LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Fin du procès Pastor : le droit, à la virgule près

Dans le procès Pastor, la cour d’assises des Bouches-du-Rhône va bientôt rendre son verdict. Pourtant, malgré les comptes rendus détaillés des chroniqueurs judiciaires, l’affaire reste encore bien mystérieuse. Mais, quel que soit le degré de culpabilité reconnu aux accusés, il restera un sentiment de dégoût devant un double assassinat fomenté sur l’argent. Tant d’argent que c’en est indécent.

La diffusion de l’enregistrement des aveux de Wojciech Janowski obtenus lors de sa garde à vue a été l’élément clé des débats. Et il est fort probable que les propos tenus devant l’OPJ, par celui qui est considéré comme l’instigateur de ces crimes, influeront directement sur la décision des jurés et de la cour.

Pascal Guichard, le président de la Cour d’assises, a surpris tout son monde en décidant de diffuser cette vidéo, après que Wojciech Janowski ait dénoncé avec véhémence les conditions inhospitalières de son séjour prolongé dans les locaux de la PJ niçoise. D’après Pascale Robert-Diard, qui suit le procès pour Le Monde, à l’issue de la projection, son avocat, Me Dupond-Moretti, aurait quitté la salle d’audience sans un regard pour son client.

Mais au fait, le président de la cour d’assises avait-il le droit de diffuser cet enregistrement ? Personne ne semble s’être posé la question. Vous me direz, c’est juste un point de droit, mais il pourrait peser sur l’avenir judiciaire de l’accusé.

 

Hélène Pastor, Monégasque à la tête d’une succession immobilière colossale, et son chauffeur Mohamed Darwich, ont tous deux été mortellement blessés, par des plombs de chasse, le 6 mai 2014, devant l’hôpital l’Archet à Nice. Les caméras de vidéosurveillance montrent que le guet-apens est le fait de deux hommes dont l’un est armé d’un fusil de chasse à canons superposés et crosse sciée.

L’enquête est confiée à l’antenne de PJ de Nice.

En vieux routier de la lutte antiterroriste, le commissaire divisionnaire Philippe Frizon, qui dirige le service, doit se dire d’entrée de jeu que ces deux loustics ne sont pas des gâchettes. D’autant qu’ils laissent derrière eux tellement de « petits cailloux » que les enquêteurs n’ont aucun mal à les identifier. Les surveillances, les écoutes et la téléphonie permettent en l’espace de deux ou trois semaines de mettre un nom sur deux petites douzaines de personnes, lesquelles seront interpellées lors d’un coup de filet lancé le 23 juin 2014.

Dix sont présents devant la cour d’assises.

Même s’il n’a pas participé directement à l’organisation du guet-apens meurtrier, Janowski, le gendre « imparfait », devient l’accusé parfait : il lui est reproché d’être le commanditaire de ce double assassinat, autrement dit il est complice par instructions données. Et alors même que les débats sont en cours, toute la presse se focalise sur lui, le roturier, le coupable ! À tel point que le 14 octobre 2018, plusieurs jours avant la fin du procès, Wikipedia l’a condamné à perpète (info retirée par la suite). 

Sa garde à vue démarre le 23 juin 2014 à 14 heures. Elle fera l’objet de deux prolongations pour atteindre 96 heures, le régime en matière de criminalité organisée. Lors de ses quatre premières auditions, il déclarera n’avoir besoin ni d’interprète (il est d’origine polonaise) ni d’avocat. Il confiera alors aux policiers que suite aux demandes pressantes de son coach sportif, Pascal Dauriac, il lui a versé de l’argent pour assurer sa protection et celle de sa famille : 200 000 euros, puis 40 000, 20 000… « La somme globale que j’ai versée (…) depuis 2012 jusqu’à 2014 représente 500 000 euros. » En décembre 2013, Dauriac lui demande de nouveau 200 000 euros, puis il revient à la charge en 2014. Mais cette fois, Janowski ne paie pas. «  Je n’étais pas sûr si je faisais l’objet d’un chantage ou d’une extorsion, je n’ai pas pris la décision de réagir. »

Inutile de dire que dans un bureau voisin, Pascal Dauriac tient un tout autre discours : il reconnaît avoir organisé le double meurtre – mais il l’a fait à la demande de Wojciech Janowski. L’argent qu’il a reçu serait donc le prix du crime.

Au début de la cinquième audition, Janowski indique aux policiers qu’il ne comprend pas tous les termes juridiques. Il dit : « Je ne sais pas à qui je peux poser des questions, s’il y a des nuances de langue que je ne comprends pas… » Et il demande la présence d’un avocat. Manque de chance, ce jour-là, le 26 juin, les avocats ont décidé d’une grève nationale pour défendre l’aide juridictionnelle. Pas d’avocat disponible, répond le barreau. Les policiers n’insistent pas plus que ça, après tout, chacun sa… son truc. Les auditions se poursuivent donc sans avocat et, lors de son dernier interrogatoire, Wojciech Janowski passe aux aveux. C’est forcément le dernier procès-verbal d’audition, puisque l’article 105 du code de procédure pénale prescrit qu’un OPJ agissant en exécution d’une commission rogatoire d’un juge doit mettre fin à son audition dès qu’il existe des indices graves et concordants, ceci pour éviter de violer les droits de la défense.

