La « salle de consommation à moindre risque » (SCMR) devait ouvrir près de la gare du Nord, à Paris, à la fin de l’année dernière. Tout était prêt. Même la police. Une brigade spécialisée de terrain (BST) a été créée pour l’occasion. Installée officiellement par le préfet de police Bernard Boucault, elle est composée de 25 policiers en tenue rattachés au commissariat du X° arrondissement. Sa mission est évidemment de lutter contre la délinquance dans le secteur de la gare, mais, peut-on lire sur la plaquette de présentation, elle est aussi « complémentaire de l’action conduite plus en profondeur par les services spécialisés qui sera encore renforcée par l’inclusion du secteur de la gare du nord comme un objectif de plan de lutte contre les stupéfiants de la préfecture de police ».
Ce qui ne veut strictement rien dire.
Non pas que les plumitifs de la PP aient l’esprit embrouillé, mais il était difficile d’écrire que les policiers devaient « inciter » les toxicomanes porteurs de leur drogue à se rendre à la salle d’injection. Un ordre illégal, puisque la consommation de produits stupéfiants est un délit. Le Conseil d’État ne s’y est pas trompé. Légiférez ! a-t-il dit au gouvernement. Un fâcheux contretemps, mais trop ostensible pour ne pas paraître suspect. D’ailleurs, n’importe quel flic de base aurait eu la même réponse que le Conseil d’État, si on lui avait posé la question.
La SCMR, plus communément appelée « salle de shoot » est un endroit dédié où les toxicomanes peuvent consommer leur drogue dans des conditions d’hygiène et de sécurité correctes. L’objectif est double : éviter les contaminations (les deux tiers des « injecteurs » sont porteurs du virus de l’hépatite C) ou les gestes à risques, et tenter en douceur de les faire revenir vers la vraie vie – même s’il est ce qu’elle est. On peut bavasser des heures sur le pour et le contre mais, pour parler le seul langage politiquement correct du moment, c’est-à-dire fric, l’économie à moyen terme pour la sécu serait probablement impressionnante. À titre d’exemple, pour élargir le propos, entre 2014 et 2016, la France va verser plus d’un milliard d’euros au fonds mondial de la lutte contre le sida.
La première salle de ce genre a été ouverte en 1986, à Berne, en Suisse. Les usagers peuvent s’injecter de l’héroïne ou de la cocaïne (ou un mélange des deux) dans les veines ou y fumer du crack. Mediapart a publié un reportage photos assez dérangeant sur cet endroit. Il y aurait 90 établissements similaires de par le monde.
Lors de sa campagne électorale, François Hollande s’est dit favorable à une expérimentation. Il a d’ailleurs nettement réaffirmé sa position en novembre 2013. Mais, malgré ses déclarations, le projet risque fort d’esquiver son quinquennat. Comme dit le docteur Élisabeth Avril, directrice de l’association Gaïa qui gère le projet, cité sur le blog de la journaliste santé Sylvie Dellus : « Je n’y crois plus. Le sujet sera débattu à l’Assemblée nationale dans un an ou plus. Cela va nous amener en 2015, voire 2016. Ensuite il y aura les sacro-saintes élections présidentielles… »
Pourtant, un premier élan encourageant avait été donné avec une expérimentation effectuée dans 14 villes de France, menée sous la houlette de l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales. Pendant environ un an, des professionnels de la santé ont aidé des toxicomanes à s’injecter leur produit dans les veines. Très bizarrement, tout le monde a fermé les yeux, même les autorités, sur l’irrégularité de la démarche. Le résultat a été probant : les risques de transmission des virus de l’hépatite C et du sida ainsi que les risques de complications liés aux injections à répétition ont baissé de plus de 40 %.
