Pour mieux lutter contre la fraude fiscale, François Hollande a annoncé la création d’un parquet et d’un office central spécialisés. Oubliant au passage que dans ce domaine les poursuites pénales ne sont pas l’apanage du procureur mais le privilège de l’administration fiscale. Pour faire simple, la peine de prison, c’est un peu le bâton que l’on agite sous les yeux du fraudeur pour l’inciter à négocier au mieux pour les caisses de l’État.
Parmi la ribambelle de crimes et délits, ceux qui touchent à l’argent sont les plus compliqués à établir. Dans un hold-up, il y a les braqueurs, les complices et éventuellement les receleurs. Alors que dans un dossier de fraude fiscale ou de blanchiment, on peut tout aussi bien trouver des criminels, des trafiquants, des margoulins et… d’honnêtes gens. Comme le montre la mésaventure de Florence Lamblin, l’élue écolo, prise à son insu dans l’engrenage d’un blanchiment d’argent de la drogue. D’ailleurs, même si ce n’est pas dans les textes, les juges font la distinction entre l’argent sale, issu du crime, et l’argent gagné proprement, uniquement sali par un détournement des règles fiscales.
Le délit de fraude fiscale résulte de la dissimulation de sommes soumises à l’impôt. Cela va du montage international sophistiqué à la simple omission de déclaration sur sa feuille d’impôts. Il est le plus souvent sanctionné par des pénalités, déterminées par l’administration elle-même sous le contrôle du juge des impôts. Quant aux sanctions pénales, elles sont exceptionnelles. Leur effet dissuasif est d’ailleurs très incertain du fait de la modestie des peines prononcées : le plus souvent une simple amende (autour de 5 000 €). Pourtant, depuis la dernière loi des Finances, dans certains cas, les peines prévues peuvent aller jusqu’à 7 ans de prison et 1 million d’euros d’amende (art. 1741 du CGI). Et, pour sourire un peu au souvenir des avant-dernières déclarations du président de la République, il n’est pas inutile de rappeler que toute personne condamnée pour fraude fiscale peut perdre ses droits civiques.
Pour s’affranchir du bon vouloir de l’administration fiscale, policiers et magistrats préfèrent s’intéresser au blanchiment de fraude fiscale. Il consiste pour un fraudeur ou ses complices à réintroduire l’argent douteux dans un circuit légal. Et pour cela, toutes les combines sont bonnes. Il y a encore quelques années, l’un des moyens souvent utilisé consistait à se faire prêter de l’argent par un établissement bancaire installé en France, en garantissant ce prêt par un dépôt en espèces effectué à l’étranger (back to back). Souvent en Suisse. Un autre procédé ressemblait à un de jeu de chaises musicales, faisant tourner l’argent des clients d’une même banque d’un pays à l’autre. À une toute autre échelle, ces procédés sont toujours utilisés pour le blanchiment du produit du crime organisé. Une plongée dans certains comptes chypriotes serait sans doute révélatrice de ce système. Le blanchiment simple est puni de 5 ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende.
Ces deux infractions sont fortement imbriquées mais pour qualifier le blanchiment, il faut d’abord établir l’existence d’une fraude fiscale, même si l’infraction n’est pas poursuivie. Un peu comme un cambrioleur pourra faire l’objet de poursuites pour recel si l’on ne parvient pas à établir sa participation au vol.
Pour lutter contre la fraude et le blanchiment, une loi du 12 juillet 1990 a créé Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins). Cet organisme est considéré comme un service secret. Il est donc protégé, un peu comme la DCRI. Je ne sais pas si un sénateur peut s’en faire ouvrir les portes… En tout cas pour Bercy, c’est une arme redoutable, la clé de voûte de la lutte anti-blanchiment. D’autant qu’à la différence des journalistes qui peuvent s’abriter derrière la loi sur la protection des sources (comme l’a fait Le Monde pour les documents dits « Offshore Leaks »), des tas de professions (banquiers, assureurs, notaires, huissiers, agents immobiliers, casinotiers…) sont tenus de lui dénoncer toute transaction inhabituelle. Même les avocats sont concernés (CEDH : aff. Michaud contre la France). Deux situations opposées : les journalistes disent ne pas vouloir faire le métier de la police et les autres ont juste le droit de s’exécuter. Dans les deux cas, cela peut poser un problème de conscience. Je me demande s’il y a eu débat à la rédaction du Monde…
On envisagerait d’ailleurs, Place Beauvau, un système d’alerte qui lui s’adresserait à tout le monde, avec, pour le dénonciateur, la carotte du statut de repenti.
