LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Police (Page 20 of 34)

« Commissariat » : un film dérangeant

Lorsqu’on parle de la police, c’est souvent pour la blâmer et parfois, mais plus rarement, pour saluer une réussite : l’arrestation d’un assassin, le sauvetage d’un enfant… Mais qui connaît la vie de son commissariat ? C’est toujours avec une certaine appréhension que l’on pousse la porte… Un univers différent, un endroit qui a sa propre vie, ses propres règles. Et on est bien content d’en sortir.

en-cellule.jpgC’est donc sans grande conviction, que je suis allé voir Commissariat, le film de Ilan Klipper et Virgil Vernier*. En traînant les pieds.  Avec en plus la crainte de m’enquiquiner pendant une heure et demie.

J’avais tort. Je suis resté scotché à mon siège avec parfois la larme à l’œil. L’affiche souligne qu’il s’agit d’un film d’amour, mais c’est la détresse qui domine. La misère au quotidien. Et de la compassion, autant pour ces jeunes flics qui se cherchent que pour leurs « clients ».

Un film tout simple. Des séquences mises bout à bout. Et bizarrement, on n’en sort pas indemne. Encore maintenant, les images me tournent dans la tête.

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Sûr, on est loin d’une série télé ! Ici, les « criminels » sont des anthunes.jpggens ordinaires. Comme cet alcoolique qui s’est fait plus ou moins bastonner par ses voisins, sans doute lassés d’entendre ses vociférations. Et c’est sans pudeur, comme à un psy, qu’il se confie à l’officier de police qui l’a mis en garde à vue. « Je ne fais de mal à personne, dit-il en résumé, de temps en temps, je bois un coup, ou je fume un joint, ou les deux. » Il est touchant. Il a le même regard que Houellebecq et il parle comme Modiano. Ou le contraire, c’est selon.

samantha3.jpgEt cette jeune femme, Samantha, avec sa beauté toute simple, soulignée, comme une provocation, par une méchante cicatrice au menton. Il y a tant de vie passée, tant de tristesse dans son regard…

Quant aux policiers, surtout les plus jeunes, on les sent aussi perdus que les autres. Déracinés, loin de chez eux, affectés dans une ville qu’ils ne connaissent pas, avec l’impression qu’ils portent un uniforme trop grand pour eux. Ils ne sont pas encore flics et ils ne sont plus tout à fait pas flics.

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Ils supportent mal d’être marginalisés, de ne pas être aimés. Aussi, lorsqu’ils sauvent un enfant des flammes, un jeune Marocain, c’est comme une réconciliation. « Peut-être, maintenant, vont-ils nous voir autrement… ». L’image de la fliquette qui danse de joie devant l’immeuble en feu s’affiche comme un symbole. « Le plus beau moment de ma vie », dira-t-elle plus tard.

Mais si le commissariat est un lieu de vie, c’est plutôt de la vie des autres dont il est rempli. Des histoires qui passent, un procès-verbal plus long que nécessaire, un peu d’écoute, des conseils… puis le boulot qui reprend le dessus : « Allez, signe là ! » affiche-film-commissariat.jpg

Et le film se termine par une sorte de parabole, un gros plan sur l’employé qui nettoie les geôles de garde à vue – au karcher, car le commissaire trouve que ça décape mieux.

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*Le film a été tourné au commissariat d’Elbeuf. Il sort le 10 novembre, dans une dizaine de salles (dossier de presse et extraits ici).

Manifs : la vidéo qui fait débat

Un homme cagoulé casse la vitrine d’une agence bancaire à l’aide d’une sorte de bélier métallique, un témoin intervient pour l’en empêcher, et il reçoit un coup de pied latéral d’un deuxième larron. Puis d’autres personnages s’agglutinent dans une mêlée générale. On craint le pire, mais il n’y aura aucun blessé.

La casseur_youtube.1287729906.JPGvidéo fait recette sur le Net, car pour certains, la cause est entendue : il s’agit d’une mise en scène. Il faut reconnaître que les images, surtout si on les regarde au ralenti, laissent dubitatif. On a vraiment l’impression d’une séquence de film. Mauvais au demeurant, car les coups semblent bidons et l’impression se renforce lorsque le caméraman (un journaliste de Reuters) élargit le champ. On s’attend presque à entendre le réalisateur annoncer d’une voix forte : « Un peu de conviction, les enfants !… Allez, on l’a refait ! »

On peut lire l’odyssée de cet enregistrement sur le site Arrêt sur images.  Pour nombre d’internautes, la question est réglée : ces casseurs sont des flics. 

Sur Rue 89, le commissaire Jean-François Herdhuin est plus nuancé : « Pour moi, l’homme à la matraque, on dirait un policier. Mais je ne suis pas sûr à 100%, car son comportement est anormal, il s’isole dans la foule. Normalement, il devrait avoir un brassard… »  Avant de souligner : « Si vous suggérez que la police laisse commettre des violences, je suis sûr que ce n’est pas possible. Le chef du dispositif est informé. Il y a des syndicats dans la police qui désapprouveraient ce genre de choses ».

Dans toutes les manifs, il y a des policiers qui infiltrent le cortège. Ils tentent de repérer les casseurs, mais pas question d’intervenir à chaud. Trop dangereux. Pour cela, il faut attendre le moment opportun, souvent en fin de mouvement, quand la foule commence à se disperser. C’est alors qu’ils mettent leur brassard. Parfois, la passivité des forces de l’ordre est mal interprétée, mais, comme me disait récemment un ancien responsable de la sécurité publique : « Il vaut mieux des vitrines brisées qu’un nouveau métro Charonne ».

Mais la tentation est grande d’imaginer que des consignes secrètes seraient données afin que les choses s’enveniment. Un moyen de rendre le mouvement impopulaire. Pour cela, il faudrait envisager qu’il existe une sorte de… « bad brigad ». Un groupuscule qui ressemblerait à ce qu’était le SAC, il y a quelques dizaines d’années.

Même si les images de cette vidéo sont troublantes, ne tombons pas dans la parano. D’ailleurs, ce genre de manip pourrait avoir un effet boomerang dévastateur. Un risque bien trop grand.