Depuis une loi de 2004, chaque département comprend au moins une structure médico-sociale chargée de l’accueil et de l’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de la drogue (CAARUD). Celles-ci sont financées par l’Assurance maladie mais les volontaires qui participent à cette action sont démunis de moyens légaux d’action. Ils peuvent juste fournir des seringues neuves et éventuellement proposer une aide sociale ou médicale. Mais quel doit être leur comportement si un toxicomane s’injecte devant eux ? Doivent-ils le repousser sur le trottoir ? Il y a fort à parier qu’ils l’assistent – ce qui est illégal – comme durant dix ans ils ont fourni des seringues propres malgré l’interdiction de la loi.
À Paris, autour de la gare du Nord, l’association Gaïa (la déesse-mère ?) organise des maraudes en bus ou à pied et, à défaut de salle de shoot, elle se propose d’installer ses bus sur le parking du 39, boulevard de la Chapelle. Mais, outre qu’il faut tenir compte de l’avis des riverains, la présence policière renforcée complique sa tâche. En effet, en l’absence de directives précises, les 25 agents de la BST se contentent de repousser les toxicos vers les quartiers limitrophes. Au grand dam de leurs collègues, d’ailleurs. Et surtout, le renforcement de cette présence policière à une autre conséquence : elle dissuade les injecteurs d’avoir recours à l’association. Un résultat opposé à l’objectif recherché. Et la situation s’aggrave au lieu de s’arranger.
En juin dernier, la ministre Marisol Touraine a déclaré que le problème serait inscrit dans la future loi de santé publique. Les choses pourraient donc évoluer. D’autant que le quartier de la gare du Nord devrait recevoir un complexe hôtelier pour accueillir les hommes d’affaires qui débarquent de l’Eurostar. On va quand même pas les laisser se prendre les pieds dans des seringues usagées…
Mais si un débat parlementaire sérieux s’engage sur ce sujet, une question va surgir, grosse comme une patate chaude : peut-on encadrer, et dans une certaine mesure légaliser, la consommation de drogues dures et refuser d’entrouvrir la porte aux fumeurs de joints ? Comme nos grands chefs courent toujours après le moindre euro, je suggère de réglementer l’usage du cannabis et d’utiliser les taxes récoltées pour mieux encadrer l’utilisation des drogues injectables et prévenir ainsi la diffusion des virus du sida ou autres hépatites.
Une solution élégante pour sortir d’un enfermement idéologique ringard et qui, au passage, libérerait peut-être un tiers du temps de travail des effectifs de police et de gendarmerie, et des procureurs.
Qui veut jouer à gagnant-gagnant ?
Trop de lobbys ont intéret au maintien de la répression totale de la consommation de drogues « douces ».
Quand au projet de salle de shoot dans le Xeme, les électeurs du coin, majoritairement socialistes pourtant, vont s’y opposer quand ils verront l’effet de l’annonce sur la valeur de leurs apparts. Quelque part, ils ont raison. Ce n’est pas UNE salle de shoot dont nous avons besoin (au dela de l’aspect normatif, moral) mais 50 ou 100, afin de ne pas concentrer une population à problemes sur un seul lieu.
A suivre, mais il serait étonnant que quoi que ce soit ne change.
A ceux qui persistent à croire que les « drogues douces » existent, je les invite à se rapprocher de structures d’accueil de jeunes toxicomanes et leurs familles, et ils pourront peut’être dialoguer avec des parents complétement désemparés par l’addiction de leur enfant à la « dogue douce », cannabis ou herbe, et ils verront des ados de 15 ans, aux cerveaux déjà atteint par les effets de cette activité ludique, ne pensant plus qu’à tirer sur leurs joints, et se désintéressant de tout le reste. Combien de morts par suicide à cause de « l’herbe qui faits rire ? » Combien d’internement en psychiatrie à cause de « la drogue douce » ? Combien de familles éclatées à cause de cette saloperie ? Je ne connais pas ces chiffres, manifestement ils intéressent moins que le malheureux sort des dealers incarcérés.
