LE BLOG DE GEORGES MORÉAS

Catégorie : Justice (Page 20 of 25)

Changement de registre sur la garde à vue

C’est fait, la garde à vue est devenue le truc branché : tout le monde en parle. Et d’aucuns s’en donnent à cœur joie. Il y a celui « qui y est passé », qui nous raconte son expérience, forcément malheureuse. Et les autres, qui garde-a-vue_alter1fo.1267523776.jpgregrettent presque leur manque de pratique. Puis il y a ceux, nombreux, qui voient là l’occasion de casser du flic. Flics qu’on n’entend d’ailleurs pas, claquemurés qu’ils sont dans leur devoir de réserve. Ou via un représentant syndical, qui menace gravement de renoncer à la qualité d’OPJ. Un chantage bien platonique.

La réforme est en marche.

Même Pasqua est d’accord : « L’application actuelle de cette mesure est inadmissible dans une société démocratique. Pour moins que rien, on place en garde à vue des adolescents de 13 ou 14 ans. Trop de gens sont détenus dans des conditions ignobles, enfermés dans des cellules infectes, sans avoir le droit de se laver, y compris des femmes.  Je suis favorable à la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue… C’est indigne de la République. La garde à vue est une mesure de sécurité que l’on ne doit appliquer que si les gens risquent de s’enfuir, de porter tort aux autres ou à eux-mêmes. Ce n’est pas sérieux de s’en servir dans d’autres circonstances. Il faut donc réformer ce système.»

On ne peut pourtant pas suspecter le personnage d’angélisme !

Pour ce qu’on en sait, dans le projet que nous mitonne la garde des Sceaux, deux mesures phares seraient envisagées:

–    Une « audition libre » de quatre ou six heures lorsque l’enquête concerne un délit puni d’une peine égale ou inférieure à cinq ans d’emprisonnement.

–    La présence de l’avocat dès la première heure et à la douzième heure avec communication des auditions du suspect.

La première mesure est intéressante pour les gens qui répondent à une convocation de police, mais inapplicable lorsqu’il s’agit d’une arrestation. Quant à la seconde, je ne suis pas sûr qu’elle corresponde aux critères de la Cour Européenne qui veut – au minimum – la présence effective de l’avocat lors des « interrogatoires ».

Mais les policiers (certains seulement) sont contre la présence de l’avocat. Comme s’ils craignaient de s’y frotter. Ainsi ce responsable du syndicat Synergie qui  a déclaré «  que les avocats sont des électrons libres qui ne sont pas soumis à une hiérarchie, qui n’ont aucune déontologie, qu’il n’existe aucune transparence sur leurs conditions de rémunération et que l’on peut craindre en cas d’accès au dossier que l’avocat livre des informations à la famille ou aux amis du gardé à vue, remettant en cause l’efficacité de l’enquête ». Citation reprise dans la question écrite de Mme Valérie Rosso-Dubord (JO du 23 fév. 2010, page 1890), au ministre de la Justice. Qui pour l’heure n’a pas répondu.

Aussi, pour ne pas heurter de front ces… bien-pensants, le projet de réforme se transporte en aval de la garde à vue et prévoit que les déclarations faites à l’OPJ en l’absence de l’avocat ne pourront pas servir de base à une condamnation.

Il s’agit là d’une véritable bombe : la fin programmée de la culture de l’aveu.

D’autres syndicalistes sont plus positifs – mais ils partent un peu tard. Ainsi, Unité SGP Police lance une sorte de référendum en demandant aux OPJ de répondre par oui ou par non à six questions. La première me paraît capitale. Elle revient unite-sgp-police.JPGà se demander si l’OPJ applique une garde à vue pour les nécessités de l’enquête dont il a la charge ou pour obéir à l’ordre de ses chefs…

Hélas, la réponse est dans la question. Ainsi, Le Républicain Lorrain rapporte qu’un policier a été mis sur la touche pour refuser d’obéir à des directives qui ne correspondaient pas à l’idée qu’il se faisait de son métier. Finalement, il a déposé plainte pour harcèlement contre sa hiérarchie. « En tant que chef et officier de police judiciaire, il avait la responsabilité des procédures : il a refusé de cautionner certaines choses. [Il] a parfois refusé de mettre des gens en garde à vue, comme le lui permet le code de procédure. »

La garde à vue existe depuis la nuit des temps. Il y a quelques dizaines d’années, non seulement l’OPJ pouvait utiliser cette mesure contre les suspects, mais aussi contre les témoins ou toute autre personne, sans avoir à se justifier. Et le délai, pour certains crimes concernant la sûreté de l’État, pouvait aller jusqu’à quinze jours.
À y réfléchir, les abus étaient rares. Je n’ai jamais entendu un OPJ menacer quelqu’un de garde à vue.

Alors, qu’est-ce qui a changé ?

Lors d’un repas de vétérans, il y a une dizaine de jours, un ami, directeur honoraire de la police nationale, a marmonné : « Parfois, ils exagèrent un peu nos jeunes collègues. »

C’est le maître mot : l’exagération.

____________________________________________________________________
L’allégorie du gendarme qui sourit, a été lu 2.135 fois en 2 jours et a suscité 13 commentaires.

