En ce mois de mai 2013, les parlementaires se sont penchés sur deux rapports concernant les services de renseignement français. Le premier concerne l’encadrement juridique de leur action, tandis que le second analyse leur fonctionnement « dans le suivi et la surveillance des mouvements radicaux armés ». Et comme les deux portent la griffe du député Jean-Jacques Urvoas, on retrouve un peu de l’un dans l’autre. À la lecture de ces documents, au demeurant fort intéressants (que l’on peut trouver ici et ici), il reste une question en suspens : Faut-il accorder aux agents qui luttent contre le terrorisme des pouvoirs extra-judiciaires ?
De quoi s’agit-il ? De donner à des policiers des pouvoirs de police administrative équivalents à ceux qu’ils détiennent dans le cadre d’une enquête judiciaire : surveillance, captation d’images, de sons, géolocalisation, intrusion occulte dans un domicile, une voiture… Tout cela sur des personnes qui n’ont commis aucun crime, aucun délit. De simples suspects.
Quels sont les services concernés ?
Les principaux acteurs du renseignement français sont au nombre de six, mais trois seulement ont un rôle important dans la lutte contre le terrorisme :
La DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure), autrefois surnommée La Piscine en raison de la proximité de ses bureaux avec la piscine des Tourelles, est chargée du renseignement et de l’action à l’extérieur des frontières. Sous sa forme actuelle, ce service a été créé en 1982. Il a remplacé le SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-espionnage), lequel a été rattaché au ministère de la Défense en 1966, après l’affaire Ben Barka. La DGSE n’a aucune relation avec la Justice.
Tracfin (Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins) est rattaché au ministère des Finances. Ce service a été créé en 1990 pour lutter contre le blanchiment d’argent. Dix ans plus tard, il a vu ses compétences élargies à la lutte contre le financement du terrorisme, et, en 2007, il a rejoint la communauté du renseignement. Il y a deux ans, une cellule spécifique a été créée pour mieux détecter le financement du terrorisme. Un travail de fourmi. C’est un service d’enquêtes administratives.
La DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) a été créée en 2008 en mariant la DST (Direction de la surveillance du territoire) et une grande partie de la DCRG (Direction centrale des renseignements généraux). Particularité française, c’est à la fois un service secret et un service de police judiciaire.
C’est cette double casquette qui pose problème, car, comme tout service secret, une partie de son activité est clandestine, voire entachée d’illégalité. En revanche, dès qu’un OPJ de la DCRI rédige un procès-verbal, il doit respecter scrupuleusement la loi et il agit alors sous le contrôle d’un magistrat. Or, les informations recueillies en tant « qu’agent secret » ne peuvent figurer dans une procédure, sauf à se livrer à des acrobaties qui aboutissent souvent à des dossiers bancales et à mettre les magistrats dans l’embarras (l’affaire de Tarnac en est un bon exemple). Ainsi, le juge anti-terroriste Marc Trévidic n’hésite pas à déclarer devant les parlementaires : « J’ai moi-même été amené à faire des choses qui ne sont pas légales, car il n’est pas possible de faire autrement… ».
Alors, pour pallier cette difficulté, le député Urvoas, qui est aussi le président de la Commission des lois, propose de faire adopter une loi qui aurait l’avantage de rendre les choses illégales légales.
Aucun risque de dérapage, nous assure-t-il, car aujourd’hui l’État ne peut se soustraire aux juridictions administratives ou à l’acuité des médias. Lire dans un rapport parlementaire que les journalistes sont là pour assurer le contrôle de l’État est assez surprenant…
Yves Bertrand, l’ancien directeur des RG, qui vient de mourir, déclarait l’année dernière à Médiapart (cité par Wikipédia) en parlant de la création de la DCRI « On ne fusionne pas un service dont la vocation est avant tout judiciaire et opérationnelle, comme la DST, avec un service d’information, comme les RG (…) sinon pour créer une » police politique » ». Je ne suis pas loin de partager son avis. En tout cas, si le rapport parlementaire sur « le nouveau cadre juridique pour les activités du renseignement » est suivi d’effet, on prend le risque de s’en approcher un peu plus.
Vous me direz, il faut bien se donner les moyens de lutter contre le terrorisme !
