LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : La garde à vue (Page 3 of 4)

Pornic : réflexions autour de la garde à vue

On ne sait toujours pas ce qui est arrivé à Laëtitia, du moins à l’instant où j’écris ces lignes, et cette bien triste affaire est un peu comme un appel de phare pour nos élus, alors qu’ils légifèrent sur la garde à vue. Car on se trouve dans la pire des situations : la quasi-certitude que la victime est morte, et le faible espoir qu’elle soit encore en vie. Avec en face de soi, un sale type, au mutisme enrageant. Ce face-à-face entre Tony Meilhon et les gendarmes a dû être terrible.

Laetitia.JPGCar, dans l’incertitude, il fallait tout tenter pour la sauver. C’est le devoir des gendarmes, mais c’est aussi un devoir tout court. Or le seul qui pouvait faire avancer les choses, c’est le suspect. Bien sûr, ce n’est qu’un suspect, pas un coupable, mais lorsqu’il existe autant de preuves matérielles, les risques de commettre un impair sont bien minimes.

Alors, les enquêteurs rongent leurs freins. Ils doivent se livrer à un jeu de rôle pour tenter d’établir un contact, dans le dessein, non pas d’obtenir des aveux, mais de retrouver la victime.

Pour eux, c’est un vrai cas de conscience.  Avec des questions : Ne faut-il pas faire une croix sur le code de déontologie ? Aller plus loin que ne l’autorise la loi ? Ne peut-on pas parler « d’état de nécessité », cette disposition du Code pénal qui permet de commettre une infraction pour la sauvegarde d’une personne ou d’un bien ? Comme briser la vitre d’une voiture pour en extraire un bébé « oublié » à l’intérieur.

À une autre époque, en 1976, un jeune garçon, Philippe Bertrand, est enlevé à la sortie de l’école. Les soupçons se portent rapidement sur Patrick Henry. Au cours de sa garde à vue, il nie tout. Il n’existe pas de preuves, juste des présomptions, mais pour les enquêteurs, sa culpabilité est évidente. Un commissaire (il l’a revendiqué, mais je ne me permets pas de le nommer) ira même jusqu’à lui faire croire à une « corvée de bois » : une balade en forêt, le calibre sur la tête. Le bluff ne prend pas. Patrick Henry se tait. Il est relâché au bout de 47 heures. L’enfant sera retrouvé plus tard, sous son lit. Il l’avait étranglé, bien avant d’être interpellé. Vous vous souvenez, Gicquel, au JT de TF 1 : « La France a peur ! »

J’ai remarqué au cours de ma carrière que plus le crime est odieux, plus les coupables crient leur innocence. Souvent, avec un tel accent de sincérité que l’on doute de soi. Qu’on finirait par les croire. En fait, ils refusent d’admettre leur acte. Un véritable déni. Un peu comme on se réfugie dans le sommeil lors d’une dépression, ou dans la folie lorsque l’on ne parvient plus à maîtriser sa vie. À sa sortie de garde à vue, devant les caméras de télévision, Patrick Henry clame son innocence et réclame la peine de mort pour le « vrai » criminel. Aucun avocat n’ayant accepté de le représenter, c’est le bâtonnier de philippe-bertrand_scene-de-crime.1295859710.jpgTroyes qui le défendra devant la Cour d’assises, assisté de Robert Badinter (perpette, il a purgé 25 ans).

Alors, je m’interroge… Si un avocat avait été présent durant sa garde à vue, quelle aurait été sa position. Tout le monde pensait alors que le petit Philippe était vivant, l’aurait-il encouragé à parler, au risque de l’enfoncer ? Et, pour en revenir à cette affaire de Pornic, qu’aurait fait l’avocat désigné pour assister Tony Meilhon. L’aurait-il incité à se taire, ou l’aurait-il poussé à se confesser pour – peut-être – sauver Laëtitia ? Comment se serait déroulée cette audition à trois : l’OPJ, l’avocat et le suspect ?

On imagine la tension. Il ne s’agit pas de boucler une affaire, mais d’obtenir des informations pour sauver une vie. Il y a urgence. L’espoir est mince. Comme l’a dit, deux jours après sa disparition, le procureur de Saint-Nazaire : « Plus le temps passe, plus cet espoir, hélas, s’amenuise ». On voit que cette mesure décriée, qui donnerait au procureur le droit de différer la présence de l’avocat pour « prévenir une atteinte imminente aux personnes », pourrait ici trouver sa justification.

Comme de coutume, à la suite de cette affaire, on peut s’attendre aux réactions habituelles de politiciens en mal de popularité. Je crois que Copé a ouvert le bal. Mais cela n’empêche pas la réflexion. Je suis de ceux qui pensent, qu’une fois la procédure pénale bien adaptée, la présence de l’avocat lors de la garde à vue sera un plus. Mais ces avocats doivent comprendre qu’ils ne traiteront plus un dossier, mais qu’ils se retrouveront face à de vrais gens, dans la vraie vie, loin du prétoire, des robes et des jeux de manches. Avec parfois un client qui a encore le sang de sa victime sur les mains. Et qu’il faudra prendre une décision.

Je sais, mes propos sont un peu décousus. Et je n’ai ni conclusion ni certitude. Que des interrogations. Mais je ne peux m’empêcher de penser à cette jeune fille, une enfant pour les gens de mon âge, qui est peut-être morte depuis longtemps ; ou qui a peut-être crié au secours – pendant longtemps.

Garde à vue : une réforme à la hâte

Le défi, c’est de faire entrer un maximum de choses dans un minimum de temps. A l’horizon de quelques mois, la garde à vue va donc devenir une véritable course contre la montre pour les policiers et les gendarmes. Voyons un peu… Top chrono !

lapin-alice-au-pays-des-merveilles.1295600217.jpg1/ Arrestation des suspects, perquisition, relevé des traces et indices, saisies et… retour au service : 2 à 3 heures

2/ Notification de la garde à vue et des droits, procès-verbal sur l’état civil (et non pas sur les faits. Quid s’il s’agit de faux papiers ?) et premières vérifications : 1 heure

3/ Recherche des avocats et organisation du transport à l’unité médico-judiciaire (voir plus loin) : 2 à 3 heures.

4/ Retour au service où les avocats attendent. On leur explique la situation de la personne qu’il représente. Et on leur demande de patienter le temps de préparer une première audition : 1 heure.

5/ Première audition des suspects en présence de l’avocat : 1 ou 2 heures par individu.

6/ Une petite pause casse-croûte et… il reste 12 heures de garde à vue. Si l’on retranche un temps de repos raisonnable, tant pour les suspects, que leurs avocats et les policiers, il reste 5 ou 6 heures pour boucler l’affaire. Autant demander la prolongation tout de suite.

