LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : La garde à vue (Page 4 of 4)

Points de vue sur la garde à vue

Pas une semaine sans qu’on n’en parle, soit pour la dénoncer, soit pour la défendre. Et depuis que le Premier ministre a déclaré qu’il fallait la… « repenser », on peut même dire que c’est devenu une préoccupation au plus haut niveau de l’Etat. Ce n’est pourtant pas une mesure file-dattente_parentheses-atelier.jpgnouvelle, alors pourquoi tout ce remue-ménage autour de la garde à vue ?

On l’a détournée de son objectif pour en faire un outil statistique, nous dit-on. Certes ! Il est d’ailleurs injustifiable qu’une atteinte à l’une de nos libertés essentielles puisse servir à l’avancement d’un fonctionnaire ou au montant de la prime qu’il va encaisser à la fin du mois… La garde à vue alimentaire, c’est de la technocratie à l’état pur. Mais l’explication n’est pas suffisante, car dans les statistiques, les deux colonnes GAV de – de 24 heures et de + de 24 heures, existent depuis très très longtemps.

Non, je crois que la raison est plus profonde. Elle est dans un rapport de force qui s’est peu à peu établi entre le policier et le citoyen. Souvent d’ailleurs, cette mesure est agitée comme une menace – donc comme une sanction. Or, un officier de police judiciaire n’est pas là pour sanctionner, et encore moins pour condamner, mais simplement pour faire respecter la loi et l’ordre public. Ce qui n’est déjà pas si mal. Cette notion de puissance explique sans doute la réaction de certains responsables syndicaux qui n’ont guère apprécié la remarque du chef du gouvernement. Un peu comme s’il avait déclaré vouloir désarmer les policiers.

En fait, de quoi s’agit-il ? De trouver un moyen terme entre le respect de la liberté de chacun, les droits de la défense, et le bon fonctionnement de la police. Et aussi d’éviter les abus d’autorité.

Aujourd’hui chacun y va de son avis.

Ainsi, le bâtonnier de Paris organise ce lundi 7 décembre un débat intitulé « POLICE-JUSTICE : Contrôle ou connivence », avec comme objet, la garde à vue : « l’avocat doit être présent tout au long de sa durée et assister aux interrogatoires ».

Un beau programme, mais un rien utopiste. D’abord, même s’il est le porte-parole de 21 000 avocats, le bâtonnier serait bien en peine de mettre sur pied un système de permanence opérationnel.  Et bon nombre de ses confrères ne seraient sans doute pas très chauds. Ensuite, la garde à vue ne se déroule pas obligatoirement dans un local de police. Et parfois, c’est la course contre la montre : les recherches, les perquisitions, les recoupements, les filatures, les interpellations d’autres suspects, etc. Imaginons un instant l’arrestation d’une équipe de braqueurs… Une douzaine de personnes – et douze avocats ? Il faudrait pousser les murs.

Dans Le Monde du 4 décembre 2009, ce sont de hauts magistrats de la Cour de cassation1 qui s’expriment. Ils appellent, eux, à un habeas corpus à la française, afin de garantir à chacun « les droits à la liberté et un procès équitable ». Sous la plume de ces magistrats d’expérience, ce sont des mots qui pèsent lourd. Mais ils ne nous livrent pas la solution.

Quant au commandant de police Philippe Pichon, connu pour avoir dénoncé les irrégularités du fichier STIC, il monte lui aussi au créneau. Plus pragmatique, dans la revue en ligne ACP2 du 7 décembre 2009 (pas de lien, mais ici, au format pdf), il se livre à une analyse réfléchie  de la garde à vue et propose une ouverture qui mérite qu’on s’y attarde : la création d’un statut de « mis en cause assisté », copié sur celui de « témoin assisté », utilisé parfois par le juge d’instruction, à mi-chemin entre le statut de témoin et celui de mis en examen. La garde à vue resterait une initiative de l’OPJ, mais elle serait appliquée uniquement sur une personne contre laquelle il existe des indices graves et concordants. Dans les autres cas, ce serait donc une mesure moins lourde qui s’appliquerait, sauf en cas de déposition, où la garde à vue redeviendrait obligatoire.

Il a cette formule, qui, me semble-t-il, résume assez bien sa démarche : «  En fait, la garde à vue ne devrait intervenir ni trop tôt ni trop tard. Ni trop tôt parce qu’on ne saurait prendre inconsidérément le risque de nuire à la réputation d’une personne en la plaçant en garde à vue, ni trop tard parce que les droits de la défense ne doivent pas être éludés ».

Pas facile à mettre en application… La preuve, c’est que peu ou prou ce système existe déjà. En effet, contrairement à une idée toute faite, la garde à vue n’est en rien obligatoire. « Le mis en cause3 qui accepte d’être entendu librement ne doit pas l’être nécessairement sous le régime de la garde à vue, même au sortir d’une période de dégrisement (Cass. crim. 8 sept. 2004). » Il y a deux cas dans lesquels la garde à vue est obligatoire : le mandat de recherche et l’utilisation de la contrainte.

Si je peux me permettre d’apporter mon grain de sel, et au risque de passer pour un provocateur, je dirais qu’il ne faut rien changer ou presque à la situation actuelle. En effet, pour reprendre l’exemple du témoin assisté, le Code prévoit  (art. 152) que l’OPJ peut procéder à son audition (s’il est d’accord), en présence de son avocat (sauf s’il renonce expressément à ce droit). Alors, pourquoi ne pas généraliser cette pratique à l’enquête préliminaire et à l’enquête de flagrant délit ?

Ainsi, du moins, les droits de la défense seraient sauvegardés sans pour autant chambouler de fond en comble le travail des enquêteurs.

A noter que, paradoxalement, la présence de l’avocat pourrait donner au procès-verbal du policier un poids encore plus fort, ce qui n’est pas nécessairement le but recherché par la défense…

Il resterait ensuite à déterminer les conditions matérielles de la garde à vue, et surtout à éviter les gardes à vue vachardes ou… alimentaires.

Mais c’est un sujet dont on a déjà débattu sur ce blog.

