LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Mois : avril 2011

M-F Pisier : Questions sur une autopsie

On ne connaît toujours pas les causes et les circonstances de la mort de la comédienne. Alors qu’on serait tenté de croire que la police technique et scientifique et la médecine légale peuvent faire des miracles, il n’en est rien. La mort garde sa part de mystère.

marie-france-pisier.1304073208.jpgÀ ce stade de l’enquête, il semble bien que les éléments rassemblés par les gendarmes convergent vers un suicide. Le suicide est en France la troisième cause de mortalité après les maladies cardio-vasculaires et le cancer. Et environ un tiers des suicides se font par noyade.

C’est donc tout naturellement, en présence d’un noyé, que les enquêteurs penchent pour un acte volontaire. Sauf s’il y a des traces de violence, évidemment. Et comme les constatations se limitent souvent à celles qui sont effectuées sur le corps (absence de scène de crime), ils attendent beaucoup de l’autopsie.

Celle-ci n’est pas si simple, car, d’un cas à l’autre, la cause de la mort peut-être différente.

La syncope ou hydrocution – A peine dans l’eau, la victime perd connaissance et coule à pic. La mort est due à l’asphyxie et il n’y a pas d’eau dans les poumons. C’est le noyé blanc.

L’hypothermie – En dessous de 32 ° de température corporelle, il y a perte de connaissance, ce qui peut être fatal.

La noyade brutale – L’eau submerge les voies aériennes supérieures. Un spasme se produit qui provoque un arrêt cardiaque.

La noyade classique – Le réflexe de survie pousse la personne à se débattre, à regagner la rive… Mais elle avale de l’eau, à plusieurs reprises, jusqu’au moment où le liquide atteint les alvéoles pulmonaires, suscitant une détresse respiratoire. C’est le noyé bleu.

Il existe des suicides prémédités et des suicides spontanés. Dans le premier cas, en général, la personne met ses affaires en état et laisse une lettre pour ses proches ; dans l’autre, il faut souvent chercher l’explication dans les heures qui précèdent le passage à l’acte.

Il n’est pas inhabituel que la personne suicidaire prenne des médicaments ou de l’alcool, avant le geste ultime. Et parfois même, elle se leste d’objets ou de vêtements lourds. Je me souviens d’une affaire où le jeune homme sorti de l’eau avait les mains attachées dans le dos et des tampons féminins enfoncés dans la gorge. Affaire criminelle, à l’évidence. Pourtant, une reconstitution effectuée par le juge d’instruction a permis de déterminer qu’il était possible de réaliser soi-même les nœuds rudimentaires qui tenaient le cordage. Le magistrat a conclu au suicide. Je dois avouer qu’encore aujourd’hui, je reste sceptique.

Pourtant, les crimes par immersion sont rares. Et cela concerne le plus souvent des personnes qui ne peuvent se défendre, comme des enfants ou des vieillards. En revanche, il est fréquent qu’un assassin tente de faire disparaître le corps de sa victime en le jetant à l’eau. Souvent lesté, voire lacéré, pour éviter que la putréfaction ne le fasse remonter à la surface.

Ce billet ne cherche pas s’immiscer dans l’enquête sur le décès de Marie-France Pisier, il est juste destiné à mieux comprendre les difficultés que peuvent rencontrer les enquêteurs pour déterminer avec certitude les causes de sa mort.

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Biblio. : La parole est aux cadavres du lieutenant de police Perrine Rogiez-Thubert, et, Profession, médecin légiste, du docteur Bernard Marc. Ces deux livres aux éditions Demos.

Enquête pour « Recherche des causes de la mort »

Après la mort de la comédienne Marie-France Pisier, dont le corps a été retrouvé à 4 heures du matin dans la piscine de sa résidence, dans le Var, le procureur et les médias ont fortement insisté sur l’aspect non-criminel de l’enquête de police. Il s’agit de rechercher les causes de la mort, sans plus, a-t-on répété à l’envi.

marie-france-pisier.1303721616.jpgEt de s’interroger : La  procédure est-elle la même pour une célébrité ou pour un SDF découvert gélé sous ses cartons ?

La réponse se trouve dans le Code de procédure pénale – qui, lui, ne tient pas compte de la personnalité de la victime.

Peu importe que la raison de la mort paraisse évidente (noyade, pendaison, blessure par balle, etc.), ce qui interpelle, ce sont les circonstances qui ont conduit au décès. S’il subsiste la moindre interrogation, l’enquêteur doit faire son métier : enquêter. S’agit-il d’un suicide ? d’un accident ? d’un crime maquillé en suicide… En revanche, un décès violent sur la voie publique qui ne présenterait aucune difficulté particulière (comme le SDF), entrerait, lui, dans le champ d’une procédure civile.

Depuis la loi de mai 2009, qui vise à la simplification et la clarification du droit, le texte prévoit que l’OPJ peut faire usage des articles 56 à 62 du Code de procédure pénale, c’est-à-dire la procédure dite de flagrance, mais, c’est là la différence, non pas à son initiative, uniquement sur instructions du procureur de la République. L’enquêteur possède donc les mêmes prérogatives qu’en enquête criminelle : auditions, confrontations, perquisitions, saisies, réquisitions (par exemple, aux opérateurs téléphoniques), etc., sans pouvoir toutefois utiliser la contrainte de la garde à vue.