Il aura fallu une décision du Conseil constitutionnel, deux arrêts de la Cour européenne et deux décisions de la Cour de cassation, pour que le gouvernement admette l’archaïsme de la garde à vue à la française. Le législateur est donc aujourd’hui « en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l’ordre public au cours d’une mesure progressivement devenue un symbole de l’enquête policière », déclare le député Michel Hunault, en ouverture du débat du 18 janvier 2011. Il s’agit pour les parlementaires de légiférer dans l’urgence sur une situation que chacun savait intenable. Et, pour l’anecdote, c’est la première fois que l’Assemblée nationale est saisie d’un projet de loi qui fait suite à une QPC (question prioritaire de constitutionnalité).

L’application de cette réforme va profondément chambouler les pratiques policières – et au-delà. À tel point qu’une période de rodage paraît indispensable. Le problème, c’est la date butoir fixée par le Conseil constitutionnel : le 1er septembre 2011. Il reste donc sept mois pour voter la loi, former les OPJ, les magistrats et les avocats, et mettre en place les structures nécessaires. Or, pour l’instant, on n’en est qu’au projet (voir le mécanisme du vote de la loi sur Vie-Publique).

Bouh !…

Évidemment, parmi les modifications, la plus importante concerne la place de l’avocat dans le déroulement de la garde à vue. Par la force des choses, un consensus s’est aujourd’hui dégagé pour admettre sa présence, tant auprès des parlementaires de la majorité que des policiers.

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Voici l’article le plus simple, et sans doute le plus marquanr, de cette loi : « En matière criminelle et correctionnelle, aucune condamnation ne peut être prononcée contre une personne sur le seul fondement de déclarations qu’elle a faites sans avoir pu s’entretenir avec un avocat ou être assistée par lui. »

C’est lapidaire à souhait, comme l’était antan l’article 12 du Code pénal : « Tout condamné à mort aura la tête tranchée. » D’ailleurs, pour certains élus, cette réforme est la plus importante depuis la suppression de la peine de mort. La comparaison est un peu forte.

En attendant, cette petite phrase risque fort de ringardiser à jamais tous les films policiers, car c’est la fin de la fameuse scène du face-à-face entre le flic et le criminel.  Ou pour le moins l’introduction d’un nouvel acteur, l’avocat, ce qui risque de faire fondre le charme. D’autant qu’on ne voit guère ce dernier encourager son client à faire des confidences – sauf à pouvoir négocier la qualification de l’infraction, ce qui n’est pas prévu (pour l’instant) à ce stade.

Il faudra donc que les enquêteurs s’habituent et qu’ils ne comptent plus ni sur les aveux ni sur ces confidences grappillées au fil d’un entretien à bâtons rompus (?). Du coup, c’est l’articulation même de l’enquête policière qui va se trouver modifiée. L’audition du suspect, ce morceau de roi que se réserve souvent le chef de groupe, ne fera plus recette. Les actes les plus importants deviendront alors la perquisition, les saisies et les confrontations.

Comment devrait se dérouler une mesure de garde à vue new look ?

Une fois sur place, l’avocat est informé des faits qui sont reprochés à son client. A priori, il n’aura toutefois pas accès à l’ensemble du dossier, ni aux dépositions des autres personnes qui pourraient être impliquées. Ce qui veut dire que l’avocat est là essentiellement pour s’assurer que les droits de son client sont respectés – et non pour participer à l’enquête. En revanche, il est évident que les déclarations effectuées en sa présence revêtiront un caractère plus « officiel » que par le passé. À tel point que l’on peut se demander si l’OPJ ne va pas remplacer le magistrat !

Je crois qu’il faut bien préciser le rôle exact de l’avocat. Car s’il agit comme conseil dans l’affaire, il ne peut  alors représenter qu’une seule personne ; les différents suspects n’ayant pas nécessairement des intérêts convergents. Ce qui impose un avocat pour chacun des gardés à vue. Or, s’il s’agit d’un crime ou d’un délit en bande organisée,  il peut y avoir dix ou vingt personnes interpellées en même temps. Je me souviens d’une affaire où les procédures (une par client) étaient posées sur le sol, et faisaient le tour de mon bureau. Donc, 20 gardés à vue = 20 avocats. Il va falloir repousser les murs…

Et l’on suppose que ces 20 avocats vont suivre le dossier jusqu’au bout. Car on n’imagine pas que le procureur ou le juge d’instruction puisse rompre la chaîne… Or une enquête de ce genre, qui met en cause beaucoup de gens, entraîne généralement une garde à vue de 48 heures. Je me demande comment ils vont s’organiser…

En dehors de la présence de l’avocat, les choses, semble-t-il, ne changeront pas énormément. La garde à vue reste le domaine privilégié de l’OPJ, sous le contrôle du procureur (dans les débats, il semble qu’on ait un peu oublié le juge d’instruction). Mais la mesure est désormais encadrée. Elle ne peut être utilisée que pour les crimes ou les délits punis d’une peine d’emprisonnement (donc pas les contraventions) et pour les raisons qui seront énumérées dans le Code. Ce qui peut poser quelques problèmes, notamment dans les interventions sur la voie publique. On risque de voir s’envoler le nombre de procédures pour rébellion, uniquement pour justifier une interpellation un peu hâtive qui ne correspondrait pas aux critères de la loi.

Dans les modifications attendues, on peut noter que le gardé à vue aura désormais la possibilité d’informer deux personnes, un proche et son employeur. Alors qu’aujourd’hui, c’est l’un ou l’autre. Même si dans les faits, les enquêteurs savent souvent se montrer conciliants.

Enfin, le droit d’être examiné par un médecin demeurerait inchangé, mais bizarrement, celui-ci ne donnerait plus son avis sur l’aptitude (physique ou mentale) de son patient au maintien en garde à vue. On peut donc supposer que la décision reviendra à l’OPJ, en fonction du certificat délivré par le praticien. Il y a là un transfert de responsabilité.

À noter, pour rester dans le domaine médical, qu’une circulaire interministérielle (Justice/Santé) prévoit que, depuis le 15 janvier, l’examen doit se dérouler dans l’Unité médico-judiciaire (UMJ), lorsqu’il en existe une sur le ressort du TGI. Il faut donc prévoir, dit le directeur général de la police nationale, une escorte pour accompagner les gardés à vue. Un véritable casse-tête pour certains services, même si des dérogations sont envisageables. « Cette circulaire (…) va mobiliser un grand nombre de policiers et de véhicules alors même qu’on réduit les effectifs et les moyens matériels », remarque l’ UNSA Police.