Pourtant, il est bien vrai que la position de nos dirigeants prête à confusion.  On a un Président qui serre les dents en annonçant haut et fort que les casseurs seront arrêtés et punis, et un ministre de l’Intérieur qui serre les fesses de crainte de voir les choses dégénérer. Le syndrome de Malik Oussekine.

En fait, ils sont débordés par l’ampleur du mouvement.

En tout cas, les lycéens qui manifestent devraient suivre le conseil de certains policiers (qui sont aussi des parents) : « Dès que ça chauffe, tu déguerpis ! » Car une fois pris dans l’engrenage, il est difficile de s’en sortir. Et les peines de prison qui commencent à pleuvoir, resteront comme des cicatrices gênantes dans leur vie d’adulte.

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18 heures 30 : J’ai pu discuter longuement avec « l’homme aux cheveux blancs », en fait  Monsieur Bertrand de Quatrebarbes. Voici un résumé de son histoire :
Il buvait un pot à la terrasse d’un café avec sa femme et sa fille. Tout était tranquille. Soudain, un groupe de manifestants a déboulé sur la place. Les clients du café se sont levés pour partir, et c’est à ce moment-là qu’il a aperçu ce type qui s’en prenait à la vitrine de la banque. Il a cru que c’était un lycéen, et il s’est approché pour le sermonner. Lorsque le casseur s’est tourné vers lui, il a vu qu’il s’agissait d’un adulte. Celui-ci a semblé surpris d’être interpellé, mais il ne s’est pas montré menaçant. C’est alors que Monsieur de Quatrebarbes a reçu un coup de pied dans le dos. Puis un groupe d’individus l’a entouré, certains lui donnaient des coups, mais pour de faux en quelque sorte. D’ailleurs, il n’a aucune marque sur le corps. Toutefois, une bouteille lui a frôlé le visage et a blessé sa fille à la main. Autour de lui, il y avait dix à vingt journalistes. C’est alors qu’un homme d’une cinquantaine d’années a tenté de calmer les choses. Puis, il a dit un truc du genre « Bon, laissez-le maintenant ! » Ses « assaillants » se sont éloignés, et un peu plus tard, l’homme qui semblait être le chef (mais le chef de qui et de quoi ?) est allé prendre des nouvelles de sa fille, avant de s’éclipser à son tour.
Monsieur de Quatrebarbes se voyait mal parti. Il sait qu’il doit beaucoup à cet homme. Cela dit, il est incapable de dire si ces gens étaient des manifestants ou des policiers. Mais il est sûr, en tout cas, qu’ils n’ont pas cherché à lui faire du mal.
Les forces de l’ordre n’étaient pas présentes sur les lieux. Donc, les images où l’on aperçoit des policiers ont été prises ailleurs et à un autre moment. Même si les faits sont exacts, cette vidéo est un montage. Elle donne l’impression d’une continuité dans les événements, ce qui n’est pas le cas.
Il faut donc se garder d’une interprétation trop rapide.

Les officiers de police sont en colère

Et pour marquer le coup, ils demandent leur intégration dans la gendarmerie nationale ! Bon nombre seront demain dans les manifs. Il faut dire que leurs représentants syndicaux sont sortis très fâchés d’une récente réunion au ministère de l’Intérieur. Parmi les sujets à l’ordre du jour, figurait l’ISSP (indemnité de sujétions spéciales police), une prime faite pour compenser les risques et les contraintes du métier de policier. C’était, en 1948, le plat de lentilles offert en échange du renoncement au droit de grève. Après avoir obtenu la promesse d’une parité dans les rémunérations, ils espéraient en effet obtenir les mêmes avantages que les officiers de gendarmerie.

On escadeau-empoisonne_terra-economiicainfo.jpgt loin du compte. Un jeune lieutenant de police, par exemple, pourrait voir sa prime majorée de 18 € par mois, alors que pour être à parité, il lui faudrait cinq fois cette somme. Et les négociations sont biaisées par un système de vases communicants : pour que le lieutenant touche plus, il faut que  le capitaine touche moins. Car la seule chose qui ne bouge pas, c’est le montant de l’enveloppe : 6.6 millions sur trois ans.

Bilan des courses : il manque vingt millions d’euros. Et les promesses ne seront pas tenues.

Les officiers de police sont tellement remontés que le syndicat majoritaire, le SNOP (syndicat national des officiers de police), a tendu la main à son concurrent direct, Synergie-Officiers, pour envisager une action commune. Si la porte est restée fermée du côté de Synergie, les deux syndicats se sont quand même engagés dans le même combat. Et le SNOP a adopté l’idée coup-de-poing lancée par Synergie : les officiers de police demandent leur intégration dans la gendarmerie nationale, afin « de bénéficier d’une carrière valorisante et diversifiée, d’un logement de fonction cédé à titre gratuit pour nécessité de service, d’une solde digne d’un salaire de cadres, d’une ISSP payée comptant… »

Il s’agit synergie.JPGévidemment d’une provocation, mais en filigrane, on sent combien cette aspiration de la gendarmerie dans le giron du ministre de l’Intérieur n’a pour l’instant pas réussi à trouver son régime de croisière. Et plutôt que de faire taire les rivalités, on a même l’impression qu’elle les a exacerbées. L’affaire du pseudo-fichier Roms au sein de l’OCLDI (Office central de lutte contre la délinquance itinérante) en est un exemple. Quelle est la source qui a donné cette information au journal Le Monde, ou plus probablement aux avocats des associations des Roms et de gens du voyage, Françoise Cotta et William Bourdon ? Et certains de penser que la PJ, mécontente de voir un office aux mains des gendarmes, ne serait pas étrangère à cette fuite… Je n’y crois pas une seconde, mais le simple fait que cette rumeur ait circulé montre bien que rien n’est joué entre ces deux grands corps de l’Etat.

En 2007, Nicolas Sarkozy s’était engagé à assurer « une parité globale de traitement et de perspectives de carrière des personnels de la police et de la gendarmerie ». Son discours visait surtout à rassurer les gendarmes. Mais aujourd’hui, ce sont les policiers qui rouscaillent. Il est vrai que les gendarmes n’ont pas de syndicat pour les représenter.