Pour mémoire, en 2001, Arnaud Montebourg (avocat de profession) avait déposé un amendement devant ses collègues députés pour faire de la non-dénonciation en matière fiscale un délit.
Le 9 avril dernier, Pierre Moscovici et ses homologues, britannique, allemand, espagnol et italien, ont demandé au Commissaire européen en charge de la fiscalité l’instauration d’un projet multilatéral d’échange du renseignement inspiré de la législation américaine (FATCA).
On a vraiment l’impression d’une histoire sans fin. Pourtant, ce n’est pas faute pour la police d’avoir accumulé les structures…
Tentons de décortiquer le mille-feuille de ces dernières années :
En mai 2002, il a été mis en place au sein de chaque région administrative des Groupes d’intervention régionaux (GIR) dans lesquels se mélangent plusieurs administrations avec l’objectif essentiel de lutter contre l’économie souterraine. Une coordination nationale de ces groupements est assurée au sein de la sous-direction de la lutte contre la criminalité organisée et la délinquance financière.
Cette sous-direction de la PJ chapeaute également la division nationale d’investigations financières et fiscales (DNIFF) – dont dépendent la brigade de répression de la délinquance financière (BRDFi), la brigade centrale de lutte contre la corruption (BCLC), créée en 2004, et la brigade nationale de répression de la délinquance fiscale (BNRDF), qui a vu le jour en 2010.
Services auxquels il faut ajouter l’Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) au sein duquel sont placés la brigade centrale pour la répression des fraudes communautaires (BCRFC), la brigade de recherches et d’investigations financières nationales (BRIFN) et la plate-forme d’identification des avoirs criminels (PLAC).
Et j’en oublie sans doute, comme la brigade nationale d’enquêtes économiques, dont je découvre l’existence.
Et cela uniquement pour la direction centrale de la police judiciaire.
Le nouvel office central de lutte contre la fraude fiscale et la corruption (OCLCFFC ? – ça se complique) va donc s’insérer dans cet organigramme, probablement en regroupant deux ou trois de ces services – sans doute sans l’ombre d’un effectif supplémentaire. Mais cela aura peut-être le mérite de mieux harmoniser les efforts…
Toutefois, le plus important dans la lutte contre la fraude fiscale, le blanchiment et la corruption, ne se trouve pas dans l’Hexagone, mais au-delà des frontières. Or, ce nouvel office va indéniablement faciliter les échanges internationaux (la DCPJ assure en effet la gestion et le suivi des trois canaux de coopération internationale : Interpol, Europol, et le système d’information Schengen).
Mais restons lucide, cela ne réglera pas le problème. Pour mémoire, l’OCRTIS (Office central pour la répression du Trafic illicite des stupéfiants) a été créé en 1953. Il a donc 60 ans – Et le trafic international de stupéfiants n’a jamais été aussi prospère, car, comme en matière de fraude fiscale, la solution du problème (si elle existe) se trouve en amont de la répression – et certainement pas dans une réaction coup de poing à une affaire ponctuelle.
Il n’est d’ailleurs pas interdit de s’interroger sur le bien-fondé de cette chasse aux simples évadés fiscaux avec des moyens d’investigation (notamment techniques) identiques à ceux utilisés pour lutter contre le grand banditisme, le trafic de stups ou le terrorisme. Chacun en pense ce qu’il veut. Moi, je suis perplexe, car nous sommes tous contribuables, donc tous suspects… Or, à chaque fois que l’on pénètre plus avant notre sphère privée, que l’on cherche à nous rendre plus transparent, notre autonomie en prend un coup. Et on nous moutonne un peu plus.
Excellente idée.
Pour commencer, je leur propose d’enquêter sur le couple présidentiel qui échappe à l’impôt sur la fortune en déclarant des patrimoines séparés.
Ensuite, ils pourront s’attaquer à tous les hauts fonctionnaires qui considèrent les institutions comme des tirelires personnelles. J’ai mis quelques exemples dans mon roman, « On les croise parfois ».
http://bit.ly/1alYb8D
@ 3J : Bonjour JJJ.
