LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Le droit des victimes : de la compassion à la justice réparatrice

Dans le procès Xynthia, la condamnation de René Marratier, l’ancien maire de La Faute-sur-Mer, à quatre ans de prison ferme a surpris nombre de personnes et a fait réagir au quart de tour la journaliste du Monde Pascale Robert-Diard. Dans l’hebdomadaire de notre journal favori, malgré les caractères ridiculement petits qui sont une invitation à ne regarder que les pubs, chacun a pu apprécier l’envolée littéraire qui s’éloigne de la chronique judiciaire pour interpeller son lecteur. Même si l’image du Christ crucifié qui illustre l’article frise le mauvais goût et aboutit d’ailleurs à desservir les propos, puisqu’en théologie, la victime est offerte pour le salut de l’homme. À moins que la croix de Tau ne soit comme un message subliminal, mais alors, là, je n’ai pas imprimé.

Extrait du magazine du Monde

Extrait du magazine du Monde

Pour ceux qui n’ont pas lu l’article, la journaliste égratigne (à la hache de guerre) une justice qui s’éloigne du droit pour tomber dans le compassionnel, transformant le tribunal en « une sorte de Mireille Dumas judiciaire ». Des manières qui étaient jusqu’alors l’apanage des hommes politiques, notamment des locataires de l’Élysée qui, les uns après les autres, se positionnent en protecteur du peuple alors qu’on ne leur demande pas de protéger notre vie (les structures de l’État sont là pour ça), mais plutôt d’assurer notre survie. Ce qui n’est pas pareil.

Il est vrai qu’à lire ces témoignages des parties civiles, où se mélangent « la perte d’un proche et les déboires électro-ménagers », le pire et le futile, on peut s’interroger sur la maitrise des débats judiciaires. Et au prononcé de la sanction, se dire que les juges ont dû mal lire la nouvelle loi sur l’individualisation des peines, entrée en vigueur il y a environ deux mois. C’est pourtant le nouveau mode d’emploi pour les juges qui jugent. Jusqu’à présent, ils devaient (ou pouvaient) tenir compte des « intérêts de la victime » pour fixer « la nature, le quantum et le régime des peines ». Désormais, la peine répond à deux fonctions, et deux seules : sanctionner l’auteur de l’infraction et favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion.

Pschitt ! La victime a disparu.

Une possibilité nouvelle de scinder en deux le procès pénal montre bien la volonté de différencier la faute de la peine. Dans un premier temps, les juges pourront se prononcer sur la culpabilité de la personne mise en cause et sur les mesures d’indemnisation des victimes. Puis, dans un délai de 4 mois (2 en cas de détention), après s’être mieux informés sur la personnalité et la situation du coupable, ils prononceront la peine.

La sanction prononcée est donc détachée du malheur de la victime pour ne tenir compte que de la personnalité du condamné. La loi du talion ne fait plus partie de Taubiranotre culture. Raison pour laquelle dans un procès pénal, la partie civile ne peut pas faire appel sur l’action publique, même si le verdict ne la satisfait pas. C’est le parquet qui doit prendre cette initiative – en professionnel du droit. Au passage, on peut se demander si l’indépendance du procureur – qui est toujours au programme de Madame Taubira – n’engendrerait pas un déséquilibre dans le procès pénal !

Pourtant, il ne faut pas être négatif, sous la pression de Bruxelles, en Europe, la souffrance des victimes est maintenant prise en compte dans le fonctionnement de la justice pénale. Plus ou moins, selon les pays, mais la France est plutôt dans le peloton de tête. Sous réserve, comme le dit l’article 18 de la directive 2012/29/UE, que la protection de la victime ne vienne pas occulter les droits de la défense. Il faut dire que l’équilibre n’est pas facile à trouver. Ce n’est pas sans raison que, depuis la nuit des temps, la justice est représentée par les deux plateaux d’une balance.

La place des victimes est d’ailleurs prévue dans l’article préliminaire du code de procédure pénale : « L’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale. » Et cela, même après l’exécution de la peine, comme le prévoit la nouvelle loi sur la réforme pénale : la victime a désormais le droit d’être informée de la libération du condamné et celui de demander que sa protection soit assurée. Comment et par qui, ce n’est pas précisé.

Dans le même temps, cette loi veut rapprocher le délinquant de sa victime. On s’achemine en effet vers une « justice réparatrice », fondée sur l’idée que la répression n’est pas l’unique réponse à un crime ou un délit, en se basant sur un postulat : du dialogue entre le coupable et sa victime va naître un choc bénéfique pour les deux qui devrait aboutir à « l’harmonie sociale la meilleure possible ».

La justice réparatrice est définie dans la directive européenne de 2012 comme « tout processus permettant à la victime et à l’auteur de l’infraction de participer activement, s’ils y consentent librement, à la solution des difficultés résultant de l’infraction pénale, avec l’aide d’un tiers indépendant ». On est priés de se conformer à ladite directive avant le 16 novembre 2015.