Comment lutter contre le terrorisme ? – En fait il y a deux méthodes pour combattre ce fléau. Soit on estime qu’il s’agit d’une guerre, et alors le terroriste est un ennemi qu’il faut éliminer à tout prix. Dans ce cas, la Justice devient un obstacle. C’est la voie choisie par les États-Unis. Pour les autorités de ce pays, on se trouve en présence d’un conflit d’un nouveau genre, sans uniforme et sans patrie, et l’on peut par conséquent s’affranchir de toutes les conventions internationales. – Mais ceux qui font le sale boulot ne sont pas des policiers.
Soit on considère les terroristes comme des criminels et on les combat par le code pénal. C’est la méthode européenne. Pour nous, Français, cette démarche est conforme à notre passé qui veut que l’on ne déclare pas la guerre à des hommes mais seulement à des États et que l’on ne condamne pas a priori un mouvement, mais uniquement ceux qui, à l’intérieur de ce mouvement, se livrent à des actes criminels. Et cependant, il faut bien reconnaître que la menace islamiste remet les pendules à l’heure, car l’action d’un juge ne sera jamais suffisante.
Pourtant, il n’y a pas d’alternative : le terroriste est un ennemi ou un justiciable. Et se cacher derrière une loi pour effectuer des opérations hors la loi relève du clair-obscur. Dans les services techniques de la DST où j’ai œuvré durant plusieurs années, il y avait des fonctionnaires qui posaient des micros, d’autres ouvraient les serrures, d’autres le courrier… Chacun savait qu’il faisait une chose illégale, mais c’était pour la bonne cause, du moins le croyait-on (le contre-exemple étant la pose de micros dans les locaux du Canard Enchaîné). Si ces actes avaient été couverts par une loi, ils n’auraient eu que l’apparence de la légalité. Ce que le professeur Massimo Donini, de l’Université de Modène, qualifie de « droit pénal de l’ennemi », et qu’il ne considère en aucun cas comme un droit légitime. Il faut prendre garde de ne pas glisser de l’État de droit à l’État de police, ajoute-t-il dans la Revue de science criminelle 2009.
À ce jour, on peut dire que les deux méthodes sont plutôt inefficaces. Mais la méthode américaine présente au moins l’avantage de bien séparer le terrorisme des autres activités criminelles. Alors que chez nous, il y a fréquemment confusion des genres et les décisions prises pour lutter contre le terrorisme s’appliquent souvent à des infractions de droit commun. Et, à l’arrivée, nos libertés individuelles sont de plus en plus écornées, au point aujourd’hui de pouvoir condamner quelqu’un non pas pour un crime ou une tentative de crime, mais pour une simple intention criminelle.
Il n’existe sans doute aucune solution satisfaisante, mais notre exigence de sécurité ne doit pas nous inciter à faire n’importe quoi. Il faut faire le moins mal possible. Il existe bien l’article 15 de la Convention européenne de droits de l’homme qui prévoit des dérogations à certains grands principes. Et notre Constitution, elle, renforce sérieusement les pouvoirs de police administrative lorsque l’état d’urgence est décrété. Alors, il y a peut-être quelque chose à envisager en se rapportant à ces textes… Une sorte d’état d’urgence au coup par coup : pour un temps déterminé et pour des faits précis, il serait accordé des pouvoirs exceptionnels à des services de police spécialement désignés… Et leur action serait contrôlée a posteriori. Mais finalement c’est peut-être ça que préconise M. Urvoas.
Allez, je vais relire les 360 pages de ses deux rapports…
7 réponses à “La PJ va donc s’enrichir d’un nouvel Office central”
Excellente idée.
Pour commencer, je leur propose d’enquêter sur le couple présidentiel qui échappe à l’impôt sur la fortune en déclarant des patrimoines séparés.
Ensuite, ils pourront s’attaquer à tous les hauts fonctionnaires qui considèrent les institutions comme des tirelires personnelles. J’ai mis quelques exemples dans mon roman, « On les croise parfois ».
http://bit.ly/1alYb8D
@ 3J : Bonjour JJJ.
Sans doute avez-vous raison pour l’évaporation. Mais pour le reste, je puis vous assurer que la probité ne sort pas toujours « vain-cœur ». Elle aide à se tenir, certes, se maintenir ; écarter de soi certaines railleries ou suspicions indélicates. C’est une morale, une moralité ; comme on n’en trouve plus beaucoup. Ce qui laisse le champ à pas mal d’idéologue, même les plus véreux. Mais non, la probité ne sort pas toujours victorieuse des misères humaines. Regardez l’histoire.
