LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Légitime défense des policiers : faut-il tordre le droit ?

Comme aux élections présidentielles de 2012, certains policiers revendiquent le droit d’utiliser leur arme sans avoir de comptes à rendre à la justice. Ce marronnier politico-policier frôle la démagogie, et pourtant, Bernard Cazeneuve a annoncé que les règles d’ouverture de feu par les forces de l’ordre seraient réexaminées.

Libre interprétation du trou de (la) balle qui a eu raison du parrain québécois Nicolo Rizzuto.

Il semblerait que dans un rapport, l’INHESJ (Institut national des hautes études sur la sécurité et la justice) préconise d’aligner ces règles sur celles en vigueur dans la gendarmerie.
C’est-à-dire une réglementation basée sur une loi et un décret promulgués par le gouvernement de Vichy afin de permettre aux policiers et aux gendarmes de lutter contre la Résistance. Des textes qui se référaient d’ailleurs à un décret de 1903 et à une loi de 1798.

Il est quand même assez étonnant de chercher à régler un problème actuel en se basant sur des textes aussi anciens… Il sera donc, dans les prochaines semaines, demandé à nos élus d’autoriser les fonctionnaires de police à utiliser leur arme à l’identique des militaires de la gendarmerie. Autrement dit, les rétablir dans un droit qui leur avait été retiré à la Libération, et accordé de nouveau, provisoirement, durant la guerre d’Algérie.
Quel est ce droit ? Il est prévu dans l’article L. 2338-3 du code de la défense, lequel permet aux gendarmes de faire usage de leur arme lorsqu’ils sont victimes de violences ou menacés par des individus armés, ou lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, ou lorsque des individus tentent d’échapper à leur garde, ou encore pour immobiliser un véhicule.
Mais, sous l’impulsion de la CEDH, la Cour de cassation a ajouté une condition de taille : « l’absolue nécessité ». Pour qu’une atteinte à la vie soit justifiée, il faut que la décision d’ouvrir le feu soit absolument indispensable. Il ne doit pas exister d’autres possibilités, sauf risque réel et immédiat. Pas question, par exemple, de tirer sur un fuyard, qu’il soit à pied ou en voiture, sauf si celui-ci présente un réel danger et qu’il n’existe aucun autre moyen de le neutraliser (voir Saint-Aignan : le tir du gendarme en question). Cela ressemble comme deux gouttes d’eau aux conditions de la légitime défense ou, éventuellement, à l’état de nécessité, ou encore à ce nouvel article tarabiscoté du code pénal, le 122-4-1, créé il y a seulement quelques mois.

On peut donc dire que le fait d’aligner les policiers sur les gendarmes ne changerait pas grand-chose.

La mission Guyomar, instituée en 2013 à la demande du ministre de l’Intérieur de l’époque (C’était qui déjà ? Ah oui, Manuel Valls !) a d’ailleurs rappelé que le cadre légal de l’intervention, lorsqu’il y a atteinte à la vie, doit toujours être sous le contrôle du juge. C’est à lui de vérifier que le policier ou le gendarme qui a donné la mort a agi dans le cadre de la légalité. Ce n’est qu’ensuite, si ces règles n’ont pas été totalement respectées, ou s’il y a un doute, qu’il se penchera sur les circonstances de l’action. L’antagonisme vient de là. Le flic dit que le juge ne comprend rien au stress d’une situation dangereuse, tandis que ce dernier lui rétorque qu’il ne connait pas son code.

De tout ça, il résulte une chose : ce n’est pas demain que les policiers pourront utiliser leur arme sans avoir de compte à rendre à la justice – et c’est une bonne chose.

Car personne n’a évidemment envie de transformer nos policiers en justiciers. À la différence du soldat, le flic ne devrait pas avoir d’ennemis, ou alors un seul : le crime – et pas le criminel. Et pour procéder à son arrestation, il va prendre des risques. Des risques de terrain et des risques juridiques. C’est le job. Et, si la situation l’exige, il utilisera son arme – non pas pour tuer, mais pour neutraliser une personne dangereuse – dangereuse pour lui ou pour autrui. Et dans ces conditions, je crois qu’il n’y a pas un seul exemple d’une condamnation pénale.