L’une des différences tient à l’autopsie, qui du coup devient quasi obligatoire… C’est quand même le meilleur moyen d’identifier les causes de la mort. Ce n’était pas le cas par le passé. C’est ainsi que dans l’affaire Boulin, dans un premier temps, à la demande de la famille, il n’y a pas eu d’autopsie mais seulement un examen clinique du corps. Il en a été différemment, si j’ai bonne mémoire,  pour Claude François, qui est mort électrocuté dans sa salle de bains.

À noter que cette procédure a été étendue aux blessures graves, dans l’hypothèse où la victime ne peut pas s’expliquer. Comme ce serait le cas pour une personne sérieusement blessée par balle à son domicile, l’arme à portée de la main.

Si aucun élément nouveau n’intervient dans les premiers jours de l’enquête sur la recherche des causes de la mort, le procureur peut alors décider de classer le dossier ou de poursuivre les investigations en enquête préliminaire. Toujours sans possibilité de garde à vue – puisqu’à ce stade, il n’existe pas d’infraction.

Si une infraction est découverte, sans parler de crime, par exemple non-assistance à personne en danger ou le cas  particulier du suicide assisté, l’OPJ devra prendre soin d’ouvrir une enquête préliminaire distincte.

Avant la loi de 2009, les pouvoirs de l’OPJ se limitaient, en théorie, à l’article 74 : constatations et réquisitions. Dans la pratique, il poussait souvent plus loin, cherchant à cerner l’environnement de la personne décédée (était-elle suicidaire ? Avait-elle des problèmes particuliers ? ). Et tentait également de recueillir des témoignages. Mais pas question par exemple de faire une perquisition ou de fouiller une voiture. Quant à l’autopsie, c’était selon.

Lorsqu’il n’y a aucune trace de violence, c’est souvent le médecin qui mettra en branle l’enquête pour mort suspecte, simplement en émettant des réserves sur le certificat de décès, ce qui aura pour conséquence d’interdire la délivrance du permis d’inhumer par le maire.

Aujourd’hui, entre une enquête pour recherche des causes de la mort et une enquête en crime flagrant, en dehors de la garde à vue, il n’existe quasiment aucune différence. Sauf que dans un cas, on cherche un suspect, et dans l’autre, il s’agit de déterminer s’il y a eu ou non une infraction criminelle.

Jeux en ligne : Si tu me pousses, je te tire !

Il y a quelques jours, le FBI a lancé un vaste coup de filet sur plusieurs sites de jeux d’argent en ligne et notamment le plus gros d’entre eux, PokerStars. Lequel serait dirigé depuis le paradis fiscal de l’Île de Man. Ses dirigeants sont accusés de picsou-argent.1303575812.jpgfraude bancaire et de blanchiment d’argent. Ils risquent 55 ans de prison. La filiale française de PokerStars, qui est dirigée par Alexandre Balkany, n’est pas concernée par cette affaire, puisque cette entreprise possède une licence en bonne et due forme.

Contrairement à ce qu’on peut lire ici ou là, les jeux en ligne ne sont pas prohibés aux USA, mais une loi de 2006, promulguée par George W. Bush dans le cadre de la sécurité du territoire, vise le financement de ces jeux. Pour faire simple, elle interdit aux entreprises de paris en ligne de percevoir ou de déposer de l’argent auprès des banques américaines. Un rien hypocrite, non ! Ce qui oblige celles-ci à une petite gymnastique, comme de proposer aux clients des achats fictifs pour, de fait, alimenter leur compte joueur… Les Américains seraient ainsi quinze millions à acheter des objets qui n’existent pas pour mieux se livrer à leur passion : le jeu virtuel.

Pour les satisfaire, c’est toute une filière frauduleuse qui avait été mise en place, et il n’est pas interdit de s’interroger : Cette combine aurait-elle pu aller jusqu’au recyclage de l’argent du crime ou de la drogue ? Il est probable que la justice américaine a préféré ne pas prendre ce risque. Elle vient de donner un sérieux avertissement – et compte au passage récupérer environ 3 milliards de dollars de taxes.

Le casino, qu’il soit en dur ou virtuel, est l’endroit idéal pour blanchir l’argent sale. En France, on connaît bien le système de la paire de joueurs : celui qui gagne et celui qui perd. À la roulette, pour prendre le cas bêta, si l’un joue noir et l’autre rouge, il n’y a ni gain ni perte (sauf si le zéro sort), mais il est alors possible de justifier de l’origine de l’argent que l’on a dans sa poche, puisqu’on vient de le gagner au casino. Un truc utilisé par tous les truands, à plus ou moins grande échelle. À ne pas confondre avec la technique de la paire, telle qu’elle est pratiquée  par les spéculateurs boursiers. On sélectionne deux actions d’un même secteur, on en achète une et l’on vend l’autre. Ce qui diminue les risques et augmente sérieusement les probabilités de gains.

Bizarrement, cette intervention du FBI suit à quelques semaines d’intervalle le rejet d’une proposition de loi qui voulait faire du New Jersey le premier État américain où le poker en ligne aurait été autorisé. Une sorte de Silicon Valley des jeux en ligne. Et le sénateur qui soutenait ce projet se lamente du lobbying exercé par les casinotiers du Nevada, lesquels auraient dépensé des millions de dollars pour le faire capoter.