_____________________________
1) Jean-Pierre Dintilhac, président de chambre honoraire à la Cour de cassation ; Jean Favard, conseiller honoraire à la Cour de cassation et Roland Kessous, avocat général honoraire à la Cour de cassation.
2) Arpenter le Champ Pénal, revue en ligne ACP n° 168, sous la direction de Pierre-Victor Tournier, criminologue, directeur de recherche au CNRS et enseignant en sociodémographie pénale à l’Université de Paris I.
3) Hervé Vlamynck, Droit de la police, Ed. Vuibert.
_____________________________________________________________langue-au-chat_maternellesylviane.gif
Fier d’être flic a été lu 11.400 fois en 3 jours et a suscité 80 commentaires, certains très intéressants, comme le témoignage de Obligatoire, le 04 décembre 2009 à 20:10, d’autres un peu trop enflammés, ce qui a obligé le modérateur du Monde à intervenir. Mais pour conclure sur un ton plus léger, je ne peux m’empêcher de relever la petite pique de François, le 04 décembre 2009 à 18:36, qui a déniché une faute d’orthographe dans la citation de l’article du règlement de la police, dont voici le lien sur Légifrance. Je suis incapable de dire si c’est lui qui a raison ou le signataire de cet arrêté, un certain Nicolas Sarkozy. Je donne ma langue au chat, comme diraient peut-être les correcteurs du Monde, sur leur blog, Langue sauce piquante…

Coup de gueule du bâtonnier de Paris

Christian Charrière-Bournazel n’y va pas par quatre chemins : « Elle a été menottée, elle a été mise nue, on lui a mis un doigt dans l’anus… ». Il parle de Me Caroline Wassermann, l’ancienne avocate de Jérôme Kerviel. Soupçonnée d’avoir violé le secret carton-rouge_assaintebarbe.JPGprofessionnel, elle a été placée en garde à vue dans les locaux du commissariat de Meaux.

On peut penser qu’il exagère, le bâtonnier.

D’abord sur le menottage… Prévu par l’art. 803 du Code de procédure pénale, il est réservé aux individus considérés comme dangereux pour autrui ou pour eux-mêmes, ou susceptibles de prendre la fuite. Est-il envisageable que le comportement de cette avocate entre dans cette catégorie ? D’autant, si j’ai bien compris, qu’elle avait répondu spontanément à une convocation…

Ensuite la mise à nu… Elle est possible lors d’une fouille à corps, et dans ce cas elle est assimilée à une perquisition. Dans l’hypothèse d’une procédure en enquête préliminaire, cette fouille nécessite l’autorisation de la personne. Et en tout état cause, une « recherche intime », ce que d’aucuns appellent la French touch, ne peut être effectuée que par un médecin – sauf cas exceptionnel de légitime défense (la personne cache une arme dans son moi intime).  

Quant à la fouille administrative de sécurité, elle est inhérente à une mesure privative de liberté. Elle peut être effectuée sans l’accord de l’intéressé par deux personnes de même sexe sous le contrôle d’un OPJ. Mais la règle générale consiste en une palpation (sérieuse) de sécurité. Pour déshabiller entièrement un gardé à vue, il faut que cette décision soit expressément motivée par son état de dangerosité. Appliquée systématiquement, cette pratique est donc condamnable.

Il y a pourtant un petit problème pratique : à ma connaissance, aucune circulaire ne dégage la responsabilité du policier en cas de pépin. Ainsi, par exemple, si une personne en garde à vue tente de mettre fin à ses jours à l’aide d’un instrument dissimulé sur elle, on risque fort de demander des comptes à l’OPJ. C’est comme si on disait aux policiers : Ne faites pas ça, mais s’il y a un incident, il faudra nous expliquer pourquoi vous ne l’avez pas fait…

Aujourd’hui, le système français de la garde à vue est sérieusement mis à mal. Me Stéphane Tabouret, du cabinet Nemesis, à Nantes, à qui j’avais demandé son avis sur le cas de Tony Musulin*, rappelle que le bâtonnier de Paris a récemment levé un lièvre énorme : « Les gardes à vue françaises sont illégales parce que déclarées par la CEDH contraires aux dispositions combinées des articles 6.3 c et 6.1 de la Convention européenne des droits de l’homme ».

Cet arrêt impose (entre autres) la présence de l’avocat lors de l’audition des suspects. Il date du 13 octobre 2009. Et la Cour demande que le requérant se retrouve autant que possible dans la situation petard.gifqui aurait été la sienne si cette disposition n’avait pas été méconnue.

 « Ça doit fumer à la Chancellerie !  », ajoute Me Tabouret.

Et non sans humour, en revenant sur le cas de Tony Musulin, il nous fait un peu de police-fiction : « Et si notre ami convoyeur, que je ne peux m’empêcher de trouver sympathique (vol sans violence, côté artiste, etc.), avait eu connaissance de cet arrêt avant de perpétrer son vol ? » Dans ce cas, estime-t-il, l’illégalité de sa GAV ferait tomber toute condamnation ultérieure !

On n’en est pas là, cher Maître. Mais au fait, que reproche-t-on à votre consœur ? Elle aurait téléphoné au complice d’un trafiquant de drogue pour l’avertir qu’il avait les policiers aux basques. Y’a quelqu’un qui m’a soufflé : « Elle lui a téléphoné pour lui dire que son téléphone était sur écoute »… mais comme c’est un flic, je pense qu’il est de mauvaise foi.

Si les faits sont avérés, elle tombe sous le coup d’une loi de 2004, mitonnée, semble-t-il, pour les avocats et les journalistes : le fait d’avoir connaissance d’informations issues d’une enquête en cours concernant un crime ou un délit, et de les révéler à des gens pouvant être impliqués, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.

Ces temps-ci, on tire à boulets rouges sur la garde à vue, et il n’est pas sûr que la procédure actuelle tienne jusqu’à la réforme annoncée pour 2010.

