LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Fiches de lecture (Page 5 of 6)

Livres lus ayant un rapport avec ce blog.

Maddie : l’inspecteur raconte l'enquête

maddie_jungalig.1241539623.jpg« La télévision montre Gérald McCann qui descend de l’avion en portant son fils. L’enfant a la tête contre son épaule gauche, ses bras pendent le long de son corps (…) En Irlande, les Smith regardent le journal télévisé (…) Pour eux, c’est le choc (…) Il s’agit de l’homme aperçu le 3 mai à 22 heures, avec une petite fille profondément endormie dans les bras. »

Quatre mois plus tôt, les Smith étaient en vacances en Algarve, au sud du Portugal. C’est une famille nombreuse, en tout quatre adultes et cinq enfants. Ce soir-là, ce soir du 3 mai 2007, ils regagnent à pied leur appartement lorsqu’ils croisent un homme qui porte un enfant dans ses bras. Ils n’ont pu distinguer son visage, mais c’était une petite fille. Et elle était vêtue d’un pyjama clair, elle avait les pieds nus, et elle avait des cheveux blonds – comme Madeleine McCann, cette petite anglaise disparue alors qu’elle dormait dans sa chambre. Maddie, dont la photo a fait le tour de monde et qu’on n’a jamais retrouvée (ici).

L’inspecteur de la police judiciaire portugaise, Gonçalo Amaral, nous fait revivre son enquête, minute par minute, dans un livre qui vient d’être traduit en français Maddie, l’enquête interdite, chez Bourin Editeur.

D’un ton qu’il voudrait neutre, mais qui ne l’est pas, tant cette histoire l’a marqué, il nous livre le détail de ses investigations. Il nous énumère les différentes pistes qu’il a suivies, certaines farfelues, et d’autres, plus sérieuses, comme la piste polonaise qui n’a jamais vraiment été élucidée. Et surtout, il met en avant les difficultés qui se sont amoncelées devant lui lorsqu’avec ses coéquipiers il a envisagé la responsabilité, voire la culpabilité, des parents de la fillette. Et notamment les pressions politiques de la part de la Grande-Bretagne. Au point que certains enquêteurs ont imaginé que la signature prochaine du traité de Lisbonne (déc. 2007) pouvait influencer l’enquête sur la disparition d’une enfant d’à peine quatre ans…

Dans cette affaire, Amaral a échoué. Il reconnaît certains manquements : on aurait dû… etc. Mais il a surtout l’impression qu’on l’a empêché d’aller jusqu’au bout. Et sa hiérarchie a profité d’une réponse maladroite à un journaliste pour le limoger.

À la lecture de ce récit, qui pourrait se lire comme un polar si les faits n’étaient pas réels, personnellement, j’ai eu l’impression que les policiers portugais, à tous les étages, ont trop tenu compte de la personnalité et de la nationalité des parents, des amis, des témoins…

Autrement dit, ils ont pris des gants ! Ainsi, pour recouper les témoignages, une reconstitution s’imposait. avis-recherche-interpol_53974070.1241590905.jpgElle n’a jamais eu lieu. Parmi les raisons invoquées : « les gens pourraient croire que les parents et les amis sont suspects ». Dans les premières heures, les premiers jours, les enquêteurs n’ont suivi qu’une seule piste, celle de l’enlèvement.  Chez nous, on ne fait pas toujours mieux. On se souvient de la disparition du petit Antoine, à Issoire, en septembre 2008, et du lynchage de sa mère et son compagnon… Ou, pour coller à l’actualité du procès AZF, du procureur de Toulouse qui d’entrée de jeu a bloqué l’enquête en claironnant qu’il s’agissait d’un accident à 90 %. Ou encore de l’arrestation prématurée de Jacques Viguier, après la disparition de son épouse, par un commissaire qui a voulu à tout prix faire coïncider les faits avec son intuition.

La liste est longue. Or dans une affaire criminelle, on commence par faire un champ large avant de zoomer, et l’on met dans sa poche ses petites idées de grand flic.

livre-maddie.1241539722.jpgJeudi prochain, le 7 mai, à 14 heures, Jacques Pradel recevra Gonçalo Amaral dans son émission Café crimes, sur Europe1.

Dans cette affaire, l’inspecteur a acquis au moins une certitude : la petite Madeleine McCann « est décédée dans l’appartement où la famille passait ses vacances ».

Et comme je participerai à cette émission, je lui demanderai pourquoi !

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Pour écouter l’émission : ici.

Physiognomonie et délit de sale gueule

visage.1237717779.jpgEn face d’un inconnu, on a tôt fait de se faire une opinion : « c’est un brave type » ou « il a l’air d’un imbécile ». Et nous adaptons notre conduite suivant que le bonhomme a l’air bon, méchant, franc, sournois, etc. Sans même nous en rendre compte, on vient de définir un homme en fonction des caractéristiques de son visage. Une « science » vieille comme le monde : la physiognomonie.

C’est en feuilletant un ouvrage de 1956, Les révélations du visage, par Jean des Vignes Rouges, que je suis tombé en arrêt devant cette évidence : on juge les gens avant de les connaître, sur leur bobine. On applique donc au quotidien ce qu’on reproche aux flics de trop souvent faire : le délit de sale gueule.