Chez nous, le lobbying doit plutôt s’exercer dans l’entourage de François Baroin, le ministre du Budget, puisque le Comité consultatif des jeux, qui a compétence sur tous les jeux d’argent et de hasard, vient de passer sous sa tutelle. Initialement, il devait être rattaché au Premier ministre, mais celui-ci aurait semble-t-il botté en touche, sans que l’on ne sache trop pourquoi. Le mois dernier, lors d’un colloque à Paris, les participants ont fait le point sur la loi de mai 2010 qui légalise les jeux d’argent en ligne. Que du beau monde : le député Lamour, le sénateur Trucy, l’homme d’affaires Partouche (une cinquantaine de casinos), etc. Rien n’est vraiment sorti de ces discussions, si ce n’est la conclusion du ministre du Budget, que je résume : Pour la clause de revoyure, on en reparlera après les Présidentielles.

En revanche, il y a une certaine agitation du côté de l’Union européenne. Le commissaire (et ancien ministre) Michel Barnier, vient d’ailleurs de présenter un Livre vert sur les jeux d’argent et de hasard en ligne dans le marché intérieur. La bible européenne du jeu, en quelque sorte, qui appuie là où ça fait mal :

Du marché noir au marché gris – Aujourd’hui, parallèlement à l’augmentation des services de jeux autorisés par les États membres, un vaste marché illicite s’est développé au sein de l’Europe. Cela va des sites sans aucune licence, le marché noir ; aux sites autorisés sur leur territoire mais qui prospectent allègrement dans les pays voisins, ce qu’on appelle le marché gris. Il y aurait plus de 12 000 sites de jeux en ligne qui seraient ainsi hors la loi. D’où la réaction des instances européennes.

Le droit européen – Comme l’a confirmé la Cour européenne, les sites de jeux sont régis par l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : « Les restrictions à la libre prestation des services à l’intérieur de l’Union sont interdites » – sauf si un État membre s’y oppose pour des raisons qui touchent à la protection des consommateurs ou aux risques de troubles à l’ordre public.

L’argent du jeu – En 2008, en Europe, les recettes annuelles des jeux d’argent et de hasard ont atteint 75.9 milliards d’euros (les mises, moins les gains et les bonus), dont 6.16 milliards pour les seuls jeux en ligne. Avec une croissance prévue à deux chiffres. La France se situe au quatrième rang, mais bien loin du Royaume-Uni, qui devance largement tous les pays d’Europe. Le petit tableau, extrait du Livre vert, donne la répartition des jeux.

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On se trouve devant cette situation ambivalente : d’un côté les États-Unis d’Amérique qui ne veulent pas des jeux en ligne et de l’autre, les États d’Europe, qui s’organisent pour mieux les réglementer.

Qui a raison ?

Je crois que, lorsque l’on ne peut maîtriser une situation, il n’est pas idiot de chercher à la réglementer. C’est d’ailleurs l’argument phare de ceux qui voient dans la dépénalisation du cannabis un moyen de mettre un sérieux coup de frein à un marché underground que personne ne peut contrôler. S’il s’agit de canaliser, moi, je suis plutôt pour. Et au passage, on pourrait, comme cela se passe pour les jeux en ligne, prélever une taxe destinées aux services hospitaliers d’addictologie. La loi sur les jeux en ligne prévoit en effet qu’une fraction des mises soit reversée à l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé et au régime d’Assurance maladie.

Et pourquoi ne pas rétablir les bordels et prélever des taxes !

Je plaisante.

Mais rien ne pourra empêcher la prolifération des jeux d’argent en ligne. Que ce soit sur Internet, sur les téléphones portables ou via la télévision. casser-ordinateur_fotosearch.1303628037.jpegIl faut donc faire avec et en tirer un avantage : si tu me pousses, je te tire, comme au judo.

Et au moins, les casinos en ligne, on ne peut pas les braquer !

L’histoire sans fin de la garde à vue

Après un premier élan positif, les avocats traînent à présent des pieds. Ils ont un peu l’impression d’un marché de dupes. Et là, je ne parle pas de leurs honoraires, puisqu’il s’agit, à lire certains commentaires du billet précédent, d’un sujet chaud, mais de leurs prérogatives durant la garde à vue.

Ils en veulent plus : parler librement avec leur client, poser des questions à l’issue des auditions, participer aux perquisitions… Mais ils souhaitent surtout accéder à l’intégralité de la procédure.

petite-fille-menottes-copie.1303208256.jpgEn deux mots, ils veulent avoir en main suffisamment d’éléments pour représenter leur client, et non pas servir d’alibi à une réforme en mi-teinte.

Pas question pour autant de bloquer le système, mais plutôt, suggère le bâtonnier de Paris, de faire des remarques écrites. Jointes au dossier, elles pourront ensuite être soumises au juge qui (sous-entendu) pourra vérifier la conformité de la procédure avec l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Ce qui risque de gonfler sérieusement les contentieux. D’autant qu’à ce jour, il n’a rien été prévu pour les procédures déjà effectuées. En effet, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a déclaré nulles « sans délai » les gardes à vue effectuées sans l’assistance effective d’un avocat, mais elle ne s’est pas penchée sur le passé…

Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la plus haute juridiction française a été saisie de faits précis. En l’occurrence, quatre étrangers placés en garde à vue, puis en rétention, pour séjour irrégulier. Alors que la Cour d’appel de Lyon avait jugé la procédure régulière, celle de Rennes l’avait au contraire invalidée.

Dans sa décision du 15 avril, la Cour de cassation s’est prononcée sur deux questions :

–      Les dispositions régissant la garde à vue sont-elles conformes à la Convention européenne ;

–      et sinon, l’effet doit-il être immédiat ou différé dans le temps.

À la première question, réponse claire : Pour que le droit à un procès équitable soit respecté, « il faut, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires ».