En France, il est question de « justice restaurative » (si la science du mot s’appelle lexicologie, je n’ai pas trouvé la définition du mot inventé). Inutile de dire que l’idée fait polémique. Pourtant, il paraît qu’au Canada, où cette pratique existe depuis plusieurs années, les résultats en matière de récidive sont significatifs. Il existe même un prix de la justice réparatrice. Durant ces rencontres avec le délinquant, peut-on lire sur le site du service correctionnel canadien, « la victime peut raconter son histoire, expliquer au délinquant les conséquences que le crime a eues sur sa vie […] et participer directement à l’élaboration d’options pour tenter de redresser les torts… » Quant au délinquant, il a la possibilité de s’expliquer « et de percevoir différemment son comportement, ce qui contribue à sa responsabilisation et à sa croissance personnelle ».

Droits de la victimeLa loi du 15 août 2014 a donc introduit le concept de la justice restaurative, ajoutant au préliminaire du code de procédure pénale un article 10-1: « À l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative… ».

Sur le site de l’Institut français pour la justice restaurative (IFJR), encore en construction, il est dit qu’en 2010, une cellule de rencontre détenus-victimes a été mise en place à la Centrale de Poissy avec des résultats qui augurent « de perspectives remarquables ». Placer en parallèle de la justice pénale, qui démolit, une justice qui cherche à reconstruire, c’est plutôt une belle idée. Mais ce n’est qu’une idée. Où sont les gens, où sont les sous ? Et même si cette mesure parvient à trouver sa place, je dois avouer que mes « deux neurones » ne suivent pas. Je serais du genre à attendre sa sortie de prison avant de causer avec mon agresseur. Sans arme, s’entend.

5 Comments

  1. Diagonal

    « Je serais du genre à attendre sa sortie de prison avant de causer avec mon agresseur. Sans arme, s’entend ».

    Non, ce n’est pas une bonne chute, même si elle se voulait ironique…
    En tout cas, certainement pas l’exemple qu’avait donné Sa Sainteté Jean-Paul II allé à la rencontre de Mehmet Ali Agça, son agresseur du 13 mai 1981. Bien lui en prit : ce dernier ayant été élargi en 2010 après avoir purgé sa peine durant 29 ans, sut la supporter avec stoïcisme et repentance, d’autant plus calmement que sa victime avait su rapidement lui rendre visite pour le pardonner. Pourquoi diable cette image d’Epinal si noble ne pourrait-elle servir d’exemple à bien d’autres situations analogues en ce bas monde, pour en réduire la douleur et la souffrance plutôt que de vouloir la démultiplier ?

  2. titi

    L’expérience de rencontres entre déclarés coupables et familles de victimes ( pas forcément ceux d’un même drame ) est déjà expérimenté en France…Avec succès on ne sait pas , puisque le but est la non récidive…Des contacts qui ont paru positifs aux uns et aux autres , sont un des petits pas pour essayer de faire mieux

  3. Anne Guedes

    Merci pour cet article plein d’informations ! Attendre la sortie de prison, oui, ne serait-ce que pour ne pas confondre peine et restauration (moche mot).

  4. Jean d'Arc

    A mon sens les attendus sont éloquents. 9 personnes sont décédées dans des maisons construites après l’ordre envoyé par les services départementaux demandant de classer la zone en zone inondable, donc non constructible. Ordre qui avait essuyé un refus de la mairie, mais qui informait les prévenus évidemment du risque encourru. La stratégie de défense, consistant à évoquer un manque de connaissance des risques, tombait donc à l’eau. Ces maisons n’étaient pas surélevées contrairement à la règlementation, ce qui aurait pu éviter aux victimes de mourir. Enfin, les risques d’inondation étaient bien réels et connus puisque les services météos et départementaux avaient lancé des alertes, relayées par les médias et certains maires préventifs avaient demandé à leurs population d’évacuer leurs maisons.

    Tout ceci ne serait pas arrivé si le maire, au courant des risques d’inondations, et au courant surtout que la zone était inondable, ce qu’ignorait les victimes (rappelez-vous les petits panneaux des services départementaux cachés dans des cartons à la mairie avec inscrits dessus, « Zone inondable »), n’était pas allé au resturant ce soir-là déguster des huitres mais était là dire aux habitants d’évacuer leurs maisons comme un grand nombre de maires l’ont fait alentours.

    La responsabilité des victimes, évoquée de façon morale assez choquante par la journaliste, ne peut pas être invoquée juridiquement, puisque la zone n’était inscrite comme inondable nulle part. Et l’information n’était pas accessible et a même été cachée délibérément aux administrés, ce qui résoud le problème moral.

    Je crois enfin que ce père qui a perdu ses enfants et ses parents porte sa croix tout seul. Il se moque que le maire soit condamné à 6 mois ou 4 ans de prison. Mais c’est le peuple, et la justice du peuple, qui disent que les comportements de ces élus ont été inadmissibles et doivent être bannis du comportement des élus.

    • Rey de los Huevones

      Dans le cas de la Faute sur Mer, le comportement des elus-du-peuple a été particulièrement scandaleux, alliant l’incompétence à du favoritisme vis à vis de proches : comme ce n’est pas la seule zone inondable faisant l’objet de dérogations interessées (je pense au Languedoc et à la, où l’imperméabilisation des sols par construction et une urbanisation sauvage tournent à une gigantesque escroquerie à l’assurance, quand ilk n’y a pas mort d’hommes)

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