LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Des greffiers chez les poulets

Le chef de l’État veut voir davantage de policiers sur le terrain et moins dans les bureaux à perdre leur temps à des tâches administratives. Bravo ! Mais comment concilier cette ambition avec le télétravail. Et quel rapport avec la création de postes de greffier de police ?

Depuis un décret de février 2016, le télétravail s’est peu à peu installé au sein de la fonction publique pour tous les personnels qui le souhaitent à raison de trois jours par semaine, au maximum. Cela « constitue pour les agents une opportunité d’améliorer la conciliation entre la vie professionnelle et la vie personnelle », mentionnait le directeur général de la police nationale dans sa circulaire d’application. Une possibilité qui a été aménagée au bon vouloir du coronavirus responsable de la Covid-19.

Naïvement, on peut se demander comment un métier dit de « service actif » peut être pratiqué à domicile, les pieds dans les charentaises. C’est le miracle d’une société branchée ! Non seulement le policier peut rédiger toute la paperasse à distance, mais il peut également consulter les fichiers, procéder à des écoutes téléphoniques, suivre une géolocalisation en live et même assurer des planques ou des patrouilles grâce à des caméras vidéo judicieusement installées. C’est la réalité virtuelle. Quand je pense que leurs aînés se caillaient dans des fourgons de planque sans chauffage ou qu’en l’absence de tenue adaptée, les motards glissaient des journaux entre leurs sous-vêtements et leur chemise pour mieux se protéger du froid…

Je dis ça parce que je suis un peu énervé d’entendre les flics se plaindre à longueur de journée : on ne nous aime pas, on se fait injurier, on n’a pas le matos, les ordis moulinent à vide, les logiciels sont obsolètes, la justice est trop lente, pas assez répressive, la procédure pénale est trop compliquée…

Tiens, arrêtons-nous à cette réflexion qui revient en boucle dans la bouche de nombreux responsables syndicaux : la procédure pénale est trop compliquée. Au pied de la lettre, c’est admettre que leurs collègues en activité ne maîtrisent pas l’outil de base de leur fonction d’agent ou d’officier de police judiciaire. Quel désaveu cinglant ! Et pourtant cet axiome est admis sans sourciller.

Comment peut-on relayer un tel discours ? Ces sempiternels râleurs diraient-ils à leurs enfants : « T’as raison tes devoirs sont trop compliqués, je vais demander à ton prof de faire plus simple ! »

La procédure pénale est une discipline difficile, mais passionnante. Pour l’officier de police judiciaire, c’est le pilote entre ses pouvoirs et ses devoirs. Elle est au cœur de l’équilibre entre sécurité et défense des droits fondamentaux. Rompre cet équilibre, c’est changer de régime : mettre le travail des policiers et des gendarmes au niveau d’un jet de Karcher est tout simplement insultant.

Dans sa forme actuelle, notre code de procédure pénale a un peu plus de soixante ans. Pour revenir sur cette époque du siècle dernier, les officiers de police judiciaire étaient beaucoup moins nombreux. Il faut dire que la barre était haute. Le grade d’officier de police adjoint (lieutenant de police) est à ce titre emblématique. Il fallait cinq ans d’exercice avant de pouvoir passer le concours interne d’officier de police, qui donnait accès à l’habilitation OPJ. Quant aux policiers en tenue, quel que soit leur grade, ils n’étaient pas OPJ. Et de mémoire encore plus lointaine, le jeune commissaire de police (de la Ville de Paris) était durant ses deux premières années d’exercice un simple procédurier. Un greffier en quelque sorte : le « chien du commissaire ». Pour mériter le titre de « patron », il fallait savoir jongler avec le code de procédure pénale.

S’il est vrai que nos parlementaires légifèrent souvent à la va-vite, ajoutant des textes aux textes, au point parfois de les rendre incompréhensibles, peut-on dire que la procédure pénale est plus compliquée qu’auparavant ?  En ce qui concerne l’enquête de police, je ne dirais pas ça. D’autant qu’en 2012, sous le ministère de Claude Guéant, le code de la sécurité intérieure a vu le jour, un code qui se veut un instrument juridique opérationnel simple d’emploi.

Lorsqu’un ministre de l’Intérieur, voire le chef de l’État, dit qu’il faut décharger les policiers des tâches administratives, « moins de paperasse », bravo ! Lorsque, pour parvenir à ce résultat, il annonce la création d’une nouvelle spécialité, celle de « greffier de police », on se dit qu’il mélange tout : la rédaction d’un procès-verbal n‘est ni un travail administratif ni une perte de temps, c’est tout simplement la base du procès pénal. Le véritable patron d’une enquête, c’est le procédurier.

Pour paraphraser un homme politique, je dirais qu’en police judiciaire, ceux qui ne peuvent pas faire doivent laisser la place à ceux qui ont envie de faire.

