Pour la troisième fois, l’ex-avocat Maurice Agnelet passe devant une cour d’assises pour le meurtre de sa maîtresse Agnès Le Roux, riche héritière du Palais de la Méditerranée, à Nice. Un procès qui se déroule à Rennes et qui devrait durer quatre semaines.
L’affaire démarre le 22 octobre 1977. Ce jour-là, Madame Renée Le Roux écrit au procureur de Nice pour signaler qu’elle est sans nouvelles de sa fille depuis plusieurs semaines. Personne, ni au parquet ni au commissariat, ne prend la chose au sérieux : Agnès est considérée comme une fugueuse d’habitude et ses relations avec sa mère sont exécrables.
D’autant que quelques mois plus tôt, lors du conseil d’administration pour renouveler le mandat du PDG du Palais, la jeune femme avait voté contre elle. Et Renée Le Roux avait dû laisser la place à son concurrent direct, le sulfureux patron du tout nouveau casino Le Ruhl (voir les différents billets sur ce blog).
Un début d’enquête confus – En février 1978, Mme Le Roux revient à la charge et décide de déposer une plainte pour séquestration arbitraire. Cette fois, le procureur prend ses craintes en considération et ouvre une information judiciaire. Nous sommes le 1er mars 1978. L’enquête démontrera qu’Agnès Le Roux a disparu dans les premiers jours de novembre 1977. C’est bien tard. Et pourtant, les enquêteurs de la PJ mettront plusieurs semaines avant de démarrer vraiment leurs investigations et lancer un avis de recherche international, via Interpol. L’enquête s’annonce délicate, avec en toile de fond une guerre des casinos où se mêlent le crime, l’argent du crime et la politique.
Un contexte explosif – Nice compte six casinos, lorsque débute la construction du Palais de la Méditerranée, en 1928. Après-guerre, alors que les joueurs se font rares, un banquier de Monaco, Henri Le Roux, récupère la majorité du capital social. Dans les années suivantes, les autres casinos ferment les uns après les autres. Alors, avec l’appui de la mairie, un personnage assez ambigu, Jean-Dominique Fratoni, dit Jean-do, décide d’en construire un nouveau, Le Ruhl. Il sera inauguré le 18 février 1975. Dans le capital social de la société financière du Ruhl, la SOCRET, on trouve un mystérieux groupe italien derrière lequel se cache, à l’évidence, la mafia sicilienne. D’ailleurs, plus tard, plusieurs de ses dirigeants seront soupçonnés par la Guardia di Finanza d’avoir monté un circuit de blanchiment de l’argent provenant des rapts, une activité criminelle qui à l’époque prospère en Italie.
Pour Le Palais, ce vénérable établissement de la Promenade des Anglais, qui pendant vingt ans avait occupé la première place des casinos français, l’arrivée de ce concurrent est un coup dur. D’autant que de mystérieux joueurs italiens font régulièrement « sauter la banque ».
Les affaires déclinent et, dans le Milieu, on pense qu’il y a des places à prendre. Au début, ce sont les Niçois qui se confrontent aux Italo-Grenoblois dans cette deuxième guerre des casinos de la Côte d’Azur (la première impliquait des Pieds-Noirs, après l’indépendance de l’Algérie). Le 15 janvier 1976, Jean Guardigli, dit Nino, le juge de paix du Milieu niçois, est abattu de sept balles de 11.43. Une semaine plus tard, c’est au tour de Simon Vasseur, dit Gavet, le parrain grenoblois : une balle dans la tête devant sa boîte de nuit. Six mois après, Jean-Pierre Roche, dit Bimbo, est tué au volant de sa Mercedes. Comme ce dernier est un proche de Gaëtan Zampa, le ponte du Milieu marseillais, on comprend qu’il y a du monde sur les rangs. D’autant que Bimbo était l’associé (officieux) de Jean-Dominique Fratoni.
Ces trois-là sont les premiers morts de la guerre des casinos.