Il est donc attristant que le gouvernement fasse mine de répondre favorablement à la demande des « policiers en colère ».
C’est un signe de fragilité, à l’image de la société. Une société qui dote ses gardiens de la paix d’armes de guerre.

23 Comments

  1. Tattort

    Le problème de ce pays est que les flics arrêtent ceux qui se font justice eux-mêmes et ce, même en légitime défense on l’a vu encore récemment par des condamnations. Donc comme aux US on doit laisser les gens avoir des armes. Personnellement j’en ai une sur moi, même quand je vais sur la Défense et je ne conseille à aucun flics de venir m’interpeller, sinon ça finira forcément mal.

  2. le13ecossais

    Il est dommage de constater que certains témoignages relèvent de l’angélisme bien pensant dont sont atteints une partie de nos concitoyens . Curieusement, on remarquera qu’un bien pensant atteint dans sa « chair » au sens large devient soudainement un fervent partisan du droit à la défense par arme à feu pour les policiers

  3. Asimove

    Bonjour, donc, d’aprés l’article,le flic combat le crim et pas le criminel …. Que les flics se fassent tuer ne géne pas l’auteur de l’article. Triste.

  4. Janssen J-J

    Pour ajouter le point de vue d’un commandant sur le sujet empoisonné (link ci dessous), on aimerait en avoir un peu plus souvent, des réflexions de cette qualité et profondeur chez nous et ici, d’autant je crois que ça va dans le sens de ce que pense le tôlier… Et que ce que racontent certains sociologues spécialisés un peu idéalistes soit repris par les nôtres, avec leur langage maladroit, mais peu importe… Surarmer les flics n’est vraiment pas une solution viable à long terme si c’est pour avoir toujours le sentiment du dernier mot dans des relations de « guérilla urbaine ». On veut la guerre ? alors allons-y !… mais de toute façon, il faudra préparer la paix, et on ne le fera pas dans le dos de la population, désolé… C’est ce que les politiciens doivent comprendre, et surtout nos syndicats collusifs dont on ne supporte plus la duplicité, parce que le syndicalisme gamelle paritaire qui ne réfléchit pas mieux et plus loin que les politiciens est voué à la désertification de ses membres, croyez-moi les gars !

    https://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2016/12/10/La-vraie-legitime-defense-du-policier

  5. Janssen J-J

    La torsion est ironie de ma part, dès que surgit un problème trop clivant,… juste pour le fun. Une disposition plutôt acquise, je dirais. Êtes-vous ainsi rassuré ?
    Ce qui me rassure moins c’est ceci, qui risque de faire perdre du boulot aux nôtres
    https://www.technologyreview.com/s/602955/neural-network-learns-to-identify-criminals-by-their-faces/

  6. bourquin

    Cher Monsieur Janssen -fils de Jan ?,
    Vos contributions semblent montrer une propension à la torsion. Est-ce un privilège acquis ou inné ?

  7. Janssen J-J

    faut-il tordre le droit ?
    Il suffit de distordre le gauche !

  8. Janssen J-J

    A première vue, on dirait une chouette effraie, plutôt qu’une chouette effrayée…
    C’est le même enjeu pour les policiers, s’ils ont tiré dans le tas, c’est parce qu’ils étaient effrayés. Et parfois, ils ne bousillent pas que des carreaux , ils font un carton. C’est chouette, la légitime défense !

  9. lefevre

    Je ne sais pas s’ il faut tordre ou détordre le droit. Mais je sais que la menace s’abrite derrière ses faiblesses. Plaider une cause en maquillant son propos est suspect. Exemple dès la première ligne:  » utiliser leur arme sans avoir de compte à rendre à la justice »; et quelques lignes plus loin :  » à Vichy « .. Ca ressemble bien à des allusions subliminales qui rappellent les intellectualismes pacifistes, souvent de bonne foi, parfois complices du crime à l’insu de leur plein gré? On est pas au Far West, ni au temps de la Gestapo …Par contre , c’est vrai! Les temps ont changé… On est au temps du « petit  » banditisme du caïdat barbaresque des cités, qui veut exécuter du flic, au temps du terrorisme islamique , subversif, barbare et kamikazé, incubé et financé dans nos cités, pour exécuter les  » forces du mal » en priorité… Au temps ou le laxisme judiciaire ambiant, et l’arsenal de kalachs, et la dotation en munitions, des tueurs de flic, sont devenus un rapport de force qui leur est défavorable…