Sans doute avez-vous raison pour l’évaporation. Mais pour le reste, je puis vous assurer que la probité ne sort pas toujours « vain-cœur ». Elle aide à se tenir, certes, se maintenir ; écarter de soi certaines railleries ou suspicions indélicates. C’est une morale, une moralité ; comme on n’en trouve plus beaucoup. Ce qui laisse le champ à pas mal d’idéologue, même les plus véreux. Mais non, la probité ne sort pas toujours victorieuse des misères humaines. Regardez l’histoire.
Personnellement, je me fiche de savoir qui gagne combien. Ce qui est intéressant en revanche c’est savoir ou connaître le fondement de certaines choses. Par exemple :
Pourquoi de telles disparités entre eux et ne serait-ce que les smicards ?
Pourquoi une telle distorsion dans la répartition des richesses ?
Pourquoi continue-t-on de pomper les petits, alors que payer 10, 20 ou 50 mille euros d’impôts signifie qu’on en gagne… pfffffft tellement plus qu’on se demande pourquoi ceux-là bossent !
Une petite histoire, celle d’un premier impôt. C’était je ne sais quand. On a appelé ça « le sou du franc ». Cela représentait 83 centimes de francs par personne. Trois fois rien, hein ?! Mais ces 83 centimes multipliés par 40 millions d’individus, ça fait un petit lot, hein ! 33 millions 200 mille balles !
En euros, c’est plus grand chose ; mais nous sommes 20 millions de plus en France. C’est pas le chiffre qui compte, mais la masse sur laquelle on pique ce pognon. Et la masse, la base de la pyramide, c’est quand même elle qui est la plus nombreuse ; et sur laquelle tout repose.
Mais bah… 83 centimes.
Quant à prêcher et se réjouir de l’avènement d’un conflit, de grâce ! Car même les probes meurent sous le joug de l’ignominie. Et pour reprendre la chanson de Brassens : « Mourir pour des idées… mais de mort lente », s’il vous plaît.
Il y a e eu un reportage de special investigations de Canalplus sur l’arnaque à la taxe carbone, plus d’un milliards de TVA détournée par des escrocs avec à la clé des règlements de comptes (comme le fils Lepage) et mêmes des liens avec l’affaire Neyret (rapports avec des gars qui ont trempé dans cette fraude) .
http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid3357-c-special-investigation.html?vid=829619
http://www.liberation.fr/societe/01012385801-prends-le-co2-et-tire-toi
http://www.challenges.fr/entreprise/20120516.CHA6506/menace-sur-le-cac-40-les-nouveaux-escrocs-pechent-au-gros.html
Merci pour les informations de qualité .
Quant à la question du bien fondé des mesures à prendre et moyens mis en oeuvre pour contrôler le paiement de l’impôt … vaste question.
On peut partager votr perplexité.
Reste que trop de gens trichent et se refusent à participer aux efforts collectifs à raison de leurs capacités. Ils invoquent, entre autre, le respect dû à leur liberté.
Il est un seuil de cette attitude au delà duquel ils m’obligent à payer plus pour maintenir la machine publique en état de marche.
Leur refus de jouer le jeu républicain en s’acquitant de l’impôt consenti par nos représentants élus mérite contrainte réparatrice, ne serait-ce que pour encourager ceux qui paient rubis sur l’ongle, fut-ce en maugréant.
Je n’apprécie pas leur attitude et me contenterai de moyens imparfaits pour y mettre fin. L’enjeu démocratique est trop important.
Voir « Détestation du fonctionnaire et de l’impôt » sous http://goo.gl/vrv9k
Bonjour Georges,
Je croyais que le premier office créé était l’O.C.R.F.M., dès 1929…..
Pour ce qui est de la création du nouvel office, en réaction l’ « Affaire Cahuzac », cela me rappelle celle de l’O.C.D.I.P., en 2002, pour satisfaire les associations agissant dans le domaine des disparitions de personnes.
Ce service n’a jamais été doté des moyens lui permettant de travailler dans les meilleures conditions. Ses compétences ont été transférées, en 2006, à l’O.C.R.V.P., nouvellement créé, successeur de la D.N.R.A.P.B qui avait, il faut le souligner, gardé la main sur les enlèvements de personnes.
Cette solution aurait dû être privilégiée dès 2002, mais c’était sûrement moins porteur en terme d’image.
Bonjour et merci. C’est tout à fait exact. Une petite erreur maintenant réparée. Toujours pareil, lorsque l’on croit bien connaître un sujet, on ne vérifie pas. Bon WE.
on nous moutonne et on nous tond.