LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

La parole est aux cadavres

« Mon premier cadavre, c’était une vieille dame, morte de mort naturelle. Sur le carrelage de sa cuisine. Dans son petit deux-pièces sans âme. Je me souviens des larmes de son fils et de l’incroyable silence qui régnait dans l’appartement. J’avais à peine vingt et un ans. Une carte de flic toute neuve sur moi. Et je me sentais de trop… »

C’est Olivier Marchal qui parle. Ce sont les premières phrases de la préface du livre de Perrine Rogiez-Thubert, La parole est aux cadavres, aux Éditions Demos (ici), dans la collection criminologie et société.

Perrine Rogiez-Thubert_photo livre.jpg.jpgL’auteur, diplômé de thanatologie (mon Littré m’a dit « théorie de la mort », mais il faut comprendre étude des morts), est lieutenant de police à l’identité judiciaire de Paris. Elle revendique 400 cadavres. Ce qui est énorme, mais c’est Paris ! il ne faut rien voir de malséant à l’énoncé de ce chiffre, mais le flic, un peu comme un chirurgien, est obligé de se désincarner dans l’exercice de son métier, sous peine de ne pas tenir le choc.

Perrine Rogiez-Thubert ne nous raconte pas sa vie. Elle ne nous entraîne pas dans une enquête, non, elle nous égrène ses techniques. Et ça fait froid dans le dos. Attention, âmes sensibles, s’abstenir…

« Il existe huit sortes d’insectes qui apparaissent successivement sur la scène d’un crime… »

« La première ponte intervient dans l’heure qui suit le décès et touche les orifices humides : l’angle des yeux, les narines, l’intérieur de la bouche et l’anus […] Une odeur spécifique se dégage du cadavre mais celle-ci, pas encore perceptible par l’homme, l’est par les insectes qui vont ainsi venir pondre leurs œufs dans les orifices naturels. »

« Lorsque je me rends sur la découverte d’un cadavre dont l’intervalle post-mortem est court, je ne peux m’empêcher de penser qu’une première escouade est arrivée sur les lieux avant nous, qu’elle nous guette et que la ponte a déjà eu lieu. »

Ainsi, au fil des pages, sur un ton impassible, l’auteur nous énumère les différentes techniques qu’elle met en œuvre lorsqu’elle arrive sur une scène de crime, parfois, elle ajoute un exemple réel. Voici l’utilisation du Bluestar : « […] En quelques minutes, l’appartement s’est transformé. Une luminescence bleutée apparaît sur les murs, le sol, les meubles. Un cheminement d’un bleu intense nous conduit jusqu’à la salle de bains où la fluorescence atteint son paroxysme. La révélation du sang nous donne l’impression de vivre à nouveau les événements qui se sont produits dans cet appartement. »

Comme son métier est de faire parler les morts, au début de l’ouvrage, elle nous donne la définition actuelle de la mort, qui date de 1996. Non sans nous rappeler qu’à une époque pas si lointaine on se fiait à la fonction respiratoire, en plaçant par exemple un verre d’eau plein à ras bord sur le sternum du soi-disant défunt… Si une goutte tombe, il n’est pas mort.

Je ne peux résister aux origines qu’elle donne au mot « croque-mort ».  « L’homme doit mordre l’un des orteils du présumé défunt afin de guetter une réaction physique de la part du sujet. Si aucune réaction en retour ne se produit, la mort n’est plus seulement apparente mais bien réelle et l’inhumation a lieu. »

Savez-vous combien il y a de sortes de morts pour un flic ? J’en ai compté huit. De la mort naturelle à la mort iatrogène (médicaments, infection nosocomiale…) ou à la mort obstétricale, qui frappe les femmes au cours de leur grossesse.

La parole est aux cadavres.jpgOui, c’est vraiment un livre étonnant. Il possède la couverture trompeuse d’un polar, mais il n’a rien d’une fiction. On ne le lit pas, on le feuillette, on le parcourt, on déchiffre le glossaire bourré de mots étranges et ésotériques, on s’attache à un chapitre, mais on ne le range pas trop loin, car on sait qu’on va le reprendre, un peu comme un dico.

