Dans pratiquement tous les pays, les techniques modernes incitent les gouvernements au fichage systématique des informations concernant notre vie privée. Rapprochements, recoupements, statistiques, etc., sont automatisés. Ainsi, chaque jour, au nom de l’efficacité, notre intimité est violentée.
Et l’on s’habitue. Certes, on peut toujours se dire qu’on n’a rien à se reprocher et que finalement ce flicage est le prix à payer pour une justice… disons égalitariste. D’abord, on sait que c’est faux, et ensuite… désire-t-on vraiment une telle vie ?
« Une justice infaillible et sûre, une justice qui lirait dans les consciences, une justice telle que le châtiment suivrait infailliblement la faute, y a-t-il un homme, un seul, qui la désire au fond de son cœur ? » Cette citation de Rémy de Gourmont, vieille de plus d’un siècle, devrait nous faire réfléchir.
Un exemple. Dans l’indifférence générale, un arrêté du 17 janvier 2008 a entériné la mise en service d’un nouveau fichier, dénommé PERS.
Voici grosso modo ce que nous dit ce texte :
Art.1 – Le traitement des données personnelles dénommé PERS est mis en œuvre par la direction générale des impôts […]
Art.2 – Le traitement assure, au plan national, la gestion des informations d’identification concernant les personnes physiques ou professionnelles […]
Art.3 – La base nationale est mise à jour par […] les agents de la direction générale des impôts et de la direction générale de la comptabilité publique ou (c’est moi qui souligne) communiqués par l’Institut de la statistique et des études économiques (INSEE).
Art.4 – (je résume) Les données à caractère personnel traitées sont les suivantes : nom, prénoms, titre, sexe, date et lieu de naissance, adresses, date du décès, type de décès, numéro séquentiel d’identification, numéro de téléphone, de télécopie, adresse de messagerie électronique, etc.
Dans une étude intitulée COBOL (ou la cinématique de fichiers), l’ Université de Nantes donne des exemples (théoriques, va sans dire) de recoupements de fichiers.
« On dispose d’un fichier PERS de personnes décrites par leur numéro d’INSEE, leur nom et leur âge. Il est trié selon le numéro d’INSEE, qui constitue une clé. On dispose par ailleurs d’un fichier AUTO de véhicules, chacun décrit par le numéro INSEE du propriétaire et le numéro d’immatriculation de la voiture. Il est trié sur le couple (numéro INSEE, numéro d’immatriculation) qui constitue une clé. »
On peut ainsi obtenir la liste des personnes qui possèdent au moins un véhicule, mais qui ne sont pas répertoriées dans le fichier PERS. Et l’informatique va automatiquement les pointer en situation irrégulière.
On peut également déterminer, le nombre de personnes de plus de 70 ans qui possèdent une voiture, le nombre de femmes, de jeunes, etc.
L’exemple ne concerne que le fichier AUTO. Imaginons les renseignements que l’on pourrait obtenir en croisant le fichier PERS avec d’autres fichiers… On pourrait ainsi (mais la loi ne l’autorise pas) détecter les automobilistes susceptibles de commettre des imprudences au volant en fonction de certaines caractéristiques génétiques. Etcetera.
Le bébé naît. Le papa va à la mairie pour le déclarer. Avec amour sans doute, les parents ont choisi un joli prénom. Trop tard ! Il possède déjà, un patronyme composé de quinze chiffres. Ce qu’on appelle le numéro de sécurité sociale, qui est en fait le numéro d’identification des personnes (NIR) – et qu’en d’autres temps, moins hypocrites, ont appelait « le numéro de français ».
Voici la signification de ces chiffres mystérieux dans un tableau recueilli sur Wikipédia.
Cas
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Positions
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Signification
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Valeurs possibles
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Tous
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1
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sexe : 1 pour les hommes, 2 pour les femmes [1]
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1 ou 2
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2 et 3
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deux derniers chiffres de l’année de naissance (ce qui donne l’année à un siècle près)
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de 00 à 99
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4 et 5
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mois de naissance
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de 01 à 12, ou 20 [2]
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A
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6 et 7
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département de naissance métropolitain (2A ou 2B pour la Corse) [3]
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de 01 à 95
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8, 9 et 10
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numéro d’ordre de la commune de naissance dans le département [3] [4]
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de 001 à 989, ou 990 [2]
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B
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6, 7 à 8
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département de naissance en outre-mer [3]
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de 970 à 989
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9 et 10
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numéro d’ordre de la commune de naissance dans le département [3] [4]
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de 01 à 89, ou 90 [2]
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C
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6 et 7
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naissance hors de France [3]
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99
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8, 9 et 10
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identifiant du pays de naissance [3]
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de 001 à 989, ou 990 [2]
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Tous
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11, 12 et 13
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numéro d’ordre de l’acte de naissance dans le mois et la commune (ou le pays) [4]
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de 001 à 999
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14 et 15
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clé de contrôle modulo 97 [5]
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de 01 à 97
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On devrait quand même se méfier. Cette idée a germé dans la tête d’un polytechnicien, le contrôleur général des armées René Carmille, pour recenser les français en vue d’une mobilisation générale (et secrète) afin de libérer le pays de l’envahisseur. C’était en 1941, la France était occupée. Mais on dit que plus tard, cette codification fut reprise pour recenser les juifs, les musulmans… Comme quoi la meilleure idée du monde…
Pour en revenir au fichier PERS, dans l’article 4 de l’arrêté susmentionné (il s’agit des clés d’accès au fichier), on parle d’un mystérieux « numéro séquentiel d’identification ».
Je suppose qu’il s’agit du numéro de sécurité sociale, complété peut-être d’autres chiffres cabalistiques. Or, notre bon vieux numéro de sécu constitue une base de données phénoménale qui fait languir d’envies plein de gens plus ou moins bien intentionnés.
L’exemple le plus récent remonte à une petite année, lorsque notre cher
président Sarkozy a envisagé de prélever nos impôts chaque mois, sur la feuille de paie (idée tombée à la trappe). Les banques ont dit d’accord pour assurer la gestion – à condition de pouvoir utiliser l’identifiant sécu.
J’ai quand même cherché si ce numéro séquentiel d’identification avait déjà été utilisé, et j’ai trouvé.
C’est un système international employé pour marquer les peaux de crocodiles, afin d’éviter le braconnage, pour sauver une espèce menacée.
Vous avez dit une espèce menacée…