La police municipale s'invite dans LOPPSI II

Lors de la discussion à l’Assemblée nationale de LOPPSI II, nos parlementaires ont… parlementé autour de la décision d’accorder la qualité d’agent de police judiciaire (APJ) aux directeurs de la police municipale de certaines villes. Il s’agit de l’article 32 ter.

kokopelli-le-joueur-de-flute_tepee17kazeo.jpgAprès approbation de ce texte, le directeur de la police municipale d’une ville comptant plus de 40 agents sera donc APJ. À ce titre, il aura le pouvoir de procéder à des arrestations en procédure de flagrant délit ; de constater les crimes, délits et contraventions, et d’en établir procès-verbal. Il pourra recueillir les indices, preuves et renseignements sur les auteurs et complices de ces infractions. Il lui sera même possible de procéder à des perquisitions, du moins en enquête préliminaire. Enfin, il pourra assurer l’exécution des contraintes, notifier les mandats de justice, etc. Mais il ne viendra pas renforcer les chiffres de la garde à vue, car il n’aura pas ce pouvoir.

En ouvrant grand la porte du pénal à un fonctionnaire de l’administration territoriale qui, à la différence d’un policier ou d’un gendarme, n’a reçu aucune formation en la matière, on peut s’interroger sur l’objectif recherché. S’agit-il de la sourde menace d’une étatisation de la police municipale ? Ou au contraire d’une décharge de responsabilité, autrement dit d’une décentralisation inattendue ? Ou tout bonnement d’une question de gros sous, l’application de la RGPP ?

Il n’est pas inintéressant de mesurer les changements intervenus dans notre société en suivant le baromètre sécuritaire des maires… Certains, même de l’opposition, comme Manuel Valls, sont aujourd’hui pour une police municipale musclée et armée, et d’autres traînent encore les pieds. Alors qu’il y a, quoi ! dix, vingt ans, aucun élu de gauche ne voulait entendre parler d’une police municipale. Les… précurseurs, si l’on peut dire, étaient alors montrés du doigt, et c’est tout juste si le soi-disant amant de notre BB nationale n’était pas cloué au pilori.

Avec cette loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure, les maires craignent qu’il s’agisse d’un premier pas vers la mainmise de l’État sur les polices municipales. Comme ils sont eux-mêmes officiers de police judiciaire, on pourrait penser qu’ils demeurent les patrons. Il n’en est rien. Le Code stipule en effet qu’un APJ doit rendre compte à un OPJ « de la police ou de la gendarmerie ».

En cas de désaccord entre le maire et le commissaire, comme cela arrive de temps en temps, le directeur de la PM nouvelle formule devra montrer bien du doigté… Quant aux policiers municipaux qui revendiquent les mêmes prérogatives que « leurs collègues de la nationale », un premier pas sérieux vient d’être franchi avec les contrôles d’identité.

Pour la suite, il faudra attendre qu’on leur retire le droit de grève.

Voici un petit extrait des débats tels qu’ils sont retranscrits sur le site de l’Assemblée nationale, et dans lesquels je me suis immiscé :