  10. Labo

    Je ne vois pas pourquoi, en effet, les règles de légitime défense d’un policier devraient être différentes de celles applicables à n’importe quel citoyen. Un raisonnement inverse de celui utilisé par les policiers est celui ci : un citoyen non policier doit il attendre d’être mort avant de se défendre avec des moyens peut être létaux ? Donc peut être faut il aménager les règles concernant la légitime défense, mais pas pour quelques uns ! Je trouve les exigences des policiers un peu inquiétantes : les policiers n’ont ils pas tendance à se comporter de plus en plus en juges ?

  11. VERDICCHIO

    article 12 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789,
    la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique, cette force est donc instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée.

  12. yvesa

    Merci pour votre analyse lucide et claire, on aimerai voir plus souvent une telle argumentation dans les débats actuels .

  13. Jean Traverien

    Un policier doit attendre d’être tué avant de pouvoir faire usage de son arme !

  14. bourquin

    A Pivoine:
    Bonjour. La situation de la gendarmerie a changé avec la tutelle du Ministère de l’intérieur. Moi aussi , j’avais une bonne image des ‘gens d’armes ‘ au point de conseiller cette voie à mon petit -fils et de leur proposer mes services en interprétariat. Mon unique -pour l’instant- et tardive (73 ans ) expérience négative liée aussi au monde incompétent et servile de la justice de proximité pour des affaires de sous (PV) a changé ma vision. Je suis fortement attristé par la bassesse de certains jugements à la va -vite et le manque de bon sens des justiciers. Ils ne se rendent pas compte des dégâts psychologiques qu’ils peuvent causer , bien plus himalayens que les quelques euros ‘volés ‘ aux innocents . La traduction aura lieu, tôt ou tard…dans l’urne.

  15. Laurent

    Quand les personnes aux pensées de bonne morale auront été victime de tentative de meutre par des « sauvageons » dans une voiture de police, nous verront bien si leur jugement n aura pas évolué… c est tellement plus facile de parler quand on y est pas directement confronté!

  16. bourquin

    Le droit à légitime défense d’un policier -tous modèles confondus- doit s’accompagner du droit à la défense des citoyens, toutes situations confondues. L’automobiliste victime d’un PV imaginaire pour renflouer les caisses de l’Etat et d’un policier amateur de prime n’a droit qu’à la remarque du tribunal : le policier est « assermenté ».
    Il était une fois fin Janvier en Beaujolais un gendarme de l’autoroute avec des droits jusqu’aux dents …soutenu par sa hiérarchie …

  17. Maître Pourrave

    Il y a deux problèmes avec les préconisations de l’INHESJ :

    – D’une part, aligner les règles d’usage des armes par la police nationale sur celles de la gendarmerie et de la douane pourrait être perçu comme une extension, alors que ce n’est pas du tout le cas puisque l’exigence de proportionnalité revient quasiment à un retour aux règles de la légitime défense ou de l’état de nécessité. C’est donc une modification inutile voire dangereuse.

    – D’autre part, créer une « audition libre » en lieu et place de la garde à vue. Il n’est pas sûr que ce soit à l’avantage des policiers. Car la garde à vue, pour stigmatisante qu’elle soit, emporte des droits, notamment le droit au silence et à l’assistance d’un avocat. Il n’est pas sûr que le policier entendu dans le cadre d’une audition libre bénéficiera des mêmes droits… Ce qui est perçu comme une avancée pourrait tout à fait se retourner contre les intéressés.

  18. soph'la cap

    la différence entre un GARDIEN de la PAIX et un gendarme est culturelle.

    Autrefois, le gendarme appartenait aux militaires. Le militaire est « autorisé » à faire la guerre ce qui sous entend qu’il peut tuer.

    Quant au policier il est avant tout là pour GARDER LA PAIX. Et donc, tuer n’est pas entendu comme relevant de ses prérogatives.