Mais, est-il possible de deviner les traits du caractère derrière les traits du visage ? Je dois avouer qu’il y a des choses troublantes dans ce livre. C’est un peu comme les signes du zodiaque : même si l’on n’y croit pas, on est parfois surpris des résultats…

« En réalité, le langage du visage humain joue, dans la vie sociale, un rôle aussi important que le langage parlé ; seulement, comme il fait moins de bruit, on ne s’en rend pas compte », nous dit l’auteur. Là, on est bien d’accord. Mais pour être plus concret, moi, j’ai plutôt un grand pif, bosselé et légèrement tordu… Ça veut dire quoi ?

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Aïe, aïe, aïe ! Je suis au mieux du type « dégénéré supérieur ».

Dégénéré supérieur ! Moi, qui suis diplômé de criminologie clinique de la faculté de médecine de Lyon… Et qu’ils ne m’ont rien dit, là-bas !

Bon, pour ne pas trop me dévaloriser, je me suis penché sur le cas d’autres personnes. J’ai trouvé, par exemple un front en forme de trapèze qui me fait irrémédiablement penser à quelqu’un… Euh !… J’ai son nom sur le bout de la langue… Enfin, peu importe.

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Il y a plein d’autres choses dans ce livre, mais supposons qu’on puisse déterminer les faits saillants d’un caractère en fonction de la taille du nez, du menton, des yeux, etc. ; et supposons qu’on glisse ces données dans un ordinateur relié à une caméra de vidéosurveillance biométrique…
Vous savez, ces caméras sophistiquées qu’on trouve déjà dans les casinos, les aéroports, les stades…, et qui permettent d’identifier instantanément un individu en fonction de certaines caractéristiques du visage. Ou qui donne l’alerte en cas de comportement suspect. Tiens, pour
visage_biometrie-online.1237719044.jpegcoller à l’actu, on pourrait même envisager des statistiques ethniques au-to-ma-tiques, ce qui arrangerait bien les affaires d’un certain Yazid Sabeg, le commissaire à la diversité, qui s’emmêle actuellement les pinceaux dans un projet de loi pour compter les « minorités visibles ».

Donc on mélange toutes ces données, et quelques autres surprises que nous réservent encore les chercheurs (comme la photo 3D), et l’on obtient enfin un moyen efficace de surveiller les gens pour mieux les protéger, et détecter les criminels en puissance. On les écarterait alors de la société pour délit d’intention.

Et il ne resterait plus qu’à ficher les âmes.

Pichon, simple flic

Philippe Pichon est commandant de police, mais il est aussi l’auteur de plusieurs ouvrages, poèmes, essais et romans, dont le plus connu (mais ce n’est sans doute pas le plus important) est Journal d’un flic, aux éditions Flammarion.

commandant-philippe-pichon_rmc-copie.1229511339.jpgCe livre, paru en 2007, dans lequel il parle d’une manière critique de son métier a été plutôt mal perçu par l’administration. Il lui a valu une mise en garde pour manquement à l’obligation de réserve et des soucis à répétition. Je crois que ce n’est pas tant ses propos qui dérangent que ses contacts privilégiés avec les médias. Depuis le passage à l’Intérieur d’un certain Joxe, les policiers ont en effet appris à boycotter les journalistes. Une contrainte qui est devenue au fil des ans une coutume, une règle non écrite.

Pichon n’a pas la quarantaine. Il est en poste au commissariat de Meaux, où il est chargé du transfert des détenus entre la prison et le tribunal. Un job sans aucun intérêt. Un placard.

Son dernier livre, L’enfance violée, aux éditions Flammarion, est – hélas – autobiographique. « On m’avait inscrit contre mon gré à des cours de judo, dit-il dans Paris Match (ici). Tous les mercredis après-midi. Le gymnase était à 50 mètres du magasin de fleurs de mes parents. J’étais à l’époque un garçon timide, réservé, peu sûr de lui (…) Les trois premiers cours s’étaient relativement bien passés (…) Dès la quatrième séance, j’ai senti que le prof se faisait de plus en plus pressant…»

C’est homme est un écorché vif, et l’on se demande s’il est vraiment à sa place dans la police…  C’est d’ailleurs la question que doit se poser sa hiérarchie.journal-dun-flic.1229511594.jpg

Lundi dernier, Philippe Pichon a été convoqué par l’IGPN (la police des polices) et placé en garde à vue. Au moment où j’écris ces lignes, on en ignore les raisons. On murmure que c’est l’aboutissement de l’enquête pour manquement à son obligation de réserve. Mais, selon le Nouvel Obs (ici), « il serait soupçonné d’avoir diffusé des informations confidentielles à caractère professionnel ».

Je n’en sais pas plus. Véritable délit ou acharnement administratif ?

Un métier de chien

« Vendredi 26 septembre 1986. Quinze heures trente. Message radio dans les véhicules de patrouille : « Vol à main armée en cours. Crédit Lyonnais, rue Belgrand ! »… Nous sommes les premiers sur place… »

droopy-i-am-so-happy.1228638792.jpgC’est ainsi que finit la cavale de Michel Vaujour. Quatre mois plus tôt, jour pour jour, aux commandes d’un hélicoptère, sa femme l’avait arraché de la maison d’arrêt de La Santé. Une évasion spectaculaire. Le policier qui l’a arrêté se nomme Marc Louboutin. Dans un livre aux éditions Privé, Un métier de chien, il raconte la fusillade qui a suivi cet appel radio, à l’issue de laquelle Vaujour a été gravement blessé.

