LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Qui veut la peau de la PP ?

Bernard Petit, le directeur du 36 quai des Orfèvres, la PJ de la préfecture de police, vient d’être mis en examen. On lui reproche d’avoir violé le secret de l’instruction dans l’affaire Rocancourt et d’avoir fourni des informations au préfet Christian Prouteau.

Plaque Quai des OrfèvresOr, si la violation du secret de l’instruction est un délit banal et rarement poursuivi, le deuxième chef d’inculpation est plus grave. C’est une infraction créée par la loi du 9 mars 2004, dite Perben II. Elle vise toute personne qui, du fait de ses fonctions, a connaissance d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant un crime ou un délit, et qui en informerait « sciemment » un suspect dans le dessein d’entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité (art. 434-7-2 du CP).

Je ne crois pas me tromper en disant qu’à l’origine, ce texte visait essentiellement les avocats.

L’addition peut être lourde : de 2 à 5 ans de prison et de 30 à 75 000 € d’amende, selon les cas. Et pour un policier, comme c’est devenu la règle, la présomption de culpabilité prévaut sur la présomption d’innocence. La mise à pied immédiate est de rigueur.

Toutefois, il faut relativiser. Ici, on serait plutôt dans un délit de copinage que dans un acte véreux. La situation de témoin assisté aurait suffi. Mais il semble bien que le parquet ait poussé pour une mise en examen assortie d’un strict contrôle judiciaire de façon à interdire à Bernard Petit la possibilité d’exercer ses fonctions. D’une certaine manière, les magistrats ont « couvert » la sanction annoncée du ministre de l’Intérieur. À moins qu’ils ne lui aient forcé la main.

Au-delà de cette affaire, on peut dire que la PJ/PP s’est pris un coup de vieux ces temps-ci.

D’autant que des fuites enfoncent le clou : on retrouve dans la presse les propos tenus dans un parloir de Fleury-Mérogis par l’ineffable Christophe Rocancourt. Il semble que de mystérieux personnages aient violé à leur tour le secret de l’instruction, puisque l’on peut lire sous la plume de journalistes un résumé de sa conversation. Celui-ci aurait demandé à son interlocuteur de se mettre en contact avec le frère du brigadier suspecté d’avoir fait main basse sur 52 kg de cocaïne dans les locaux du 36, afin de récupérer quelques dizaines ou quelques centaines de milliers d’euros.

L’amalgame entre les deux affaires est dévastateur.

Ici, par parenthèse, on peut se demander s’il est légal de sonoriser le parloir d’un détenu. La réponse est oui mais.

En effet, l’enregistrement de conversations tenues dans des lieux ou véhicules privés ou publics est désormais possible, sous le contrôle d’un juge, lorsque l’enquête concerne les infractions énumérées à l’article 706-73 du code de procédure pénale. Les faits reprochés à Christophe Rocancourt figurent-ils sur cette liste ? Je ne sais pas. Mais il faut faire confiance aux juges, ils sont forcément au courant de la jurisprudence du 9 juillet 2008. En l’occurrence, la cour de cassation a annulé la sonorisation d’un parloir ordonnée par un juge d’instruction dans une information judiciaire ouverte pour meurtre. D’autre part, pour que des écoutes effectuées sur une personne privée de liberté soient conformes à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il faut que les infractions visées portent gravement atteinte à l’ordre public et qu’elles ne constituent pas un procédé déloyal dans la recherche de preuves.

Dans cette affaire alambiquée à souhait, les complotistes se régalent : Aurait-on savonné la planche à Bernard Petit, policier émérite dont le tort serait de ne pas appartenir au sérail ? Ou bien cet homme, nommé par Manuel Valls, présumé mettre « out » le réseau Sarko, a-t-il été victime d’une machination ? À moins que certains magistrats se lancent dans une nouvelle tentative pour forcer le blockhaus de la police judiciaire de la capitale…

Il faut dire que la mésentente entre la PJ/PP et les magistrats parisiens ne date pas d’hier. Ces derniers ont toujours eu du mal à supporter le filtre d’une hiérarchie puissante entre eux et les enquêteurs. Et le fait de savoir que le préfet de police garde un œil sur les dossiers judiciaires les plus sensibles ne leur plaît pas plus que ça.

Il y a presque 20 ans, le patron de la PJ, Olivier Foll, refusait son assistance au juge Halphen lors d’une perquisition au domicile des époux Tibéri, avec, semble-t-il, la bénédiction du préfet de police Philippe Massoni et celle de Jean-Louis Debré, alors ministre de l’Intérieur. Une fronde policière qui symbolise bien la toute-puissance de la PP. Foll fut déchu de sa qualité d’OPJ par le parquet général, mais il resta en place jusqu’à l’alternance politique. Et les magistrats mangèrent leur chapeau. Il fut débarqué de son poste lorsque Lionel Jospin remplaça Alain Juppé à Matignon.

La préfecture de police est une institution dont les « attributions sont à la fois d’ordre gouvernemental, judiciaire et municipal », comme le disait le préfet Louis Lépine (1846-1933). La PP, ce sont environ 45 000 fonctionnaires répartis dans trois branches principales : la police administrative, les services actifs et la sécurité civile. Et dans l’organigramme, la police judiciaire n’est que l’une des branches des services actifs.