Et enfin, et c’est important, la loi doit garantir le respect de la dignité humaine, notamment en interdisant les fouilles à corps intégrales liées à la sécurité. Une telle fouille resterait possible, mais uniquement pour des raisons concernant l’enquête. Dans ce cas, elle est assimilée à une perquisition – donc, en enquête préliminaire, il faut l’accord de l’intéressé.

À mon avis, cette réforme de la garde à vue effectuée bourgeois-de-calais.1295600407.jpgsous pression ne peut être qu’un replâtrage. Et il faudra attendre un remaniement sérieux de la procédure pénale pour que la France possède enfin un système qui préserve au mieux les droits de la défense et la dignité humaine, sans nuire au bon fonctionnement de la chaîne judiciaire.

Garde à vue : l’illusion d’une diminution

Le premier objectif du projet de loi sur la réforme de la garde à vue est d’en réduire le nombre. Tel qu’il est présenté, ce texte atteindra-t-il son but ? Rien n’est moins sûr.

Tout est parti d’une idée simpliste : on remplace une mesure contraignante par une mesure logo-projet-loi-gav..JPGlibrement acceptée. C’est ainsi qu’est née « l’audition libre du suspect ». Par principe, elle est destinée à se substituer à la garde à vue (qui deviendrait donc l’exception), sauf  lorsqu’il existe un mandat de recherche ou si la personne visée se trouve dans un local de police ou de gendarmerie contre son gré.

Il est attendu de cette réforme une baisse importante du nombre de gardes à vue, environ 300.000  en moins, dont 140.000 pour les seuls délits routiers.

Si pour les infractions liées à la circulation routière, le chiffre est réaliste, pour le reste, certains policiers sont dubitatifs.

Il faut savoir d’abord que l’audition libre existe déjà dans les faits. Car, même si l’on trouve le nombre de gardes à vue trop élevé, curieusement, il est deux fois moins important que le nombre de personnes mises en cause pour crimes ou délits : 580.000  gardes à vue (hors délits routiers) en 2009, pour 1.2 million de personnes impliquées. Si l’on se contente d’aligner des chiffres, on peut donc en déduire qu’environ 600.000 « mis en cause » n’ont pas fait l’objet d’un placement en garde à vue. Un sur deux.

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En effet, pour les délits punis d’une peine d’amende ou pour les contraventions, dans la pratique, les OPJ n’utilisent jamais la garde à vue. Alors, que le projet limite ou non la mesure aux crimes ou aux délits punis d’une peine d’emprisonnement, cela ne change rien à l’affaire. Impact nul.

C’est uniquement lorsque le suspect suit le policier ou le gendarme de son plein gré, ou lorsqu’il défère à une convocation, que  l’audition libre trouve son plein emploi. Ce qui peut être interprété comme l’obligation, a contrario, de placer en garde à vue toute personne qui se trouve « sous main de police » à la suite d’une interpellation. Alors qu’aujourd’hui la décision est à l’initiative de l’OPJ.

Prenons l’exemple d’une bagarre. Les policiers arrivent et embarquent tout le monde : auteurs, victimes et témoins. Une fois au commissariat, on s’explique et l’OPJ ne va placer en garde à vue que les suspects sérieux, et parfois, personne, s’il n’y a pas de blessés.

Il reste donc au législateur à faire la différence entre une invitation, une interpellation et une arrestation, sinon, on risque de voir grimper sérieusement le nombre de gardes à vue…

Très franchement, à ce stade du projet de loi, je n’ai pas tout compris. Comment, les chose vont-elles s’articuler… Car si l’audition se fait « librement », c’est-à-dire sans la présence d’un avocat, que se passe-t-il le reste du temps ? La personne concernée est-elle libre de ses mouvements ? Est-elle placée en cellule ou lui demande-t-on d’attendre dans le hall d’entrée ? Peut-on lui imposer les opérations de signalisation (photo, empreintes…) destinées à alimenter les fichiers ? Etc.
Et si la personne venue de son plein gré décide de s’en aller… L’OPJ devra-t-il  la laisser partir ou la placer en garde à vue ?

On imagine le dialogue dans un polar : « Vous pouvez partir, mais si vous partez, je vous arrête… »

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En plus, même si toutes les conditions sont remplies pour procéder à une audition libre, qui peut se prononcer sur le comportement de l’intéressé lorsque l’OPJ lui exposera les faits dont on le soupçonne ? Donnera-t-il son accord pour être privé de ses droits, et notamment de la présence d’un avocat ? Aujourd’hui, nul ne peut répondre à cette question. Car cela va dépendre en grande partie de la manière dont l’OPJ va présenter la chose.  Une sorte de négociation pour obtenir – avant chaque audition – l’accord du suspect.

C’est pas gagné.

D’autant que les syndicats de police n’ont pas vraiment été consultés sur cette réforme, ce qu’ils apprécient moyennement, et que beaucoup  sont plutôt contre. Ils pourraient bien donner pour consigne à leurs adhérents de montrer leur désaccord en appliquant le texte à la lettre. Une sorte de grève du zèle.

Il n’est donc pas impossible que l’on assiste à une baisse du nombre de gardes à vue pour les délits routiers et, qu’au contraire, elles augmentent significativement pour les autres délits, surtout les plus petits, donc les plus fréquents.

Et pour continuer à parler chiffres, mais cette fois en euros, avec cette réforme, le montant de l’aide juridictionnelle, qui a été d’environ 15.5 M€ pour l’année 2009, devrait être multiplié par 3, 4 ou 5. L’enjeu est donc aussi financier, car si les objectifs  de baisse ne sont pas atteints, le budget risque d’exploser…

Quant au ministre de l’Intérieur, il devra débourser 74.8 M€ pour l’équipement et la transformation des locaux. Aucune création de postes n’est toutefois envisagée.

Alors, que faut-il penser de tout ça ? Pour beaucoup, il s’agit d’une réformette bâtie en catastrophe pour se conformer aux recommandations du Conseil constitutionnel. Elle ne tient compte ni des arrêts de la Cour de cassation ni des décisions de la Cour européenne des droits de l’homme. Et dans son volet « droit de la défense » (qui n’a pas été abordé ici), on est loin du compte. Mais il s’agit probablement d’une première étape. La suite viendra plus tard, lorsque la nouvelle procédure pénale verra le jour. Et il est probable aussi que ce jour-là, il y aura d’autres noms en bas du texte de loi.