Cette intervention lui vaudra des félicitations, mais ce n’est pas l’autosatisfaction (un truc fréquent chez les policiers qui se racontent) qui domine dans son récit, mais plutôt… l’amertume. L’impression que sans arrêt « l’administration », lui a mis des bâtons dans les roues. Il voulait juste faire son boulot, ce boulot qu’il avait choisi, du mieux possible. Sans se soucier des heures supplémentaires, des récupérations, du tableau d’avancement ou de compter ses annuités pour la retraite.

Pas facile d’être flic de nos jours. Il faut résister à la « bâtonnite », cette maladie de certains chefs de service, à l’abus de pouvoir, au corporatisme, à l’alcool, à l’argent…

Et surtout, il faut préserver sa vie privée.

« Nous étions en planque en banlieue sur des braqueurs de camions quand la radio a annoncé que j’étais attendu à la clinique. Le groupe a levé le dispositif pour m’accompagner (…) J’ai déboulé dans la salle d’accouchement en posant en vrac dans un coin mon holster d’épaule contenant menottes et calibre, ma radio (…) J’ai encore dans la mémoire le regard halluciné de l’infirmière qui allait de ma bouille bouffie de sommeil, mal rasée, cheveux longs, à mon étui de calibre posé à même le sol… »

Ce jour-là, Louboutin a été papa – et les braqueurs n’ont pas été arrêtés.

Il a tenu un peu plus de quinze ans avant de lâcher prise. La mort de son ami, le commandant Yannick C., y est sans doute pour beaucoup. À 43 ans, après s’être donné sans compter à son métier, cet ancien de la brigade antigang n’a pas supporté l’affront du conseil de discipline pour une faute mineure : durant sa permanence, il s’était rendu dans la clinique où se trouvait sa femme, et il n’avait pu être joint. Une balle dans le cœur, et non dans la tête, pour éviter de choquer les proches. Le délégué syndical, condamnant la machine administrative, dira plus tard : « Il faut arrêter, Monsieur le Ministre, pour redevenir des êtres humains. »

Toujours d’actualité.

Je ne connais pas Marc Louboutin. Je l’ai rencontré sur ce blog, où souvent il nous fait profiter de son expérience par des commentaires éclairés, mais j’ai voulu lire son livre. Et si vous vous voulez voir un flic au fond des yeux, lisez-le aussi ! Parfois, je vais le dire simplement, les mots se sont brouillés.marclouboutinmetierdechhh6.1228603415.jpg

Bien sûr, je ne suis pas objectif. Cette histoire ressemble trop à la mienne…

Tout comme lui un jour, j’ai rendu mon insigne, mon calibre, mes menottes. Pour d’autres raisons… que je n’ai jamais réussi à exprimer. J’ai retiré la carte tricolore de mon portefeuille usé qui d’un coup m’a semblé vide, vieux et triste.

Ras-le-bol de ce métier, je m’étais dit. Mais ce jour-là, je me souviens, lorsque je suis sorti dans la rue, une boule se baladait entre mon estomac et ma gorge. Les narines me picotaient comme si j’allais pleurer.

Voilà, je ne suis plus flic. Mais je suis redevenu un homme libre. 

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Marc Louboutin s’est confié à Jacques Pradel, dans l’émission « Café-crimes », sur Europe 1 (ici).

La parole est aux cadavres

« Mon premier cadavre, c’était une vieille dame, morte de mort naturelle. Sur le carrelage de sa cuisine. Dans son petit deux-pièces sans âme. Je me souviens des larmes de son fils et de l’incroyable silence qui régnait dans l’appartement. J’avais à peine vingt et un ans. Une carte de flic toute neuve sur moi. Et je me sentais de trop… »

C’est Olivier Marchal qui parle. Ce sont les premières phrases de la préface du livre de Perrine Rogiez-Thubert, La parole est aux cadavres, aux Éditions Demos (ici), dans la collection criminologie et société.

Perrine Rogiez-Thubert_photo livre.jpg.jpgL’auteur, diplômé de thanatologie (mon Littré m’a dit « théorie de la mort », mais il faut comprendre étude des morts), est lieutenant de police à l’identité judiciaire de Paris. Elle revendique 400 cadavres. Ce qui est énorme, mais c’est Paris ! il ne faut rien voir de malséant à l’énoncé de ce chiffre, mais le flic, un peu comme un chirurgien, est obligé de se désincarner dans l’exercice de son métier, sous peine de ne pas tenir le choc.

