L’arrestation ces derniers jours de policiers de la PAF, mis en cause dans un trafic qu’ils sont censés surveiller ; la disparition d’une cinquantaine de kilos de cocaïne dans la salle des scellés de la brigade des stups du quai des Orfèvres, autant d’affaires récentes qui plombent la police. Une seule raison : le fric. En octobre dernier, c’était un ancien chef d’Interpol qui était mis sous les verrous en Équateur, et l’on se souvient des nombreuses arrestations parmi les autorités de l’aéroport de la station balnéaire de Punta Cana, en République Dominicaine, après la découverte de 682 kg de cette drogue dans un Falcon 50 français, en mars 2014.
Le trafic de stupéfiants, et notamment celui de la cocaïne, génère de tels bénéfices que tous les intermédiaires s’enrichissent… en une traînée de poudre – du moins s’ils ne vont pas en prison. Quant aux « cocotrafiquants », le fric les rend omnipuissants. Devant ces kilos de drogue qui défilent sous leur nez et qui disparaissent en fumée dans les incinérateurs, certains flics craquent. Ils passent du côté obscur. Même s’ils ne sont que quelques-uns, ils font mal à la corporation. Mais, comme dit le directeur général Jean-Marc Falcone, « la police nationale fait le ménage dans sa propre institution ».
Sniff !
En France, d’après l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, la cocaïne se revend 68 € le gramme, pour une pureté moyenne qui tourne autour de 35 %. Ce qui met le produit pur autour de 200 000 € le kilo alors qu’il est acheté aux cultivateurs l’équivalent de 2 à 3000 €. On imagine les retombées que cela engendre tout au long de la chaîne d’intermédiaires ! Évidemment, les narcotrafiquants sont les premiers à passer à la caisse. Pour la seule cocaïne, leur chiffre d’affaires annuel se situerait dans une fourchette comprise entre 75 et 100 milliards de dollars (Rapport mondial sur les drogues de 2011). Un chiffre qui est d’ailleurs en baisse sur ces dix dernières années, notamment aux États-Unis, mais qui représente environ le quart du marché de l’ensemble des drogues. Même si l’on tient compte du prix du traitement (20 à 30% du prix d’achat), la marge est impressionnante. Certains analystes estiment que le trafic de drogue dans sa totalité équivaut à 1 % du PIB mondial.
Selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (2009), les produits stupéfiants représenteraient environ un cinquième du produit du crime dans le monde et il faudrait un budget de 200 à 250 milliards de dollars pour couvrir les dépenses de santé annuelles liées à la consommation des « drogues illicites ». Je suppose que les drogues licites sont les médicaments !
Les moyens mis en œuvre pour lutter contre ce type de criminalité donnent le tournis. On a l’impression d’un petit monde qui s’agite en vase clos. Pour l’UE, les coûts cachés ou apparents liés aux produits stupéfiants oscilleraient entre 28 et 40 milliards d’euros par an. La cocaïne est la deuxième drogue la plus consommée en Europe.
Quant à la France, elle dépenserait plusieurs milliards d’euros (je ne suis pas sûr qu’il soit tenu une comptabilité), dont une grande partie pour lutter contre l’importation de la « bigornette », comme disait Francis Carco dans La dernière chance, en 1935. En effet, via les Antilles et la Guyane, notre pays est en première ligne.
Ainsi, le mois dernier, près de 30 tonnes de drogue ont été saisies lors d’une opération Interpol menée en Amérique centrale et dans les Caraïbes. En partie de l’héroïne et du cannabis, mais principalement de la cocaïne, pour une valeur estimée à 1,3 milliard de dollars. Cette opération baptisée Lionfish II a été menée conjointement par 39 pays, dont 4 de l’UE : l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et la France. Mais c’est la France qui a financé l’opération (je ne sais pas si l’UE participe). La partie opérationnelle est revenue à l’Office central pour la répression du trafic illicite des stupéfiants (OCRTIS) en coordination avec le secrétariat général d’Interpol. « L’opération a également permis de fermer une cinquantaine de laboratoires de fabrication de stupéfiants. La marine nationale colombienne a saisi un semi-submersible qui servait à transporter de la drogue, deux avions légers ont été saisis en Équateur et une vingtaine de pistes d’atterrissage dissimulées dans la forêt ont été détruites par les autorités colombiennes… », peut-on lire sur le site d’Interpol.
