LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Le droit et la police

L’affaire  Bettencourt aura au moins le mérite d’attirer l’attention sur la guéguerre entre certains magistrats, sur le fonctionnement de la justice, et sur celui de la police. Il y a de la passion dans ce dossier, et chacun y va de sa propre interprétation du Code de procédure pénale – moi compris, sans doute. Aussi n’est-il pas inutile dans de telles circonstances d’ouvrir droit-de-la-police.1279609376.jpgun livre comme celui du commissaire principal Hervé Vlamynck : Droit de la police (3e édition – 2010), chez Vuibert, ouvrage qui se situe à mi-chemin entre la théorie et la pratique, et qui est préfacé par l’ancien directeur de la formation de la police nationale, Emile Pérez.

Voici ce qu’il nous dit de l’enquête préliminaire :

« Le pouvoir d’ouvrir une enquête préliminaire et de mener les investigations appartient concurremment à l’officier de police judiciaire, à l’agent de police judiciaire et au procureur de la République (…) Lorsque le parquet donne pour instruction de procéder à une enquête préliminaire, il fixe le délai dans lequel cette enquête doit être effectuée. »

À noter qu’à la différence de l’enquête menée dans le cadre d’une information judiciaire, il n’y a pas ici de délégation de pouvoir. L’enquêteur agit selon les prérogatives de sa fonction.

 « La police judiciaire a la possibilité de mettre directement en œuvre certains pouvoirs coercitifs » (contrôle d’identité, garde à vue, palpation de sécurité, réquisition à manœuvrier et prélèvement génétique).

Pour la garde à vue, le Code impose deux conditions : « La première concerne les nécessités de l’enquête et la deuxième suppose l’existence d’une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner que la personne a commis ou tenté de commettre l’infraction, objet des investigations ». L’OPJ n’a pas à solliciter l’accord de la personne. « Il faut que celle-ci soit à sa disposition (…) Lorsque la personne accepte de l’accompagner, de le suivre ou de déférer à une convocation, (il) peut la placer en garde à vue. »

« Le seul domaine où la personne doit consentir expressément, est celui de la perquisition. »

Si une personne refuse d’accompagner les policiers ou de répondre à une convocation, le procureur de la République peut utiliser des mesures de contrainte (art. 78).

Si une personne refuse une perquisition, c’est le juge des libertés et de la détention qui va intervenir, pour les délits punis d’au moins cinq ans de prison (ce qui, après lecture de l’art. 324-1 du Code pénal, est le cas du blanchiment). Ce même magistrat peut également autoriser l’OPJ à se faire remettre les données des opérateurs de téléphonie, et sans doute (mais ce n’est pas très clair), à procéder à des écoutes téléphoniques. Dans la pratique, l’utilisation d’écoutes administratives, simplifient les choses. Elles ne peuvent cependant être utilisées en procédure.

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Quant à la coopération internationale, elle a profondément évolué ces dernières années. Ses différents organes sont aujourd’hui rassemblés au sein d’une plate-forme commune, le SCCOPOL (section centrale de coopération opérationnelle de police), qui est rattachée à la direction centrale de la PJ. Les échanges d’informations sont monnaie courante, avec, pour la Suisse, commission rogatoire ou pas, cette réticence à répondre à des recherches qui concernent une fraude fiscale.

Une enquête effectuée sur délégation d’un juge d’instruction ne donne guère plus de pouvoir à l’OPJ, et certainement beaucoup plus de contraintes. C’était le fil du billet précédent : une plus grande liberté d’enquête pour la police. D’autant qu’à la brigade financière, les rapports de force sont rarement physiques : on y sort plus souvent son stylo que son calibre.

Bien entendu, l’information judiciaire malmène moins les droits de la défense, puisque les « mis en examen » ont accès au dossier, mais il s’agit là d’un autre débat. À noter, comme le rappelle Péhène dans son commentaire du billet précédent, que le procureur peut très bien donner aux personnes concernées un accès au dossier, comme cela a été fait pour Julien Dray.

D’ailleurs, qui peut affirmer que le procureur Courroye n’ouvrira pas une information judiciaire à l’issue de l’enquête préliminaire ?

Ce qui serait dans l’ordre des choses.

Et dans ce cas, le magistrat qui serait en charge de l’affaire délivrerait des commissions rogatoires à des policiers – probablement les mêmes hommes et les mêmes femmes, avec au-dessus d’eux la même hiérarchie. Je suis de ceux qui réclament la saisine d’un juge d’instruction dans l’enquête Bettencourt, mais juge ou pas, les « techniciens de surface » seront les mêmes.

Bien sûr, on n’est pas obligé de leur faire confiance, mais pour l’instant, à la brigade financière, ils ont fait un sans-faute.

Attention, au nom de la justice, de ne pas se livrer à un procès d’intention.

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Bettencourt : Les policiers ne sont pas des potiches a été lu 10 434 fois et a suscité 37 commentaires. Le billet ci-dessus tente de répondre aux critiques.

13 Comments

  1. Markus

    Péhène, je vous conseille de pratiquer, comme moi, l’alpinisme.

  2. Clafoutis

    Comme plusieurs commentateurs, je m’étonne que le procureur qui conduit l’enquête préliminaire puisse être celui-là même qui est mis en cause dans une partie des enregistrements clandestins.
    N’y a-t-il aucune règle qui évite ce conflit d’intéret ?
    Un procureur soupçonné d’assassinat pourrait déclencher et conduire une enquête préliminaire sur son propre crime supposé ?
    Incompréhensible.