Garde à vue : un pétard place Beauvau

« J’avais indiqué qu’il y avait trop de gardes à vue, que les conditions de déroulement de la garde à vue n’étaient pas satisfaisantes, et qu’il n’y avait pas assez de droits pour la défense », déclare Mme Alliot-Marie dans un communiqué de presse, en préambule de son avant-projet de réforme.

En quelques mots, sur le site du ministère , elle donne une vision de la garde à vue de demain. Une véritable révolution dans le travail des policiers et des gendarmes.

Deux mesures phares visent les droits de la défense : le droit de garder le silence et la présence de l’avocat.

Toute personne retenue devra être informée de son droit de garder le silence. On retrouve là une résurgence de la loi de juin 2000 sur la présomption d’innocence, mesure qui, à l’époque, n’avait pas résisté à la pression des syndicats de police. Mais on en était encore à la culture de l’aveu, ce qui est de moins en moins le cas. Et puis, à force de voir des séries américaines, on y est presque habitués.

Quant à l’avocat, sa présence ne se limiterait pas aux auditions mais à toute la période de la GAV, sauf certaines circonstances exceptionnelles (conservation des preuves, protection des personnes…). Dans ce cas, le procureur pourrait différer cette mesure de douze heures.

Je pense qu’à la lecture de ce texte, les policiers et les gendarmes ont dû rester bouche béante. Avant, pour certains, d’exploser de colère. Cela va bien plus loin que leurs pires craintes. À ce jour, la plupart des syndicats se battaient pour ne pas avoir à subir l’avocat durant les auditions, et là, on leur annonce qu’il serait présent tout le temps.

Et les plus mesurés de tenter d’imaginer comment ils pourront effectuer leurs enquêtes en tirant un avocat derrière eux. Et même s’ils sont prêts à s’adapter, à se remettre en cause, là, forcément, ils manquent de repères. En fait, cela ne serait réalisable qu’en remodelant sérieusement le Code de procédure pénale. Alors, avant de réagir brutalement, il faut attendre de savoir ce qui est prévu dans la première partie de la réforme qui vient d’être transmise au Conseil d’Etat. Car, sans un accompagnement juridique bien pensé, cette mesure est inapplicable. Pour mémoire, le Conseil constitutionnel s’était contenté de demander la protection des droits de la défense. Pour ma part, je crois à l’avocat acteur. Il ne faudrait pas qu’il soit un poids mort, pas plus qu’un adversaire pour l’enquêteur.

Il y a d’autres choses dans ce projet. Ainsi, la GAV ne sera envisageable que pour les crimes ou les délits punis de prison (voir l’article du Monde).

Enfin, les enquêteurs pourront entendre un suspect sous le régime de l’audition libre, à partir du moment où celui-ci accepte de rester « volontairement » dans un local de police ou de gendarmerie. Ce qui, a contrario, rend la GAV obligatoire pour les personnes qui ont fait l’objet d’une interpellation.

Là, rien de nouveau, ce dispositif existe déjà, même s’il n’est guère utilisé, tant la GAV est devenue la routine.

Sur les conditions de la GAV, la fouille à corps intégrale ne serait plus autorisée, alors qu’elle est encore aujourd’hui quasi systématique, malgré les notes de service qui rappellent les limites de cette pratique.

Par ailleurs, pas un mot sur les locaux, souvent mal adaptés, ni sur les cellules de GAV, ce qu’on peut regretter. Mais il est vrai qu’avec de telles mesures, le nombre de personnes qui vont fréquenter ces lieux va sérieusement chuter – et du coup, les conditions matérielles seront moins mauvaises.

On imagine le charivari que va provoquer ce projet au moment même où le président de la République a rendossé son costume de premier flic de France…

Ces temps-ci, par ses silences, MAM semble avoir pris ses distances avec ce gouvernement. Comme un autre, peut-être elle aussi y a pensé… En tout cas, l’air de rien, c’est un sacré pétard qu’elle vient de glisser sous le bureau de son collègue de la place Beauvau.

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Uriage, la justice à la peine a été lu  15 160 fois et a suscité  71 commentaires. Pour répondre à certains, je n’ai pas donné d’avis sur la décision du JLD, et de quel droit l’aurais-je fait ? Mais je maintiens que ce n’est pas à ceux dont la mission est de faire respecter l’ordre et la loi, de critiquer publiquement l’ordonnance d’un magistrat, au risque de troubler l’ordre et, d’une certaine manière, de contrevenir à la loi.

Réforme de la GAV : une chance pour les policiers

« Le lobby flicophobe vient de trouver un nouvel allié ! » annonce dans un tract récent Synergie-Officiers. De qui s’agit-il ? De son concurrent (majoritaire), l’UNSA/SNOP, dont le représentant a osé affirmer dans Le Monde que homme-menotte_photo-pero.jpgl’explosion des GAV était une conséquence de la « politique du chiffre ». Et, dans ce brûlot, Synergie fustige « ces pleureuses insincères, qui discréditent (par intérêt ?) toute une profession pour mieux hurler à l’unisson avec les éternels contempteurs de la Maison Police. »

Texto !

Il y a eu la guerre des gangs, la guerre des polices, et aujourd’hui c’est la guerre des syndicats de police.

Bien sûr, chacun a le droit de s’exprimer. Oui, mais lorsqu’on relève dans cette tirade des termes comme « lâcheté atavique » ou « hiérarchie génétiquement couarde », on est en droit d’être inquiet. Car ce sont des officiers de police qui parlent à d’autres officiers de police.

Pourquoi une telle violence verbale ? Uniquement pour défendre la garde à vue ?

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Si c’est le cas, on s’interroge : Pourquoi les policiers défendent-ils avec autant d’acharnement la garde à vue ?

Je crois que la réponse se trouve dans une succession d’erreurs, tant de la part de la hiérarchie que de la magistrature. On leur a fait croire que la GAV était un pouvoir qui leur appartenait. Qu’ils avaient le droit de priver quelqu’un de sa liberté sans avoir à se justifier.

Pourtant, on comprend bien qu’il s’agit là d’une décision grave, qui devrait être mûrement réfléchie et réservée aux cas extrêmes – surtout dans les conditions matérielles que l’on connaît. Alors qu’aujourd’hui, c’est la routine : on met en garde à vue et l’on réfléchit après.

Donc, en censurant la GAV, ces policiers ont l’impression d’un désaveu, on jette le doute sur leur probité. C’est un peu comme si on les désarmait de crainte qu’ils ne se montrent dangereux.

Pourtant, cette mesure ne se justifie que pour la raison simple qu’on n’a trouvé à ce jour aucune autre pratique pour assurer une enquête de police judiciaire. C’est donc un pis aller.