 ___________________________________________

* La question était de savoir si, une fois le délai de prescription écoulé, Tony Musulin aurait pu être poursuivi comme receleur de ce qu’il a volé (à condition qu’il n’ait pas été arrêté, évidemment)… Comme depuis, il s’est constitué prisonnier, la réponse n’a plus guère d’intérêt – mais c’était oui.

 

_______________________________________________________________
Le billet précédent, Pourquoi Pasqua ne va pas en prison, a été lu 58.922 fois en 2 jours. Il a suscité 53 commentaires, dont quelques-uns assez méchants. Pour fermer certaines portes :
– L’immunité politique des parlementaires s’applique uniquement aux opinions et votes émis dans l’exercice de leurs fonctions. À ne pas confondre avec l’inviolabilité parlementaire qui (sauf crime flagrant) soumet la détention provisoire, la mise sous contrôle judiciaire et la GAV à l’accord du bureau de l’Assemblée nationale ou du Sénat – mais n’empêche en rien les poursuites judiciaires.
– Sauf erreur de ma part, l’appel d’une condamnation devant le TC ne suspend pas systématiquement l’exécution des peines privatives de liberté d’un an et plus.
– Le problème de la récidive est intéressant. Dans son commentaire (et son P.S), il me semble que zadvocate | le 16 novembre 2009 à 12:47, résume bien la situation.

La refonte de la garde à vue suscite des questions

Au fil d’évolutions qui s’imbriquent les unes dans les autres, la garde à vue est devenue une véritable usine à gaz : durée fluctuante, médecin facultatif ou obligatoire, avocat suivant les heures, fouille de questions_professionalstoryteller.jpgsécurité, avis à un proche, enregistrement audiovisuel, registre, procès-verbaux, photos, empreintes, Adn, organisation des repas, temps de repos, cellules, problèmes de place… Le tout en poursuivant l’enquête : auditions, confrontations, tapissages, perquisitions, arrestations de complices… Et les heures qui tournent… Confection des scellés, mise en état de la procédure, la signature qui manque, la pièce égarée, le magistrat qui piaffe… Et à la finale cette GAV qui aurait pu se limiter à quelques heures va durer 24 ou 48 heures.

Les membres du comité de réflexion sur la justice pénale ont donc pensé qu’il fallait simplifier les choses. Dans leur rapport remis au président de la République, ils préconisent une mise à plat de la GAV en retenant trois bases : droit commun, régime dérogatoire en matière de crime organisé et de trafic de stupéfiants, régime exceptionnel en matière de terrorisme.

Et une mesure phare qui vise à augmenter les droits des personnes placées en GAV, notamment en accordant une place plus importante à l’avocat. Parallèlement, il serait créé un système de rétention (uniquement pour les majeurs), d’une durée limitée à six heures.  Dans ce cas, pas de formalisme, pas d’avocat.

Peut-on envisager la présence de l’avocat durant toute la durée de la GAV ? Voici ce qu’en pense le commissaire principal Hervé Vlamynck* dans l’Actualité juridique Dalloz : « Faudrait-il communiquer à l’avocat du gardé à vue le dossier de la procédure ? […] Il y aurait des hypothèses où matériellement cela serait impossible : le temps policier n’est pas le temps judiciaire […] La garde à vue marque une accélération du temps de l’enquête qui se caractérise par un hiatus entre le moment où l’information est révélée et exploitée, et le moment où elle apparaît sur le procès-verbal. Par exemple, il faut tenir compte de la durée de la perquisition et du temps que l’enquêteur mettra pour rédiger son procès-verbal et constituer ses scellés. Lors d’une filature, on n’a pas une main sur le volant et l’autre sur le clavier de l’ordinateur portable. Pourtant, l’officier de police judiciaire va rendre compte des découvertes importantes (l’arme du crime, rencontres entre des suspects, etc.) et cette information sera immédiatement utilisée par d’autres groupes d’enquêteurs avant qu’elle ne soit couchée sur procès-verbal. Il faudrait quasiment que le conseil soit associé en temps réel à tous les actes de procédure et qu’il surmonte la difficulté du principe de simultanéité des actes que les enquêteurs appliquent souvent : interpellations en plusieurs points à la même heure, perquisitions et interrogatoires dans la foulée, et donc éclatement des pièces de la procédure sur les différents sites. »

Nous n’en sommes pas encore là. Pourtant, la réforme proposée va très loin, puisqu’il est envisagé la présence obligatoire du conseil dès le début de la garde à vue, puis une deuxième fois douze heures plus tard. Et dans le cas d’une prolongation, il assisterait son client dans tous les actes le concernant, ou au minimum lors des auditions (ce n’est pas très clair). Avec la possibilité d’accéder à certains éléments du dossier et de demander aux enquêteurs d’effectuer les actes de procédure qu’il estime nécessaires. En deux mots, il s’agit là d’une sérieuse remise en cause des méthodes de travail des policiers et gendarmes. Rappelons qu’aujourd’hui le conseil du gardé à vue se limite à une visite de politesse de trente minutes, renouvelable éventuellement, et qu’il n’a accès ni au dossier ni aux actes qui concernent son client.

Mais dans la pratique, l’audition d’un suspect se fait souvent à chaud, dans les premières heures, l’avocat devra-t-il y assister ou pas ?… Il faut déjà le trouver, le prévenir, qu’il soit disponible… L’OPJ devra-t-il l’attendre avant de commencer à poser ses premières questions ?

Pas évident, de respecter au mieux les droits de la défense sans entraver le bon déroulement d’une enquête… Pourtant, il y a urgence, car, dans une décision du 27 novembre 2008, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) estime qu’en règle générale l’accès à un avocat est nécessaire dès le premier interrogatoire. Et qu’il est « en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense » lorsque des déclarations incriminantes sont faites en son absence.

Je suis enclin à penser que la mesure de rétention, proposée parallèlement à la refonte de la GAV par la Commission, est une astuce pour « arranger le coup ». Mais cela pourrait bien être une fausse bonne idée.