Et dans la foulée, elle a répondu à la seconde en optant pour une application immédiate, dans la mesure où les « États adhérents à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sont tenues de respecter les décisions de la Cour européenne des droits de l’homme, sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur législation ». (À noter, pour répondre à certaines questions, que ce ne sont pas les policiers qui doivent respecter les décisions européennes, mais les États.)

Une décision conforme à celle du Conseil constitutionnel qui, lui, avait cependant estimé que « l’inconstitutionnalité » ne prendrait effet qu’au 1er juillet 2011.

D’où cette application en catastrophe.

Quel manque de clairvoyance dans les hautes sphères de l’État ! Et alors qu’on a l’impression que rien n’est réglé, les parlementaires se tete-dans-le-sable_christianaubry.1303208797.pngpenchent déjà sur une nouvelle réforme : la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et au jugement des mineurs.

Parfois, on a envie de faire « pause ». Quant à moi, je me demande si la seule réforme qui vaille la peine ne serait pas celle de cette Constitution archaïque qui fait de la France un pays de moins en moins républicain et de plus en plus ridicule.

Garde à vue : le pataquès !

shadok-escalier_castaliefr.1303022469.jpgD’après ce qu’on raconte, ces premières heures de la nouvelle garde à vue se sont plutôt bien déroulées. Et la hotline de la préfecture de police n’a même pas tiédi. Il faut dire que policiers, gendarmes et avocats ont fait au mieux  pour s’adapter à la loi pondue en catastrophe par nos parlementaires – sauf que cette loi ne sera applicable qu’au 1er juin, comme l’indique l’article 26.

Nous sommes donc dans la situation paradoxale suivante : D’un côté, une loi qui n’est pas applicable avant plusieurs semaines, et de l’autre, une décision de la Cour de cassation qui prescrit une application immédiate.

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Autrement dit, pour faire simple, les gardes à vue actuellement effectuées sont soit illégales, soit illégales. Alors qu’avant, elles étaient seulement illégales.

C’est le bâtonnier des Deux-Sèvres qui a levé le lièvre. Il estime, avec juste raison, que l’on ne peut pas « laisser au pouvoir judiciaire le soin de détricoter ce que le pouvoir législatif a tricoté, c’est un non-sens ».

Alors, il faut s’interroger : les OPJ sont-ils tenus d’appliquer les nouvelles normes ? Après tout, ce bras de fer entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir législatif ne les concerne pas. Leur bible, à eux, c’est le Code de procédure pénale. Point barre.

Bon, on peut toujours se dire qu’aucun gardé à vue n’ira déposer une plainte ! Quoique… Supposons un suspect qui passe des aveux sur les conseils de son avocat et qui décide par la suite de nier les faits… Un autre avocat ne pourra-t-il pas faire annuler lesdits aveux sous prétexte qu’ils ont été obtenus en présence d’un confrère à lui, alors que la loi n’était pas encore applicable ?

Je sais, c’est un peu tordu…

Enfin, pour l’instant, les avocats ont d’autres soucis : Ils font leurs comptes.

Et le compte n’y est pas !

À ce jour, ils percevaient une indemnité de 61 euros H.T. pour une vacation de 30 minutes, soit 122 euros de l’heure. On leur propose aujourd’hui 300 euros pour les premières vingt-quatre heures et 150 euros de plus en cas de prolongation de la garde à vue.

Or les calculs du ministère de la justice sont basés sur une présence effective de trois heures durant la première période de garde à vue. À l’ancien tarif, ils devraient donc toucher 366 euros. Ce qu’ils réclament.

D’après les projections du gouvernement, lors d’une permanence de 24 heures, les avocats traiteront en moyenne trois affaires, soit 900 euros H.T (voir encadré).

Juste pour se fixer les idées, car aucune comparaison n’est évidemment possible (les avocats ont des charges), durant ces mêmes 24 heures, le policier gagnera à peu près 9 fois moins.

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Et le Conseil national des barreaux (CNB) appelle à une journée de mobilisation le mercredi 4 mai « pour que l’intervention de l’avocat en garde à vue fasse l’objet d’une prise en charge assurant l’effectivité des droits nouveaux ouverts à nos concitoyens ».

Mais qui va payer ?

Le budget consacré à l’intervention de l’avocat est évalué à 100 millions d’euros. Et comme les caisses de l’État n’ont jamais été aussi vides, il faut bien prendre l’argent quelque part. Qu’à cela ne tienne, une loi prochaine devrait décider que tous les justiciables engageant une action en justice en matière civile et administrative seront tenus d’acquitter une taxe. On parle de 30 euros – Une sorte de droit d’entrée.

Quand même, payer pour obtenir justice, cela laisse perplexe…

Supposons que cette manifestation du 4 mai se transforme en une grève générale. Plus d’avocats nulle part en France pour assister les gardés à vue. Au bout de deux heures de vaine attente, comme le prévoit la loi, les OPJ vont donc enregistrer la déposition de leur client. Sauf que, et c’est l’incipit même de la nouvelle loi, « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faite sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui. »

Il serait donc possible d’enregistrer les déclarations d’un suspect, tout en refusant ses aveux !

Il n’est pas concevable, bien sûr, de laisser la machine judiciaire se bloquer par la seule volonté d’un corps de métier. Il faudrait donc dans ce cas envisager soit que les avocats n’aient pas le droit de grève, cshadoks.1303023072.gifomme les policiers, soit qu’ils puissent faire l’objet d’une réquisition, comme les médecins. Pour les médecins, ce n’est pas un bon exemple. Ceux-ci s’y refusent et ça n’a jamais vraiment marché.

