LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La police va re-géolocaliser

Lundi 20 janvier, le Sénat examine en séance publique le projet de loi sur la géolocalisation judiciaire. L’objectif est de redonner aux policiers et aux gendarmes le droit d’utiliser les moyens techniques pour surveiller les déplacements des personnes suspectées d’un crime ou d’un délit. Un procédé utilisé de longue date mais brutalement interrompu le 22 octobre 2013 par une décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation.

Filoche par géolocalisation

Filoche par géolocalisation

La loi qui doit être votée dans les jours prochains (selon la procédure accélérée) viendra inscrire deux articles nouveaux dans le code de procédure pénale, et un dans le code des douanes. Elle ne vise pas la géolocalisation a posteriori – celle qui est la plus indiscrète et qui permet de reconstituer notre passé – mais uniquement la géolocalisation en temps réel. En pratique, deux techniques dominent: la balise (GPS ou radio) et le bornage du téléphone portable. 

C’est d’ailleurs sur le téléphone portable que la Cour de cassation a tranché, estimant que sa géolocalisation en temps réel constituait une ingérence dans la vie privée qui nécessitait le contrôle d’un juge. Par analogie, les juristes de la Place Vendôme en ont conclu qu’il en était de même lors de l’utilisation d’une balise. Un sérieux coup de frein aux enquêtes en cours, car le nombre de demandes de géolocalisation est en progression constante. C’est devenu un moyen incontournable d’enquête. Avant, le fin limier plongeait son nez dans le passé d’un suspect, aujourd’hui, il clique. Flic ou pas, l’ordi est devenu la prothèse universelle du cerveau. En 2013, les demandes de géolocalisation approcheraient la barre des 20 000, dont 70 % en enquête préliminaire. Pour un coût qui dépasserait les dix millions d’euros.

Ces nouveaux moyens juridiques viendront renforcer les autres possibilités légales actuellement disponibles. La géolocalisation sera possible pour toutes les infractions punies d’au moins trois ans d’emprisonnement (un amendement prévoit cinq ans), pour les enquêtes en recherche des causes de la mort, pour les disparitions et pour repérer les personnes en fuite. Avec l’accord du juge des libertés et de la détention, les données concernant la géolocalisation pourraient ne pas être jointes à la procédure mais dissimulées dans un dossier annexe. Par exemple pour protéger l’anonymat d’un témoin. Voilà qui ne va pas trop plaire aux avocats ! Enfin, en cas d’urgence, les enquêteurs pourraient prendre l’initiative d’une mesure de géolocalisation à condition d’en informer le procureur et d’obtenir une autorisation écrite dans les douze heures.

Ce texte correspond-il aux recommandations de la Cour européenne des droits de l’homme ? Je ne sais pas. L’arrêt du 2 septembre 2010 (Uzun c/Allemagne), qui fait référence, pose en préliminaire que le recours au GPS lors d’une enquête est une ingérence dans la vie privée. À ce titre, son usage doit se limiter aux « infractions extrêmement graves », lorsque les autres méthodes d’investigation, moins attentatoires à la vie privée, se révèlent inefficaces. Autrement dit, pour les juges européens, la géolocalisation ne peut avoir qu’un caractère subsidiaire. Chez nous, on voit les choses différemment. Ce texte ne sera pas inclus dans la partie du code de procédure pénale réservée à la lutte contre la criminalité organisée (les infractions extrêmement graves), mais  il va aller se nicher dans un nouveau chapitre, à la suite des autopsies. Autrement dit, son champ d’application visera un très grand nombre de délits.