On dit aux enquêteurs : dorénavant, ça va être plus compliqué, alors débrouillez-vous pour régler le maximum de problèmes en six heures, du moins pour les délits les plus courants…  La rétention risque rapidement de devenir le tout-venant – quitte à placer ensuite le suspect en GAV pour une durée de 18 heures (24-6). Et tout cela dans une course contre la montre qui pourrait se montrer préjudiciable tant aux personnes retenues qu’aux policiers et gendarmes.

Nous aurions donc une mini GAV avec moins de protection qu’acourse-contre-la-montre_nouvel-economiste_paperblog.jpegvant, relayée par une GAV avec plus de protection.

Ce remodelage de la mesure coercitive la plus controversée de la procédure pénale s’inscrit dans une réforme globale voulue par le chef de l’Etat. S’il s’agit d’aller vers une simplification et plus de clarté, on ne peut qu’applaudir. Le jour où le droit sera compréhensible par l’ensemble des citoyens, on aura sans doute fait un grand pas. C’est la base d’une justice ouverte. Mais il ne faudrait pas que cette réforme fomente plus de problèmes qu’elle n’en règle. Pour l’heure, on a l’impression qu’elle est comme une garniture autour du plat de résistance : la suppression du juge d’instruction.

________________
* Hervé Vlamynck est l’auteur du Droit de la police, aux éditions Vuibert.
 _____________________________________________________________________
Le billet précédent, La grippe A dévoile le fichier de la Sécu, a été lu 25.427 fois en 3 jours. Il a suscité 69 commentaires. Même s’il y avait un zeste de provocation dans ce texte, la confidentialité des données de santé pose problème. Quant à la campagne de vaccination, elle apporte plus d’interrogations qu’elle ne répond aux questions.

Garde à vue : Il ne suffit pas de repeindre les murs !

C’est grosso modo ce que nous dit le contrôleur général des lieux de privation de liberté* après une descente dans un commissariat. Déjà, dans son rapport de l’année dernière, il pointait du doigt les cellules de garde à vue (et aussi de dégrisement) qui sont, disait-il, les declaration-droits-homme_dessin-de-serguei-pour-la-france.giflieux les plus médiocres des locaux administratifs les plus médiocres : généralement mal aérés, chauds l’été et froids l’hiver, avec des sanitaires à la turque qui fonctionnent mal ou pas du tout, et auxquels on n’a accès qu’en quémandant l’autorisation. Pas de point d’eau pour faire sa toilette, des sièges en pierre ou de bois, des couchages la plupart du temps non appropriés, pas de couverture, ou des couvertures sales, etc.

Quand je pense que des gens s’apitoient devant les chiots dans les cages des animaleries…

À tel point que les fonctionnaires affectés à la surveillance des locaux de garde à vue ont souvent honte. Ils ne se bousculent pas pour assurer ce job. On prend les jeunes, ce qui n’est peut-être pas le meilleur moyen de les motiver, ou alors les laissés pour compte. Au mieux on effectue un roulement.

De plus, ces cellules sont parfois éloignées des lieux d’audition, qui eux-mêmes ne sont pas toujours adaptés. Il est souvent difficile de trouver un local vacant où le gardé à vue pourra parler en toute confidentialité avec son avocat.

Quant à la visite médicale, cela pose tant de problèmes aux médecins qu’un groupe de travail s’est récemment réuni, sous l’égide du ministère de la Justice, pour rédiger un petit guide du médecin dans la garde à vue.

Il y est dit, par exemple, que le medecins-et-gav.jpgpraticien doit pouvoir disposer d’une pièce salubre correctement éclairée et adaptée à l’examen – et refuser de le faire dans la cellule de détention. Sauf circonstances particulières, l’examen doit être pratiqué sur une personne libre de toute entrave. La confidentialité et la pudeur doivent être respectées.

Le nombre de gardes à vue explose. Avec les excès que l’on connaît, comme récemment cette femme qui tentait (d’après la presse) de revendre sur Internet des tickets de cantine non utilisés. Et alors que sans répit on pousse aux chiffres policiers et gendarmes, rien n’est fait pour assurer aux suspects un minimum de dignité et de respect.

Ceux qui nous gouvernent feraient bien de redescendre sur terre et de jeter un œil dans la cage aux fauves.

____________________________

*Créé par une loi du 30 octobre 2007, ce mystérieux personnage est chargé de s’assurer que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté sont respectés. Il est nommé (par le président de la République) pour 6 ans, non renouvelable, et ne peut être destitué. Il est assisté de contrôleurs qu’il recrute en raison de leurs compétences (mais à ce jour, il ne semble pas qu’il y ait parmi ses membres d’anciens prisonniers). Il peut visiter tout lieu où des personnes sont privées de liberté par décision d’une autorité publique, et même les établissements où des patients souffrant de troubles mentaux sont hospitalisés sans leur consentement. Il informe les autorités responsables du résultat de ses contrôles et peut les rendre publics.
________________________________________________________________________
Le billet précédent (et son annexe), Boulin : une affaire toute simple, a été lu 6.941 fois en 2 jours et a suscité 33 commentaires. Parmi ceux qui ont pris la peine d’exprimer leur opinion, beaucoup sont persuadés de l’assassinat de Robert Boulin. Je me demande ce qu’en pensent mes amis de la PJ de Versailles, du moins ceux qui ont réellement participé à l’enquête…

1 Français sur 90 en garde à vue

Pour nombre de Français, l’augmentation constante des gardes à vue (GAV) devient préoccupante. 577.816 en 2008, pour une population (des plus de 15 ans) d’environ 52 millions d’habitants. Soit une inflation de plus de 35 % en cinq ans (50,70 % d’après un syndicat de police). S’agit-il d’un plus pour notre sécurité ou d’un moins pour notre liberté ?

Menottes dans le dos_blog moreas_photo S. DellusAfin d’appliquer le précepte souvent énoncé par le président Sarkozy « Je veux protéger les plus faibles », on met la pression sur les forces de l’ordre pour que policiers et gendarmes deviennent plus répressifs – et du même coup on les éloigne de la population.