C’est le gouvernement de Vichy qui a réglementé la GAV. Sous couvert d’empêcher les évasions, il a organisé la privation de liberté, avec fouilles à corps, cellules aménagés, etc. À la Libération, malgré les réserves formulées par les commissaires de police et même par le ministre de l’Intérieur, cette mesure a perduré.

La GAV, telle qu’on la pratique aujourd’hui, a été officialisée par le Code de procédure pénale, en 1958. Et depuis, contrairement à ce que l’on pense, son évolution a toujours été dans le sens d’une augmentation des droits de la personne (formalisme procédural, information d’un proche, médecin, avocat…). Droits qui n’ont aucun rapport avec l’enquête et qui découlent uniquement de la privation de liberté.

Alors, pourquoi, en quelques années, est-elle devenue… insupportable ?

Ce n’est pas la mesure qui est en cause, mais la manière dont elle est appliquée.

Les policiers qui rouscaillent après le Conseil constitutionnel ne voient pas plus loin que le bout de leurs menottes. Ils vivent dans le passé. Cette réforme qui doit intervenir est au contraire l’événement que peut permettre de dépoussiérer la procédure et de faire évoluer leur métier. Le principe de base du judo : si tu me pousses, je te tire. Au lieu de balancer des injures, ils devraient faire jaillir des idées, des propositions. Si l’avocat participe à la GAV, par exemple, plutôt que d’en faire un ennemi, pourquoi ne pas en faire une sorte de collaborateur ? Ne pourrait-il pas rédiger lui-même les actes qui visent à la protection des droits de la personne et des droits de la défense ? flics_blog-jipad.jpgPrévenir un proche, chercher un médecin, trouver les médicaments, autant de démarches qu’il pourrait prendre à sa charge. Après tout, le gardé à vue est son client, non ! Et le secret de l’enquête ? diront certains. Tout comme le policier, l’avocat est tenu au secret professionnel. De plus, de par sa présence, il va « cautionner » les actes, les auditions, les aveux qui, du coup, prendront un caractère quasi irréfragable (en droit privé, le contreseing de l’avocat fait l’objet d’un projet de loi).
Il deviendrait alors possible de simplifier le formalisme procédural, et se contenter d’enregistrements sonores ou vidéos. Moins de papiers à rédiger, donc, plus de temps pour les investigations. Donc, des enquêteurs moins statiques, plus efficaces.

Autrement dit, si demain l’avocat est présent lors de la GAV, il faut le responsabiliser – et le faire travailler.

Mais toucher uniquement à la GAV serait une erreur. Il est nécessaire d’aller plus loin, d’en profiter pour revoir les procédures de l’enquête préliminaire et de flagrant délit. Et alors, les officiers de police judiciaire ne pouvant plus être soupçonnés d’en abuser, sans doute pourront-ils  se voir octroyer plus de prérogatives, plus de responsabilités, plus de pouvoirs, comme cela se passe dans d’autres pays.

(Le dessin provient du blog de Jipad.)
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Le crime de sang, ce truc d’un autre âge a été lu 22 865 fois et a suscité 113 commentaires. D’autres, outranciers, ont été supprimés. Et pour répondre à je ne sais plus qui, je n’ai jamais eu le plaisir de travailler aux archives, ni de conduire la voiture du directeur.

GAV : il faudrait accorder les violons !

Tandis que policiers, magistrats et avocats lavent leur linge sale en famille, on s’aperçoit que personne ne semble avoir la même vision de la garde à vue. Pour certains, il s’agit d’une atteinte grave aux libertés fondamentales et pour d’autres le seul moyen de réunir des preuves contre les délinquants.

De toutes parts, on est dans l’excès. violon_blog-de-jean-marc-onkelinx.png

Le syndicat des commissaires (SCPN) s’en prend aux magistrats et aux avocats. Et leur dit en deux mots : vous ne bossez ni le week-end ni la nuit. Il conviendrait donc « d’organiser des permanences de magistrats au Tribunal en dehors des heures ouvrables […] pour que les policiers puissent immédiatement obtenir les décisions des magistrats, seuls habilités à dire s’il faut remettre les personnes en liberté… ». Et le ton est encore plus polémique envers les avocats, auxquels il est reproché deux poids deux mesures. D’un côté, ils réclament le respect des décisions de la Cour européenne en matière de GAV, de l’autre, ils traînent les pieds pour appliquer la troisième directive antiblanchiment, qu’ils considèrent comme une grave atteinte au secret professionnel.

De son côté, le syndicat Synergie Officiers en rajoute une couche. Il accuse les avocats d’un combat mercantile destiné à « arrondir leurs fins de mois ».

Pas du tout, répondent ceux-ci, nos honoraires sont inférieurs à ceux d’un médecin, pour un temps de visite beaucoup plus long. Et ils ripostent en affirmant que les policiers utilisent la GAV comme une arme, un moyen de pression pour obtenir des aveux, ce qui va à l’encontre des droits de la défense.

On n’est pas dans un débat, mais dans une querelle de clochers.

Dans le même temps, les patrons de certaines entreprises craignent tellement de se retrouver en GAV, qu’ils suivent des stages de préparation. Un peu comme on organisait autrefois, après l’enlèvement du baron Empain, des séminaires pour réduire les risques de kidnapping.

La GAV est-elle devenue un fait de société du XXI° siècle ? En tout cas, elle est au  cœur de l’actualité.

Même le directeur général de la PN, s’y met. Il serait « ravi », dit-il, qu’on réduise leur nombre, mais il estime que l’inflation est due « essentiellement à la loi ». Pour résumer sa pensée, il faut mettre le citoyen en garde à vue, afin de le protéger de tout abus de la police…

Alors, si c’est le cas, oui, il serait grand temps de légiférer !

Mais en fait, tout est déjà noir sur blanc. C’est ce que vient de rappeler le directeur central de la sécurité publique dans une note récente, que je me permets de résumer :

La garde à vue ne saurait être systématique et les mesures de sécurité qui l’accompagnent ne doivent pas porter atteinte à la dignité de la personne.
Le gardé à vue peut faire l’objet d’une palpation de sécurité « complète, méthodique et méticuleuse » à chacun de ses déplacements, mais en revanche la fouille de sécurité est réservée aux seules personnes susceptibles de dissimuler des objets dangereux. Systématique, celle-ci serait considérée comme attentatoire à la dignité humaine, d’autant plus si elle s’accompagne d’un déshabillage complet.

La palpation est donc la règle, et la fouille l’exception.