Je me permet deux remarques :
1 – la mise en place de la BST a été présentée comme une garantie de sécurité pour les tenants du tout répressif, ceux qui ne voient de solutions à ce genre de problème que par la présence de policiers. Or à la fois la mairie de Paris et la Préfecture de police sont très ambiguës sur les missions de cette BST comme vous le dites, d’autant que le secteur couvert comporte une partie en Zone de Sécurité Prioritaire, les fameuse ZSP. Nulle part ailleurs dans le monde un tel dispositif policier n’a été mis en place autour des SCMR. Les manipulations politiciennes des habitants autour du projet, notamment par l’extrême droite et une association bien connue qui est sans doute son bras armé ont obligé les autorités à donner un gage aux résidents
2 – je regrette que vous n’ayez pas parlé des bénéfices que les riverains peuvent attendre d’un tel projet. Pour s’en convaincre, il suffit de venir se balader dans le quartier de la gare du Nord ou autour de Lariboisière où trainent les seringues usagées (idem à la Goutte d’Or et Château rouge). Certains riverains commencent à comprendre heureusement.
Il y a d’ailleurs une série de 6 articles très intéressant sur Médiapart en ce moment, sur la réglementation du cannabis aux USA. A lire !
Pour que l’État cesse d’embêter les fumeurs de cannabis, il suffirait d’inclure son chiffre d’affaires dans le Pnb. Avez-vous vu l’effet immédiat pour la prostitution ?
Vraiment le sujet sur lequel je n’ai aucun avis. Entre 2 maux, …. Il mes emble seulment que le combat étant perdu d’avance, il faudrait cesser de mettre autant de moyen à réprimer les « drogues douces » (pas forcément pires que l’alcool ou le tabac), plutôt en tirer de l’argent en légalisant et en organisant, et se concentrer sur la répression des « dures »…
Deux questions apparemment sans lien :
1 Qui habite dans ce quartier, pour réussir à faire partir les toxicomanes, grâce à l’aide de l’état?
2 Est-ce que les 52 kg disparus du quai servent à la rédemption des utilisateurs de salles de shoot?
Cher Commissaire (retraité)
j’aimerai avoir votre opinion sur le fait de légaliser toutes les consommations de drogues, en faire un monopole d’Etat; mais bien sur avec des réglementations adaptées à leurs dangerosités repectives:
– accoutumance, dépendance
– modes d’absorption
– changements comportamentaux
– dangerosité pour les autres
sachant que la lutte contre l’éradication, le trafic international, la distribution au détail, la dissuation morale ou médicale manifestement n’ont (malgré le travail des services de police et les résultats parois spectaculaires) q’une efficacité très limitése, notament la dissuation.
je sais que pas mal de policiers dans le monde se posent la question depuis pâs mal d’années.
Pour répondre d’une manière générale… L’inefficacité de la répression en matière de lutte contre les drogues, et notamment le cannabis, n’est plus à démontrer. Pour certains, les risques sanitaires liés à la consommation justifient malgré tout la politique actuelle. C’est l’avis du ministre de l’Intérieur (itw Mediapart de M. Cazeneuve) : « (…) les effets sont épouvantables : cancérogènes, psychiatriques, catastrophiques (…) pour ce qui est de mes propres enfants, je leur déconseillerais le cannabis et les protégerais… »
Mais il y a sans doute des raisons moins avouées, comme la possibilité de surveiller une partie de la population à risque. C’est d’ailleurs l’avis de pas mal de policiers de sécurité publique. De façon pragmatique, on peut se dire aussi qu’en privant de ressources les dealers on prendrait le risque de voir augmenter une délinquance plus violente… Et puis, il y a un truc, le « poix » de notre société vieillissante : ce qui est bien, ce qui est mal. Fumer un joint, c’est mal. A rapprocher de ce slogan violent et paradoxal que l’on trouve sur les paquets de cigarettes et dont la vente représente pourtant une manne pour l’État : Fumer tue !
Je vous remercie de votre réponse.
Tout en constatant que les profits du cannabis (et peut-être avec les mêmes réseaux) ont permis l’achat de Kalachnikof; ça devient un peu un problème shadok.