Meurtre sans cadavre – On n’a jamais retrouvé Agnès Le Roux ni son véhicule, un 4×4 de marque Range Rover, de couleur blanche, immatriculé 726 BEZ 75. Toutefois, après deux années d’instruction, le juge estime qu’il a suffisamment d’éléments pour adopter une nouvelle qualification : le meurtre. Les enquêteurs du groupe criminel de la PJ de Nice pensent que la jeune femme, prise dans le tourbillon d’une organisation criminelle bien décidée à faire main basse sur Le Palais de la Méditerranée, a probablement été tuée et que l’on a fait disparaître son corps selon les méthodes propres au Milieu. En effet, quelques mois avant sa disparition elle avait signé avec Jean-Dominique Fratoni, une promesse de vente sur les actions dont elle avait hérité de son père et elle s’était engagée à lui apporter son vote. Pour une somme de trois millions de francs, placée sur un compte en Suisse, ouvert avec son amant, Maurice Agnelet.
Au cours de l’année 1979, un élément nouveau chamboule l’enquête. Les Suisses décident de lever le secret bancaire. Les autorités judiciaires estiment en effet que les sommes déposées sur un compte de la banque UBS, à Vevey, sont liées à une affaire de droit commun. Du coup, les combines mises en place par Maurice Agnelet pour accaparer cet argent apparaissent au grand jour et donnent une nouvelle orientation aux investigations. Il semble le coupable idéal : il aurait tué sa maîtresse pour mettre la main sur son magot.
Par la suite, il sera d’ailleurs condamné à 30 mois de prison avec sursis pour abus de confiance. En 2013, les autorités suisses ont finalement estimé que cet argent appartenait à Agnès Le Roux ou à sa succession. Au grand dam de son amant, qui a fait appel. Une belle somme : 3 millions de francs français, qui, par le jeu des intérêts cumulés, sont devenus 3 millions d’euros. En attente de leur propriétaire.
Une enquête de 35 ans – Le 13 août 1983, Agnelet est inculpé pour le meurtre d’Agnès Le Roux et placé en détention provisoire. Deux mois plus tard, il obtient un non-lieu. Décision confirmée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 1986 et par la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.
Pour Maurice Agnelet, l’affaire aurait dû s’arrêter là. Ce n’est pas l’avis de Renée Le Roux. En 1994, elle dépose une plainte en se constituant partie civile contre lui pour recel de cadavre. Puis trois ans plus tard, elle dépose une nouvelle plainte, cette fois contre son ancienne épouse pour complicité de recel de cadavre. Finalement, en juin 1999, celle-ci craque et reconnaît que vingt ans plus tôt, face aux enquêteurs de la PJ, elle a fait un faux témoignage pour fournir un alibi à son mari.
C’est l’élément nouveau que souhaitait la partie civile. Par un arrêt du 7 décembre 2000, la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, ordonne la réouverture de la procédure d’instruction relative à la disparition et au meurtre d’Agnès Le Roux. Et Maurice Agnelet revient à la case départ. Il est mis en examen et placé sous contrôle judiciaire. En octobre 2005, il est renvoyé devant la cour d’assises des Alpes-Maritimes.
Agnès Le Roux a disparu depuis 28 ans.
L’acquittement – Légalement, personne ne peut certifier qu’Agnès Le Roux est morte. Mais la cour d’appel d’Aix-en-Provence a estimé que « l’absence de découverte du corps de la victime pouvait être un élément de ce crime et qu’en faisant disparaître le corps on pouvait espérer interdire toute recherche utile ». Et de conclure qu’il existait suffisamment de charges pour établir que Maurice Agnelet avait donné volontairement la mort à Agnès Le Roux afin de s’approprier une somme de trois millions de francs.
Le 20 décembre 2006, la cour d’assises de Nice rend son verdict : acquitté !
Les choses se compliquent – Après la décision d’acquittement de la cour d’assises de Nice pour un meurtre sans cadavre commis trente ans plus tôt, à la demande du ministère public, le procureur général fait appel de la décision du jury populaire. Comme cette possibilité n’existe que depuis 2002, il est amusant d’observer que si Maurice Agnelet avait été jugé plus tôt l’acquittement aurait été définitif.
Dans une procédure pénale sans cesse en mouvement, le temps est impitoyable.