Quant au menottage, il ne doit être utilisé que lorsque la personne est considérée comme dangereuse ou susceptible de prendre la fuite. Il faut donc agir avec discernement. À noter que pour les mineurs de 13 ans, l’usage des menottes est à proscrire, et pour ceux de 13 à 18 ans, il doit rester exceptionnel.

Enfin, de façon subliminale, le directeur central recadre les responsabilités en rappelant aux chefs de service que si la garde à vue est placée sous la responsabilité d’un OPJ, « les mesures de surveillance, de sûreté, de soins, d’alimentation, de repos et d’hygiène » relèvent de l’autorité administrative, autrement dit de la hiérarchie.

Et le marrant de l’histoire, c’est qu’il ne fait que réécrire des instructions plus anciennes, et notamment la circulaire du 11 mars 2003, signée Nicolas Sarkozy.

Comme quoi il est plus facile de donner des instructions que de les faire appliquer…

Ces consignes sont d’ailleurs reprises dans le projet de réforme pénale.

La seule vraie question, celle qui subsiste, c’est la présence ou non de l’avocat dès le début de la GAV, ou du moins dès la première audition d’un suspect.

Il est vrai que cette mesure nécessiterait de la part des policiers et des gendarmes un effort d’adaptation. Mais au lieu d’être systématiquement contre, pourquoi ne pas voir les avantages : la fin de la procédure écrite de A à Z, le poids incontestable d’un témoignage, la valeur irréfragable d’un aveu, la transparence du travail de l’enquêteur, la fin de la défiance, de la suspicion, etc.

pinocchio.1270370351.jpegDrôle d’époque ! On vit dans le passé, on s’accroche au présent, on œuvre pour le bien de ses enfants, on imagine la fin du monde, dans un siècle ou deux – et, en même temps, on ne voit pas plus loin que le bout de son nez.

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Petites mélodies en sous-sol a été lu  1 440 fois à ce jour et a suscité 11 commentaires.

Changement de registre sur la garde à vue

C’est fait, la garde à vue est devenue le truc branché : tout le monde en parle. Et d’aucuns s’en donnent à cœur joie. Il y a celui « qui y est passé », qui nous raconte son expérience, forcément malheureuse. Et les autres, qui garde-a-vue_alter1fo.1267523776.jpgregrettent presque leur manque de pratique. Puis il y a ceux, nombreux, qui voient là l’occasion de casser du flic. Flics qu’on n’entend d’ailleurs pas, claquemurés qu’ils sont dans leur devoir de réserve. Ou via un représentant syndical, qui menace gravement de renoncer à la qualité d’OPJ. Un chantage bien platonique.

La réforme est en marche.

Même Pasqua est d’accord : « L’application actuelle de cette mesure est inadmissible dans une société démocratique. Pour moins que rien, on place en garde à vue des adolescents de 13 ou 14 ans. Trop de gens sont détenus dans des conditions ignobles, enfermés dans des cellules infectes, sans avoir le droit de se laver, y compris des femmes.  Je suis favorable à la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue… C’est indigne de la République. La garde à vue est une mesure de sécurité que l’on ne doit appliquer que si les gens risquent de s’enfuir, de porter tort aux autres ou à eux-mêmes. Ce n’est pas sérieux de s’en servir dans d’autres circonstances. Il faut donc réformer ce système.»

On ne peut pourtant pas suspecter le personnage d’angélisme !

Pour ce qu’on en sait, dans le projet que nous mitonne la garde des Sceaux, deux mesures phares seraient envisagées:

–    Une « audition libre » de quatre ou six heures lorsque l’enquête concerne un délit puni d’une peine égale ou inférieure à cinq ans d’emprisonnement.

–    La présence de l’avocat dès la première heure et à la douzième heure avec communication des auditions du suspect.

La première mesure est intéressante pour les gens qui répondent à une convocation de police, mais inapplicable lorsqu’il s’agit d’une arrestation. Quant à la seconde, je ne suis pas sûr qu’elle corresponde aux critères de la Cour Européenne qui veut – au minimum – la présence effective de l’avocat lors des « interrogatoires ».

Mais les policiers (certains seulement) sont contre la présence de l’avocat. Comme s’ils craignaient de s’y frotter. Ainsi ce responsable du syndicat Synergie qui  a déclaré «  que les avocats sont des électrons libres qui ne sont pas soumis à une hiérarchie, qui n’ont aucune déontologie, qu’il n’existe aucune transparence sur leurs conditions de rémunération et que l’on peut craindre en cas d’accès au dossier que l’avocat livre des informations à la famille ou aux amis du gardé à vue, remettant en cause l’efficacité de l’enquête ». Citation reprise dans la question écrite de Mme Valérie Rosso-Dubord (JO du 23 fév. 2010, page 1890), au ministre de la Justice. Qui pour l’heure n’a pas répondu.

Aussi, pour ne pas heurter de front ces… bien-pensants, le projet de réforme se transporte en aval de la garde à vue et prévoit que les déclarations faites à l’OPJ en l’absence de l’avocat ne pourront pas servir de base à une condamnation.

Il s’agit là d’une véritable bombe : la fin programmée de la culture de l’aveu.

D’autres syndicalistes sont plus positifs – mais ils partent un peu tard. Ainsi, Unité SGP Police lance une sorte de référendum en demandant aux OPJ de répondre par oui ou par non à six questions. La première me paraît capitale. Elle revient unite-sgp-police.JPGà se demander si l’OPJ applique une garde à vue pour les nécessités de l’enquête dont il a la charge ou pour obéir à l’ordre de ses chefs…

Hélas, la réponse est dans la question. Ainsi, Le Républicain Lorrain rapporte qu’un policier a été mis sur la touche pour refuser d’obéir à des directives qui ne correspondaient pas à l’idée qu’il se faisait de son métier. Finalement, il a déposé plainte pour harcèlement contre sa hiérarchie. « En tant que chef et officier de police judiciaire, il avait la responsabilité des procédures : il a refusé de cautionner certaines choses. [Il] a parfois refusé de mettre des gens en garde à vue, comme le lui permet le code de procédure. »

La garde à vue existe depuis la nuit des temps. Il y a quelques dizaines d’années, non seulement l’OPJ pouvait utiliser cette mesure contre les suspects, mais aussi contre les témoins ou toute autre personne, sans avoir à se justifier. Et le délai, pour certains crimes concernant la sûreté de l’État, pouvait aller jusqu’à quinze jours.
À y réfléchir, les abus étaient rares. Je n’ai jamais entendu un OPJ menacer quelqu’un de garde à vue.

Alors, qu’est-ce qui a changé ?

Lors d’un repas de vétérans, il y a une dizaine de jours, un ami, directeur honoraire de la police nationale, a marmonné : « Parfois, ils exagèrent un peu nos jeunes collègues. »

C’est le maître mot : l’exagération.