Perrine Rogiez-Thubert ne nous raconte pas sa vie. Elle ne nous entraîne pas dans une enquête, non, elle nous égrène ses techniques. Et ça fait froid dans le dos. Attention, âmes sensibles, s’abstenir…

« Il existe huit sortes d’insectes qui apparaissent successivement sur la scène d’un crime… »

« La première ponte intervient dans l’heure qui suit le décès et touche les orifices humides : l’angle des yeux, les narines, l’intérieur de la bouche et l’anus […] Une odeur spécifique se dégage du cadavre mais celle-ci, pas encore perceptible par l’homme, l’est par les insectes qui vont ainsi venir pondre leurs œufs dans les orifices naturels. »

« Lorsque je me rends sur la découverte d’un cadavre dont l’intervalle post-mortem est court, je ne peux m’empêcher de penser qu’une première escouade est arrivée sur les lieux avant nous, qu’elle nous guette et que la ponte a déjà eu lieu. »

Ainsi, au fil des pages, sur un ton impassible, l’auteur nous énumère les différentes techniques qu’elle met en œuvre lorsqu’elle arrive sur une scène de crime, parfois, elle ajoute un exemple réel. Voici l’utilisation du Bluestar : « […] En quelques minutes, l’appartement s’est transformé. Une luminescence bleutée apparaît sur les murs, le sol, les meubles. Un cheminement d’un bleu intense nous conduit jusqu’à la salle de bains où la fluorescence atteint son paroxysme. La révélation du sang nous donne l’impression de vivre à nouveau les événements qui se sont produits dans cet appartement. »

Comme son métier est de faire parler les morts, au début de l’ouvrage, elle nous donne la définition actuelle de la mort, qui date de 1996. Non sans nous rappeler qu’à une époque pas si lointaine on se fiait à la fonction respiratoire, en plaçant par exemple un verre d’eau plein à ras bord sur le sternum du soi-disant défunt… Si une goutte tombe, il n’est pas mort.

Je ne peux résister aux origines qu’elle donne au mot « croque-mort ».  « L’homme doit mordre l’un des orteils du présumé défunt afin de guetter une réaction physique de la part du sujet. Si aucune réaction en retour ne se produit, la mort n’est plus seulement apparente mais bien réelle et l’inhumation a lieu. »

Savez-vous combien il y a de sortes de morts pour un flic ? J’en ai compté huit. De la mort naturelle à la mort iatrogène (médicaments, infection nosocomiale…) ou à la mort obstétricale, qui frappe les femmes au cours de leur grossesse.

La parole est aux cadavres.jpgOui, c’est vraiment un livre étonnant. Il possède la couverture trompeuse d’un polar, mais il n’a rien d’une fiction. On ne le lit pas, on le feuillette, on le parcourt, on déchiffre le glossaire bourré de mots étranges et ésotériques, on s’attache à un chapitre, mais on ne le range pas trop loin, car on sait qu’on va le reprendre, un peu comme un dico.

La postface est signée par le chef de l’Identité judiciaire de Paris, le commissaire divisionnaire Vianney Dyevre, qui conclut par ces mots : « Complet et pratique cet ouvrage mérite de figurer au même titre que le Code pénal et le Code de procédure pénale en bonne place dans la bibliothèque de l’officier de police judiciaire. »

Mais il passionnera les autres, ceux qui se contentent de s’intéresser aux histoires policières, aux enquêtes criminelles… un livre de références pour tous ceux qui suivent les séries télévisées – et pour ceux qui les écrivent.

Les stores rouges (mort d'un indic)

« Gabriel est mort, assassiné à son domicile ! » Jean-Pierre Pochon est chez lui, ce samedi 13 mars 1982, lorsqu’il apprend la nouvelle de la bouche de Sylvain, l’un de ses proches collaborateurs de la section antiterroriste des RG.

Il est sonné, le commissaire. Au téléphone, Sylvain fournit des détails : « […] Vers 19 h. 45, à son domicile, 5, rue des Pruniers dans le 20° arrondissement […] Il aurait été tué de deux décharges de chevrotines. »

les-stores-rouges.1212429091.jpgDans son livre, Les stores rouges, aux éditions des Équateurs, Pochon poursuit : « Brusquement je craque et me mets à pleurer devant mon épouse qui ne comprend pas ce qui se passe […] Je suis dans une sorte de trou noir. Les images se heurtent dans mon esprit : Gabriel débouchant d’une rue, ruisselant de pluie, un large sourire aux lèvres […] Je l’entends rire de mes conseils de prudence : Ne t’inquiète pas Jean-Pierre, je sais ce que je fais, et puis s’il m’arrive quelques chose, je sais que tu me vengeras. »

Gabriel Chahine avait 51 ans. Né à Alexandrie, en Égypte, il avait passé son enfance au Liban. C’était un artiste peintre, mais ses toiles ne se vendaient guère. À la demande du commissaire Pochon, il était parvenu à infiltrer le groupe terroriste Action directe. Il prenait ainsi des risques insensés. Le faisait-il pour de l’argent ? Il ne semble pas. Plus vraisemblablement, Chahine était un aventurier, au sens étymologique du mot.

C’est grâce à lui que la mystérieuse brigade antiterroriste de la direction centrale des RG réussit à piéger les principaux membres d’action directe. D’une grande prudence, ces derniers n’avaient pu résister aux chants des sirènes – en l’occurrence une rencontre avec le mythique Carlos pour mettre sur pied un attentat retentissant : la destruction du barrage d’Assouan, en Égypte. C’était du moins la fable que leur avait conté Chahine. Rien que ça ! Et ils avaient marché !

Jean-Pierre Pochon nous fournit les détails avec minutie. Si la première partie de son texte est un peu lente, ensuite, on entre dans l’action. Le rendez-vous dans une villa de Villerville où des flics se font passer pour les représentants de Carlos, est un monument en matière d’enquête de police.