Comme on le sait, la cocaïne est cultivée et traitée dans le nord de l’Amérique Latine, essentiellement en Colombie, en Bolivie et au Pérou. Elle suit ensuite trois axes d’exportation « traditionnels », l’un vers les États-Unis et le Canada ; les deux autres vers l’Europe et l’Afrique (on peut se demander si la fin de l’embargo sur Cuba ne changerait pas la donne). L’UE est d’ailleurs fortement « attaquée » par des passeurs qui viennent d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord.
Dans la mer des Caraïbes, la « Méditerranée américaine », la lutte contre les trafiquants est menée par les forces armées de différents pays. Pour ce faire, plusieurs accords ont été passés, trop sans doute, au point de ne pas s’y retrouver. Ce qui favorise la suprématie américaine. En 2008, un accord a été signé entre le commandant supérieur (COMSUP) de Fort-de-France et le commandant régional américain. Nom de code : Narcops. Et en novembre 2011, une première opération conjointe d’envergure pour lutter contre le trafic à destination de l’Europe et de l’Afrique du Nord a été mise sur pied.
La France dispose en permanence de deux bâtiments de guerre qui patrouillent le secteur avec chacun un hélicoptère embarqué. Parfois, un sous-marin nucléaire pointe son nez. En cas d’intervention sur un go fast, un tireur d’élite prend position pour neutraliser les moteurs. Puis il reste en appui pour protéger l’équipe d’intervention. En cas de nécessité, l’ordre d’ouvrir le feu doit venir de Matignon, via le Secrétariat général à la mer, qui assure la coordination interministérielle des actions de l’État en mer. Il faut dire que dans ce type d’opération, plusieurs ministères sont concernés : Défense, Intérieur, Justice, Finances et Santé. C’est une exception française.
La police judiciaire est également très active. Il existe une antenne de l’OCRTIS à Fort-de-France et deux détachements, l’un à Pointe-à-Pitre, l’autre à Saint-Martin, et les gendarmes disposent d’un patrouilleur. Mais depuis quelques années c’est la Guyane qui inquiète. Elle a déjà pris sa place dans un trafic de « mules » à destination de la métropole. Mais cela pourrait bien évoluer, notamment en raison de sa proximité avec des pays trafiquants, comme le Surinam et le Venezuela, et aussi d’une présence policière moins forte. Dans ce département où 40 % des moins de 30 ans sont au chômage et où 44% des travailleurs sont fonctionnaires, il doit être difficile de rêver sa vie.
Pour comprendre, comment on en est arrivé là, c’est-à-dire une situation inextricable malgré les moyens mis en œuvre, il faut jeter un coup d’œil en arrière…
De 1860 à 1910, la coca et la cocaïne sont des denrées qui s’exportent mondialement, notamment par deux réseaux principaux partant des pays andins, l’un vers l’Allemagne et le reste de l’Europe, l’autre vers les États-Unis. Les Américains deviennent alors les plus grands consommateurs au monde. Le revirement est brutal. En 1915, les États-Unis se lancent dans une croisade solitaire contre ce fléau qui ravage l’Amérique, diabolisant l’Allemagne en le dépeignant comme l’empire de la drogue. Peu à peu, différents pays emboîtent le pas au géant américain, jusqu’à l’interdiction mondiale en 1950.