L’excès en tout est néfaste. L’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme dit que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Il s’agit donc de trouver un équilibre entre notre « liberté » et notre « sûreté ». À ce jour, j’ai l’impression que peu de pays y parviennent…

Pour revenir à la garde à vue, il s’agit bien d’une privation de liberté. Mais à la différence d’une décision de justice, elle est de la responsabilité d’un homme ou d’une femme : l’officier de police judiciaire ou OPJ.

En fait, depuis que le juge d’instruction ne peut plus décider d’une mesure de détention, seul l’OPJ possède maintenant un tel pouvoir au cours d’une enquête*. Et on a l’impression aujourd’hui que cette mesure est appliquée d’une manière trop… automatique, qu’il y a inflation.

L’une des raisons avancée pour justifier cette situation est la « crânite » ou la « bâtonnite » dont seraient atteints certains chefs de service.

La phobie informatique
Dans l’administration comme dans le privé, on ramène tout au système binaire, de 1 à 0. Or l’activité d’un policier est difficilement quantifiable.
Trois gardiens en patrouille peuvent être attentifs au moindre incident ou au contraire complètement déconnectés de leur environnement. Ils émargeront de la même manière au budget de la Nation. Comment contrôler leur travail ? Les technocrates ont horreur de ce vide… Aussi, depuis des lustres, a-t-on pris l’habitude de recenser différents chiffres : dossiers entrés, dossiers sortis, affaires résolues, GAV de moins de 24 heures, de plus de 24 heures, nombre d’écroués, etc.
En fait, c’est le seul moyen qui a été trouvé pour contrôler l’activité du personnel et des services, et cela bien avant le passage de M. Sarkozy à l’Intérieur et la création de son fameux « sarkomètre ».

Donc, il faut faire du chiffre !

Une deuxième raison pourrait être l’augmentation de la délinquance… Mais d’après Mme Alliot-Marie, les chiffres sont en baisse. Je sais, je sais, on peut toujours dire que si la délinquance est en baisse c’est grâce à l’action de la police. Là, on tourne en rond.

Mais puisqu’on parle chiffres…

25% d’OPJ en plus en 6 ans
Il a 6 ans, on comptait 20.794 OPJ. Aujourd’hui, il y en 25.984 (selon les calculs de l’UNSA). Cela ne veut pas dire que le nombre de fonctionnaires de police a augmenté, non, au contraire ! Mais on attribue la qualité d’OPJ différemment. Peut-on dire qu’on la brade ? Aujourd’hui, 44 % des OPJ font partie du corps d’encadrement et d’application (CEA) qui va du gardien de la paix au brigadier major. Cette réforme date d’une loi de 1998 qui a été rajoutée à l’article 16 du Code de procédure pénale. Dans le jargon on les appelle les OPJ 16.
Auparavant, seuls les officiers de police et les commissaires pouvaient être habilités à cette fonction.

Lorsque je suis entré dans la police, il fallait 5 ans de terrain à un officier de police adjoint (OPA) pour accéder au concours d’officier de police (OP), le premier grade qui permettait alors d’être OPJ.

Dans un rapport du Sénat (2005-2006), il est dit : « Il conviendra d’être particulièrement vigilant à ce que l’attribution de la qualité d’OPJ à un plus grand nombre de fonctionnaires ne se traduise pas par une détérioration du niveau moyen des connaissances des OPJ constatée par les magistrats ».

Mais en général, les syndicats ne sont pas d’accord avec cette analyse. Ils estiment que l’augmentation des GAV n’a rien à voir avec l’augmentation des policiers OPJ, car pour eux, bon nombre d’OPJ sont « virtuels ».

emploi-des-opj-surchauffe-dans-les-services_syndicat UNSA-police.jpgTableau extrait d’une note UNSA-Police concernant l’emploi des OPJ.

Pour UNSA-Police, par exemple, le corps des officiers se rapproche de plus en plus de sa nouvelle mission de commandement et délaisse peu à peu les missions procédurales, les permanences et les astreintes  (Emploi des OPJ  : surchauffe dans les services).

Ce sont donc les gardiens et leurs gradés qui sont le plus souvent à la tâche. Et ils se cognent le boulot à risques ! Mais ont-ils les épaules pour ça ?
N’existe-t-il pas une certaine disproportion entre leurs responsabilités de police judiciaire et leur échelon « administratif » qui les tire vers le bas de la grille indiciaire de la police ?

Rappelons que le policier a comme tout fonctionnaire un devoir d’obéissance. Toutefois, dans l’exercice de ses attributions judiciaires, il ne devrait plus dépendre de sa hiérarchie mais du procureur ou du juge d’instruction, car son action relève directement des règles de la procédure pénale.

C’est la théorie.

Une double casquette !
Mais comment garder la maîtrise d’une enquête lorsqu’on a au-dessus de sa tête tant de monde auquel il faut rendre des comptes ? D’autant que le port généralisé de l’uniforme (dès l’école de police) a engendré, au moins chez les plus jeunes, une sorte de fantasme militaire qui les éloigne chaque jour de l’esprit de la fonction publique.

Cela n’est pas fortuit. Il s’agit d’une volonté politique, au point que certains se demandent si demain ce n’est pas la gendarmerie qui va absorber la police… Je plaisante.

Il semble d’ailleurs que le nouveau Code de procédure pénale actuellement en gestation (Police et réforme pénale, sur ce blog) va conforter l’autorité hiérarchique dans les enquêtes judiciaires. Une sorte de filtre « administratif » entre le magistrat et l’OPJ.

Au final, on se demande quelle marge de manœuvre on laisse à ces policiers de terrain, lorsqu’on les encourage à faire du chiffre ! 

La raison officielle
Dans son bulletin Grand Angle n° 16,
l’Observatoire national de la délinquance, dont le président est Alain Bauer, s’embarbouille un peu dans ses explications : « La cause principale du phénomène observé n’est pas le recours plus fréquent à la garde à vue, même si celui-ci augmente, mais la hausse du nombre de personnes mises en cause. On rappelle que les violences et menaces et les infractions révélées par l’action des services sont les principales composantes de cette augmentation. Ces deux types d’infractions expliquent non seulement plus de 83,1 % de la hausse des mis en cause depuis 2003 mais aussi 75,6 % de celle des gardes à vue ».