Au cours de l’instruction, ses avocats ont déposé un recours, non pas sur l’article 105, mais sur le déroulé de cette garde à vue quand même hors-norme : dans un arrêté un rien emberlificoté, la Cour de cassation a estimé que la garde à vue de Wojciech Janowski était régulière (Crim. 9 févr. 2016, n° 15-84277).

Sur cette affaire dont on n’a pas fini d’entendre parler, peut-être connaîtra-t-on un jour la position de la Cour européenne des droits de l’homme, elle qui place le droit de ne pas s’auto-incriminer au cœur du « procès équitable »…

Devant le juge des libertés et de la détention, Janowski s’est rétracté. Puis devant la cour d’assises, en des termes décousus, il a clamé son innocence. Parlant des conditions de sa garde à vue, il dit : « La seule chose qu’ils n’ont pas faite, c’est de m’arracher les ongles. On dormait dans de la merde, on mangeait des choses que même mon chien n’aurait pas mangées… » Puis, toisant le président, il termine son discours incohérent par ces mots : « Donnez-moi une seule preuve que Janowski est le commanditaire ! Vous ne l’avez pas. Pas une seule preuve que je suis coupable. »

Et pourtant, lors de la diffusion de l’enregistrement de sa garde à vue, il y a cette réplique qui fait mal : – « Avez-vous commandité cet assassinat, oui ou non ? » lui demande le commandant de police Catherine Messineo. – « C’est oui, Madame, mais ce n’était pas en ces termes (…) J’ai demandé à Pascal Dauriac qu’il m’aide à résoudre le problème de ma belle-mère. »

L’audition se poursuit. Il obtient un xième Coca-Cola, puis avant de mettre fin à l’audition, l’OPJ demande : « Et l’assassinat de Mohamed Darwich ? – Il a été tué parce qu’il était présent ce jour-là à côté d’Hélène. Je n’ai pas commandité cet assassinat. »

Même si l’article préliminaire du code de procédure pénale dispose qu’aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations faites « sans avoir pu s’entretenir avec un avocat et être assistée par lui », la diffusion de cette vidéo est donc la séquence charnière de ce procès. Lors de son réquisitoire, Pierre Cortès, l’avocat général, est parfaitement conscient de son impact sur les jurés. Ses aveux « lui collent à la peau comme une tunique de Nessus », dit-il (j’ai cherché, ça veut dire cadeau empoisonné). En droit français, le complice encourant les mêmes peines que l’auteur principal, il réclame la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 22 ans contre Wojciech Janowski, et des peines decrescendo pour le tireur, Samine Saïd Ahmed ; le guetteur, Al Haïr Hamadi ; pour Pascal Dauriac, considéré comme l’organisateur du guet-apens ; et les autres comparses.

Selon tous les observateurs, c’est le président de la cour d’assises qui a pris l’initiative de diffuser la vidéo de la dernière audition de la garde à vue de Wojciech Janowski. Personne ne l’avait visionnée auparavant. Elle dure environ 2 h 30.

L’article 64-1 du code de procédure pénale qui, depuis une loi de 2007 prévoit l’obligation de filmer certaines auditions, précise dans son alinéa 2 les conditions exigées pour consulter un enregistrement : « L’enregistrement ne peut être consulté, au cours de l’instruction ou devant la juridiction de jugement, qu’en cas de contestation du contenu du procès-verbal d’audition, sur décision du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement, à la demande du ministère public ou d’une des parties. »

Et je dois avouer que je suis tombé en arrêt sur cette virgule. Le législateur a-t-il voulu dire que le juge d’instruction ou le président d’une juridiction de jugement ne peut consulter l’enregistrement que si les avocats des parties ou le représentant du ministère public lui en font la demande…

J’ai cette impression, mais je me dis que si un président d’assises prend cette initiative, c’est qu’il en a le droit, ne serait-ce qu’en vertu de son pouvoir discrétionnaire.

Pourtant, en 2012, à la suite d’une QPC déposée par un avocat, le Conseil constitutionnel, dans une décision qui a censuré le dernier alinéa de l’article 64-1 (sinon, il n’y aurait pas eu de vidéo dans le dossier Pastor), a rappelé que l’enregistrement des auditions des personnes placées en garde à vue est fait au nom du principe d’égalité et du respect des droits de la défense. Et non pour servir de preuve (n°2012-228/229 – QPC du 6 avril 2012).

Cette subtilité juridique explique peut-être le silence qui a suivi la diffusion de cet enregistrement. Alors que tout le monde s’attendait à voir le président Guichard sommer Janowski de s’expliquer, il a préféré lever la séance.

