que l’esprit de corps est si fort dans ce métier.
Mais aujourd’hui, l’esprit de corps est en déliquescence. Les policiers vivent dans la méfiance. Le gardien se méfie de l’officier qui lui-même se méfie du commissaire. Et ce dernier se trouve dans la position de commander des hommes et des femmes qu’il ne comprend pas, sous la houlette d’une hiérarchie politico-administrative qui ne laisse la place à aucune initiative.
Or, le policier, quelle que soit sa position dans la grille indiciaire, n’est performant que par son initiative. Si l’on dit à un gardien, je veux tant de contredanses, à un OPJ, tant de gardes à vue…, on étouffe toute envie d’en faire plus.
Ces temps-ci, les règlements de comptes entre voyous se succèdent à Marseille, c’était la même chose sur la Côte d’Azur, il y a trente ans. Mais à l’époque, pour régler un problème, on disait à un patron, vous avez carte blanche.
Je serais curieux de savoir si ces mots font encore partie du vocabulaire, dans la police d’aujourd’hui.
Et les policiers de terrain sentent bien que les décisions ne sont pas toujours les bonnes. Que les opérations coups de poing sont l’aveu d’un échec. Mais ils n’ont qu’un droit, celui de se taire.
Lorsqu’une affaire surgit, à Marseille, à Grenoble, en région parisienne…, aussitôt le ministre de l’Intérieur bombe le torse devant les caméras (il paraît qu’il adore ça), généralement entouré de gens que personne ne connaît. En cherchant bien dans ses souvenirs, on peut reconnaître ici ou là le directeur de la sécurité publique ou de la PJ. Mais ils ne prennent pratiquement jamais la parole.
Alors, pour avoir des infos, les journalistes se tournent vers les représentants syndicaux. Les seuls qui ont le droit de parler. Un braquage dans une bijouterie, et le syndicaliste de service nous explique ce qui s’est passé, comme s’il y était, comme s’il savait de quoi il retourne, lui qui n’est plus sur le terrain parfois depuis des années.
Un ancien directeur de la police me disait, il y a quelques jours, « il n’y a plus de commandement ». À tel point que pour donner des responsabilités à un commissaire, on le nomme préfet.
Alors, si la pression est aussi forte en haut de la pyramide, qu’on imagine ce que vivent les policiers de base… Ils ne se sentent ni soutenus ni aidés ni compris ni… aimés. On leur demande de se contenter d’exécuter les ordres, sans discuter. J’allais dire… comme des ministres. Et d’ailleurs, tout comme un ancien ministre, quelques-uns pensent à démissionner. Mais les temps sont durs. Il faut faire bouillir la marmite.
En attendant, certains voudraient s’affranchir de ce devoir de réserve qui les bâillonne. Et pour cela, ils reprennent l’argumentaire juridique du commandant Philippe Pichon – juste pour pouvoir s’exprimer. A moins que les choses ne soient plus graves, et que gronde, dans la police, un mécontentement plus profond.
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uicide, comme celui de ce jeune homme de 23 ans qui s’est pendu dans sa cellule à Fresnes, et qui vient de mourir ; ou ces quatre autres (dont deux jeunes de 17 ans), il y a trois semaines… Autant de morts qui nous rappellent que la France détient un triste record d’Europe : c’est dans nos prisons qu’il y a le plus de suicides.
its (du moins tels qu’ils sont connus) :