Personnellement, je me fiche de savoir qui gagne combien. Ce qui est intéressant en revanche c’est savoir ou connaître le fondement de certaines choses. Par exemple :
Pourquoi de telles disparités entre eux et ne serait-ce que les smicards ?
Pourquoi une telle distorsion dans la répartition des richesses ?
Pourquoi continue-t-on de pomper les petits, alors que payer 10, 20 ou 50 mille euros d’impôts signifie qu’on en gagne… pfffffft tellement plus qu’on se demande pourquoi ceux-là bossent !
Une petite histoire, celle d’un premier impôt. C’était je ne sais quand. On a appelé ça « le sou du franc ». Cela représentait 83 centimes de francs par personne. Trois fois rien, hein ?! Mais ces 83 centimes multipliés par 40 millions d’individus, ça fait un petit lot, hein ! 33 millions 200 mille balles !
En euros, c’est plus grand chose ; mais nous sommes 20 millions de plus en France. C’est pas le chiffre qui compte, mais la masse sur laquelle on pique ce pognon. Et la masse, la base de la pyramide, c’est quand même elle qui est la plus nombreuse ; et sur laquelle tout repose.
Mais bah… 83 centimes.
Quant à prêcher et se réjouir de l’avènement d’un conflit, de grâce ! Car même les probes meurent sous le joug de l’ignominie. Et pour reprendre la chanson de Brassens : « Mourir pour des idées… mais de mort lente », s’il vous plaît.
Il y a e eu un reportage de special investigations de Canalplus sur l’arnaque à la taxe carbone, plus d’un milliards de TVA détournée par des escrocs avec à la clé des règlements de comptes (comme le fils Lepage) et mêmes des liens avec l’affaire Neyret (rapports avec des gars qui ont trempé dans cette fraude) .
http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/pid3357-c-special-investigation.html?vid=829619
http://www.liberation.fr/societe/01012385801-prends-le-co2-et-tire-toi
http://www.challenges.fr/entreprise/20120516.CHA6506/menace-sur-le-cac-40-les-nouveaux-escrocs-pechent-au-gros.html
Merci pour les informations de qualité .
Quant à la question du bien fondé des mesures à prendre et moyens mis en oeuvre pour contrôler le paiement de l’impôt … vaste question.
On peut partager votr perplexité.
Reste que trop de gens trichent et se refusent à participer aux efforts collectifs à raison de leurs capacités. Ils invoquent, entre autre, le respect dû à leur liberté.
Il est un seuil de cette attitude au delà duquel ils m’obligent à payer plus pour maintenir la machine publique en état de marche.
Leur refus de jouer le jeu républicain en s’acquitant de l’impôt consenti par nos représentants élus mérite contrainte réparatrice, ne serait-ce que pour encourager ceux qui paient rubis sur l’ongle, fut-ce en maugréant.
Je n’apprécie pas leur attitude et me contenterai de moyens imparfaits pour y mettre fin. L’enjeu démocratique est trop important.
Voir « Détestation du fonctionnaire et de l’impôt » sous http://goo.gl/vrv9k
Bonjour Georges,
Je croyais que le premier office créé était l’O.C.R.F.M., dès 1929…..
Pour ce qui est de la création du nouvel office, en réaction l’ « Affaire Cahuzac », cela me rappelle celle de l’O.C.D.I.P., en 2002, pour satisfaire les associations agissant dans le domaine des disparitions de personnes.
Ce service n’a jamais été doté des moyens lui permettant de travailler dans les meilleures conditions. Ses compétences ont été transférées, en 2006, à l’O.C.R.V.P., nouvellement créé, successeur de la D.N.R.A.P.B qui avait, il faut le souligner, gardé la main sur les enlèvements de personnes.
Cette solution aurait dû être privilégiée dès 2002, mais c’était sûrement moins porteur en terme d’image.
Bonjour et merci. C’est tout à fait exact. Une petite erreur maintenant réparée. Toujours pareil, lorsque l’on croit bien connaître un sujet, on ne vérifie pas. Bon WE.
on nous moutonne et on nous tond.