Comme ça, c’est clair.

Définition de la GAV
Il n’y en a pas. Disons que c’est une prérogative de l’OPJ qui lui permet de garder une personne à sa disposition contre son consentement. C’est donc une mesure contraignante qui s’applique à un suspect. Ça n’a pas toujours été le cas. Avant les années 2000, un témoin ou une personne susceptible de fournir des renseignements pouvait être placé en GAV « pour les besoins de l’enquête ». Puis la loi sur la présomption d’innocence a changé la donne en précisant qu’il fallait justifier cette mesure par « des indices faisant présumer (que la personne) a commis ou tenté de commettre une infraction
Declaration-droits-homme_dessin-de-serguei-pour-la-France.gif ». Sous la pression des policiers eux-mêmes, quelques mois plus tard, une circulaire faisait machine arrière en appuyant sur le fait que la nouvelle loi ne parlait pas d’indices « graves » et qu’un simple témoignage, des déclarations contradictoires, un comportement anormal…, tout cela pouvait faire l’affaire. En 2005, une nouvelle loi a repris les mots de l’article 5 -1 de la Convention EDH : « raisons plausibles de soupçonner ».

Après tout ce charivari politico-législatif, on peut dire aujourd’hui que l’OPJ va se fier à son flair pour prendre sa décision. Sachant que le simple témoin peut à tout moment devenir un suspect. Mais qu’on se rassure, dans ce cas le temps passé comme simple témoin sera défalqué des premières 24 heures de la GAV.
Le seul moyen pour un témoin de savoir s’il est devenu suspect, serait de se lever et de partir. Si on le retient, il doit être placé en GAV. C’est une boutade, évidemment, car le simple fait de vouloir s’en aller en ferait un suspect…
Je-plonge

Combien de temps peut durer la GAV ? Quels sont les pouvoirs de l’OPJ ? Quelles sont ses obligations ? Quels sont les droits de la personne placée en GAV ? Et dans la pratique, ça se passe comment ?… Plein de questions auxquelles je vais tenter de répondre dans un prochain billet.

________________________________

* C’est le juge des libertés et de la détention qui peut prendre une décision de détention provisoire. Une institution créée par la loi du 15 juin 2000. Ce magistrat doit avoir rang de président, de premier vice-président ou vice-président du TGI. On peut considérer qu’il est détaché de l’information judiciaire.

La garde à vue en question

L’enquête sur la mort tragique d’un enfant de 3 ans dans un hôpital parisien a attiré l’attention sur une mesure privative de liberté : la garde à vue (GAV). Et l’on a tout entendu. Selon Philippe Juvin, secrétaire national de l’UMP, « La garde à vue de l’infirmière est très inhabituelle… ». Quant au PCF, il juge la mesure « démesurée » et le premier syndicat des hôpitaux, la CGT-santé, estime la GAV « disproportionnée à partir du moment où l’erreur n’est pas intentionnelle ».

hopital_logo.1230374298.jpgOutre le fait qu’on puisse s’interroger sur la probabilité d’une « erreur intentionnelle », il faut se souvenir qu’on parle ici de l’enquête qui suit la mort d’un enfant. Heureusement, les policiers ont trouvé quelqu’un pour prendre leur défense, non, non, ni à la justice ni à l’intérieur, mais à la santé, en la personne de Roselyne Bachelot. Mais comme le président d’un syndicat de médecins a demandé sa démission, peut-être se prépare-t-elle à porter ses pénates place Beauvau ou place Vendôme !

Prévue par les articles 63 et suivants du Code de procédure pénale, la décision de retenir quelqu’un contre son gré est l’apanage de l’officier de police judiciaire. Même si son action est placée sous l’autorité du procureur de la République (ou du juge d’instruction), il est seul maître en la matière. Et dans la mesure où il respecte scrupuleusement le formalisme du Code, on ne peut jamais reprocher à un OPJ une telle décision. Le contraire n’est pas vrai.

Imaginons un instant que cette infirmière ait été retenue dans des locaux de police sans être en garde à vue, et qu’il se soit produit un incident, les mêmes personnes sans doute auraient dénoncé une détention arbitraire.

Ici, l’infirmière a déclaré spontanément qu’elle avait commis une erreur, mais ce n’est pas suffisant. Le temps de la GAV permet aux enquêteurs de recueillir son témoignage mais aussi celui de ses collègues, des parents, des témoins, etc. Ensuite, il faut vérifier l’ensemble des déclarations, les recouper, reconstituer les faits, prendre en compte l’avis du médecin légiste, etc. On peut quand même considérer que si le procureur décide d’une prolongation de GAV, ce n’est pas pour satisfaire un instinct pervers, mais pour que le dossier soit le plus complet possible, avant de prendre une décision concernant la qualification pénale et l’ouverture d’une information judiciaire.

Existait-il une autre possibilité ? En décortiquant les textes, il semble que oui *.

Finalement, Sylvie F. (il est rare que les journaux ne donnent pas le nom des personnes mises en cause dans une enquête, mais ici, c’est une bonne chose) a été mise en examen pour homicide involontaire, ce qui est l’aboutissement logique de ce qu’on connaît de cette affaire.

Et pour expliquer la nécessité pour l’OPJ de la mesure de GAV, permettez-moi une anecdote personnelle. C’était le… il y a longtemps (il est préférable de ne pas donner de date pour éviter tout rapprochement). Un centre commercial de la région parisienne faisait l’objet de vols à répétition. Après des nuits de planque, on parvient à surprendre les voleurs en pleine action. Un beau flag ! On embarque tout ce beau monde et dans la foulée, une jeune fille, au volant d’une fourgonnette, sur le parking.

Seulement voilà ! Le papa de cette jeune fille n’est autre que le président de la Ligue des droits de l’Homme. Pas content, le monsieur. Le téléphone n’arrête pas de sonner. Pourtant, je n’ai pas eu à me justifier. Je me suis contenté d’exhiber le procès-verbal de GAV, et l’affaire s’est arrêtée là.