Pour discuter de ce projet de loi sur la géolocalisation, cette fois, les parlementaires n’ont pas éteint la lumière. L’étude d’impact du Sénat est à ce titre assez remarquable, détaillant aussi bien les motivations que l’aspect juridique et technique.  Il faut dire que peu de gens contestent le bien-fondé de l’utilisation de ces méthodes de surveillance lors d’une enquête sur un crime ou un délit. Mais la question qui vrille un peu, c’est de savoir jusqu’où on peut aller en amont de l’infraction…

Le projet de loi déposé par Madame Taubira vise à donner aux enquêteurs, lorsqu’ils agissent sous le contrôle du procureur de la République, c’est-à-dire le plus souvent en enquête préliminaire, des pouvoirs identiques à ceux que leur délègue un juge d’instruction dans le cadre d’une information judiciaire.  Or, derrière les mots, « enquête préliminaire », on trouve aussi bien la recherche des auteurs d’une infraction qu’une surveillance sur des délinquants virtuels qui n’ont pas nécessairement franchi le pas.

Dans cette situation, le morceau qui dérange, c’est la possibilité de s’introduire dans un lieu privé pour y installer un mouchard. Certaines personnes, désignées par décret, seront autorisées à pénétrer de jour comme de nuit « dans des lieux privés destinés ou utilisés à l’entrepôt de véhicules, fonds, valeurs, marchandises ou matériel ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans de tels lieux, à l’insu ou sans le consentement du propriétaire ou de l’occupant des lieux ou du véhicule… ». Alors que dans le projet d’origine c’était à l’initiative d’un OPJ, un amendement imposera l’accord du magistrat qui a ordonné la mesure de géolocalisation. S’il s’agit d’un lieu d’habitation, les enquêteurs devront recueillir le feu vert d’un magistrat du siège.

Certaines professions sont cependant « protégées » : avocats, journalistes, médecins, notaires, magistrats, députés, sénateurs… Pas les policiers, ni les gendarmes. Ni le commun des mortels. Et de nouveau le principe de l’inviolabilité du domicile est battu en brèche. Or ce principe, rabâché dans le temps par les professeurs de droit, a une portée symbolique. C’est une norme de rang constitutionnel rattachée à la liberté individuelle (décision du Conseil constitutionnel n° 83-164 du 29 décembre 1983) et une règle fixée par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’article 76 de la Constitution de la République française du 22 frimaire An VIII énonce d’ailleurs clairement ce principe fondamental du droit français : « La maison de toute personne habitant le territoire français est un asile inviolable. Pendant la nuit, nul n’a le droit d’y entrer que dans le cas d’incendie, d’inondation ou de réclamation faite de l’intérieur de la maison. Pendant le jour, on peut y entrer pour un objet spécial déterminé ou par une loi, ou par un ordre émané d’une autorité publique. »

Si l’on peut admettre qu’il est possible de sacrifier ce droit ancestral pour confondre un criminel, il est légitime de se demander si l’on ne va pas trop loin lorsqu’il s’agit d’un individu suspecté de pouvoir commettre un simple délit…

Franchement, dans ce cas, pénétrer par effraction dans une voiture, un lieu privé, pire un lieu d’habitation, me semble déraisonnable. Mais nos repères disparaissent peu à peu et nul doute que cette loi va passer comme une lettre à la poste. La lettre qui reste le moyen le plus sûr de ne pas être espionné.

12 Comments

  1. fred

    Je trouve que c est une bonne idée! C est un outil important que la police doit utilisé sans perdre de temps contre les bandits!
    Comme sur cette article http://www.localisation-portable.com/ , il est impossible de protéger les voleurs contre le fait de les localiser, ca serait un non sens!