C’est ainsi qu’un peu plus tard, à Paris, Jean-Marc Rouillan viendra tout seul se jeter dans la gueule du loup. Il sonne à la porte derrière laquelle se trouve pense-t-il son idole. Des hommes surgissent : « Police, ne bouge pas ! – En levant les bras, Rouillan crie : Ne me tuez pas ! »

Pour Nathalie Ménigon, ce sera une autre paire de manches. Elle attend, quelques rues plus loin. Elle ne se laisse pas surprendre. « Tranquillement la femme fouille dans son sac, se retourne et ouvre le feu sur Pascal (un inspecteur – NDR). Il riposte. La confusion est totale. Tout en continuant à tirer, Nathalie Ménigon avance dans la contre-allée en essayant de se dissimuler derrière les palissades d’un chantier […] Calmement [elle] manipule son arme, réapprovisionne un chargeur et ouvre de nouveau le feu plusieurs fois sur nous. Nous sommes proches maintenant… » Finalement, la jeune femme capitule : « Ne tirez pas, je me rends ! Ne tirez pas ! – Elle lève les bras […] Elle est livide. »

Conseillé par un triumvirat de… gauchopathes, peu après son élection, François Mitterrand amnistie les membres d’Action directe. Et pourtant, ces derniers ont tous du sang sur les mains.

Y a-t-il eu marchandage entre l’Élysée et les terroristes ? Certains l’ont affirmé. Dans ce cas, il s’agissait d’un marché de dupes, car après une courte accalmie, meurtres et attentats reprennent de plus bel. Action directe obtient même le nom de la balance : Gabriel Chahine. On dit que la fuite vient de la cellule élyséenne…

Un homme a été assassiné. À l’époque, quelques lignes dans la presse, et c’est tout.

Pochon en a gros sur la patate. Pourtant, c’est en termes mesurés qu’il donne son avis (c’est ça la formation RG) :

« Gabriel sacrifié au nom d’une nouvelle approche du terrorisme qui aaction-directe.1212429423.jpg conduit à amnistier des réseaux terroristes. Amnistie ressentie par Action directe comme une marque de faiblesse ! » Il cite ensuite Frédéric Oriach, l’un des principaux dirigeants du NAPAP (noyaux armés pour l’autonomie populaire) heureux bénéficiaire de la loi d’amnistie du 4 août 1981 qui remercie à sa manière le Président socialiste. S’il est sorti de prison en septembre 1981, c’est : « grâce aux porcs auxquels les élections ont permis de récupérer la belle couleur rose qui leur est naturelle… »

Ce livre ne prétend en aucune manière être un livre d’histoire, nous dit Jean-Pierre Pochon, en avertissement. Certes ! Mais lui et ses hommes étaient au plus près d’Action directe dans les années 80, et il était « l’accompagnateur » (c’est le terme qu’il utilise) de l’homme qui a infiltré ce mouvement terroriste.

À ces titres, ce livre est un sacré document.

Imbroglio comme de Broglie

« Il était 9 heures 20 lorsque, depuis ma loge, j’ai entendu des coups de feu. Je suis immédiatement sortie et j’ai aperçu un homme s’écrouler sur le trottoir. Au même instant, deux hommes, policiers m’ont-ils dit, m’ont priée de rentrer chez moi. »

imbroglio-comme-de-broglie.1211561704.jpgCe témoignage est celui de Madame Favier, concierge au 2 rue des Dardanelles, à Paris, dans le 17° arrondissement. Il a été recueilli par un journaliste et diffusé sur les ondes de RTL le 24 décembre 1976.

L’homme qui a été tué s’appelait Jean de Broglie, du moins dans la forme écrite, car vocalement cela donnait « debreuil ». Prince de son état, ce personnage roulait sa bosse dans la politique depuis 1946. Propriétaire d’un château et de milliers d’hectares de terre, décoré moult fois, cousin de la femme du président en place, Valérie Giscard d’Estaing, et ami intime du ministre de l’intérieur Michel Poniatowski. En 1976, Broglie est âgé de 55 ans. C’est un personnage important. On ne s’attend certes pas à le voir finir comme un quelconque truand avec trois balles dans la tête, étendu sur un trottoir parisien…

Madame Favier, la concierge, n’a jamais été retrouvée ni par les enquêteurs ni par le juge d’instruction, s’étonne Guy Simoné, dans son livre Imbroglio comme de Broglie (un septennat meurtrier), aux éditions Dualpha. Et toute sa défense s’écroule, car du coup il est le seul à mentionner que des policiers se trouvaient sur place et pouvaient témoigner en sa faveur. Alors, comment justifier sa présence à proximité de la scène du crime ? Comment expliquer que le meurtrier l’ait rejoint dans sa voiture ? La justice va lui reprocher d’avoir recruté (ou pour le moins « couvert ») le tueur, un certain Gérard Frèche, proxénète gagne-pain, qui pour exécuter ce contrat aurait empoché la somme de 50.000 F.