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L’allégorie du gendarme qui sourit, a été lu 2.135 fois en 2 jours et a suscité 13 commentaires.

Boulets rouges sur la garde à vue

La fille en pyjama et aux poignets trop fins pour des cadènes le plus souvent réservées aux gros bras, fait décidément beaucoup parler d’elle. Et chacun de supputer à tout va sur les raisons de ce déchaînement médiatique. Lorsque sa poupee_univers-des-poupees.jpgmère m’a contacté, bien avant qu’on en parle, elle semblait au désespoir, ne sachant vers qui se tourner. Et je crois que c’est l’un des problèmes de ces enquêtes de police concernant des mineurs. Rien n’est prévu. Pourtant, lorsqu’il se produit un accident grave, on a pris l’habitude d’ouvrir une cellule d’aide psychologique pour les victimes ou pour leurs proches.

Eh bien, la garde à vue d’un enfant, dans la vie de tous les jours, c’est un accident grave, qui risque fort de laisser des traces.

Serait-il très compliqué de mettre au minimum à la disposition des parents un numéro de téléphone où ils pourraient obtenir des informations ?

Mais il n’y a rien. Et du coup, cette mère de famille a vécu une journée d’enfer, et, en l’absence de réponse à ses questions, elle s’est adressée à moi, parce que je tiens ce blog. Que vouliez-vous que je lui réponde ? Alors, elle s’est tournée vers les médias.

Qui aussi sec mettent les policiers en accusation. Or ceux-ci ne comprennent même pas ce qu’on leur reproche. Tout a été fait selon les règles, disent-ils. On parle sentiment, émotion – et ils répondent droit. C’est vrai qu’on ne peut rien leur reprocher : aucune violence, pas de fouille à corps intempestive, pas de menottes, si ce n’est lors d’un déplacement selon des prescriptions édictées par l’administration et que les fonctionnaires sont tenus de respecter. On pourrait, afin de chicaner, s’étonner de cette habitude de conduire les gardés à vue chez un médecin, alors que dans sa mission, le praticien doit s’assurer que l’endroit où se déroule la garde à vue n’est pas incompatible avec l’état de santé dudit gardé à vue. Mais ce n’est pas le propos. On peut aussi tiquer sur l’importance des faits. Pour certains, une altercation de jeunes devant un lycée est un délit grave ; pour d’autres (dont je fais partie) c’est une querelle de gamins. On en revient à la politique, avec un législateur qui sans arrêt crée de nouveaux délits, et qui sans arrêt fait grimper l’échelle des peines. Et justement, en prenant un peu de hauteur, on se dit aussi que, lorsque le principal d’un collège fait appel à la police pour régler ce genre de problème, c’est que le système éducatif prend l’eau de toutes parts.

En mobilisant plusieurs fonctionnaires pour une affaire de quatre sous, les autorités ont voulu frapper fort, et je suppose que certains policiers y sont allés à reculons… Il m’arrive d’avoir la dent dure, mais de là à imaginer qu’on puisse tirer une quelconque satisfaction professionnelle à interpeller des gosses au collège ou à leur domicile pour les placer en gave…

Ce genre de mission, dans le temps, on appelait ça un piège à cons.

Toutefois, en réponse aux attaques multiples contre la « garde à  vue à la française », ils ont tort de se braquer les poulagas. Plutôt que de menacer de bloquer le système, pourquoi ne réfléchissent-ils pas à une solution de remplacement ? C’est vrai qu’on ne leur demande pas leur avis. D’ailleurs, à ma connaissance, il n’y avait pas de représentant de la police ou de la gendarmerie dans les rangs du Comité de réflexion sur la justice pénale.

Et pourtant, c’est bien eux qui sont en première ligne.

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La garde à vue sera-t-elle censurée par le Conseil constitutionnel a été lu 2.369 fois en 2 jours et a suscité 28 commentaires

La garde à vue sera-t-elle censurée par le Conseil constitutionnel ?

Dès le mois prochain, tout justiciable qui estime qu’une loi porte atteinte à ses droits et à ses libertés, comme la Constitution les garantit, pourra saisir le Conseil constitutionnel. Et du coup, les avocats comptent bien singe_terresacreeorg.jpgutiliser cette possibilité pour censurer la garde à vue.

Les premiers à dégainer appartiennent à la Fédération nationale des unions de jeunes avocats (FNUJA). Dans un communiqué de presse du 8 février 2010, ils « appellent l’ensemble de leurs confrères à se saisir de cette nouvelle procédure […] afin que les dispositions actuelles de l’article 63 du CPP relatives à la garde à vue soient soumises, dans les plus brefs délais, à la censure du Conseil constitutionnel… »

Les plus brefs délais, cela veut dire six mois.

En effet, d’après la loi organique qui a récemment été adoptée c’est le temps dans lequel le Conseil doit rendre sa décision.

La procédure semble assez simple. Une fois saisie, la juridiction administrative ou judiciaire se prononce sur la recevabilité et sur le sérieux de la disposition contestée (premier filtre). Si c’est oui, elle a huit jours pour transmettre la question à la juridiction suprême dont elle dépend (Conseil d’État ou Cour de cassation).

Cette haute juridiction (second filtre) doit se prononcer dans les trois mois et, s’il y a lieu, saisir le Conseil constitutionnel.

Celui-ci informe alors le président de la République, le Premier ministre et les présidents de deux chambres, afin qu’ils puissent faire connaître leurs observations.

Et il a trois mois pour prendre sa décision.

Pour un litige concernant la garde à vue, il semble que la requête puisse se faire lors de l’enquête. C’est la Chambre de l’instruction qui serait saisie et qui transmettrait le dossier à la Cour de cassation.

Je ne sais pas si le président de la République en faisant adopter cette mini-réforme constitutionnelle en 2008 avait envisagé son apparition dans la polémique autour de « la garde à vue à la française », mais en tout cas il s’agit là d’une petite révolution, car jusqu’à ce jour, une fois promulguée, la loi ne pouvait jamais être remise en cause.

Et pour lancer le bouchon un peu plus loin, on peut s’interroger : le procureur, juge et partie, qu’on nous promet pour bientôt, correspond-il à l’esprit de notre Constitution ?

En attendant, la garde à vue craque de toutes parts. Les avocats, les juges d’instruction, les tribunaux tirent la sonnette d’alarme devant le risque de voir de nombreuses procédures annulées. Un événement exceptionnel se déroule sous nos yeux. Et les autorités nesuicidaire_blog-danielriot.jpg réagissent pas. On a l’impression qu’il n’y a personne à la barre.