  2. pacmanstef

    Je rejoins parfaitement le point de vue de Pinot simple flic.
    En effet, rappelons nous qu’il s’agit d’un moyen d’enquête extrèmement majoritairement utilisé afin de pister des déliquants, voire pire.
    Je suis citoyen, j’ai 42 ans, et je n’ai jamais été sonorisé, balisé, filoché.
    En tous cas, à ma connaissance. Et si tel a été le cas, il n’y a eu aucune conséquence.
    M. Moréas, je lis vos billets avec plaisir. Mon point de vue se rapproche quasi-systématiquement du votre.
    Pas là. Du moins, j’en ai le sentiment.
    En effet, comment dire « …il est légitime de se demander si l’on ne va pas trop loin lorsqu’il s’agit d’un individu suspecté de pouvoir commettre un simple délit… ».
    Vous n’ignorez pas qu’un groupe d’individus, auteurs de cambriolages en série, ne commettent « que » des délits. Pas d’atteinte à la personne, majoritairement aucun contact avec leurs victimes, et pourtant…
    J’ai choisi cet exemple car il est malheusement représentatif, et dans l’air du temps. Allez dire aux victimes de « vol effrac », comme on dit dans le jargon, que leur infraction ne mérite pas d’engager un moyen d’enquête technologique car il est attentatoire à la vie privée de leurs auteurs. La conscience de ces derniers est inversement proportionnelle à l’attention que nos sociétés veulent bien leur porter.
    Bref, je vais être un peu direct, et vous mettrez cela sur le compte d’un point de vue partial, ou autre (peu m’importe) : ce genre d’atteintes à la vie privé émeut particulièrement les « intellectuels », ce qui pensent en être, et les auteurs d’infractions, qui cherchent tous prétextes pour récuser les empêcheurs de nuire.
    Et là, je rajouterai : pas vous, s’il vous plait…
    Eventuellement, je comprendrais, mais n’accepterais pas, qu’on m’oppose des raisons budgétaires. Interdire la géoloc aux délits, ou la limiter à ceux dont la peine prévue est de 5 ans mini, permettrait de réaliser un peu d’économie.
    Sans doute. Je ne suis pas économiste ni comptable.
    En revanche, je suis davantage susceptible d’être victime de ceux qu’on protégera indirectement, pour des raisons philosophiques ou doctrinales…

    ____________

    Je vous suis bien, mais le code pénal s’est enrichi d’une multitude de circonstances pour des faits dont la qualification de base est identique. Ainsi, les cambrioleurs dont vous parlez seraient probablement suspectés d’agir en bande organisée – ce qui est une infraction criminelle punissable de 15 ans de réclusion lorsqu’il n’y a pas de violences. Or la justice se doit de préserver l’équilibre entre efficacité et respect des libertés individuelles. Quant à la LPM, qui bientôt permettra d’effectuer les mêmes surveillances en dehors de magistrats, là, c’est un choix de société. Chacun est donc libre d’en penser ce qu’il veut. Mais pour une fois, je retiens le principe de précaution. GM

  3. Pinot simple flic

    Beaucoup de fantasmes autour de la géolocalisation. La réalité de la géolocalisation est beaucoup plus basique, banale et à 1000 lieues des fantasmes de révoltés de salon : retrouver trace d’un voyou en cavale, faciliter le travail de filature d’un dealer, s’assurer de la présence d’un individu à tel endroit en vue de son interpellation… Il faut rappeler que la géolocalisation est la traduction moderne de la filature et qu’elle n’a pas pour but d’espionner indument le quidam moyen, mais bien d’arrêter des voyous. Il est logique d’encadrer légalement ce moyen d’enquête, tout comme il est logique que ce moyen d’enquête existe.

  4. ben

    La CEDH n’a-t-elle pas considérée qu’un parquetier français n’est pas un magistrat de l’ordre judiciaire ?

    Dans ce cas, à la lecture du projet de loi, n’est-on pas encore à l’amende vis-à-vis de la jurisprudence de cette cour ?

  5. soph'

    Enfin, ce que je remarque, c’est qu’on tente de plus en plus de trouver des moyens pour détourner le système.

    C’est bon ! Les consciences s’éveillent.