Supposons que cette jeune fille, qu’on aurait pu considérer comme un simple témoin (enfin… à deux heures du mat, dans un fourgon faussement immatriculé…), n’ait pas été placée en garde à vue. On imagine les gros titres : La fille du président de la Ligue des droits de l’Homme retenue contre son gré… Je serais peut-être encore en prison…lautre-journal.1230374132.jpg

Depuis des dizaines d’années on parle de remettre en question le principe de la garde à vue. Pourquoi pas ? Mais avant, il faut prendre soin de refondre entièrement le Code de procédure pénale, sous peine de bloquer l’action de la police judiciaire. Dans un débat dans L’autre journal, en 1986, en parlant de la GAV, Me Thierry Lévy disait : « C’est à ce moment-là, selon moi, que l’essentiel se décide ».

Pas mieux.

_________________________________________

* Deux arrêts de la Cour de cassation dont l’interprétation est difficile :

– Crim. 6 déc. 2000 : Dès lors qu’une personne est tenue sous la contrainte à la disposition des services de police, et qu’elle est privée de la liberté d’aller et venir, elle doit être aussitôt placée en garde à vue et recevoir la notification de ses droits.

– Crim. 2 sept. 2003 : Aucune disposition légale n’impose à l’OPJ de placer en garde à vue une personne entendue sur les faits qui lui sont imputés, dès lors qu’elle a accepté d’être immédiatement auditionnée et qu’aucune contrainte n’est exercée durant le temps strictement nécessaire à son audition.

Laquelle des deux s’applique à l’infirmière ? En l’absence de précisions sur les conditions de l’enquête, je me garderais bien de me prononcer.

Tout nu (suite)

L’UMP demande l’ouverture d’une enquête, le PS stigmatise des méthodes inadmissibles et Jack Lang a honte pour son pays… La mésaventure de l’ex-patron de Libération fait l’unanimité contre des méthodes policières qu’Alliot-Marie trouve pourtant tout à fait normales. Alors, où est la vérité ? Faut-il oui ou non baisser culotte devant les policiers ?

droits-de-lhomme_lea-assoover-blog.1228150274.jpgEt moi, avec mon petit blog, je me fais châtaigner par quelques lecteurs, qui me balancent des « Monsieur le commissaire » dédaigneux et qui me soupçonnent de je ne sais quelle connivence avec je ne sais quelle force du mal.

Heureusement, c’est une minorité. Parmi les commentaires, nombreux, qui ont suivi le texte précédent (ici), beaucoup sont constructifs et pleins de bon sens. Ils sont parfois contradictoires, mais c’est bien ainsi qu’on se forge une opinion, n’est-il pas ?

Laissons à la presse le soin de défendre la presse, et posons-nous la question suivante : Les policiers ont-ils le droit d’obliger un homme ou une femme à se déshabiller ?

Pour l’instant, on attend toujours une réponse nette. On nous parle d’habitudes, de sécurité… Rien dans le code de déontologie de la police nationale. Pourtant, comme le rappelle Marc Louboutin, un ancien officier de police judiciaire, il existe une circulaire en date du 11 mars 2003 qui fixe les choses. Je l’ai longuement recherchée avant finalement de la retrouver (grâce à Syl8555) dans un rapport de la Haute autorité de santé (ici).

Pour résumé, ce texte* dit que le fait d’obliger une personne à se mettre nue est attentatoire à la dignité et que la règle générale consiste en une simple palpation de sécurité. De plus, l’usage des menottes est réservé aux individus dangereux, ce qui manifestement n’était pas le cas de M. de Filippis.

Je pense qu’un blog permet une réflexion collective. D’ailleurs les commentaires sont souvent plus importants que le texte de base. Mais pour répondre à Bernard, qui me demande mon opinion personnelle, la voici – et je suis certain qu’elle est partagée par de nombreux policiers : Il est inadmissible de mettre un homme ou une femme tout nu. C’est humiliant. Les policiers doivent se reprendre. Ils ne doivent pas s’exclure de la société. Et les syndicats de police devraient se battre – aussi – pour des idées.

Et puisque ce blog prend un angle plus intimiste, je vais vous faire une confidence : dans toute ma carrière, je n’ai jamais demandé à personne de me montrer ses fesses – en tout cas pas dans l’exercice de mon métier.

_______________________________

* Voici ce que dit la circulaire du 11 mars 2003, qui est donc signée d’un certain Nicolas Sarkozy (c’est moi qui souligne) :

« Les mesures de sécurité sont de nature administrative ; elles ont pour finalité la protection du gardé à vue, des personnes et des tiers.

Elles sont à distinguer de la fouille opérée par l’officier de police judiciaire pour les nécessités de l’enquête, assimilée à une perquisition, ainsi que des investigations corporelles internes exclusivement réalisées par un médecin dans les cas prévus par la loi.

Parmi ces mesures de sécurité, deux modalités sont à distinguer :

 – La palpation de sécurité opérée à chaque prise en charge et lors des différents mouvements de la personne gardée à vue. Son but est de révéler le port de tout objet dangereux et sa nécessité ne saurait être remise en cause. Pratiquée par une personne de même sexe et aux travers de vêtements, elle doit être complète, méthodique et méticuleuse.

– La fouille de sécurité : l’article C117 de l’instruction générale du 27 février 1959 prise pour l’application du code de procédure pénale précise que cette mesure ne peut être pratiquée que si la personne gardée à vue est suspectée de dissimuler des objets dangereux pour elle-même ou pour autrui.

Pratiquée systématiquement, a fortiori avec le déshabillage de la personne gardée à vue, elle est attentatoire à la dignité et contrevient totalement aux exigences de nécessité et de proportionnalité voulues par l’évolution du droit interne et européen.

Il y aura donc lieu dès à présent de limiter en règle générale les mesures de sûreté à la palpation de sécurité. Dans l’hypothèse où des vérifications plus adaptées apparaîtraient nécessaires, il conviendrait d’en évoquer l’application avec l’officier de police judiciaire qui détient des éléments lui permettant une appréciation de la dangerosité des personnes.