    Là où le gendarme-militaire agissait en temps de guerre, le policier agissait pour la PAIX. Il vaudrait donc mieux aligner les gendarmes sur les gardiens de la paix ; et pas l’inverse. Ou alors, on ne fait que surenchérir sur une situation déjà pas joisse.

    Quant au(x) double(s) langage(s), il va de soi que ça ne date pas d’hier.

    ça va sans dire : mais ça va mieux en le disant. Et la différence est de taille. Les cerveaux n’avancent pas vite.

  19. Pivoine

    Pourquoi changer le droit ? Ce n’est pas en leur donnant des droits supplémentaires qu’ils seront davantage respectés, au contraire ! La police doit être plus préoccupée par les droits de la population que par les leurs.
    Ce qu’il faut prendre en compte – urgemment- c’est le manque d’une forte formation des policiers. Leur métier n’est pas facile, il faut qu’ils sachent garder leur sang-froid en toutes circonstances. Ils doivent être exemplaires puisqu’ils portent un uniforme. Il faut donc qu’ils sachent faire la différence entre encadrer une manifestation et lutter contre la pègre. Leur conduite doit être adaptée. Cela n’est pas évident, on le constate, l’urgence d’une formation réelle se fait cruellement sentir. Et quand on parle de « formation » c’est aussi une éducation à une éthique. Essentiel pour qui porte un uniforme, plus encore que pour n’importe quel fonctionnaire. Quand on représente la Loi, quand on fait partie des Forces de l’Ordre, on ne peut se permettre le moindre écart sans déconsidérer sa fonction et l’Etat qui est derrière. Les sanctions contre les « bavures » devraient être nettes et claires, non seulement devant la Justice s’il y a eu plainte, mais aussi devant la hiérarchie : mise à pied, licenciement, une échelle de sanctions doit être prévue et utilisée. Et toutes les sanctions de Justice doivent impérativement être inscrites sur le casier judiciaire des intéressés, celles de la hiérarchie dans leur dossier professionnel.
    La police ne peut pas être respectée tant qu’elle autorise ses membres à des « écarts », tant qu’elle ne sanctionne pas elle-même ceux qui la salissent de l’intérieur et publiquement !
    Ils ont d’autant moins le droit de se conduire en voyous que leur boulot est justement de s’opposer aux voyous…
    Sang-froid et extrême respect de l’éthique devraient redorer le blason de la Police…
    Les gendarmes à ce titre sont plus appréciés, leur comportement prête rarement à critique, ils sont au moins d’une extrême courtoisie et parfaitement respectueux en toutes circonstances, quelles que soient leurs missions auprès des populations … et leur autorité en est renforcée…Leur formation de base est différente ? Leur hiérarchie plus exigeante à ce niveau ? Ils dépendaient du Ministère des Armées pas de celui de l’Intérieur comme les policiers ? La différence d’éthique vient-elle de là ?

    • lorant21

      il ne s’agit pas tant d’être préoccupé de leurs « droits » que de leurs vies. OK pour le sang-froid. Mais l’expression « le droit de se conduire en voyou » est vraiment de trop.

    • VERDICCHIO

      je vous encourage à lire ou à relire les articles du C de Procédure Pénale concernant les pouvoirs des APJ et OPJ de la PN et de la GN, et de lire le code de déontologie du policier et du gendarme, qui vous pousseront à quelques sourires ou rictus.

    • Fred503

      Bonsoir, pour bien connaître les deux institutions, la supposée bonne impression donnée par les gendarmes est surtout due au fait que les gendarmes évoluent en zone rurale et non urbaine. Une zone rurale ou la population est différente et ou les interventions sont moins dures et dans un conteste plus apaisé. Lorsque les gendarmes évoluent en zone préri urbaine comme Beaumont sur Oise soit un contexte équivalent à celui des zones police ils y gagnent une réputation semblable à celle de leurs collègues policiers..

      • à Fred

        Le monde évolue, mais il y a longtemps eu une différence de ton, de tenue et de comportement entre les policiers et les gendarmes, à l’avantage de ces derniers, pour ce qui est des relations avec le public.
        En raison de leur proximité avec la population, en zone rurale soit, mais aussi de par leur appartenance à l’armée je crois. C’est un ressenti, je n’ai rien de particulier contre les policiers.

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