La chute d’Henri Botey, le parrain de Pigalle

On le surnommait le «  premier proxénète de France », il a fait la Une des journaux dans les années 80 et si les macchabées ont jalonné son environnement, lui s’en est toujours sorti. Même si parfois les balles ont sifflé à ses oreilles. Aujourd’hui, à agecanonix_asterix..jpg77 ans, il encourt dix ans de prison, en tant que tenancier (en sous-marin) de deux bars de Pigalle où les hôtesses, dit-on, travaillaient au bouchon. « Le client devait payer une bouteille de champagne, facturée entre 200 € et 300 € avant de pouvoir monter avec une fille. Il devait ensuite débourser 200 € pour la passe », raconte Le Parisien.

Un drôle de personnage que ce Botey. Pendant des dizaines d’années, lui et sa femme, Carmen, ont tenu le haut du pavé du Paris des noctambules. Pratiquement aucune boîte de nuit, aucun bar louche, pas un hôtel de passes de la capitale n’échappaient alors à l’emprise du couple – même s’il ne possédait aucun titre de propriété. Et cela semblait dans l’ordre des choses. Les policiers laissaient faire, certains même en croquaient, et les politiques y trouvaient leurs comptes. À tel point que Mitterrand, au début de son premier mandat, s’en étonne et tonne. Il charge Pierre Touraine, le directeur de la PJ parisienne, de faire le ménage. Ce qui va entraîner pas mal de remous. Car bien sûr, ce proxénétisme quasi officiel, transformé en un business lucratif où chacun s’y retrouve, n’est possible que si les autorités ferment les yeux. Une myopie justifiée par la mine de renseignements que les RG soutirent à ces messieurs-dames et, plus curieusement, par la préservation du folklore crapoteux de Pigalle.

Quand même, le proxénétisme classé patrimoine national, cela laisse rêveur…

Pour être honnête, il n’est pas exclu qu’avant Mitterrand, Giscard d’Estaing ait eu lui aussi la même attitude. On dit que le réseau de Botey l’avait activement soutenu lors de sa campagne électorale. En tout cas, peu après les élections de 1974, il y a remise à l’heure : le seigneur des julots se retrouve dans le collimateur de la Brigade mondaine, avec à la clé une inculpation pour proxénétisme. Une procédure toutefois gentillette, avec au passage un sérieux redressement fiscal. Un bon moyen de pression. Une somme qui équivaudrait à près de 3 millions d’euros, qu’il aurait, murmure-t-on, intelligemment négociée…

Et ses affaires reprennent. Mais dans la police, certains commencent à traîner les pieds. Ils ont du mal à comprendre la protection dont bénéficient les époux Botey. Mauvais flics, va ! Entre la BSP, le nouveau nom de la brigade mondaine, et les services de la rue du Faubourg-Saint-Honoré (l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains), le torchon brûle. Et les chefs de service ont bien du mal à éviter les chausse-trappes parfois tendues par leurs propres collègues. Comme toujours en cas de guéguerre des polices, les informateurs sont pressurés. Du coup, les proxénètes ne savent plus à quel saint se vouer et leur situation devient moins confortable. Ce qui n’est pas bon pour les affaires. Côté positif : quelques flics ripoux, victimes collatérales de ce manège, sont priés de faire leurs valises.

Mais pas à dire, sous la gauche, il devient plus difficile de gérer sa petite entreprise, car les protecteurs de Botey ne sont plus aux manettes. Du coup, il se trouve affaibli. Et dans le milieu, c’est comme dans la jungle, cela ne pardonne pas. Ou tu es prédateur ou tu te retrouves au mauvais bout de la chaîne alimentaire. En 1987, l’un de ses anciens employés, Alain Picaud, pense qu’il est grand temps pour le vieux (il a 54 ans) de prendre sa retraite. Ce qui ne serait pas très inquiétant si derrière ne se dessinait l’ombre de Jacky Imbert, alias Le Mat. Botey demande protection à André Gau, dit Dédé Gode, qui a le tort de ne pas prendre l’affaire au sérieux. Lui qui est l’un des derniers survivants de la guerre des gangs entre Tany Zampa, Francis le Belge, les frères Zemour et le clan des Siciliens, va mourir bêtement dans une cabine téléphonique de Neuilly, flingué par un demi-sel. Picaud sera d’ailleurs arrêté peu après et passera aux aveux sans trop se faire prier.

Quant à Botey, qui se trouvait également dans la cabine téléphonique, il s’en sort indemne (voir sur ce blog « La petite histoire de la PJ »).

Henri Botey n’est pas un dur, mais plutôt un homme d’affaires. Des affaires très spéciales. De mémoire, il n’a jamais été inscrit au fichier du grand banditisme. Et le fait d’apprendre aujourd’hui qu’il a tenu Marine Le Pen sur les fonts baptismaux a dû en faire sourire plus d’un : d’anciens truands, d’anciens policiers, et surtout de très actuels politiciens qui en ont sans doute marre de voir la squelette_blog-a-la-fortune-du-mot.1302851977.jpgdame s’envoler dans les sondages…

Décidemment, ces temps-ci, les vieux truands sont sur la sellette. Comme si la PJ raclait ses fonds de tiroir. A moins qu’à la DCRI  on soit en train d’expurger l’ancien fichier des RG… Entre nous, j’ai comme l’impression que dans les mois à venir, bien d’autres squelettes vont sortir des placards.