20 ans de réclusion ! – Le second procès se déroule en 2007 devant la cour d’assises des Bouches-du-Rhône. Le jury répond oui aux deux questions principales : l’accusé a volontairement donné la mort à Agnès Le Roux et il a agi avec préméditation. Maurice Agnelet est condamné à vingt ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa maîtresse.
Il se pourvoit en cassation, faisant notamment valoir que le verdict de la cour d’assises n’était pas motivé. Le 15 octobre 2008, la Cour de cassation rejette ce pourvoi.
Toutes les voies de recours étant épuisées, l’avocat du condamné saisit la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour violation de l’article 6, al.1 de la Convention du fait de l’absence de motivation de la décision rendue par la cour d’assises.
Un ancien truand à la rescousse – En 2011, un truand à la retraite, Jean-Pierre Hernandez, dit Gros Pierrot, sort un livre de souvenirs coécrit avec un journaliste, François Mattéï, et préfacé par Lucien Aimé-Blanc, ancien patron de l’office central pour la répression du banditisme. Dans ce document, il met Maurice Agnelet hors de cause. À son avis, c’est un certain Jean L. qui aurait tué Agnès Le Roux sur les ordres du parrain marseillais Gaëtan Zampa. Le corps de la jeune femme aurait été amené aux Goudes, près de Marseille, et jeté dans les calanques. Quant à son véhicule Range Rover, il aurait été laminé dans un garage. Une piste intéressante. Le problème, c’est que tous les noms cités dans le livre sont ceux de personnages décédés. Il est vrai que souvent l’on meurt jeune dans le Milieu… Toutefois, sans être un voyou de premier rang, M. Hernandez était un ancien de la French connection et un proche du clan de Zampa. Alors, ses allégations méritaient bien quelques vérifications…
Timide contre-enquête – La Commission de révision des condamnations a donc chargé l’office central pour la répression des violences aux personnes (OCRVP) de faire une contre-enquête. Les enquêteurs ont dû bien s’amuser à dépoussiérer la mémoire de policiers d’un autre âge… Comme d’autres, j’ai été amené à donner mon opinion. Je dois dire qu’avec le temps, mes idées étaient moins tranchées que dans les années 70. Mais il m’a toujours semblé que Maurice Agnelet faisait un coupable trop idéal : antipathique à souhait, secret, mythomane, et en plus avec un mobile de trois millions. Le résultat de l’enquête des policiers de l’OCRVP a été imprécis : impossible de confirmer ou d’infirmer les déclarations de l’ancien truand marseillais.
En septembre 2012, la commission de révision des condamnations pénales a rejeté la demande de révision déposée par l’avocat de Maurice Agnelet.
Un procès pas équitable – Mais c’est la Cour européenne des droits de l’homme qui a eu le dernier mot. « Où quand et comment le crime aurait-il eu lieu ? » C’est la question qu’elle a formulée dans son arrêt du 10 janvier 2013. À son avis, rien ne répond à ces questions. Or ce sont ces réponses qui auraient permis au condamné de comprendre le verdict, et notamment pourquoi il a été une fois acquitté et une fois condamné. La CEDH rappelle que dans cette enquête, il existait deux autres thèses qui s’opposaient à celle du meurtre commis par Maurice Agnelet, toutes deux fondées sur des fait précis et établis : « la disparition volontaire de la victime suivie de son suicide ; ou son assassinat par la mafia, au cours de ce qu’il est convenu d’appeler « la guerre des casinos » qui s’est déroulée sur la Côte d’Azur en 1977 ».
La Commission de réexamen a réagi rapidement. Le gouvernement français n’ayant pas demandé le renvoi devant la Grande Chambre dans une décision du 31 janvier 2013, elle a suspendu l’exécution de la condamnation. Maurice Agnelet a été libéré.
Si cette affaire ne donne pas une très bonne image de la justice française, elle fait au moins les beaux jours des étudiants en droit. En attendant, 37 ans après la disparition de sa maîtresse, Maurice Agnelet va de nouveau être jugé. « C’est un homme fatigué », a déclaré son avocat, Me François Saint-Pierre. On le comprend. Il a été soupçonné, emprisonné, blanchi, accusé, acquitté, condamné, libéré… et l’on ne sait toujours pas s’il est coupable ou innocent. Ce sera la troisième fois qu’il comparaîtra devant une cour d’assises. Avec une question lancinante : Pourrait-il faire l’objet, en cas d’acquittement comme en cas de condamnation, d’un nouvel appel devant une quatrième cour d’assises ?