À cette époque, Simoné était inspecteur principal à la brigade des mineurs de Viroflay, dans les Yvelines. Au fil des pages, il décortique le piège qui s’est refermé sur lui. En effet, toute la hiérarchie policière était au courant des menaces qui pesaient sur Jean de Broglie, et il faisait l’objet d’une surveillance rapprochée. En cette veille de Noël, les policiers de l’antigang étaient sur place, affirme Simoné. Ses dires sont d’ailleurs corroborés par un inspecteur de la BRI, que nous appellerons J.B.V., pour respecter sa volonté, puisqu’il a choisi depuis le pseudonyme d’Éric Yung. A présent rédacteur en chef et producteur à Radio-France, Eric Yung a écrit plusieurs livres. Dans La tentation de l’ombre, récemment réédité en poche, aux éditions Gallimard, il confirme à mots prudents que ses chefs, à la brigade antigang, avaient décidé d’effacer toutes traces de leur présence (surveillances, écoutes, P-V…), et qu’en marquant son désaccord sur de tels procédés, il s’était fait bannir du 36. Ceci n’a sans doute rien à voir avec cela, mais Éric Yung (à l’époque, il était border line) a eu ensuite de sérieux ennuis, il a même fait l’objet d’un attentat à la bombe, alors qu’il se trouvait chez son ami Yves Mourousi, présentateur du journal de 20 heures sur TF1. L’immeuble du XVI° arrondissement où se trouvaient les deux hommes a été sérieusement endommagé : ils s’en sont sortis indemnes.

On peut donc raisonnablement penser que le ministre de l’intérieur, Michel Poniatowski, Jean Ducret, le directeur de la PJ parisienne, et Pierre Ottavioli, le patron de la brigade criminelle, lorsqu’ils s’adonnent à un show devant un parterre de journalistes, dans les locaux du quai des Orfèvres (une première), alors même que la garde à vue des suspects est à peine terminée, nous racontent des salades. Ils s’autofélicitent. Une enquête rapidement menée : Jean de Broglie a été tué pour une vague histoire de remboursement d’un prêt destiné à l’achat d’un restaurant, La reine Pédauque, près de la gare Saint-Lazare, à Paris.

Bien sûr, ce n’est pas impossible ! Mais lorsqu’on s’attarde sur le parcours de feu de Broglie, on ne peut s’empêcher d’être un rien dubitatif…buron-joxe-et-broglie_accirds-devian_masterwebfr.1211562065.jpg

Le prince de Broglie, nous dit Simoné, a été chargé de réunir des fonds en vue de la campagne électorale de Valéry Giscard d’Estaing. « En avril 1968, un protocole d’accord fut signé entre MM. Jean de Broglie, Raoul de Léon, Léon Grunwald et Vila Reyes. Par cette convention, Jean de Broglie s’engageait à trouver un financement de vingt millions de dollars sous la forme d’un emprunt obligataire. Le remboursement devait s’effectuer en décembre 1976, sous sa propre responsabilité. »

Vous avez dit en décembre 1976 ?…

Pour réaliser ce projet, Broglie dépose les statuts d’une dizaine de sociétés (Sodetex, Brelic international, Publifinance, etc.) en France et dans des paradis fiscaux « […] Officiellement, l’activité principale était l’import-export de métiers à tisser… », nous dit Simoné. On est en mai 1968, et tandis que CRS et étudiants s’envoient des amabilités, et que les parisiens redécouvrent les bienfaits de la marche, chez ces gens-là, mooonsieur, les affaires continuent…

Simoné nous affirme également que Jean de Broglie figurait sur les tablettes de l’Opus Dei, au côté de plusieurs personnalités politiques de premier plan, dont il donne d’ailleurs les noms, et que cette mafia catholique a participé financièrement à l’élection de Giscard d’Estaing.

Le 30 décembre 1976 les portes de la prison se sont refermées sur Guy Simoné, et il n’a recouvré la liberté que le 9 mai 1983.

Dans son livre, il ne cache pas ses faiblesses, il ne nie pas ses erreurs, mais il n’a jamais, affirme-t-il, participé de près ou de loin à l’assassinat d’un homme. Je l’ai rencontré il y a quelques semaines et je dois reconnaître qu’il m’a convaincu.

photo004.1211562214.jpgAujourd’hui, il est âgé de 65 ans. Je peux vous dire qu’il est remonté à fond et bien décidé à reprendre l’enquête – de A à Z. De retrouver les protagonistes (du moins les survivants, car beaucoup sont morts), de faire parler les témoins, d’éplucher les rapports, les procès-verbaux, de détricoter les réseaux… Il a du pain sur la planche, d’autant que le dossier sur l’affaire de Broglie a été classé « secret-défense ».

Ce livre, Imbroglio comme de Broglie, n’est pas très littéraire. Guy Simoné se laisse parfois emporter par sa fougue, ou par sa rancœur, et il est alors difficile de le suivre, mais c’est un témoignage au plus près d’une affaire qui a jeté l’opprobre sur la classe politique française – et rabaissé au passage le prestige du 36, quai des Orfèvres.

Un document indispensable pour ceux qui suivent les affaires criminelles – mais une sale affaire, vraiment !

Quand les brochets font courir les carpes

Une jeune femme oublie un document sur une chaise, dans un jardin public. Peu après, la belle étourdie entre au gouvernement. Si j’ai bien compris, c’est le début de l’intrigue du roman de Jean-Louis Debré, quand-les-brochets.gifQuand les brochets font courir les carpes, aux éditions Fayard. Je vais être franc, je ne l’ai pas lu. Mais si l’on devait parler que des choses que l’on connaît, on pourrait supprimer la moitié des blogs. Dont celui-ci.