Fisc : des policiers qui n’en sont pas

Ils disposent des mêmes pouvoirs que les officiers de police judiciaire : garde à vue, perquisitions, saisies, réquisitions, écoutes téléphoniques, etc., et pourtant ce ne sont ni des policiers ni des gendarmes, mais des agents du fisc. Ce sont les nouveaux officiers fiscaux judiciaires (OFJ). Leur mission : la lutte contre les fraudes fiscales, et notamment contre ces assemblages tortueux qui mènent tout droit au paradis… fiscal.

police-fiscale.jpgCes fonctionnaires du fisc ont reçu une formation de trois mois à l’École nationale supérieure des officiers de police de Cannes-Écluse. Trois mois !…  Cela peut paraître bien court, alors que l’instruction des élèves officiers s’étale sur 18 mois. Et pour mémoire, par le passé, il fallait compter cinq ans de pratique avant de recevoir l’habilitation d’OPJ.

Afin de se donner les moyens de poursuivre les délinquants qui s’en prennent au portefeuille de l’État, en novembre dernier, la Brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF) a vu le jour. Il s’agit d’un service de police judiciaire dans lequel sont regroupés officiers et agents de PJ, et les tout nouveaux OFJ. C’était une aspiration de l’ancien ministre du budget, M. Éric Woerth, mais, si j’ai bien compris, à l’époque, il voyait plutôt là un moyen d’éloigner les policiers des enquêtes fiscales. Peut-être pour avoir la mainmise sur un outil redoutable…

Depuis, les affaires sont passées…

Tout cela s’accompagne d’un changement de la procédure judiciaire applicable aux enquêtes fiscales. Cette procédure est à deux niveaux. Une saisine en amont sur la base de simples présomptions et, en aval, des investigations menées sous l’autorité du procureur ou du juge d’instruction. Or, il est dit dans la circulaire du ministère de la justice que cette nouvelle brigade n’a pas « la possibilité de réaliser des enquêtes d’initiative ; elle ne pourra procéder qu’aux enquêtes qui lui seront confiées par les magistrats, dans le cadre des procédures d’enquête préliminaire ou d’information judiciaire… » Une vue de l’esprit, d’autant que cette même circulaire précise que la mission de base est de rechercher et constater les infractions. D’ailleurs, un haut fonctionnaire de Bercy, cité par Le Figaro, déclare que « cette redoutable brigade » pourrait déclencher ses investigations « à partir de présomptions et sans contrôle fiscal préalable. »

Alors, quel avantage par rapport aux services existant aujourd’hui ? La justification tient dans « la plus-value que constitue pour les magistrats la compétence d’enquêteurs spécialisés disposant d’une compétence nationale et d’une expérience… » Ce qui n’est pas vraiment gentil pour les policiers spécialisés dans ce domaine au sein de la préfecture de police et de la direction centrale de la PJ, auxquels du reste sont intégrés plus de 80 inspecteurs des impôts. Ni pour les autres fonctionnaires du fisc ou des douanes qui se démènent au sein de services spécialisés, tellement nombreux, qu’il serait bien fastidieux de les énumérer ici.

Les deux précédents ministres de l’Intérieur avaient d’ailleurs freiné des quatre fers, conscients que la création d’un service de police judiciaire auprès de Bercy serait plutôt mal interprétée. Finalement, comme c’est souvent le cas ces temps-ci, on fait quand même mais on fait a minima : cette brigade a finalement été rattachée à la direction centrale de la police judiciaire.

Toutefois, cette démarche de nos dirigeants laisse un sentiment de malaise. Sous prétexte de pourchasser les milliardaires qui cachent une partie de leur fortune sous des cieux plus cléments (Tiens, qu’est donc devenue l’Île de Liliane Bettencourt ?), on peut se demander si l’objectif n’est pas de s’attaquer aux citoyens plus modestes, vous et moi.

Quoi de plus normal, me direz-vous ! Rien ! Mais ne risque-t-on pas demain de voir des gros bras fiscalistes harnachés comme les gens du RAID, flic_lessor.jpgenfoncer notre porte sous prétexte qu’on a un peu triché sur les frais de déplacements lors de sa déclaration d’impôts !

Une police fiscale répressive…

Prostitution : sale temps pour les michetons

Après des mois de travail, une commission parlementaire gauche-droite a opté pour une répression qui viserait les clients des prostitué(e)s. Et Mme Bachelot s’est emparée du projet en affirmant qu’il faut lutter contre cette forme de « violence faite aux femmes ».  Les associations qui militent pour l’abolition de cette profession ancestrale parlent plus volontiers d’une atteinte à la dignité de la une-gueule-de-bois-en-plomb-de-tardi-dapres-leo-malet.jpgfemme. On oublie donc les hommes, qui représenteraient pourtant, du moins dans la capitale, plus de 20% des personnes prostituées. Et l’on mélange tout. La prostitution volontaire, qui pose un problème de morale publique, et la prostitution forcée qui, elle, relève de la criminalité organisée. Il faut d’ailleurs reconnaître que celle-ci s’est considérablement aggravée ces vingt dernières années, même si les chiffres avancés sont souvent fantaisistes. Une chose est sûre : les julots qui tapent le carton au fond d’un bar enfumé en surveillant du coin de l’œil leurs gagneuses, c’est du folklore.