La postface est signée par le chef de l’Identité judiciaire de Paris, le commissaire divisionnaire Vianney Dyevre, qui conclut par ces mots : « Complet et pratique cet ouvrage mérite de figurer au même titre que le Code pénal et le Code de procédure pénale en bonne place dans la bibliothèque de l’officier de police judiciaire. »

Mais il passionnera les autres, ceux qui se contentent de s’intéresser aux histoires policières, aux enquêtes criminelles… un livre de références pour tous ceux qui suivent les séries télévisées – et pour ceux qui les écrivent.

6 Comments

  1. Arnaud

    Cet ouvrage est exceptionnel. J’ai appris tant de chose sur la « police scientifique » et les enquêtes grâce à cet ouvrage.
    De toutes façons les editions Demos ont édité des ouvrages remarquables. Celui là, bien evidemment, mais également « Profession: medecin légiste » ou surtout « Une psy à la prison de Fresnes ».

    • Arnaud

      J’avais posté ce commentaire il y a deux ans et depuis les editions DEMOS ont édité un nouvel ouvrage sur la médecine légale: « Atlas de la medecine légale ». Il est vraiment remarquable.

      • Dr MARC

        Merci Arnaud de votre commentaire sur « l’Atlas de médecine légale ». Issu du travail collectif, avec cinq auteurs pour les textes, trois pour le glossaire, il a l’ambition d’être un véritable instrument de travail pour tous les professionnels faisant appel à la médecine légale, du mort comme du vivant, qui sont une multitude mais qui, paradoxalement, n’avaient pas d’ouvrage de référence. Personne n’imaginerait la dermatologie sans un atlas ou l’endoscopie sans photos. Et bien ce fut le cas pendant des dizaines d’années pour la médecine légale où on se contentait de descriptions et de schémas en noir et blanc. Il était vraiment temps d’y remédier !

  2. michel-j

    Comme vous, Georges, il m’est difficile de resister a la savoureuse revelation de l’origine du mot « croque-mort »… soit dit en passant, revelation auxquelles j’eus droit en suivant un DUT de thanatopracteur a la fac d’Angers.

    Et pour glisser une touche d’humour… indispensable dans les fonctions concernees… Savez vous depuis quand ce terme « croque-mort » s’est efface pour laisser place au plus seyant « pompes funebres » ?

    Depuis le jour ou un croque mort est tombe sur un cul de jatte… bien evidemment !

  3. La Fée

    Un « soi-disant cadavre », serait-ce un cadavre exquis, qui aurait une conversation avec lui-même ?

    Donc par extension, qui a quelque chose à dire.
    Donc, donc, donc, le titre « La parole est au cadavre » est fort bien choisi.
    A la lumière d’un exposé aussi scientifique comme semble l’être ce bouquin on ne voit plus la mort de la même façon.
    Tout devient tout de suite plus peuplé.
    Toutes ces petites bêtes qui grouillent c’est vivant en définitive.

    On en viendrait presque à avoir envie de leur parler à ces petits êtres en devenir.
    Et les interrogations face au « néant » qui font que l’esprit tend à vouloir s’élever vers des sphères parfois hasardeuses, sont remises à une place beaucoup plus, pourrait-on dire, à ras de terre.

    Bon choix de livre, cher GM, à offrir (ou se faire offrir ;)) à l’occasion des fêtes de la Toussaint.
    En lieu et place des traditionnels marrons glacés que l’on offrait naguère en ces périodes festives. (non, non, je ne confonds pas avec Noël, mon grand-père maître-pâtissier confectionnait les marrons à cette occasion, car Toussaint était plus fêté (à l’époque) pour « tous les Saints » vivants que les morts.
    Ah ! les traditions se perdent.
    Mais comme rien ne se perd… Vivent les « petites bêtes » et merci Perrine de lever le voile sur nos ancestrâles hantises.

    La Fée

  4. Wopodo

    Un « soi-disant cadavre ». On a déjà vu expression plus heureuse, si vous me permettez.

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