Pour le député socialiste Jean-Jacques Urvoas, c’est une usine à gaz. Dans son livre préélectoral sur la sécurité et sur ce que la gauche devrait faire une fois au pouvoir, le titre de la page 49 est limpide : « Supprimer la préfecture de police de Paris ». Il voit la PP comme « une hérésie juridique qu’il est urgent d’abolir ». Alors, le gouvernement actuel va-t-il lui emboîter le pas et profiter de la faiblesse passagère du Quai des Orfèvres pour porter l’estocade à l’institution napoléonienne ? Rien n’est moins sûr. N’oublions pas que la PJ/PP a échappé au coup de sang du général de Gaulle, après les turpitudes de l’affaire Ben Barka. Pour calmer le grand homme, le Parlement a légiféré, instituant une police nationale « par intégration des fonctionnaires appartenant aux services actifs de la sûreté nationale et de la préfecture de police », comme il est écrit dans l’article 2 de la loi du 9 juillet 1966. Les optimistes pensaient alors que les deux maisons allaient se réunir. Fin de la PP. Fin de la SN. Et vive la PN ! Il n’en a rien été. Seule la carte tricolore est devenue identique. Et ni le recrutement national ni la formation dans les mêmes écoles n’ont vraiment changé les choses. Les flics parisiens ont continué de tourner en rond. Mieux, les grands chefs sont allés prendre des places dans la maison d’en face, l’ex-SN. De mémoire, au siècle dernier, seul Jean-Pierre Sanguy a fait le trajet inverse. Il a été nommé directeur du 36 en 1988 après avoir dirigé la PJ de Marseille quelques années auparavant.

Ensuite, droite ou gauche, la préfecture de police n’a fait que se renforcer. Alors que seule la police judiciaire avait compétence sur les trois départements limitrophes de la capitale, en 2009, sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, c’est toute la PP qui a étendu son emprise sur ces départements. Certains parlent d’un État dans l’État.

Manuel Valls va-t-il aller à contre-courant et profiter du déménagement programmé du 36 pour faire de Paris une ville comme les autres, avec un préfet tout court et une police municipale ? Rien n’est moins sûr. La PP n’a pas été créée pour protéger les Parisiens mais pour protéger l’État des Parisiens. Cette puissance policière est rassurante pour les dirigeants de notre pays : 1 policier pour 200 habitants dans la Grand Paris. De plus, en mêlant étroitement les pouvoirs de police judiciaire et les pouvoirs de police administrative, la PP est un outil unique d’information et de contrôle de la vie de la capitale. Elle n’a pas d’équivalent en Europe. Au fil des régimes successifs, les remparts de l’auguste maison sont devenus indispensables au gouvernement, quel qu’il soit.

En fait, la PP est une vieille dame qui fascine les gens au pouvoir. Seuls les magistrats résistent à ses charmes.

 

4 Comments

  1. Janssen J.-J.

    Bonjour commissaire,
    Donc trois conceptions bien différentes du rôle des juges dans ce nouveau billet bien intéressant, mais on peine à savoir laquelle d’entre elle l’emporterait à vos yeux (sans doute parce que le statut des magistrats évoqués n’est jamais le même : Parquetiers ? Au cabinet du ministre de la justice ? ou au Siège, à la cour de Cass) ? Vous évoquez en effet trois figures différentes :
    – les magistrats comme « contre pouvoir » à la puissance de la PP, « blockaus » ou « Etat dans l’Etat » ? (c’est bien)
    – les magistrats comme activistes politiques qui « couvrent une sanction du MI ou lui auraient forcé la main » ? (c’est pas bien)
    – les magistrats protecteurs des libertés au parloir, à qui « il faut faire confiance »… (c’est pas mal).
    Apparemment, « ils » auraient encore une petite faculté de nuire et de protéger, par rapport au diagnostic du ‘cancer de la PJ-PP’ qui s’étend depuis deux siècles et notamment depuis la réforme de 1966, avortée dans les faits en dépit des efforts du Général, resté meurtri par l’affaire Ben Barka.
    Je crains que personne, hélas, n’arrivera jamais dans ce pays à la terrasser politiquement, non pas parce qu’elle offrirait trop de « charmes », mais parce que la puissance de ses flics est trop effrayante et trop utile aux politiques de tout poil de la capitale (NB/ sur l’histoire de son enracinement politico-administratif dans le paysage français, voir le travail remarquable d’Olivier Renaudie.
    http://www.amazon.fr/pr%C3%A9fecture-police-Olivier-Renaudie/dp/2275033521/ref=la_B004MO89P8_1_2?s=books&ie=UTF8&qid=1423667432&sr=1-2 )
    Cela dit, il n’est pas sûr qu’on n’en ait pas l’équivalent comme à la Metropolitan Police de Londres. Je serais donc un poil moins catégorique sur l' »absence d’équivalence » en Europe. Bien confraternellement à vous.

  2. Bertrand

    Merci de remettre sur la table le paradoxe de l’existence de la PP. Mais pourriez vous développer? Quelle différences entre les raisons originelles de son existence, son rôle réel et ses missions aujourd’hui? L’impératif spécifique du à la sécurité d’une capitale et de ses institution justifie t-il un dispositif spécial ou pas?
    N’étant pas un grand ami de Napoléon, de l’Etat policier et du contrôle politique, la disparition de la PP me semblerait une bonne chose, mais quid de ses missions nécessaires?
    Merci.

  3. Jérémie

    Bonjour Commissaire,

    sans répondre directement au sujet, je tenais à vous remercier pour la tenue de ce blog. Il est très instructif et la fluidité de votre écriture est remarquable. Une véritable perle pour une personne comme moi qui se destine au même métier que le votre,

    Bien cordialement,

    ____
    Touché ! Et bonne chance.
    GM

  4. Dul

    La disparition de la PP ne serait pas une grande perte vu son interprétation toute personnelle des lois relatives au séjour des étrangers en France.

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