Le client, avant, pendant ou après ? – Si cette nouvelle loi annoncée pour 2012 voit le jour, elle ne va pas manquer de poser de sérieux problèmes d’application. L’infraction sera-t-elle constituée lors d’une éventuelle négociation des tarifs, ce qui reviendrait à un délit d’intention, ou lors du règlement ? Et comme celui-ci se pratique généralement à huis clos… Si le but est de décourager la clientèle, il faut que cette nouvelle infraction constitue un délit puni d’une peine de prison, afin d’être raccord avec la nouvelle procédure sur la garde à vue. En fait, si j’ai bien compris, il s’agit plutôt de donner un pouvoir supplémentaire à la police afin de perturber au maximum le commerce des charmes, comme c’est déjà le cas pour le racolage passif. En effet, cette infraction, abrogée en 1994, a été rétablie par une loi de 2003 : « Le fait par tout moyen, y compris par une attitude même passive, de procéder publiquement au racolage d’autrui en vue de l’inciter à des relations sexuelles… ». Et dans la foulée, on est passé de la contravention au délit, avec à la clé, une peine de deux mois de prison. Mais comment déterminer que telle position constitue l’élément matériel de ce délit ? Le fait pour une femme de poireauter en minijupe sur un coin de trottoir est-il suffisant ? Sur le terrain, c’est donc le policier qui estime si l’attitude ou le comportement d’une personne peut être considéré comme du racolage. Demain, avec cette nouvelle loi, du moins s’il s’agit d’un délit d’intention, comment les policiers feront-ils la différence entre un passant et un futur client ? Pas facile non plus pour les juges, qui aujourd’hui déjà, souvent par manque d’éléments concrets, ne donnent pas suite au délit de racolage passif. On en arrive à cette situation où la sanction consiste en l’interpellation, la garde à vue, le fichage, etc. En fait, il y a un autre but : inciter les personnes émigrées qui se prostituent à se placer sous la protection de l’État français et à dénoncer le réseau auquel elles appartiennent. Si elles collaborent, elles peuvent recevoir un titre de séjour, sinon, elles sont reconduites dans leur pays d’origine.

Le commerce de son corps – La prostitution indépendante (et non forcée) relève-t-elle de la liberté de chacun ? Chez les féministes, la question fait débat entre ceux qui prêchent le fait de pouvoir disposer de son corps, le credo des années 70, et les autres, qui visent à la protection de la femme. En droit, le meilleur équilibre, adopté par la plupart des pays, se traduit par la pénalisation du proxénétisme sans pour cela interdire la prostitution. Mais la prostitution génère souvent des nuisances, non seulement par la présence de ces dames ou de ces hommes qui guettent le chaland, mais surtout par la population qu’elle draine. Et les plus gênants ne sont pas les clients, mais les pervers qui rôdent autour. À Paris, « la rue des branleurs » a souvent été citée comme exemple.

L’État proxénète – En passant, il est amusant de noter que les agents du fisc se moquent éperdument de savoir si la prostitution est une atteinte à la dignité humaine. Pour eux, c’est un métier libéral. Dans un rapport du Sénat qui date d’une dizaine d’années, on pouvait lire que les pratiques de l’administration fiscale faisaient encourir le risque de voir l’État poursuivi pour des faits de proxénétisme. Pire, sans doute pour montrer que tout le monde est solidaire, le proxénète est lui-même imposé sur les revenus qu’il tire de son activité illicite. Difficile d’être précis, mais le chiffre d’affaires annuel de la prostitution atteindrait plusieurs milliards d’euros.

Un problème de santé publique – Il y a quelques mois, le Conseil national du sida a attiré l’attention sur la santé des personnes prostituées. Dans un rapport, il est fait mention, entre autres, de la pression policière, laquelle entraîne plus de clandestinité. Le Conseil s’attaque notamment à la loi sur le racolage passif qui contribue à déplacer la prostitution vers « des lieux plus discrets, plus isolés et donc plus dangereux ». Qu’en sera-t-il avec cette nouvelle loi qui vise la clientèle ? Pour éviter de se faire prendre, les clients vont exiger des endroits toujours plus à l’écart du monde… Et ces femmes que l’on dit vouloir protéger, vont courir encore plus de risques. Pour les mêmes raisons, leur suivi médical est quasi inexistant. Il y a quelques jours, la Haute autorité de la santé a d’ailleurs tiré le signal d’alarme en demandant le renforcement de la surveillance épidémiologique des gonococcies (la chaude-pisse), notamment dans les milieux à risques.

Entre dignité et liberté – La France est un pays nettement abolitionniste, sans toutefois aller jusqu’à interdire la prostitution volontaire. En balance entre dignité et liberté. Chacun n’est-il pas libre de faire ce qu’il veut de son corps ! Et la liberté, disent certains, c’est la substance même de la dignité. Oui, mais à plusieurs reprises, les plus hautes instances judiciaires du pays ont considéré que notre liberté n’allait pas jusqu’à admettre qu’une personne puisse déprécier sa qualité « d’homme ». Ainsi, le Conseil constitutionnel parle de « sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation ». Il faut donc en déduire qu’on n’est pas tout à fait libre d’utiliser son corps comme on le veut.