En quelques décennies, un produit licite devient illicite et sa commercialisation échappe alors aux contrôles des États. Les filières légales disparaissent laissant la porte ouverte aux aventuriers et aux trafiquants de tout crin.
Au retour de la guerre du Vietnam, de nombreux soldats américains sont devenus héroïnomanes. Aussi, en 1971, le président Nixon déclare la guerre à la drogue, notamment à l’héroïne. Georges Pompidou reçoit le message 5 sur 5 et Marseille perd ses labos de morphine-base. Dans le même temps, la consommation de cocaïne explose aux États-Unis. Comme un pied-de-nez – plus gentiment nommé la contre-culture. La justice moralisatrice se met en place et le nombre d’incarcération explose. Les prisons sont remplies de jeunes, surtout des Noirs et des Latinos au point que certains s’interrogent : existerait-il une raison cachée à cette pénalisation à outrance ? Un peu comme en France on utilise la pénalisation de la consommation de cannabis pour contrôler les jeunes des cités. Toute proportion gardée, bien sûr !
Même si la consommation mondiale semble stagner, peut-être à cause des drogues de synthèse, la guerre contre le trafic de cocaïne n’est pas prête d’être gagnée. Trop de fric en jeu. Et l’amusant, si l’on peut dire, c’est que plus la répression est efficace, plus les prix grimpent – et plus les trafiquants s’en mettent plein les poches.
Y a pas de morale à mon histoire !
Aux USA l’héroïne est un problème encore plus grave que la cocaïne. C’est quand même une drôle de coincidence que les USA fassent la guerre dans des régions productrices. Après le Viet-Nam l’Afghanistan, là où l’opium et l’héro se vendent à vil prix. La recrudescence d’addiction est aussi due à la mise en vente et la prescription abusive d’analgésiques opiacés puissants depuis quelques années. Les patients finissent pas devenir accro et trouvent que cela leur revient moins cher d’acheter de l’héro au dealer du coin.
La raison pour laquelle ces drogues resteront toujours illicites, c’est que l’argent noir permet de financer des opérations secrètes genre assassinats, des campagnes électorales, d’acheter de l’influence etc. Le crime est le garde du corps de l’état.
Ha si, Maître Mo, il y a une morale à votre histoire
L’argent a l’odeur du rapport…
bah pô grave : l’impôt sur le revenu a 101 ans et on continue de pomper l’honnête citoyen.
… le rapport dont l’Etat peut tirer profit. Toute manne financière qui lui échappe semble être illicite.
Bien sur qu’il y a une morale, et cette morale serait de dire: puisqu’il n’y a plus de morale, affranchissons nous de la morale!
En clair: au lieu de laisser le fric aux traficants, tout doit être légalisé, sous vente contrôlée (pharmacies par exemple), taxé, l’état prend les sous, finance avec les programmes de santé et libère des energies policières jusqu’alors dédiées à la lutte contre le trafic de drogue pour les utiliser à meilleur escient.
La protection des mineurs doit être absolue, mais à partir du moment ou le citoyen est majeur, vacciné et contribuable, pour qui se prend l’Etat pour se permettre de nous imposer la manière dont nous avons à gérer notre santé (et donc notre vie)?
« La police nationale fait le ménage dans sa propre institution »
Je veux bien croire que la majorité des cas se déroule ainsi. Mais pour mémoire, un policier avait refusé d’aider un juge d’instruction dans la perquisition du siège du RPR, après quoi J.Chirac l’avait nommé patron de l’Igpn.
Pour les nombreux prévenus étouffés ou écrasés sous le régime de Sarkozy, très peu de policiers ont eu des soucis de carrière. Ni avec la Justice, d’ailleurs.
Intéressante synthèse et rappels historiques. Merci Monsieur
Mis en ligne sur « The International Informant » et sur « Aviseur international ».
les drogues 20% du produit du crime, ça donne envie de connaître la répartition des 80% restant.
« Drogues illicites » était en quelle langue ? En Anglais, « drug » inclut les médicaments, d’où l’adjectif.