Aujourd’hui, les commissaires et les officiers de police peuvent accéder à la fonction d’OPJ à la sortie de l’école. Seuls les fonctionnaires du corps des gardiens de la paix doivent passer un examen interne, le « bloc OPJ », avec 80 % de reçus. Et de nouveau la tentation est forte d’une évolution par le bas avec une qualification en sortie de scolarité. Il est prévisible que demain, tous les policiers auront la qualité d’OPJ. Ils disposeront donc, sans aucune expérience, des pouvoirs coercitifs de la fonction – dont le plus important : la garde à vue. Ce n’est pas anodin. Pour assumer ces responsabilités, ils devront recevoir une formation initiale solide et maintenir sans cesse leurs connaissances à jour. Une formation tous les deux ans, comme pour le maniement du bâton !?

A la veille de ces élections présidentielles – comme celles d’avant, comme celles d’avant… -, méfions-nous de ceux qui nous vendent la sécurité comme un idéal à atteindre, ils sont bourrés d’arrière-pensées, et ils gâchent le métier.

3 Comments

  1. Chris

    « La procédure pénale est une discipline difficile, mais passionnante »? Voilà qui ne manque pas de sel quand je me rappelle une époque, la vôtre en l’espèce, où la religion de l’aveu régnait en maître, « baffes thérapeutiques » à l’appui, et où l’on pouvait sans souci aucun « coller » 10 MEC en GAV sur un seul PV d’une demi-page..:-) En tout cas désolé M. MOREAS, celà fait maintenant presque 40 ans que je fais ce job et j’ai toujours considéré la procédure pénale comme une discipline sans intérêt aucun…partant du principe que le coeur du métier est le recueil d’éléments d’administration de preuves, qui suffit déjà très largement à nous occuper à une époque, l’actuelle donc, où le job demande une technicité accrue, entre téléphonie, vidéo, internet, financier etc etc…

    Il faut certes mettre tout çà en musique proprement, mais ne nous gourrons pas de métier…sachant quand même qu’à l’heure de l’informatique, les modèles ne sont pas faits pour les chiens..(Je défie qui que ce soit de rédiger une notif’ de GAV de mémoire!)..Le problème de fond étant qu’avec les années les strates procédurales s’accumulent, avec la complexité croissante que çà engendre, et que le quotidien du poulet de PJ est de plus en plus consacré à la forme au détriment du fond… Quand au procédurier, véritable patron de l’enquête pour reprendre vos propos…De quoi parlez-vous, voire dans quel monde vivez vous? J’espère que vous savez que peu de services peuvent se permettre le luxe d’en avoir 1/groupe, voire d’en avoir tout court, sachant par ailleurs que dans la plupart de ces même services, les commissaires de Police ou officiers chefs de section n’ont que très peu de temps, voire pas du tout à consacrer à la relecture des procédures..

    Une dernière chose peut-être M. Moreas: vos propos me rappellent, dans un autre registre, ceux de l’un de nos « illustres » prédécesseurs, Roger Borniche en l’espèce, qui postulait que la PJ avait commencé à péricliter à l’arrivée des syndicats dans les services…Sans commentaire! (Je vous rassure par ailleurs, il y a toujours un paquet de collègues qui se gèlent le cul dans les soums au quotidien)

    Pour conclure, je vous rejoins toutefois sur le fait que certains devraient parfois « chouiner » un peu moins et sortir de leurs logiques du « toujours plus » (sans rien en échange évidemment).

    Bonne retraite M. Moreas..:-) et cordialement quand même..

  2. Jemesouviens

    Il y a la loi, les règlements, les procédures, les codes….et il y a l’esprit de la loi.

    Au Canada y-en a qui mettent ça en route actuellement. Le moins qu’on puisse faire c’est de le relayer.

    https://www.mounties4freedom.com/about-us
    https://policeonguard.ca/

    Merci d’avance.

  3. Marcel P

    Vous êtes arrêté un peu abruptement à « cette réflexion qui revient en boucle dans la bouche de nombreux responsables syndicaux : la procédure pénale est trop compliquée. Au pied de la lettre, c’est admettre que leurs collègues en activité ne maîtrisent pas l’outil de base de leur fonction d’agent ou d’officier de police judiciaire. »

    Ca peut tout aussi bien vouloir dire que la procédure pénale actuelle est trop pénible, sans intérêt de fond. Par exemple, depuis une récente réforme, les mineurs doivent être avisés du respect de leur religion et du fait que leur dignité sera respecté.
    C’est la procédure. On peut se demander ce que ça signife pour les majeurs. Même pour les majeurs, il faut aussi désormais que les policiers affirment avoir le droit d’utiliser les fichiers qu’ils utilisent, sur une base simplement déclarative de leur chef de service – d’autres diront, du pipo. On peut aussi se demander l’intérêt de noircir des pages de papiers d’absurdités pareilles, puisque l’inverse constituerait des infractions pénales.

    Bref, avant de disserter, consultez une procédure pénale de 2022.

    Vous comparez ça également à un gamin qui trouverait ses devoir d’école trop compliqué. La procédure, ce n’est pas le devoir un enfant qui est rémunéré en apprentissage. C’est un impératif dans l’intérêt des victimes et de la société. Si ça n’avance pas ou mal, c’est un problème social. Pas celui d’un gamin fainéant.

    Donc oui, on peut relayer de tels discours, si on les comprend. Après, si vous vous ne les comprenez pas, peut-être faut-il évoquer le problème de manière plus directe et concrète.

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