Il est d’ailleurs amusant que les syndicats de police appellent leurs adhérents à devenir militaires de la gendarmerie, ce qui, du coup, leur retirerait  la possibilité d’être syndiqués.

Flash-Ball : des instructions sans effet

« On nous donne des armes et on n’a pas le droit de s’en servir », c’est grosso modo ce qu’a déclaré, devant une caméra de télé, la représentante d’un syndicat de police. Elle rouspétait après les déclarations du préfet des Hauts-de-Seine visant à interdire l’usage du Flash-Ball. Mais elle aura sans doute mal compris ledit préfet (tout comme nous) puisque, bien vite, les autorités ont fait savoir que ce n’était pas ça du tout. Non, non ! On rappelait simplement aux forces de l’ordre que l’utilisation de cette arme est limitée aux situations de légitime défense.

On peut supposer qu’en dehors de quelques syndicalistes inconséquents, les policiers de terrain le savaient déjà.

À sa conception, le Flash-Ball pouvait être considéré comme une avancée intéressante. Il s’agissait en fait d’une arme d’auto-défense destinée à se dégager d’une position délicate. La portée était limitée à une dizaine de mètres et le projectile, une balle ronde en caoutchouc, se déformait suffisammflash-ball_super-pro_verney-carron.1287219841.jpgent lors de l’impact pour sonner sans trop blesser. De plus, par son aspect et le bruit de la détonation, l’effet dissuasif était assuré. Comme l’avait d’ailleurs dit Nicolas Sarkozy, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, une arme faite « pour impressionner ».

Mais en augmentant la puissance de cet engin, et en utilisant des projectiles différents, on a changé la donne. On en a fait une arme nettement plus dangereuse. Une arme comme une autre.

Le Flash-Ball est à l’origine de pas mal d’accidents graves, dont deux à Montreuil, quasi identiques. Comme si l’on n’avait pas tiré de leçon du premier. Pourtant, les circulaires d’instruction se multiplient pour réglementer son utilisation, ainsi que d’autres, dans d’autres domaines (gardes à vue, fouilles à corps, menottage…) – et rien !

Du coup, je m’interroge sur le climat dans la police… Et si une minorité de boutefeux cherchait à entraîner leurs collègues vers une escalade dangereuse ?

On a l’impression qu’une partie de la base ne tient aucun compte des instructions de la hiérarchie – et que celle-ci s’écrase, par crainte des réactions de la base.

Malsain.

A ne pas manquer, la chronique du commissaire Jean-François Herdhuin, sur Le Monde (ici).

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Le fichier ADN financé par les assureurs a été lu 11 901 fois à ce jour et a suscité 33 commentaires.

Le fichier ADN financé par les assureurs

On savait les caisses vides, mais on ne s’attendait pas à voir le ministre de l’Intérieur faire la manche. En deux mots, il sollicite les compagnies d’assurance pour assurer le bon fonctionnement de la police technique et scientifique. « Concrètement, cela prendra la forme d’un fonds (…)  Les compagnies ont tout à gagner de leur participation, si l’on identifie les cambrioleurs et que l’on récupère les biens volés, les assureurs n’auront pas à indemniser les victimes et les cambrioleurs seront hors d’état de nuire », a déclaré Brice Hortefeux.

Lors de sa visite mendiant_site_tapahont.gifau laboratoire de Versailles, il aurait même confié qu’il avait demandé aux assureurs une contribution de six millions d’euros sur trois ans.

Et ce ne sont pas des paroles en l’air, puisqu’une disposition en ce sens a été ajoutée à LOPPSI 2, sous la forme d’un article 9 bis.

Cette contribution devait initialement prendre la forme «  d’un fonds de soutien au recueil d’empreintes génétiques et digitales, alimenté par une taxe sur les polices d’assurance habitation, afin de permettre à la police et à la gendarmerie d’élucider davantage de cambriolages ». Mais, quai de Bercy, on s’est dit qu’une taxe, en ce moment… Donc, finalement, l’amendement a été amendé, et il semble que le fonds sera alimenté par les assureurs en fonction du montant des biens volés qui seraient récupérés par les enquêteurs.

Et voila-t-il pas que policiers et gendarmes vont se transformer en chasseurs de primes !

En attendant, le personnel de la police technique et scientifique croule sous des milliers de réquisitions – et la grogne monte. Ici ou là, on dénonce la culture du chiffre et le manque de moyens. D’autant que le budget 2011 serait de douze millions, contre seize en 2010.

Depuis longtemps les compagnies d’assurances lorgnent cette formidable base de données que constitue le fichier national automatisé des empreintes génétiques, lequel comprendrait à ce jour environ 1.5 million de « profils ». Un outil statistique hors du commun. S’agit-il d’un premier pas ? Et les laboratoires pharmaceutiques ne sont pas en reste. « L’utilisation de l’information sur l’ADN pour les diagnostics et le développement des médicaments a déjà attiré des milliards de dollars de capitaux d’entreprises ou d’autres financements », dit le professeur Colin Masters*.

Personne n’aurait imaginé qu’un jour la police fonctionnerait avec des capitaux privés. Le pas est franchi. Alors, on peut s’interroger. Lorsque les caisses seront plus vides que vides, jusqu’où ira-t-on ?

D’autant qu’il s’agit d’un marché potentiel gigantesque : la bioinformatique – le mariage de l’informatique et de la biologie.

Or, la France est l’un des rares pays, une fois les fiches établies, à ne pas détruire les prélèvements génétiques. Ils peuvent être conservés 40 ans. Cette conservation de l’ensemble de l’ADN, partie codante et non codante, ne présente pourtant aucune réelle utilité pour les enquêtes.

Alors, pour quelle obscure raison le mettre en boîte ?chimpanze_bellesplumesblogscourrierinternational.1287047856.jpg

Avec l’ADN, on joue avec le feu. Ainsi, on a découvert, il y a peu, que la partie non codante que l’on croyait sans intérêt, permet de définir les différences entre les espèces. La bonne nouvelle, c’est qu’elle présenterait moins de similitude avec le chimpanzé que la partie codante.