Il me gène que mes impôts servent à aider les toxicomanes à se « shooter ». Je préférerais qu’ils servent à éliminer les fournisseurs. Avec un tiers du temps des policiers on pourrait sans doute arrêter de nombreux dealers. Non?
Pour vous répondre sur l’utilisation de nos impôts, ce que vous décrivez là est un faux problème.
Ne vaut-il pas mieux utiliser nos impôts pour mettre un terme à la souffrance, plutôt que de les dilapider en achetant des bagnoles qui coûtent les yeux de la tête.
Parce que je vous assure, dacia fait de très bonnes bagnoles. Elles n’ont certes rien à voir avec celles des hommes que nous élisons (en partie), mais elles roulent très bien.
Et réfléchissez bien M. Cordier : n’avez-vous jamais constater de vains emplois de votre quote-part ? Par exemple : le démantèlement des écoles, des hôpitaux publics ne contribue-t-il pas à user de notre impôt indûment, alors que des centaines de gens ne demandent qu’à bosser ?
Ou encore, à quoi sert cette refonte des régions pour laquelle le peuple citoyen n’a même pas été consulté, alors qu’on nous demande de voter pour l’Europe ?
Ou encore, qui paie le salaire des attachés parlementaires qui profitent d’un week end, style : VSDL ? Ou plus simplement, qui paie leurs indemnités ?
Alors, à tout le moins, je préfère payer des impôts pour filer le RSA à un type qui consommera des nouilles, ou qui se shootera, plutôt que de devoir payer l’inertie de gens qui dorment sur des bancs de velours, les jours d’assemblée.
Non ?
Ça fait des décennies que « vos impôts » servent à « éliminer les fournisseurs ».
Je ne sais pas quand ni comment cela rentrera dans la tête des gens qui pensent comme vous, mais ça ne fonctionne pas, n’a jamais fonctionné, et ne fonctionnera jamais.
Le tout-répressif ne répond jamais aux problèmes latents et périphériques, il ne fait que les mettre sous le tapis.
Par ailleurs, « vos impôts » ne servent pas à « aider les toxicomanes à se shooter ». Ils servent au contraire à les aider, en offrant un lieu d’injection propre et aseptisé, en offrant la possibilité de faire de la prévention et de l’accompagnement, et en les empêchant de le faire dans la rue.
Cela profite à la santé publique, à l’accompagnement social des toxicomanes et à l’assainissement de la voie publique.
Ne vous leurrez pas, sans « salle de shoot », les toxicomanes continueront de le faire, mais chez eux ou dans la rue. C’est tout.
C’est sûr, ça aura bien fait avancer le problème.
C’est une question de réalisme et de responsabilité politiques et sociaux.
C’est pourtant simple, mais il faut croire que certains blocages mentaux sont profondément ancrés dans notre société.
Ça, et cette déplorable manie Française de dénigrer toute innovation avant-même d’avoir eu l’opportunité d’essayer.
Pauvre France.
Sans compter que, à Berne ou ailleurs, on propose aux shootés des drogues bien plus pures que les merdouilles qu’ils s’injectent à vil prix mortifères.
Ce qui permet aux drogués de réduire leur consommation et donc de suivre éventuellement un programme de réinsertion.
Quant aux fumeurs de joints, plutôt que légaliser le cannabis comme le pinard, il suffirait, tout comme pour le litron, de coller une amende conséquente, un truc genre 350 euros, qui coûterait de toute manière plus cher que le gramme d’herbe.
Le pognon récolté pourrait ainsi aussi servir aux salles de shoot.
Un genre d’économie en circuit fermé ; en tout cas plus ouvert et moins souterrain que l’économie qui tourne dans les sous-sols des cités.
Mais du coup, que vont donc faire les policiers, si un tiers de leur temps n’est plus occupé ? ben, ils liront le journal le matin pour pouvoir regarder par la fenêtre l’après midi, par exemple.