La limite est effectivement floue. Une nouvelle amphétamine (un dopant) a pu être commercialisée comme médicament parce que le fabricant a su inventer une pseudo-maladie que le molécule « soigne », et que les autres acteurs ont fait semblant d’y croire. Une bonne proportion des lycéens en avale régulièrement.
Ritaline Aderall etc ?
Au delà des policiers, ce sont nombre des gens respectables des institutions en place qui doivent tremper dans tout cela.
La rémunération indirecte des médecins par l’industrie pharmaceutique excède la contrebande mondiale de drogue.
Une fois que des agences de santé et politiciens ont nommé « médicament » une molécule, inutile de reprocher aux policiers d’appliquer la Loi.
Par « drogues licites » il me semble que l’on pourrait entendre que par exemple l’alcool et le tabac sont (plus ou moins) en vente libre.
Les budgets mis en jeu dépassent probablement de beaucoup les chiffres évoqués ici (l’alcool occasionnerait de l’ordre de 100000 hospitalisation 50000 dècès et 120 milliards par an pour la france).
On peut y ajouter les substitutifs délivrés sur ordonnance, de nombreux produits plus ou moins réglementés, solvants, sans ordonnance, plus la grande facilité qui existe pour se faire prescrire le reste.
Je trouve intéressant que derrière la notion de drogue licite, soit ici évoquées certaines stratégies de prohibition et d’exclusion appliquées à certaines substances plutôt qu’à d’autres. Bien que cela nous éloigne du sujet on peut aussi observer que l’alcool fut une arme de destruction massive un peu partout dans le monde, du temps des colonies. On pourrait même rappeler comment des pays occidentaux menèrent deux guerres pour imposer au chinois la consommation d’opium.
La question qui apparaît ici en filigrane, plus que la composition chimique de telle ou telle, ce que les psychiatres eux même commencent à comprendre, c’est que la toxicomanie est une attitude. Et de ce point de vue la plus sournoise la plus addictive et la plus dangereuse des drogues légales pourrait bien être… ce fameux fric évoqué dans le titre.
Je rejoins votre réflexion, bien qu’on n’ait pas l’un sans l’autre, n’y à t-il pas plus d’immoralité et de coût social et humain dans le trafic et tout ce qu’il occasionne que dans la consommation elle même ?
« La cocaïne est cultivée dans le nord de l’Amérique Latine »
>>> Bonne occasion pour rappeler que la feuille de coca ne contient pas de cocaïne. Il faut un traitement chimique pour la produire.
D’où l’incompréhension des cultivateurs, pour qui la coca est un produit traditionnel et non une drogue. Encore plus quand on sait que les feuilles peuvent s’exporter légalement vers les US uniquement pour produire le Coca-Cola, ce qui est mal vécu par les pays andins.
Sauf que ce que vous dites est faux : la cocaïne est extraite de la feuille de coca, ce qui implique bien qu’elle s’y trouvait, sans transformation nécessaire.
Oui enfin si on veut pinailler, l’alcaloïde coca est extrait des feuilles de coca et est traité avec plein de bons produits chimiques kinenfaut pour faire de la cocaïne.
Mais il faudrait un vrai chimiste pour nous donner les terminologies exactes.
Quant à cet alkaloïde si précieux, il n’est plus utilisé dans le coca cola depuis 1929.
Merci Wikipedia.
Les feuilles de coca sont débarrassées de la cocaïne avant de composer le Coca-Cola.
En choisissant une source moins censurée qu’en France, achtétépé
de.wikipedia.org/wiki/Kokain 2è section
la feuille contient plusieurs alcaloïdes parmir lesquels la cocaïne est minoritaire. Une saponification puis une estérification les transforme en cocaïne.
Les brebis galeuses chez les flics, ça a toujours existé, les séries américaines les faisant passer pour des niais par contre……