Sans décoder.

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* Auteur de Notre ADN et nous, aux éditions Vuibert.
Kerviel et le prix du blé a été lu 4 095 fois et a suscité 61 commentaires. Merci à ceux qui ont pris la peine de nous expliquer la méthode du trader, et notamment à « Unbanquier ». Mon billet était évidemment imprécis, car je n’ai aucune connaissance dans ce domaine, mais à présent, je me sens moins nul…

Les policiers doivent-ils apprendre à désobéir ?

« Leur seul tort est de ne pas avoir désobéi à un ordre illégal », a dit en résumé Daniel Vaillant. L’ancien ministre de l’Intérieur parlait des policiers. En tant que membre de la commission chargée de contrôler les écoutes, la CNCIS, il commentait le nouveau ricochet de l’affaire Woerth-Bettencourt, qui ressemble fort à un contournement de la loi.

don-quichotte-1955-de-picasso_artistikartskynetblogsbe.jpgS’il s’avérait en effet que des policiers, et notamment des commissaires, ont ainsi effectué des écoutes ou des recherches techniques en violation de la loi (lire sur ce blog le billet du 25 septembre), ils pourraient bien faire l’objet de poursuites pénales.

Ainsi, dans l’affaire dite des écoutes de l’Elysée, le 13 mars 2007, la Cour d’appel de Paris a condamné les personnages qui s’étaient rendus coupables d’écoutes illégales (deux hauts fonctionnaires, deux officiers de gendarmerie, un commissaire de police…). Et peu importe qu’ils aient agi à la demande du premier magistrat de France, en l’occurrence le président François Mitterrand. En résumé, a dit la Cour, si les protagonistes avaient un devoir d’obéissance, ils avaient le devoir supérieur de ne pas obéir à un ordre manifestement illégal. Elle a donc jugé que les prévenus avaient commis une faute personnelle « détachable du service de l’Etat » et qu’ils étaient même tenus de dédommager les victimes sur leurs deniers personnels. Décision confirmée par la Cour de cassation.

On se souvient que la cellule élyséenne, soi-disant destinée à lutter contre le terrorisme, avait été utilisée comme un cabinet noir par le président en place. Espionnant des personnalités diverses, comme la comédienne Carole Bouquet, l’écrivain Jean-Edern Hallier ou le journaliste Edwy Plenel.

Une affaire vieille de 25 ans. Oui, mais plus près de nous, les gendarmes qui ont incendié une paillote corse sur les ordres de leur préfet ont tous été condamnés, directeur de cabinet, colonel, capitaine et simples gendarmes. Motif : ne pas s’être soustraits à un ordre illégal.

Et Michel Bart, le directeur de cabinet de Brice Hortefeux, n’a-t-il pas engagé sa responsabilité personnelle en signant une circulaire sur les Roms qui viole les principes mêmes de notre Constitution ? La circulaire est diffusée sur tout le territoire, et quoi ! Personne dans la chaîne d’exécution pour s’étonner ?

Alors que j’étais jeune policier, pour toucher les frais forfaitaires que l’administration nous octroyait, nous devions remplir un état chiffré qui correspondait à des missions bidons. Toute la hiérarchie le faisait –  sauf un vieil inspecteur divisionnaire. Le mouton noir. On le désignait du doigt. Mais, il refusait de faire un faux. Car c’était  bien d’un faux dont il s’agissait, et même d’un faux en écriture publique. Quelle leçon a posteriori… Et comme il avait raison, le vieux.

Dans un livre* qui vient de sortir, le commandant de police Philippe Pichon dénonce le système. Il a payé pour avoir le droit de parler, puisqu’il est actuellement banni de la police au motif qu’il a voulu désigner les abus qui entourent l’utilisation du fichier STIC.

Dans ce brûlot qui, entre nous, ne va pas arranger ses affaires avec l’administration, il dénonce : « Les scandales du fichage sauvage, de l’incompétence et des déviances policières – des travers dont certains de mes collègues s’accommodlivre-pichon.1286187270.jpgent fort bien, quand ils ne cherchent pas à en profiter -, j’ai rompu un contrat tacite… La maison Poulaga ne pouvait décidément plus me garder ».

Un contrat tacite ! Mais entre qui et qui ? En fait, les policiers vivent en vase clos et, souvent, ils perdent de vue la vraie vie –  celle de tous les autres, tous ceux qui ne sont pas policiers. On appelle ça l’esprit de corps, mais lorsque « la paillote brûle » chacun se retrouve seul pour régler la facture.

On a fait de la police, ces dernières années, un corps paramilitaire, avec sans doute bien des arrière-pensées.  Mais même chez les militaires, il existe un devoir de désobéissance devant un ordre manifestement illégal, ce qu’on appelle, je crois, la théorie de la « baïonnette intelligente ».

Un Pichon qui part en guerre, c’est un peu Don Quichotte, mais si demain des dizaines, des centaines de policiers refusent d’exécuter des ordres manifestement non conformes au droit, français ou européen, ou refusent de fermer les yeux sur les petits tripatouillages et les petits arrangements, alors, la police va retrouver la confiance et le respect des citoyens.

Mais qui le souhaite vraiment ?

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* Une mémoire policière sale, de Philippe Pichon et Frédéric Ocqueteau, aux éditions Jean-Claude Gawsewitch.

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La nouvelle carte d’identité : un tournant a été lu 5 530 fois et a suscité 39 commentaires.

Écoutes et espionnage

La plainte déposée par Le Monde pour violation du secret des sources incite à faire le point sur les  « interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications ». Les zozors, comme on disait dans le temps ! Depuis les fameuses « bretelles » que jadis de mystérieux noctambules des PTTtelephone_site_design-technology.JPG plaçaient sur les câbles des centraux téléphoniques, l’eau a coulé sous les ponts. Aujourd’hui, on obtient tout d’un clic de souris. Et l’écoute d’une conversation téléphonique a souvent moins d’importance que les informations que l’on peut glaner en périphérie : identifications, points de chute, relations, géolocalisation, etc.