Vous vous souvenez de ce spectacle idiot qui consistait à utiliser des nains comme projectiles. Bien entendu, ceux-ci étaient consentants et rétribués en conséquence. Peu importe qu’ils soient consentants, a dit le Conseil d’État, personne ne peut consentir à sa dégradation de qualité d’homme. Et la dignité humaine est mise à mal lorsqu’on utilise comme un objet une personne souffrant d’un handicap physique. On est bien là dans les limites de la liberté edith_piaf.1302169464.jpgde son corps. Et pourtant, la France ne condamne pas le suicide. Ce qui est condamnable, ce n’est donc pas l’atteinte que l’on peut porter à son enveloppe charnelle, mais l’image que l’on donne de la qualité humaine.

La fille de joie est triste, chantait Édith Piaf.

Garde à vue : course contre la montre

Il ne reste qu’un petit mois aux parlementaires pour accoucher de la loi qui va réformer la garde à vue – et sérieusement tournebouler le traintrain des policiers et des gendarmes. En effet, le projet qui est actuellement discuté en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, prévoit, en son article 18, que la loi devra entrer en vigueur « le premier jour du deuxième mois suivant la publication au Journal officiel et au plus tard le 1er juillet 2011 ».

extrait-alice-au-pays-des-merveilles.1301823002.gifJe vais vous faire une confidence : le texte est tellement embrouillé, que même ça, j’ai du mal à imprimer. Le premier jour du deuxième mois…

Conclusion : il reste trois semaines avant le vote définitif. La difficulté majeure, on l’a bien compris, c’est la présence de l’avocat. Pour l’instant, certains tentent de faire entrer de force une sorte d’audition libre qui pourrait être effectuée sans sa présence, et sans contrainte d’aucune sorte – sauf celle d’être placé en garde à vue en cas de refus. Cette mesure, envisagée un temps, puis repoussée par les deux assemblées, refait surface dans l’article 11 bis qui rappelle que l’OPJ n’est pas obligé d’utiliser la garde à vue, même si les conditions sont réunies. Mesure qui ne semble pourtant pas en phase avec les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est du moins l’avis de Jean-Jacques Urvoas, le Monsieur sécurité du PS. Pragmatique, il propose donc que la personne qui accepterait une audition libre « dispose d’un statut protecteur minimum », comme la possibilité de téléphoner à son avocat.

Mouais, sauf que pour l’enquêteur, il n’y a pas trop d’alternatives, puisque l’article préliminaire de la réforme prévoit grosso modo que les déclarations hors la présence de l’avocat ne servent pas à grand-chose. Si une personne veut avouer son crime, l’OPJ devra impérativement suspendre l’audition, placer le suspect en garde à vue, et reprendre l’audition après l’arrivée de l’avocat. Bon, on en était où ? Vous disiez que vous aviez tué…

D’autres amendements sont moins réalistes, comme celui qui conteste aux procureurs le droit d’accorder une prolongation, puisque la Cour européenne ne reconnaît pas le statut de magistrat à ces… magistrats. Ou encore cet autre pour qui la présentation au procureur ne peut pas être effectuée par des moyens audiovisuels, mais uniquement en face-à-face. Ou celui qui veut modifier le Code de la santé publique pour les personnes en état d’ivresse dans un lieu public. Plutôt que de les enfermer en cellule de dégrisement, il suffirait de les confier à l’un de leurs proches ou à une association habilitée.

Cela part d’un bon sentiment, mais on imagine la scène… Dans un petit commissariat aux effectifs ergépépépisés, le chef de poste bataille au téléphone pour dénicher à trois heures du mat’ la bonne âme susceptible de prendre en charge le soulard qui pour l’heure est en train de foutre le bordel dans sa boutique !

Il reste trois mois avant que cette mesure n’entre en application. Trois mois pour former les OPJ et les APJ, changer les formulaires, les procès-verbaux, les logiciels, organiser des services, prévoir les locaux pour accueillir les avocats, les médecins… Sans parler de l’organisation des services, police, gendarmerie, justice… Quant au Conseil national des Barreaux, il doit compter ses troupes – et ses sous. Car l’addition passe malbatonnier-brigitte-marsigny_-cnb.1301823128.JPG. Garde des sceaux cherche budget désespérément. Si le chiffre de 122 € semble faire l’unanimité, on s’interroge : s’agit-il d’une indemnité horaire ou du montant de la vacation, quelle que soit sa durée.

En septembre 2009, le président de la République se réjouissait des propositions du comité Léger sur la réforme de la procédure pénale, et notamment de la suppression du juge d’instruction. Alors que l’urgence, on le savait déjà, était de réformer la garde à vue. Que de temps perdu ! Que d’imprévoyance !

Et le plus amusant, si l’on peut dire, c’est que la Cour de cassation, « dont beaucoup de membres sont aujourd’hui entrés dans une forme de rébellion » nous dit Le Figaro, pourrait prendre une décision à la mi-avril, qui risquerait d’accélérer encore plus le mouvement.

Mi-avril, c’est à peu près la période où devraient commencer les premiers tests sur le terrain.

Il y a biendepute-philippe-houillon_cnb.1301823267.JPG longtemps, un technocrate avait pondu une circulaire enjoignant aux policiers en civil de ne plus griller les feux rouges. Je me souviens de ce dialogue radio, qu’on se racontait entre nous :

–      Broussard : Vous en êtes où de la filoche ?

–      Le chef de groupe, depuis sa voiture : Euh !… On les a perdus patron ! Le feu est passé au rouge, alors, on a été obligé de s’arrêter…

Cette réforme est nécessaire. Mais elle a été si mal préparée, si mal expliquée, qu’elle est mal reçue par les policiers et les gendarmes. Et si demain, dans une sorte de grève du zèle, le nombre de gardes à vue augmentait ?

Quelle pagaille !

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