Quant aux policiers, ils ne se posent pas de questions, ils obéissent. Et souvent ils en rajoutent, comme pour l’arrestation à son domicile et le placement en garde à vue de cette adolescente de 14 ans, pour une querelle de lycéens. Alors qu’une simple convocation aurait peut-être été suffisante.

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Le billet Mon identité nationale a été lu 65.654 fois en 3 jours et a suscité 129 commentaires, dont certains m’ont beaucoup touché. Merci.

Pic et pioche autour de la garde à vue

Depuis que la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) a mis les pieds dans le plat, déclarant grosso modo que la présence de l’avocat est nécessaire dès la rédaction du premier procès-verbal sérieux, chacun s’en donne à cœur sept-nains_tititendresse_centerblog.jpgjoie dans les récriminations et les jérémiades. Par ordre d’entrée en scène, on a eu les avocats, les syndicats de police, le Premier ministre, la Garde des sceaux (mais du bout des lèvres), et aujourd’hui ce sont les magistrats.

Pour éviter, dans plusieurs affaires, que leur procédure ne soit retoquée par la CEDH, les juges d’instruction du tribunal de Bobigny enjoignent les policiers de faire venir l’avocat des suspects dès le début de la garde à vue.

Aussi sec, les policiers refusent. Ils s’arc-boutent, brandissent le Code de procédure pénale, et refusent tout net d’appliquer ces instructions.

Même sans être versé dans les coups tordus, on comprend bien que ces magistrats n’ont pas agi sans arrière-pensée, et que les policiers, en revanche, semblent avoir foncé tête baissée.

À moins qu’ils n’aient sauté sur l’occasion pour engager un bras de fer avec les juges. Car les heurts ne sont pas rares entre ces derniers et les commissaires de la PP. Comment pourrait-il en être autrement entre des juges qui sont censés être indépendants et une police très centralisée et sous la houlette d’un préfet !

Mais dans cette histoire, qui a raison ?

En 1996, lorsque le directeur de la PJ parisienne, le commissaire Olivier Foll, avait refusé son assistance au juge Eric Halphen pour effectuer une perquisition au domicile des époux Tibéri, il avait été muté à l’Inspection des services, le cimetière des éléphants, comme on l’appelle – qui, vu le nombre de directeurs qui y pantouflaient, n’avait jamais autant mérité son nom que dans ces années-là. Pour se défendre, Foll avait argumenté que le juge ne lui avait pas adressé de réquisition écrite et ne l’avait même pas informé du lieu de la perquisition. L’affaire était allée jusqu’en cassation, et la Cour lui avait donné tort, confirmant la décision antérieure : le commissaire Foll s’était rendu coupable d’un manquement grave à sa fonction.

Une décision compréhensible, car, comme le rappellent les magistrats de Bobigny, les policiers, en tant qu’officiers de police judiciaire, sont placés sous leur autorité directe, et ils ne peuvent recevoir leurs ordres de personne d’autre. Ils sont donc tenus de répondre à leurs diligences.

Mais cette fois, les policiers sont sûrs de leur fait. Ils se reportent à la loi, et refusent d’exécuter des flic_grognon_lessor.jpginstructions qui n’existent pas aujourd’hui dans le Code de procédure pénale. La secrétaire générale du Syndicat des commissaires allant même jusqu’à déclarer que les juges veulent les pousser à la faute et qu’il n’y a pas lieu d’obéir à un ordre illégal. Un vieux principe militaire, rarement appliqué, je dois le dire, au sein de la Grande maison. Ainsi, lorsqu’un Pichon dénonce l’illégalité du fichier STIC, il se retrouve mis en examen et aucun syndicat n’accepte de prendre sa défense.

Pour en revenir à cette fronde qui s’est déroulée il y a quelques jours en Seine-Saint-Denis, pas facile de savoir qui est dans le vrai.

Les juges s’inquiètent à juste titre, car de nombreuses procédures risquent d’être entachées de nullité, au moins partiellement, du fait de la décision de la CEDH, laquelle déclare la garde à vue à la française contraire à la Convention des droits de l’homme. Mais à l’identique, un OPJ qui convierait un avocat hors des créneaux prévus par le Code de procédure pénale* (30 mn dans les 24 premières heures de GAV), ne commettrait-il pas un acte irrégulier et sans doute fautif ? Autre motif de nullité…

Alors ?

En fait, aujourd’hui, les OPJ sont tenus d’agir en conformité avec le Code français et en contradiction avec le droit européen. Situation pour le moins inconfortable, même si la majorité du corps préfère fermer les yeux tant peu de policiers sont disposés à modifier leurs méthodes de travail, et à accepter la présence de l’avocat durant la garde à vue. C’est un peu la politique de l’autruche. Et pour des poulets… Il va bien falloir s’en sortir et avoir le courage de légiférer. Comment un pays qui se targue (à l’excès ?) du principe de précaution pourrait-il accepter que par négligence ou faiblesse des criminels voient demain leur condamnation annulée !? Et je ne suis pas sûr que ce changement puisse attendre la réforme annoncée de la procédure pénale…

Le rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, remis au président de la République en septembre 2009, ne règle d’ailleurs pas vraiment le problème. Il suggère en effet le maintien d’un entretien d’une demi-heure avec l’avocat dès le début de la garde à vue, puis un nouvel entretien au bout de douze heures, avec cette fois un accès aux procès-verbaux d’audition, et enfin la présence de l’avocat en cas de renouvellement.

La CEDH y trouvera-t-elle son compte ? Pas sûr, car ce qu’elle exige, c’est la présence de l’avocat dès l’audition d’un suspect.

En revanche, messieurs les magistrats, ce comité met un point bouc-emissaire_ougen__umourcom.jpgfinal à votre tutelle sur les policiers. Car il annonce carrément la couleur : « Le système actuel qui prévoit que la police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la république, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction est satisfaisant. Il a toutefois été jugé qu’il serait opportun que la loi précise que les officiers de police judiciaire agissent toujours sous le contrôle de leurs chefs hiérarchiques ».

Enfin, pour les juges d’instruction, ça n’a pas grande importance, puisqu’ils auront disparu.

* Voir les différents billets dans la catégorie garde à vue.
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Les risques liés aux scanners corporels a été lu 37.373 fois en 3 jours et a suscité 74 commentaires – et quelques mails désagréables dans lesquels on me reproche mon incompétence, avec des réflexions du genre « de quoi qui se mêle ! » Mais je persiste et signe. C’est visiblement un sujet qui fâche, mais entre nous, j’adore ça.
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