Pour 2008, le budget de la justice consacré à ces écoutes était d’environ 33.2 M€ (pour faire un parallèle, celui des analyses génétiques était de 17.5 M€). Soit environ 12% des frais de la justice pénale. Une manne qui alimente les opérateurs et certaines officines habilitées. Un marché juteux. Mais qui devrait bientôt prendre fin avec la mise en service de « la plate-forme nationale des interceptions judiciaires ». Celle-ci permettra aux OPJ et aux agents de la douane judiciaire de surveiller, depuis leur poste de travail, et en temps réel, l’ensemble des communications électroniques (téléphonie fixe et mobile, fax, flux internet, et probablement les images).

Elle devrait voir le jour en 2012, malgré l’avis défavorable de certains conseillers de l’Intérieur. Comme Alain Bauer, qui parle d’une usine à gaz (cité par Sophie Coignard, Le Point). Aujourd’hui, seule fonctionne une mini plate-forme dite STIJ (système de transmission des interceptions judiciaires). Elle permet aux OPJ, depuis leur bureau, de lire les SMS et de prendre connaissance de certaines données connexes (date, heure, numéro, etc.).

Le secret de l’instruction sera paraît-il garanti, pourtant, certains juges sont dubitatifs. Auraient-ils peur que de grandes oreilles indiscrètes se glissent dans leurs dossiers ?

Rappelons que dans le cadre d’une information judiciaire, c’est le juge d’instruction qui accorde l’autorisation de placer une écoute, sous forme d’une commission rogatoire, dite « technique », pour une durée de quatre mois renouvelables. Ensuite, c’est  l’officier de police judiciaire qui gère. Sauf découverte d’une affaire incidente, seuls les éléments qui concernent l’enquête sont retranscrits.

En enquête de flagrance ou en enquête préliminaire, c’est le juge des libertés et de la détention qui donne son feu vert, sur requête du procureur de la République. La durée est de quinze jours renouvelables (délai à vérifier dans Loppsi 2).

Au ministère de l’Intérieur, on n’est pas en reste. Depuis 2007, il existe aussi une plate-forme d’interception (une usine à gaz ?) destinée à prévenir tout acte de terrorisme (loi du 3 janvier 2006). Elle était à l’époque gérée par l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste, mais je dois avouer qu’aujourd’hui, je ne sais pas trop comment elle fonctionne.

Les écoutes administratives de sécurité partent tout azimut, mais sont fortement encadrées : demande écrite du ministre de tutelle du service qui sollicite l’écoute et décision écrite et motivée du Premier ministre ou de l’une des deux personnes spécialement déléguées par lui. L’autorisation est accordée pour quatre mois et les enregistrements doivent être détruits dans les dix jours. Une commission a été créée pour veiller au respect des dispositions légales.  Elle est destinataire de la demande  et peut émettre un avis défavorable. Elle a également le pouvoir de contrôler toute interception pour en vérifier la légalité.

Ces écoutes, dites administratives, sont secrètes, et leur divulgation tombe sous le coup de la loi. Elles ne peuvent être utilisées dans une procédure judiciaire, raison pour laquelle on trouve parfois cette formule laconique en préliminaire d’une enquête : Selon un informateur anonyme…

Cette réglementation sur les interceptions télécoms est-elle respectée ? Ce n’est pas à moi de le dire, mais il semble bien qu’il y ait des ratés. Ainsi, dans l’affaire de Tarnac, la Cour d’appel doit très prochainement se prononcer sur la légalité des interceptions effectuées sur le réseau internet de l’épicerie de la commune, où certains des suspects travaillaient, car l’écoute a été effectuée sans l’autorisation du juge des libertés et de la détention, alors que les policiers agissaient en enquête préliminaire.

De même pour un système de vidéosurveillance mis en place au domicile parisien de Julien Coupat. D’après Me Thierry Lévy et Jérémie Assous, seul un juge d’instruction aurait pu décider de cette surveillance technique. Or il n’a été saisi que trois mois plus tard.

Dans l’affaire du Monde, après s’être emberlificoté dans des réponses vaseuses, le patron de la DCRI a sorti de sa manche l’article 20 de la loi du 10 juillet 1991 (JO du 13), lequel vise la surveillance et le contrôle des communications radioélectriques. Une mission séculaire de la DST et de la DGSE qui n’a rien à voir avec les téléphones portables. Donc, mauvaise pioche, car il n’a réussi, semble-t-il, qu’à dévoiler une ficelle de la maison. D’ailleurs, aussitôt dit, Le Canard a mis ses pieds palmés dans la mare : les policiers utilisent ce procédé pour requérir les opérateurs télécoms « hors de tout contrôle », écrit en résumé l’hebdomadaire.

Le titre de ce billet est celui d’un livre que j’avais publié en 1990, et qui avait eu un certain retentissement dans les médias (et qui m’avait valu quelques désagréments). J’y dénonçais l’absence d’encadrement juridique des écoutes. Certains députés de l’opposition (la majorité actuelle) s’en étaient d’ailleurs inspirés pour exiger une loi. Celle justement de 1991.

Sous le pont Mirabeau coule la Seine…

Ce livre est obsolète, c’est un peu comme si l’on comparaît le Minitel à un iPad, mais je ne peux m’empêcher de citer un extrait du « bêtisier des écoutes » :