  3. Péhène

    Markus, amateur de sport, j’aime moi aussi refaire le match, assis sur mon canapé en sirotant un jus de fruit bien frais et en grignotant des noix de cajou. Je suis parfois très dur envers ces joueurs en qui j’avais placé tant d’espoir et qui m’ont déçu tout autant. J’aime à imaginer que si j’avais été entraîneur ou attaquant vedette, mon équipe aurait réussi à décrocher le trophée tant convoité. Et c’est à ce moment là que je me rends compte, depuis mon salon, avachi devant mon téléviseur, les doigts de pied en éventail, que je dois sacrément simplifier la situation, loin des réalités et des difficultés que rencontrent les uns et les autres.

  4. Markus

    Péhène, justement, les enquêteurs (donc OPJ) pouvaient non pas mettre en garde le JI, mais informer, par écrit ou oralement le Procureur Général, ce qu’ils n’ont pas fait.En plus, les enquêteurs ont des contacts privilégiés avec les magistrats, non?
    Le rapport des parlementaires a accouché d’une souris.
    Par contre il y a eu un mort et des dizaines de vies gâchées.

  5. Péhène

    Markus, vous avez bien fait de citer l’affaire d’Outreau puisqu’au cours de celle-ci les policiers avaient eux-mêmes alerté le juge d’instruction du manque de crédibilité de certains témoignages et « éléments » à charge, mise en garde ignorée par ce juge d’instruction aujourd’hui tristement célèbre. Et si vous vous étiez penché sur le rapport parlementaire qui a suivi ce dossier, vous sauriez que très faibles ont été les reproches formulés à l’encontre des enquêteurs.

  6. Patrick Handicap expatrié

    Suite à mon précédent billet, je voulais bien entendu dire PLACER EN GARDE A VUE le dernier mis en cause dans les écoutes : le procureur Courroye.

  7. Patrick Handicap expatrié

    Bravo, vous m’avez convaincu. Les policiers chargés de l’enquête vont donc prochainement, après M et Mme Woerth, puis Liliane Bettancourt, placer le dernier mis en cause dans les écoutes : le procureur Courroye. CQFD

  8. Markus

    M. Péhène, j’ai pris des raccourcis. Mais sans vouloir titiller le passé souvenez-vous de l’affaire Grégory et plus récemment celle d’Outreau, celle des irlandais de Vincennes ect… . Le CP et le CPP ont été appliqués nous avons constaté les dégâts. Dans ces affaires, il n’y avait pas que les JI coupables mais la Police, la Gendarmerie (je parle des enquêteurs) ainsi que la Justice. J’ai en mémoire, quelques affaires où les manipulations du Parquet ont fait que les victimes sont devenues coupables.

  9. Péhène

    Je crois, Markus, que vous n’avez en réalité pas très bien suivi ce dossier. Faire référence aux seules déclarations (forcément partiales) des responsables politiques (ou des avocats) sur le choix procédural de cette enquête pour arguer que notre République est en danger me paraît insuffisant. Dans une affaire judiciaire, ne vous contentez jamais des gros titres des journaux.

    Cher Georges, un rappel des dispositions du Code de Procédure Pénale ainsi que des pratiques policières et judiciaires est toujours pertinent. La matière n’étant pas toujours facile (le grand public montre chaque jour sa méconnaissance du sujet), la pédagogie reste la voie la plus appropriée. Je salue donc votre démarche.

  10. Jimmy

    A mon avis le procureur n’est pas credible dans l’affaire Bettencourt, il y aura toujours le doute de sa subordination a Sarkozy, doute etaye par sa proximite avec l’UMP (repas d’affaires entre copains, relations, copinage ou il informe regulierement l’Elysee de ce qu’il fait ou ce qu’il va faire ect) et le pire, le procureur est mis en cause dans les ecoutes donc quelque part juge et partie dans son interet.

    Tout ca pue !

  11. Markus

    Il y a toujours l’esprit et la lettre.
    Dans l’affaire Bettencourt, en préliminaire, nous avons assisté (de loin) à l’audition de son ex-comptable. Celle-ci pour de multiples raisons, après son audition, se rend dans le sud. Les policiers avec l’aide des gendarmes l’assiège. Je pense qu’à ce moment là elle a contacté son avocat qui lui a dit de collaborer avec la police. Cette brave dame est retournée à Paris, a été entendue une nouvelle fois et comme par hasard, le lendemain, dans la presse : victoire le PR n’a jamais reçu d’enveloppe. Je suis mort de rire, c’est du cirque et cela m’inquiète pour les Libertés et pour la République.

  12. AJ

    Suite de la mauvaise manipulation

    ….Va tout mettre à la trappe. C’est dommage de voir la France devenir une République bananière.

  13. AJ

    Bonjour.

    Donc, si l’on en croit les dires écrits du commissaire principal Hervé Vlamynck, qui plus est formateur de la police, les officiers de police judiciaire n’ont pas assimilé leurs leçons. Je m’explique.

    Dans cette affaire Woerth/Bettencourt, on a tendance à dire que Courroye bloque tout or, les policiers peuvent très bien mener des enquêtes. Mais, puisqu’ils doivent se référer in fine au procureur, on se dit que ça ne sert à rien d’enquêter puisque ce dernier, proche du pouvoir v

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