Un étrange titre pour un étrange livre. Il aurait pu s’appeler GAV, car dans ce récit, les moments les plus forts se déroulent au fil des heures de garde à vue, face à des assassins, des violeurs, des pédophiles… Tout se passe dans le crâne d’un flic, un lieutenant de police de la brigade criminelle, à Paris. Comment est-il ? Comment se nomme-t-il ? On n’en sait trop rien. Ou alors, je suis passé à côté, tant le personnage envahit le lecteur. Insidieusement, on se glisse en lui, ou lui en nous. Une sorte d’osmose. Et sans qu’on n’y prenne garde, on se retrouve à sa place. Il est malade, dans son corps et dans son crâne. Et l’on est malade à notre tour. Cette boue, cette saleté, cette laideur, son lot quotidien de sordidités, ont eu raison de sa… raison. Et la nôtre vacille. Et, même si on n’approuve pas, on se dresse en justicier. Tout le contraire de ce que doit être un flic. On justifie notre violence par la violence subie par les victimes : ce bébé noyé dans une bassine et jeté dans une poubelle, ce jeune garçon, violé et émasculé, le premier d’une série…
Et nous aussi on a envie de donner des claques…
« Tu sais où tu es ? T’es à la crim, connasse ![…] Tu parles enfin. Tu commences. Vas-y lance tout, tout ce qui s’est passé. Tous les détails. Tout compte. On est des fouille-merde. Ça nous fait pas peur. Jacte et n’arrête pas, pas avant de boucler cette putain de procédure d’homicide volontaire sur mineur de moins de quinze ans… »
Céline disait que seul le style compte. Non sans provocation, il affirmait que la plupart des auteurs se contentent de raconter des histoires, piquées ici ou là, et le plus souvent dans leur environnement, voire dans leur propre vie. Je crois qu’il voulait dire qu’il ne s’agit pas d’artistes, mais de simples paraphraseurs, même avec du talent. Eh bien, Thierry Chevillard n’est pas tombé dans ce piège. Il ne nous raconte pas vraiment une histoire. Dans un style bref et incisif, les mots nous agressent. Les dialogues se mélangent aux réflexions du héros (qui n’a rien d’un héros) et le tout est d’une efficacité redoutable. Un style coup de poing.
Thierry Chevillard est avocat au barreau de Paris. Il est pénaliste. On peut donc supposer que dans l’exercice de son métier, il a fréquenté les locaux de garde à vue. The bad leitmotiv est son premier roman. Il est sorti en 2000, aux éditions Le Serpent à Plumes, puis il a été réédité chez Gallimard, dans la collection Folio-policier. Par la suite, comme beaucoup d’auteurs, il semble avoir eu quelques difficultés relationnelles avec les éditeurs dits… traditionnels. Il décide alors de créer sa propre maison d’éditions, mais là, il se heurte aux difficultés de distribution. La porte des trois ou quatre grands groupes qui monopolisent la distribution des livres en France est décidément toujours close pour les petits éditeurs ! Son dernier roman, Carnet noir (que je n’ai pas encore lu), aux éditions De Anima, est téléchargeable sur le site de Julien Mazet.
À la sortie du livre, sur Polarama, Benoît Thierry écrivait : « Thierry Chevillard assène un grand coup dans la mare somnolente et parfois redondante du roman noir. »
Je suis d’accord, et je suis curieux de voir si l’auteur a maintenu le cap, car sous une apparente facilité, la rédaction d’un tel ouvrage doit demander beaucoup beaucoup de travail.
Si vous êtes fan d’Agatha Christie, ce livre est contre-indiqué. Mais si vous êtes prêts à affronter un polar dur, violent, sans fioritures, alors lisez The bad leitmotiv – sauf si vous êtes flics, ça vous donnerait de mauvaises idées.
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