Anne Fulda, dans Le Figaro.fr, a rédigé un long article à propos de ce livre, et surtout de son auteur, sans qu’on réussisse à savoir si elle l’avait apprécié (le livre). En tout cas, à la lecture des commentaires qui accompagnent l’article, on voit combien Debré est vilipendé… J’en cite un. Il est de Coriolan : « Bravo pour l’exploit, Madame Fulda… C’est la première fois que je vois l’épithète de  » subtil  » accolé à Monsieur Debré. » On trouve pourtant dans ce texte des choses touchantes sur la jeunesse de Debré. On apprend par exemple qu’il a été l’un des rares (en dehors des gens du Canard Enchaîné) à appeler madame De Gaulle « Tante Yvonne »…

Donc, je n’ai pas lu le dernier roman de Debré. En revanche, j’ai lu sonle-curieux_livre-debrejpg premier, Le curieux, paru à Edition°1. Il avait eu la gentillesse de me l’offrir, alors qu’il quittait la magistrature pour entrer à l’assemblée nationale. C’était en 1986. Evidemment, les mauvais esprits n’ont retenu de ce texte qu’une étrange similitude entre le nom d’une péripatéticienne et celui d’un ancien Premier ministre… Perso, j’ai gardé en mémoire cette citation : « La vie est composée de peu d’originaux et de beaucoup de copies. » Honnêtement, le bouquin n’était pas mauvais. Il valait bien d’autres polars dont souvent les auteurs n’ont que le mérite d’appartenir à telle ou telle camarilla. En tout cas, il valait ceux que j’ai pu écrire.

Donc, moi, ça ne me gêne pas que le président du Conseil constitutionnel écrive un roman policier. Je trouve même ça plutôt sympa. En revanche, Debré est l’auteur de choses moins anodines… Comme cette décision qu’il a fait adopter à l’assemblée nationale, avant de quitter « le perchoir »…

C’était début 2007 : les députés non réélus aux prochaines élections législatives (juin 2007) pourront percevoir leur indemnité parlementaire pendant 60 mois au lieu de 6 mois… Soit une allocation chômage nette mensuelle d’environ 5.200€ pour les 6 premiers mois, ensuite une indemnité dégressive : 70%, 60%, etc. Sans doute l’une des rares décisions à avoir fait l’unanimité sur tous les rangs de l’assemblée nationale.

L’exploit a été mentionné par Le Canard en février. Puis, plus rien ! Très bizarrement aucun journal, aucune radio, aucune télé, n’a semble-t-il parlé de cet avantage exorbitant, ce droit au chômage hors norme que s’étaient « auto-votés » nos vaillants députés. Rappelons que le commun des mortels bénéficie d’une indemnité chômage d’une durée maximale de 23 mois, pour une allocation moyenne de 800€.

cadeau-a-la-presse_terra-economicainfo.jpgIl semble qu’il existe une certaine connivence entre les hommes politiques et la presse. Lorsque les députés ont supprimé les niches fiscales, comme les frais spécifiques que pouvaient déduire les comédiens, les scénaristes, les écrivains… aucun n’a mentionné les journalistes.

C’est donc l’une des dernières niches fiscales : l’heureux détenteur d’une carte de presse peut déduire une somme forfaitaire de 7.500€ de ses revenus… Les fonctionnaires du fisc ont eu du mal à avaler la pilule : les journalistes sont en effet les seuls salariés qui inscrivent sur leur feuille d’impôt un montant inférieur à leurs revenus réels. Elle est pas belle, la vie !

On dit de la presse qu’elle est le quatrième pouvoir, en tout cas, elle est dans le moule.

Notre ADN et nous

Ce siècle sera celui de l’ADN. Dans les années à venir, à force de tournicoter autour de ce petit noyau, de nombreuses recherches vont déboucher sur des applications pratiques. Et les résultats seront époustouflants. Nous devons nous attendre à un changement radical dans notre mode de vie et probablement à un déplacement de l’économie vers le commerce génétique.

police-adn_notreadnetnous.jpgNous avons une fâcheuse tendance à limiter notre intérêt pour l’ADN aux fichiers de police ou à la vérification de l’identité des migrants. Colin Masters s’en fiche, lui ! Il est professeur à l’université de Melbourne, en Australie, et dans son ouvrage Notre ADN et nous, paru récemment aux éditions Vuibert, collection « Va savoir ! », il nous explique de la façon la plus pragmatique possible tout ce qui est en cause. C’est impressionnant.

La lecture demande un effort. Le texte n’est pas toujours facile à déchiffrer, même s’il est malicieusement égayé par les dessinateurs de Charlie-Hebdo. Et je reconnais avoir lâchement zappé sur certains passages vraiment trop scientifiques. Néanmoins, au fil des pages, on découvre la véritable révolution qui s’est amorcée. Et si l’on est curieux de l’homme, de la société, de son avenir, on ne peut pas passer à côté. Bien sûr, c’est moins « réaliste » que la fonte d’un iceberg, mais là aussi notre avenir se joue. Au moins autant que dans le changement climatique, dont on nous rebat les oreilles – surtout lorsqu’on veut nous faire payer une petite taxe supplémentaire.