  6. Sylv

    Je suppose, j’avoue ne pas avoir vérifié, qu’il y a un moyen juridique d’attaquer des policier/gendarmes qui useaient de qualificatifs fantaisistes pour rendre légal une mesure ne devant pas l’être. Si ce n’est pas le cas il faudrait y penser un jour mais j’avoue avoir du mal à imaginer nos autorités se tirer ainsi une balle dans le pieds sans y être contraintes.

    Quand à se défendre par de bonnes serrures ou un courrier postal ça tiens un peu du mythe. A moins d’habiter un bunker ce qui ne se trouve pas dans toutes les villes il est toujours possible de rentrer dans un domicile, parfois ça peut laisser des traces peut être mais vous remarquerez qu’on parle ici de poser des mouchards sur les véhicules. S’ils dorment dehors dans la rue ou dans un jardin aucune difficulté. Si c’est dans un garage ce sont souvent les plus basiques des portes et serrures.
    Quand au courrier postal ça fait bien longtemps que la police (au sens large) à le droit de l’ouvrir (dans certaines conditions) et n’en s’en prive pas au besoin. Quand ce ne sont pas les facteurs indélicats mais c’est une autre affaire.

    • soph'

      @ Sylv. : Bonsoir Sylv. Vous avez certainement raison concernant l’ouverture des courriers.

      MAIS, puisqu’il y en a toujours un, MAIS on imagine assez mal en ces périodes de récession de travailleurs, la police mettre aux P & T une armada de fonctionnaires (enfin ceux qui restent) pour trouver une hypothétique lettre signalant un hypothétique coup d’état.

      Mince ça y est : le mot est lâché le site est observé ?!

      ça fait quand même une grosse fourniture de coupe-papier. Et comme y’a plus de ronds… Et puis la poste étant devenue privée aux deux tiers, environ, faudra trouver les lampistes pour aider les flics qui ne sont pas plus aimés qu’en 1890, environ.

      Le moyen le plus sûr demeure le pigeon. Et à voir comment on nous plume, je ne suis pas loin de la vérité !

  7. loic

    Que les députés et sénateurs soient au-dessus des lois me semble bien, pour un pays latin. Mais en tant que mi-Breton mi-Ardennais, suis-je latin ? La France me parait peu latine, à part peut-être ses « élites ». Hammadi, Dassault, Cahuzac, Tapie, Balkany ont le tropisme du sud… Espérons que les gens du nord ne couperons pas tout ce bel ordonnancement à la hache. Mais bon la police para-militaire veille, dormez braves gens de Nice et d’Orange..

  8. HMA

    Cela fait 2-3 billets que vous amenez à réfléchir sur nos libertés fondamentales qui sont progressivement rognées par nos représentants.
    Je vous en remercie.

  9. Marc Schaefer

    La Loi ne protégeant pas le citoyen, et l’Etat étant un voyou, il reste à mettre de bonnes serrures, et à se défendre soi-même contre les intrus plutôt qu’espérer la protection par leur copains.

    Je confirme que les lettres sont le seul moyen un petit peu sûr de correspondre. Sur ordinateur, la cryptographie comme PGP fonctionnerait – mais à la difficile condition de pouvoir protéger à l’intérieur de la machine les textes en clair, et seulement avec les correspondants équipés, et en évitant les logiciels de cryptage autorisés après la loi de confiance dans l’économie numérique.

  10. Marc Schaefer

    Les maisons et autos des députés et sénateurs resteront intangibles… Donc la loi pourra passer. C’est comme l’espionnage par la NSA et les autres : les chefs d’Etat ont réagi seulement quand ils se sont sus espionnés.

  11. Marc Schaefer

    On ne peut pas imaginer restreindre l’usage d’un moyen lors d’une enquête préliminaire (donc contre des innocents le plus souvent) mais l’approuver par ailleurs, parce que les contournements sont trop faciles. Quand les Tonton-m’écoute ont fliqué une actrice parce qu’elle allait fréquenter l’Élysée, ils ont simplement justifié par une « contrebande d’armes » la demande d’écoute.

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