1970 – René Pleven, garde des Sceaux : « … L’écoute téléphonique ne doit être utilisée que pour protéger la sécurité de l’État ou l’intérêt public… Actuellement, la véritable garantie réside dans la conscience des ministres qui disposent en pratique du moyen de recevoir des écoutes… »
1973 – Albin Chalandon, futur ministre de la justice : « … Inadmissible (que les écoutes) soient utilisées comme cela en France, pour espionner systématiquement ceux qui sont d’une façon ou d’une autre mêlés à la vie publique, amis ou ennemis du pouvoir. »
1974 – Valéry Giscard d’Estaing, nouveau président de la République : « Il faut supprimer les écoutes… si elles existent. »
1974 – Raymond Marcellin, ancien ministre de l’Intérieur : « Les écoutes sont une corvée nécessaire que le gouvernement va essayer de refiler aux magistrats. »
1977 – Michel Poniatowski, ministre de l’Intérieur : « … Il n’y a plus d’écoutes d’hommes politiques, de journalistes et de syndicalistes. Les seules écoutes sont celles relevant de la criminalité, et particulièrement des affaires de drogue… »
1981 – Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur : « Il faut en finir pour toujours avec les écoutes. »
1982 – Pierre Mauroy, Premier ministre : « … C’est un hommage au gouvernement d’avoir supprimé les écoutes téléphoniques… »
1986 – Jacques Chirac, Premier ministre, s’engage à : « … Limiter les écoutes téléphoniques à celles qui sont décidées par l’autorité judiciaire ou exigées par la sécurité de l’Etat. »le-flic-solitaire_dessin-de-savaro_collection-personnelle.1285401743.jpg
1986 – Jacques Toubon, député, à l’Assemblée nationale : « … Quand j’entends ricaner sur les bancs socialistes lorsque le Premier ministre annonce que nous allons supprimer l’essentiel des écoutes téléphoniques […] Nous voulons faire ce que vous n’avez pas fait. Le courage que vous n’avez pas eu, nous l’aurons. »

2010 – Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur : Le gouvernenent ne pratique « aucune écoute téléphonique illégale ».

… Les jours s’en vont, je demeure.

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La DCRI en question

La direction centrale du renseignement intérieur a vu le jour en juillet 2008. On se demande qui a soufflé au président Sarkozy l’idée de démanteler la DST et les RG pour créer cette entité… Certainement personne. Cette décision relève-t-elle de l’envie un rien mégalo de disposer d’un service de renseignements démesuré ou d’une analyse sérieuse axée sur l’efficacité ? Sans doute un peu des deux. Mais comme souvent de nos jours, on a oublié de prendre en compte l’élément humain. Les anciens de ces deux services sont-ils satisfaitsdcri_logo.1285142268.png de ce changement ? Sont-ils plus efficaces ? Nous le saurons peut-être un jour, lorsque l’un d’eux écrira « son » bouquin, comme l’ont fait plusieurs patrons de la DST.

En attendant, aujourd’hui, 3 à 4 000 fonctionnaires s’activent, pour le plus grand nombre sous le sceau du « secret défense », dans des missions classées… « secret défense ». Que font-ils exactement, on n’en sait rien. Ils assurent notre sécurité, nous dit-on. Mais, au détour d’une affaire de quatre sous (là, j’exagère), où l’on découvre une promiscuité malsaine entre une milliardaire et un ministre, les dirigeants de notre journal favori, Le Monde,  bombent le torse (dans une attitude très sarkozienne smiley.1285146230.png), en criant haut et fort être victimes d’une enquête illégitime de ce service.

Dans le même temps, dans un nuage de fumée, le chef de la DCRI nous affirme que son action nous évite chaque année deux ou trois attentats terroristes (la DCRI a juste deux ans d’âge) et que les menaces n’ont jamais été si fortes. Déclarations relayées par celui qui est l’homme de l’été, et que dans le sérail on surnomme gentiment Brice de Beauvau. Bon, nous, on veut bien les croire. Difficile de dire le contraire. Car si demain il y avait un attentat, on aurait l’air fin. Mais comme le plan Vigipirate est au rouge vif depuis maintenant plus de cinq ans, il est bien difficile de faire plus, sauf à passer du rouge à l’« écarlate ». Avec pour conséquence la mise en œuvre, comme il est dit pudiquement sur Service-Public, de « mesures particulièrement contraignantes ».

Autrement dit, on serait à deux doigts de l’état d’urgence.

Pour l’heure, en dehors de « protéger les intérêts de l’État » (?), comme dans l’affaire Woerth-Bettencourt, ou les rumeurs sur le couple présidentiel, le seul résultat concret que l’on connaît de la DCRI, c’est l’affaire de Tarnac. Vous vous souvenez, ces Corréziens interpellés pour avoir eu l’intention de tenter de saboter les caténaires des TGV… Tiens, où en est donc cette enquête retentissante ? Bon, il y a bien aussi ce projet d’attentat contre l’immeuble qui abrite la DCRI…

Il est quand même bizarre qu’un service secret fasse autant parler de lui. Je me souviens, lorsque j’étais officier de police à la DST, si l’on nous questionnait sur l’utilité de notre boulot, on répondait en souriant : « Vous ne pouvez pas savoir tout ce qu’on fait pour vous, et on ne peut pas vous le dire, puisque c’est secret ».

Parlons net. Alors qu’on remplace les policiers sur le terrain par des caméras, et que pour combler les vides on augmente les prérogatives des polices municipales ou des agents privés ; et qu’en fait les principales mesures pour combattre l’insécurité se cantonnent à des opérations coup de poing, des déclarations d’intentions ou des textes de loi ridicules, on est en droit de demander un audit sur l’action de la DCRI. Cela ne doit pas être difficile, puisqu’il existe au sein de ce service un département chargé de l’évaluation de la stratégie et de la performance.

En tout cas, il faut être vigilant. Dans de mauvaises mains, un service secret doté de prérogatives de police judiciaire pourrait être la pire des choses. On n’en est pas là, heureusement, même si dans notre pays toutes les décisions partent du 8° arrondissement de Paris…

Je crois qu’il est donc temps de faire entracte au spectacle permanent de la classe politique, d’arrêter de nous prendre pour des enfants, et de nous parler franchement, les yeux dans les yeux, tant sur les risques d’un attentat que sur la réforme des retraites.

En fait, on voudrait juste pouvoir faire confiance aux gens qui sont en charge du pays. Et pour l’instant, on est loin du compte.

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Réflexions après l’acquittement du gendarme de Draguignan a été lu 2 101 fois et a suscité 29 commentaires.