Quant aux avocats de la défense, ils n’ont pas réagi. Ils n’ont pas demandé la diffusion d’autres vidéos. Pourtant, les déclarations de Wojciech Janowski lors de ses auditions précédentes auraient probablement été instructives. En tout cas, elles auraient permis aux jurés et à la cour de se forger une opinion en toute connaissance de cause. De ne pas se limiter à la pointe de l’iceberg.

8 Comments

  1. Pamphlétaire

    « Pascal Guichard, le président de la Cour d’assises, a surpris tout son monde en décidant de diffuser cette vidéo, après que Wojciech Janowski ait dénoncé avec véhémence les conditions inhospitalières de son séjour prolongé dans les locaux de la PJ niçoise. D’après Pascale Robert-Diard, qui suit le procès pour Le Monde, à l’issue de la projection, son avocat, Me Dupond-Moretti, aurait quitté la salle d’audience sans un regard pour son client.

    Mais au fait, le président de la cour d’assises avait-il le droit de diffuser cet enregistrement ? Personne ne semble s’être posé la question. Vous me direz, c’est juste un point de droit, mais il pourrait peser sur l’avenir judiciaire de l’accusé. »
    J’assimile la décision du président au pouvoir discrétionnaire du président des assises qui possède le pouvoir de décider dans des cas non prévus par la loi.
    Il a eu ses raisons tout en se faisant des sympathisants et des ennemis…Je suis pour son action.

  2. lagun

    Cet article 64-1 CPP est un peu tordu. En cas de contestation de la retranscription des auditions, la consultation de l’enregistrement ne peut être décidée d’office par le juge d’instruction ou la juridiction de jugement, et n’est pas de droit pour l’accusé.

    En 2007, le législateur avait décidé de limiter l’enregistrement aux seules auditions de personnes placées en garde à vue pour crime, et décidé qu’un bilan serait fait dans les deux ans de son entrée en vigueur en vue de son éventuel élargissement aux procédures correctionnelles. On est bientôt en 2019, et je ne sache pas qu’il en soit encore question.

  3. Gonzy

    Bonjour, j’attire votre attention sur l’article du 4/10/2018 de notre excellente Pascale Robert-Diard « lendemain chagrin et occasion manquée  », comportant les indications suivantes concernant Me Dupond-Moretti : « c’est ennuyeux d’avoir réclamé à hauts cris la diffusion d’une garde à vue filmée avec la certitude qu’elle ne serait pas accordée et de se retrouver ainsi privée d’une parcelle de doute à entretenir. »
    Ce qui sous entend que le visionnage a été sollicité à un moment de la procedure
    Donc je trouve regrettable d’edicter des analyses juridiques sur la base d’articles que l’on cite de manière tronquée. Il est évident que des arguties juridiques ont été soulevées et que vouloir intervenir après la bataille sans y avoir assisté est pour le moins fragile.
    M. Moreas souvenez vous qu’en d’autres temps certains comptenteurs portaient des appréciations juridiques et jugements sur les conditions de la mort du malheureux gardien de la paix Philippe Maziz par tué accidentellement par la Bri, sans avoir été présent.

  4. Paul Berger

    En effet, cette dernière virgule signale-t-elle entre ce qui précède et la dernière proposition de la phrase un « ou » ou bien un « et » comme connecteur logique implicite?

    Il est malheureux que le doute soit permis. En effet, Maître Dupond-Moretti est connu pour pousser les acteurs d’un procès aux limites. Ce faisant, sciemment, il induit parfois des comportement borderline qu’il sait ensuite mettre à profit pour dénoncr l’incident de procédure dont il aura été lui-même la cheville ouvrière…

    Espérons qu’en l’occurrence le président Guichard ne soit pas tombé dans un ultime piège de la défense qui alors, en invalidant la forme, aura réussi au fond à défendre … l’indéfendable…

    Merci pour votre contribution dans la couverture de ce procès si spécial(!)

  5. C.Bastocha

    Bonjour et merci Commissaire pour ce post très « technique », dont je n’ai cependant pas saisi toutes les subtilités juridiques, n’étant pas du sérail.
    Je vais de ce pas me replonger dans les chroniques de Madame Robert-Diard 🙂

  6. Marcel X

    Bonjour,

    Je ne comprend pas votre lecture de la QPC n°2012-228/229. Si on y retrouve bien l’expression « principe d’égalité », on n’y retrouve pas votre citation « au nom du principe d’égalité et du respect des droits de la défense » (d’où vient-elle ?).

    Et si le principe d’égalité est évoqué dans cette QPC, c’est bien parce que l’enregistrement peut servir de preuve par « la vérification des propos retranscrits dans les procès-verbaux d’audition ou d’interrogatoire des personnes suspectées d’avoir commis un crime », et qu’il serait ainsi anormal qu’il ne profite pas à toutes les personnes suspectées d’avoir un commis un crime.

    • G.Moréas

      Mon raccourci est malheureux, la QPC censure l’absence d’enregistrement des infractions visées à l’article 706-73, situation qui portait atteinte au principe d’égalité et aux droits de la défense. Je vous remercie et… j’enlève les guillemets.

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