En médecine, nous explique Colin Masters : « Les avancées récentes de nos connaissances ADN peuvent conduire à de grands progrès en matière de santé humaine […] On prévoit que la connaissance détaillée du génome humain permettra aux scientifiques de trouver les « déclencheurs génétiques » de centaines de maladies […] et de mettre au point des médicaments spécifiques et efficaces pour leur traitement. »

Mais le véritable bouleversement viendra du mariage de la biologie et de l’informatique : la bioinformatique. « Nous pourrions bien être au commencement d’une révolution dans laquelle les scientifiques seront capables, grâce à la bioinformatique, de construire des modèles prenant en compte le nombre astronomique de réactions biochimiques qui constituent la vie humaine […] En bref, il deviendrait possible de modéliser non seulement les briques humaines de la vie […], mais aussi le fonctionnement de l’organisme entier. »

Et cela concerne le plus secret de nous-mêmes : « Notre médecine et notre alimentation, mais aussi notre identité sociale ou nos liens familiaux pourraient bien être bouleversés dans les prochaines années par l’utilisation des biotechnologies. »notre-adn-et-nous.jpg

On dit que le général de gaulle, en 1966, sentant venir la révolution informatique, décida de créer la CII (Compagnie Internationale pour l’informatique). Ce ne fut pas un franc succès… Mais l’idée était là.

Aujourd’hui, à la veille d’une nouvelle révolution, la biotechnologie, nous créons le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques. Je ne nie pas son utilité dans la lutte contre la criminalité, mais est-il bien légitime que nos gènes soient gérés par le ministre de l’intérieur ?

Pour en avoir vu passer bon nombre durant ma carrière, je me dis que ce n’est pas judicieux – ni rassurant.

The bad leitmotiv

Un étrange titre pour un étrange livre. Il aurait pu s’appeler GAV, car dans ce récit, les moments les plus forts se déroulent au fil des heures the-bad-leitmotiv.jpgde garde à vue, face à des assassins, des violeurs, des pédophiles… Tout se passe dans le crâne d’un flic, un lieutenant de police de la brigade criminelle, à Paris. Comment est-il ? Comment se nomme-t-il ? On n’en sait trop rien. Ou alors, je suis passé à côté, tant le personnage envahit le lecteur. Insidieusement, on se glisse en lui, ou lui en nous. Une sorte d’osmose. Et sans qu’on n’y prenne garde, on se retrouve à sa place. Il est malade, dans son corps et dans son crâne. Et l’on est malade à notre tour. Cette boue, cette saleté, cette laideur, son lot quotidien de sordidités, ont eu raison de sa… raison. Et la nôtre vacille. Et, même si on n’approuve pas, on se dresse en justicier. Tout le contraire de ce que doit être un flic. On justifie notre violence par la violence subie par les victimes : ce bébé noyé dans une bassine et jeté dans une poubelle, ce jeune garçon, violé et émasculé, le premier d’une série…

Et nous aussi on a envie de donner des claques…

« Tu sais où tu es ? T’es à la crim, connasse ![…] Tu parles enfin. Tu commences. Vas-y lance tout, tout ce qui s’est passé. Tous les détails. Tout compte. On est des fouille-merde. Ça nous fait pas peur. Jacte et n’arrête pas, pas avant de boucler cette putain de procédure d’homicide volontaire sur mineur de moins de quinze ans… »

Céline disait que seul le style compte. Non sans provocation, il affirmait que la plupart des auteurs se contentent de raconter des histoires, piquées ici ou là, et le plus souvent dans leur environnement, voire dans leur propre vie. Je crois qu’il voulait dire qu’il ne s’agit pas d’artistes, mais de simples paraphraseurs, même avec du talent. Eh bien, Thierry Chevillard n’est pas tombé dans ce piège. Il ne nous raconte pas vraiment une histoire. Dans un style bref et incisif, les mots nous agressent. Les dialogues se mélangent aux réflexions du héros (qui n’a rien d’un héros) et le tout est d’une efficacité redoutable. Un style coup de poing.

Thierry Chevillard est avocat au barreau de Paris. Il est pénaliste. On peut donc supposer que dans l’exercice de son métier, il a fréquenté les locaux de garde à vue. The bad leitmotiv est son premier roman. Il est sorti en 2000, aux éditions Le Serpent à Plumes, puis il a été réédité chez Gallimard, dans la collection Folio-policier. Par la suite, comme beaucoup d’auteurs, il semble avoir eu quelques difficultés relationnelles avec les éditeurs dits… traditionnels. Il décide alors de créer sa propre maison d’éditions, mais là, il se heurte aux difficultés de distribution. La porte des trois ou quatre grands groupes qui monopolisent la distribution des livres en France est décidémentthierry_chevillard_lelitterairecom.jpg toujours close pour les petits éditeurs ! Son dernier roman, Carnet noir (que je n’ai pas encore lu), aux éditions De Anima, est téléchargeable sur le site de Julien Mazet.

À la sortie du livre, sur Polarama, Benoît Thierry écrivait : « Thierry Chevillard assène un grand coup dans la mare somnolente et parfois redondante du roman noir. »

Je suis d’accord, et je suis curieux de voir si l’auteur a maintenu le cap, car sous une apparente facilité, la rédaction d’un tel ouvrage doit demander beaucoup beaucoup de travail.

Si vous êtes fan d’Agatha Christie, ce livre est contre-indiqué. Mais si vous êtes prêts à affronter un polar dur, violent, sans fioritures, alors lisez The bad leitmotiv – sauf si vous êtes flics, ça vous donnerait de mauvaises idées.

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