En tout état de cause, toute instruction rendant les fouilles systématiques doit être abrogée. Dans le même esprit, le menottage qui est soumis aux dispositions de l’article 803 du code de procédure pénale, ne doit être utilisé que lorsque “la personne est considérée comme dangereuse pour autrui et pour elle-même ou susceptible de prendre la fuite”. Un menottage excessivement serré doit être proscrit. »

 

Un patron de presse tout nu

« Baissez votre slip, tournez-vous et toussez trois fois ! » Un policier a-t-il le droit de formuler une telle requête ? Rien n’est moins sûr. L’administration en tolérant que ses agents se livrent à ces pratiques ne fait que jouer sur les mots. En effet, l’article 63-5 du Code de procédure pénale mentionne expressément qu’une «investigation corporelle intime» ne peut être réalisée que par un médecin.

toutnuchoopsbdfreefr.1228043843.jpgC’est quoi une « investigation intime » ? Mon dictionnaire parle de recherche suivie et approfondie – sans faire de distinction entre l’œil et… le doigt.

En tout cas, un policier digne de ce nom ne pratique pas de telles méthodes (voir sur ce blog : Déshabillez-vous !).

Quant à Madame Muriel Josié, le juge d’instruction, a-t-elle outrepassé ses droits en délivrant un mandat d’amener pour un délit de presse ?

C’est possible. Voyons, quelle est la définition légale du mandat d’amener ?

Le mandat d’amener est une réquisition faite aux autorités d’arrêter une personne dénommée pour la conduire dans les plus brefs délais (moins de 24 heures) devant le magistrat. Normalement, il fait suite à un mandat de comparution auquel il n’a pas été déféré.

Alors qu’en est-il du mandat de comparution ? C’est l’obligation faite à une personne de se présenter à une date et à une heure précise devant le juge. Ce mandat est le plus souvent notifié par voie d’huissier.

Question : Vittorio de Filippis a-t-il fait l’objet d’un mandat de comparution ?

Si tel est le cas, et s’il n’a pas déféré à cette pièce de justice, il a eu tort. Et du coup la réaction du magistrat devient légitime.

L’ex-patron de Libération a alors bénéficié du droit commun : arrestation, menottes dans le dos, fouille à corps… On peut juger ça excessif, mais c’est le régime appliqué à monsieur tout le monde.

Seule l’introspection anale reste équivoque.

____________________

Bon, comme je me fais pas mal allumer sur ce texte, je me permets ce post-scriptum :

1/ J’ai effectivement commis une boulette. L’article 63-5 du CPP dit exactement ceci : « Lorsqu’il est indispensable pour les nécessités de l’enquête de procéder à des investigations corporelles internes sur une personne gardée à vue, celles-ci ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet » (date d’entrée en vigueur 1er janvier 2001).

Doit-on faire une différence entre « internes » et « intimes »… ? Il semble me rappeler (mais je n’ai plus la référence) que la Cour européenne a utilisé « fouilles intimes » dans sa décision de condamner la France (pour dommage moral) lors d’un recours effectué par l’ancien d’Action directe, Max Frérot.

2/ J’avais écrit « anale » avec deux n. J’ai corrigé et merci pour ceux qui m’ont repris.

 

Déshabillez-vous !

De plus en plus fréquemment, certains policiers font dévêtir entièrement les personnes placées en garde à vue pour effectuer ce qu’il est convenu d’appeler une « fouille intime ». Interrogés par l’IGS, à la suite d’une telle pratique, plusieurs policiers ont répondu (Le Monde du 14 juin 2008) : « […] Il y a des habitudes dans les commissariats. »

On m’a rapporté le cas d’un homme soupçonné d’attouchements surtortures-irak2.1213627816.jpg des mineurs (faits qui se sont révélés faux) interrogé entièrement nu pendant des heures par un capitaine de police de sexe féminin.

Même si la comparaison est exagérée, de telles pratiques font penser aux procédés utilisés par certains militaires américains au début de la guerre en Irak. Les photos qui ont été publiées à l’époque ont révolté l’opinion publique.

Que nous dit le Code de procédure pénale ? Art. 63-5 : « Lorsqu’il est indispensable pour les nécessités de l’enquête de procéder à des investigations corporelles internes sur une personne gardée à vue, celles-ci ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet. »

C’est clair, net et… sans bavure.

La loi accorde à l’officier de police judiciaire d’importants pouvoirs qui touchent à nos libertés individuelles, mais du même coup, il a des devoirs – dont celui d’agir dans le cadre précis des textes.

toutnuchoopsbdfreefr.1213627938.jpgEn revanche, dans l’enceinte des prisons, le principe de la fouille intime a été reconnu implicitement par la Cour européenne des droits de l’Homme dans un jugement rendu récemment – et qui pourtant condamnait la France.

Max Frérot, un membre d’action directe incarcéré à Lannemezan (Hautes-Pyrénées), s’était plaint devant la Cour européenne de fouilles répétées au cours desquelles il était contraint de se mette entièrement nu. Les juges de Strasbourg ont estimé que de telles fouilles n’étaient pas contraires « en soi » à la Convention européenne des droits de l’Homme, même si le détenu était contraint de se dévêtir devant autrui, de se pencher en avant et de tousser, pour une inspection anale visuelle. Mais en revanche, elle a trouvé que la répétition de telles scènes pouvait être considérée comme un traitement dégradant. La France a été condamnée à verser à Max Frérot 12.000 € pour dommage moral.

Un esprit espiègle, près de moi, m’a soufflé que maintenant que lesphilippedum-en-gav_ptitcomiqueblogpot.1213628109.jpg gardes à vue sont filmées, on risque de voir naître un trafic de dvd plus ou moins porno…

Qu’on se rassure ! Seuls les actes qui correspondent à des procès-verbaux se déroulent devant la caméra.

Durant ma carrière, je n’ai jamais vu de telles pratiques. Il s’agit donc d’un comportement relativement récent qui, dans certains locaux de police semblent hélas devenir une habitude.

Lorsqu’on a la chance de pratiquer un tel métier, on ne devrait pas laisser quelques simplets l’éclabousser de leur bêtise.

Newer posts »

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