On ne sait toujours pas ce qui est arrivé à Laëtitia, du moins à l’instant où j’écris ces lignes, et cette bien triste affaire est un peu comme un appel de phare pour nos élus, alors qu’ils légifèrent sur la garde à vue. Car on se trouve dans la pire des situations : la quasi-certitude que la victime est morte, et le faible espoir qu’elle soit encore en vie. Avec en face de soi, un sale type, au mutisme enrageant. Ce face-à-face entre Tony Meilhon et les gendarmes a dû être terrible.
Car, dans l’incertitude, il fallait tout tenter pour la sauver. C’est le devoir des gendarmes, mais c’est aussi un devoir tout court. Or le seul qui pouvait faire avancer les choses, c’est le suspect. Bien sûr, ce n’est qu’un suspect, pas un coupable, mais lorsqu’il existe autant de preuves matérielles, les risques de commettre un impair sont bien minimes.
Alors, les enquêteurs rongent leurs freins. Ils doivent se livrer à un jeu de rôle pour tenter d’établir un contact, dans le dessein, non pas d’obtenir des aveux, mais de retrouver la victime.
Pour eux, c’est un vrai cas de conscience. Avec des questions : Ne faut-il pas faire une croix sur le code de déontologie ? Aller plus loin que ne l’autorise la loi ? Ne peut-on pas parler « d’état de nécessité », cette disposition du Code pénal qui permet de commettre une infraction pour la sauvegarde d’une personne ou d’un bien ? Comme briser la vitre d’une voiture pour en extraire un bébé « oublié » à l’intérieur.
À une autre époque, en 1976, un jeune garçon, Philippe Bertrand, est enlevé à la sortie de l’école. Les soupçons se portent rapidement sur Patrick Henry. Au cours de sa garde à vue, il nie tout. Il n’existe pas de preuves, juste des présomptions, mais pour les enquêteurs, sa culpabilité est évidente. Un commissaire (il l’a revendiqué, mais je ne me permets pas de le nommer) ira même jusqu’à lui faire croire à une « corvée de bois » : une balade en forêt, le calibre sur la tête. Le bluff ne prend pas. Patrick Henry se tait. Il est relâché au bout de 47 heures. L’enfant sera retrouvé plus tard, sous son lit. Il l’avait étranglé, bien avant d’être interpellé. Vous vous souvenez, Gicquel, au JT de TF 1 : « La France a peur ! »
J’ai remarqué au cours de ma carrière que plus le crime est odieux, plus les coupables crient leur innocence. Souvent, avec un tel accent de sincérité que l’on doute de soi. Qu’on finirait par les croire. En fait, ils refusent d’admettre leur acte. Un véritable déni. Un peu comme on se réfugie dans le sommeil lors d’une dépression, ou dans la folie lorsque l’on ne parvient plus à maîtriser sa vie. À sa sortie de garde à vue, devant les caméras de télévision, Patrick Henry clame son innocence et réclame la peine de mort pour le « vrai » criminel. Aucun avocat n’ayant accepté de le représenter, c’est le bâtonnier de Troyes qui le défendra devant la Cour d’assises, assisté de Robert Badinter (perpette, il a purgé 25 ans).
Alors, je m’interroge… Si un avocat avait été présent durant sa garde à vue, quelle aurait été sa position. Tout le monde pensait alors que le petit Philippe était vivant, l’aurait-il encouragé à parler, au risque de l’enfoncer ? Et, pour en revenir à cette affaire de Pornic, qu’aurait fait l’avocat désigné pour assister Tony Meilhon. L’aurait-il incité à se taire, ou l’aurait-il poussé à se confesser pour – peut-être – sauver Laëtitia ? Comment se serait déroulée cette audition à trois : l’OPJ, l’avocat et le suspect ?
On imagine la tension. Il ne s’agit pas de boucler une affaire, mais d’obtenir des informations pour sauver une vie. Il y a urgence. L’espoir est mince. Comme l’a dit, deux jours après sa disparition, le procureur de Saint-Nazaire : « Plus le temps passe, plus cet espoir, hélas, s’amenuise ». On voit que cette mesure décriée, qui donnerait au procureur le droit de différer la présence de l’avocat pour « prévenir une atteinte imminente aux personnes », pourrait ici trouver sa justification.
Comme de coutume, à la suite de cette affaire, on peut s’attendre aux réactions habituelles de politiciens en mal de popularité. Je crois que Copé a ouvert le bal. Mais cela n’empêche pas la réflexion. Je suis de ceux qui pensent, qu’une fois la procédure pénale bien adaptée, la présence de l’avocat lors de la garde à vue sera un plus. Mais ces avocats doivent comprendre qu’ils ne traiteront plus un dossier, mais qu’ils se retrouveront face à de vrais gens, dans la vraie vie, loin du prétoire, des robes et des jeux de manches. Avec parfois un client qui a encore le sang de sa victime sur les mains. Et qu’il faudra prendre une décision.
Je sais, mes propos sont un peu décousus. Et je n’ai ni conclusion ni certitude. Que des interrogations. Mais je ne peux m’empêcher de penser à cette jeune fille, une enfant pour les gens de mon âge, qui est peut-être morte depuis longtemps ; ou qui a peut-être crié au secours – pendant longtemps.