Réflexions après l’acquittement du gendarme de Draguignan

« Ce qui me paraît malsain, c’est qu’on autorise les gendarmes à faire usage de leurs armes, et qu’ensuite on leur reproche. On met les gendarmes dans des situations impossibles. Si on ne veut plus que les gendarmes fassent usage de leur arme, il faut avoir le courage politique de modifier le cadre légal et d’aligner leur statut sur celui des policiers. »

Après ces propos, lors de son réquisitoire devant la Cour d’assises, l’avocat général Philippe Guémas a estimé que le maréchal de logis-chef Christophe Monchal avait agi dans « le cadre légal » et « conformément à ce qu’on lui a enseigné ».

Ce qui n’est pas l’avis de son confrère, le procureur Christian Girard, qui estime, lui, que le gendarme ne se trouvait pas dans « la situation d’absolue nécessité d’ouvrir le feu ».

Le jury a tranché, mais les interrogations demeurent.
En 2009, lors du débat qui a précédé le vote de la loi qui redéfinit le statut de la gendarmerie nationale, les élus se sont penchés sur le « droit exorbitant d’usage des armes des gendarmes par rapport aux policiers » : Fallait-il maintenir cette particularité, la supprimer, ou au contraire l’étendre à l’ensemble des forces de l’ordre ? Finalement, les choses sont restées en l’état. Dans l’utilisation des armes, c’est donc toujours l’article L-2338-3 du Code de la défense qui s’applique aux gendarmes, et le Code pénal aux policiers. Cette prérogative militaire a d’ailleurs été jugée conforme à l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme, sous réserve, a dit la Cour de cassation, que l’usage de la force soit absolument nécessaire au regard des circonstances. À noter que cet article prévoit plusieurs hypothèses, dont « l’évasion d’une personne régulièrement détenue ».

Le problème n’a d’ailleurs pas échappé au député Franck Marlin puisqu’il a posé la question au ministre de l’Intérieur – mais dans l’autre sens – en lui demandant s’il entendait aligner l’emploi des armes dans la police sur celui de la gendarmerie.

C’était au mois d’août 2009. La réponse a un peu traîné. Elle date du 13 juillet 2010. Brice Hortefeux rappelle à « l’honorable parlementaire » les cas où les gendarmes peuvent déployer la force armée :

1° Lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux ou lorsqu’ils sont menacés par des individus armés ;
2° Lorsqu’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou les personnes qui leur sont confiés ou, enfin, si la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue que par la force des armes ;
3° Lorsque les personnes invitées à s’arrêter par des appels répétés de « Halte Gendarmerie » faits à haute voix cherchent à échapper à leur garde ou à leurs investigations et ne peuvent être contraintes de s’arrêter que par l’usage des armes ;
4° Lorsqu’ils ne peuvent immobiliser autrement les véhicules, embarcations ou autres moyens de transport dont les conducteurs n’obtempèrent pas à l’ordre d’arrêt.

Il justifie la différence entre les deux corps par les risques que feraient encourir l’usage des armes en zone police, c’est-à-dire en milieu urbain, et également par le statut militaire de la gendarmerie nationale et la nature des missions susceptibles de lui être confiées. Toutefois, il ajoute qu’un décret est à l’étude pour uniformiser les conditions d’emploi des armes dans le cadre des opérations de maintien de l’ordre, mettant au diapason policiers et gendarmes ; et même les forces armées.

Qu’entend-on par maintien de l’ordre ? Réprimer une manif ? On n’ose imaginer une troupe hétérogène composée de policiers, de gendarmes et de soldats ouvrant le feu place de la République !

Soyons sérieux. Le jugement de Draguignan pose une autre question : la place de la victime dans un procès d’assises.

En effet, la loi du 15 juin 2000 a donné à l’accusé le droit de faire appel d’une décision de condamnation. Puis une nouvelle loi, du 4 mars 2002, a autorisé le procureur général à faire appel d’une décision d’acquittement. En vertu du principe de « l’égalité des armes ». Mais dans un cas comme celui-ci, où l’accusé a agi au nom de la société et où le procureur (qui représente la société) n’a demandé aucune peine contre lui, que peut-il se passer – alors que la victime ne peut faire appel que de ses intérêts civils ?

Ce gouvernement se vante de protéger les victimes, mais quid quand la victime est un gitan multirécidiviste ?

Décidément, dans ce procès, atypique, on a l’impression qu’il y a rupture d’équilibre.

Le gendarme est donc blanchi, mais au plus profond de lui, il doit bien savoir qu’il n’y a aucune gloire à vider la moitié de son chargeur sur un homme qui s’enfuit…

Comme il n’y avait aucune gloire pour l’antigang à fusiller Mesrine au volant de sa voiture, et encore moins à se réjouir de sa mort. Même s’il s’agissait de la pire des crapules.

Dans ma carrière, j’ai vu parfois des policiers se vanter d’avoir « flingué un truand ». Je me souviens d’une affaire de prise d’otages ou la BRI de Paris et l’Office du banditisme se disputaient la mort de deux braqueurs. Il a fallu attendre l’autopsie pour les départager. Parfois, je me demande comment ils vieillissent, ces flics d’un autre âge… Comment on vieillit.

Dans une étude qui date d’une douzaine d’années, le capitaine de police Frédérick Bertaux, auteur d’un mémoire universitaire de criminologie sur le stress et l’usage des armes dans la police, écrit : « Tuer ou blesser quelqu’un est ce qui peut arriver de pire à un policier ». Je dirais que policier ou pas, cela ne change rien. Tuer un homme est la pire des choses, du moins pour un homme normal. Et cela laisse des traces. Même les soldats sont parfois victimes de ce syndrome, comme un flash-back qui revient par intermittence, avec des interrogations sur une décision prise à chaud, en un trait de temps. Et cela, que le tir soit légitime ou pas.

Alors, Christophe Monchal pourra-t-il oublier ?

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Saint-Aignan : le tir du gendarme en question a été lu 28.374 fois et a suscité 181 commentaires.

Saint-Aignan : le tir du gendarme en question

Le gendarme dont le tir a causé la mort d’un jeune Gitan, en juillet dernier, pourrait être mis en examen, d’après les récentes déclarations des magistrats de Blois. On se rappelle que c’est à la suite de cette malheureuse affaire que les gens du voyage avaient mené une action musclée dans le village de Saint-Aignan. Avec une réponse tout aussi musclée de Nicolas Sarkozy, pour aboutir à l’expulsion médiatique de Roms et, in fine, à cette mise à l’index de la France par le Parlement européen.