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Le 11 avril 2014, Maurice Agnelet a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle. Il s’est pourvu en cassation. Contrairement à ce que j’ai dit, il ne pouvait pas faire appel car la commission de réexamen doit renvoyer l’affaire devant une juridiction de même ordre (c. pr. pén., art. 626-4).
Encore une kabale sauce nissarte. Agnès à été manipulé contre sa mère. …. Il y a beaucoup de mort qui vivent bien dans la région nicoise.A qui profite le crime si crime il y a eut au bout de ces longues années ? ??pas à M.Agnelet…..Donc cherchons le hic….
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Peut-être vous en saurez plus sur le lien suivant (1er blog politique en audience en France) dans les commentaires de l’article, pour répondre à la demande de Louis : http://www.fdesouche.com/479323-nice-06-hamadi-et-said-ahmed-principaux-suspects-dans-lassassinat-dhelene-pastor
Cet homme s’est servi du secret bancaire pour faire transiter incognito la somme qu’il avait fait obtenir à Agnes en manipulant cette jeune femme perdue que d’avoir été trop gâtée, et ce contre sa propre famille. Pour qu’il puisse en profiter, il la fallait morte. Il agit à nombreuses reprises pour qu’elle le devienne, incitant ou créant de toutes pièces des tentatives de suicide que l’emprise perverse qu’il a sur elle a téléguidées, dissuadant même les pompiers de venir la sauver en fournissant une fausse adresse d’intervention… Et puis non, elle résiste, veut vivre, il la tuera donc. Si les confessions du fils sont justes et qu’il l’a tuée en Italie, ce que vous nous rappelez quant à l’imbrication mafieuse est accablant pour Agnelet père. Il savait qu’éventuellement découvert là-bas, le cadavre, au vu du contexte de guerre des casinos sur fond mafieux, serait mis sur le dos de la pieuvre. Pire, il a pu bénéficier là-bas de quelques appoints pour faire disparaitre ce qui le devait.
Il n’a jamais tenté de la chercher après sa disparation, pire a été le premier à l’acter avec satisfaction, la prétendant « partie faire la fête en Italie » pour répondre aux affres de sa famille, a capté l’argent qu’il lui avait fait capter au grand dam de sa conscience que d’en avoir dû trahir sa famille, la rendant ainsi suicidaire comme il la voulait pour ce faire, a toujours manifesté le cynisme qui a forcément dû être celui habitant qui a pu tuer cette jeune femme.
Quand la vérité est trop claire, on s’en inquiète bizarrement, c’est le seul mystère de cette affaire.
Notre penchant pour l’aveuglement volontaire.
Servitude collective à la cruauté de quelques-uns.
AO
Je profite de ce billet sur la côte d’azur pour vous demander si vous pouviez en faire un autre sur la fusillade qui a touché la mère Pastor. Cela paraît curieux que ce soit la mafia italienne qui ait fait ça, elle qui a toujours eu des bases avant à Monaco et qui est toujours resté discrète sur ce genre de choses dans cette ville précise, même s’il y a eu un scandale récent à Vintimille. Je ne veux pas paraître obsédé par cela en raison de notre époque, mais cela a plus à voir avec les mêmes qui ont impliqué votre ancien collègue Michel Neyret et ceux de la fraude à la taxe carbone…
Je dis ça, j’dis rien.
Pourquoi le parrain marseillais aurait-il ordonné la disparition de la jeune femme ?
G Moréas ne donne pas son sentiment sur cette question.
Une affaire complexe. Sauf découverte (miraculeuse avec le temps) d’un fait nouveau, il semble impossible de connaitre la vérité : un meurtrier idéal n’est pas forcément un meurtrier même si dans ce cas c’est certainement un sale type…
Le droit prévoit dans ce cas, même si c’est difficile pour la famille de la victime, que le doute bénéficie à l’accusé.
Merci pour votre texte très clair … devant une affaire qui ne l’est pas.