Mais en dehors du contexte particulier, la question qui revient, lancinante, concerne les situations dans lesquelles les gendarmes peuvent faire usage de leur arme, ceux-ci bénéficiant, depuis 1903, d’un décret organique qui les autorise à ouvrir le feu après les injonctions d’usage.

Ce qui n’est pas le cas des policiers.

Ainsi, au mois de mai 2008, dans les locaux de la brigade de gendarmerie de Draguignan, malgré les menottes, un homme en garde à vue enjambe une fenêtre et s’enfuit.  Le gendarme chargé de sa surveillance ne cherche pas à le suivre. Il dégaine et, depuis la fenêtre, tire à sept reprises. Le fugitif écope de trois projectiles et meurt dans les minutes qui suivent.
Une information judiciaire est ouverte. Le gendarme est mis en examen, écroué, puis libéré quelques jours après. Au mois d’août 2009, le procureur estime finalement qu’il « n’a fait qu’appliquer le texte de la gendarmerie ».
Et trois mois plus tard, la juge d’instruction rend une ordonnance de non-lieu.
La famille fait appel. Au mois de décembre 2009, la Chambre d’instruction de la Cour d’appel infirme la décision de non-lieu en faisant valoir l’absence de l’« état de nécessité ». Autrement dit, le tir n’avait d’autre but que d’arrêter un fuyard. Le gendarme est renvoyé devant la Cour d’assises.

Au fil des ans, la Cour de cassation a ainsi restreint la possibilité pour les gendarmes d’utiliser leur arme. Passant outre la circulaire du siècle passé, elle exige désormais que la force ne soit utilisée qu’en tout dernier recours. Et, à présent que les gendarmes sont sous la  tutelle du ministre de l’Intérieur, ce qui d’une certaine manière « institutionnalise » la mission civile de ces militaires, il est probable que l’on assiste dans un futur proche à l’harmonisation entre les deux corps. À moins que l’on ne renverse la vapeur, et qu’on affranchisse policiers et gendarmes de l’obligation de légitime défense…

Comme aux années sombres de notre histoire.

Quant aux policiers, ils n’ont le droit d’utiliser leur arme que pour se défendre ou défendre quelqu’un d’autre, et en aucun cas pour stopper la fuite d’un suspect. Face au droit pénal, ils sont dans la même situation que n’importe quel citoyen, à part évidemment qu’ils portent une arme sur eux. Oui, mais s’ils font les sommations ? Le « Bouge pas, police ! » que l’on crie souvent lors d’une arrestation est un peu le han du bûcheron. Si l’on veut pinailler, on peut même se demander si les sommations n’iraient pas à l’encontre de l’article 122-5 du Code pénal qui exige que le geste de défense se fasse « dans le même temps » que la menace. Or, si le policier, par exemple, a le temps de tirer en l’air pour intimider son agresseur, on ne peut plus parler d’une riposte dans le temps de l’action. On pourrait alors soutenir que son tir est un acte réfléchi. Mais il s’agit là de chicaneries.

En revanche, il est généralement admis qu’un policier puisse ouvrir le feu sur un véhicule, afin de le stopper, à condition que le conducteur dudit véhicule mette en danger une vie humaine, par exemple en fonçant sur le fonctionnaire ou l’un de ses collègues. La voiture est alors assimilée à une arme par intention.

D’ailleurs, dans cette affaire de Saint-Aignan, où un jeune homme a trouvé la mort, toute la question est de savoir si le véhicule fonçait sur les gendarmes, comme le dit M. Hortefeux, ou pas. Un tir latéral peut légalement se justifier pour sauver un collègue qui risquait d’être écrasé… On ne peut que regretter l’absence d’une reconstitution à chaud, le meilleur moyen d’y voir clair et de lever les doutes.

Pour le policier ou le gendarme, l’usage de l’arme est une décision vitale. Il peut tout aussi bien sauver une vie, peut-être la sienne, avoir une médaille, ou se retrouver devant un juge. Tout ça en un trait de temps. Pas facile. Et s’il s’est trompé, c’est lui qui trinque, et pas son patron ou son ministre.

Cela dit, il n’y a pas de honte à laisser échapper un suspect… Tous les policiers de terrain ont connu cette situation. Je me souviens d’un dangereux braqueur de banques que nous avions fini par loger chez sa maîtresse. On se pointe au petit matin et le temps de s’affranchir de la porte, le lascar avait enfilé un pantalon et filé par la fenêtre. Je me penche et, dans la pénombre, je l’aperçois accroché à la gouttière, trois étages en-dessous. Je me maudis de n’avoir pas jugé bon de laisser une chandelle en bas de l’immeuble… Il ne restait plus qu’à lui coller au train. Je vois très bien la scène : Le flic empoigne la gouttière à la volée et se laisse à son tour glisser vers le trottoir. Bien avant de toucher le sol, il saute, souplement. Hélas, le fugitif a pris de l’avance. C’est la course-poursuite, à pied, l’arme à la main. Le bandit se retourne, il tire à plusieurs reprises. Le héros s’aplatit derrière une voiture. Le pare-brise explose. Il vise, mais à ce moment précis, une benne à ordures débouche au coin de la rue et vient faire écran. « Couchez-vous ! » hurle le flic en exhibant sa plaque…

Oui, oui, une scène magnifique !

J’aurais bien aimé vous la raconter… Mais six étages le long de la gouttière, par une froide journée d’hiver, à six heures du matin… Non, merci.

On est allés boire un café. Et l’on a récupéré notre client quelques jours plus tard. En douceur.

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Garde à vue : un pétard place Beauvau a été lu 16 744 fois et a suscité 120 commentaires. Il est amusant de lire dans la presse les réactions des uns et des autres. Finalement, tout le monde est mécontent. Pour une fois qu’il y a consensus…

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Prochain billet dans une semaine… 
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