Mme Delphine Batho (chargée de la sécurité au PS) – Introduit dans le projet de loi par un amendement du rapporteur (Ndr. Éric Ciotti, UMP), l’article 32 ter organise le désengagement de l’État sur le dos des collectivités territoriales. Il permet d’attribuer la qualité d’APJ aux directeurs de police municipale, ce qui ne va pas sans poser un certain nombre de problèmes. En filigrane, on entrevoit l’instauration d’une logique de sous-traitance dans la mesure où la police nationale, manquant d’effectifs et ne pouvant plus assurer un certain nombre de missions, notamment de présence sur la voie publique, annexerait en quelque sorte les polices municipales pour assurer ce travail.
[…] Nous sommes tout à fait opposés à cet article […] Nous avons la nette impression que cette réflexion d’ensemble est court-circuitée et qu’il s’agit d’utiliser des effectifs qui dépendent des collectivités territoriales pour pallier le déficit d’effectifs de la police nationale.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec (maire socialiste de Cachan) – Pour ce qui me concerne, j’exprime ma totale hostilité à ce dispositif. La police municipale est un instrument du maire. Elle appartient à la collectivité territoriale et est placée sous l’autorité hiérarchique du maire. À ce titre, elle ne reçoit d’ordres que du maire. C’est lui, en sa qualité d’officier de police judiciaire, qui est placé au cœur du dispositif de partenariat entre la collectivité et ses services et la préfecture, la police…
[…] À partir du moment où vous conférez la qualité d’agent de police judiciaire à un membre du personnel communal, vous le placez nécessairement sous les ordres de la police judiciaire, notamment du procureur de la République. Une telle situation est susceptible de provoquer des conflits, voire des situations attentatoires à la compétence du maire. Je le dis avec gravité car il me semble que l’on doit protéger le mandat du maire.
Remarque personnelle : Avec la montée en puissance des polices municipales, la qualité d’OPJ du maire, que chacun voyait comme une sorte d’héritage folklorique du passé, revient sur le devant de la scène à grands pas.
M. Jacques Alain Bénisti (UMP, maire de Villiers-sur-Marne et  président du Centre interdépartemental de gestion de la fonction publique territoriale pour la petite couronne) – Tout d’abord, dans le texte, l’octroi au chef de la police municipale de la fonction d’APJ concerne essentiellement les villes où la police municipale compte plus de quarante membres.
M. Patrick Braouezec  (GDR, ancien maire communiste de Saint-Denis et actuellement président de la Communauté d’agglomération Plaine Commune) – C’est déjà beaucoup !
M. Jacques Alain Bénisti (poursuivant) … Il s’agit d’une demande des différents syndicats de la police municipale…
Mme Delphine Batho – C’est faux !
M. Jacques Alain Bénisti (poursuivant) … et de la police nationale. En effet, nombre d’opérations de coordination, notamment dans nos cités sensibles, sont menées sous la responsabilité de la police nationale et sous la direction d’un commissaire de police. Or, lors de ces opérations souvent mouvementées, le directeur de la police municipale peut considérer qu’il n’a qu’un patron, le maire, et refuser d’obéir au commissaire.
Remarque :  la police municipale n’a vocation ni aux missions de maintien de l’ordre ni aux missions de police judiciaire, lesquelles restent – à ce jour – l’apanage de la police nationale. La PM n’est pas là pour faire le coup de poing, mais pour assurer la tranquillité publique : le premier devoir du maire.
Mme Marie-Christine Dalloz (UMP, maire de Martigna) – Bien sûr !
M. Jacques Alain Bénisti – Le texte résout ce problème.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Il n’y a pas lieu de le résoudre !
M. Jacques Alain Bénisti – Mes chers collègues, j’appelle votre attention sur ce problème de responsabilité. Le dispositif actuel est totalement bancal. À un directeur de la police municipale qui, pour justifier ses débordements, assurerait avoir suivi les ordres du commissaire de police, un magistrat pourrait rétorquer qu’il ne dépend que du maire. Le texte résout entièrement ce problème juridique…
Remarque : Là, on ne voit pas très bien le problème juridique… Ou ledit directeur agit dans le cadre de loi, et le problème ne se pose pas, ou il outrepasse ses droits, et il ne pourra se retrancher ni derrière le commissaire ni derrière le maire.
M. Jacques Alain Bénisti (reprenant après un échange un peu vif) – Cette mesure demandée par la police municipale…
Mme Delphine Batho – C’est faux !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec – Elle n’a rien demandé !
M. Jacques Alain Bénisti (poursuivant) … et par la police nationale est tout à fait satisfaisante.
Remarque : Il est intéressant de noter qu’un député chargé de la sécurité à l’UMP tient compte des desideratas des policiers, qu’ils soient nationaux ou municipaux. Cela dit, je n’ai aucun souvenir qu’un syndicat de police ait revendiqué la chose, et il me semble que si les syndicats des agents de la police municipale ont de nombreuses revendications, le fait que leur patron soit ou non APJ ne doit pas être au centre de leurs préoccupations.
Mme Marie-Christine Dalloz  – C’est une mesure de bon sens et de cohérence !
Après cette phrase en forme de synthèse, Mme la présidente passe la parole à M. Jean-Christophe Lagarde.
M. Jean-Christophe Lagarde (Nouveau Centre, maire de Drancy) – […] Il est évident que le maire est aujourd’hui responsable de la police municipale ; au sein de la population, nul n’ignore qu’un agent de police municipale obéit aux ordres du maire. Rappelons qu’il le fait parce que le maire est son employeur et a la qualité d’officier de police judiciaire ; rappelons également que le maire est lui-même placé sous la responsabilité du procureur de la République.
Remarque : Deuxième allusion à la qualité d’OPJ du maire. Ca devient mode…
Par quels garde-fous peut-on légitimement encadrer l’octroi de la fonction d’APJ à un directeur de la police municipale ? […] Le critère retenu est un critère de grade : l’appartenance à la catégorie A. Or ce critère ne sanctionne que la réussite à un concours, et non, de manière absolue, une formation
M. Manuel Valls (maire socialiste d’Evry) – Si je voulais plaisanter, je dirais aux maires : « Attention, messieurs ; avec ce que l’on nous prépare, la RGPP va très progressivement absorber nos polices municipales. »
[…] À Évry, le niveau de délinquance m’a conduit à faire le choix d’une police municipale puissante, afin d’utiliser tous les moyens à ma disposition – ceux de la police nationale, mais aussi ceux de la police municipale. Ce choix n’engage naturellement que moi. Nos policiers municipaux sont plus de quarante, sont installés dans des locaux de très grande qualité, sont armés et jouissent de la confiance de la population. Ils travaillent en collaboration très étroite avec la police nationale, à laquelle ils sont liés par une convention, dans le cadre du contrat local de sécurité et de prévention de la délinquance.
[…] L’État est en train de transférer des compétences aux mairies. […] Je crains qu’avec moins d’effectifs dans la police nationale, les polices municipales ne voient leur rôle s’accroître.
M. Éric Ciotti, rapporteur (UMP, où il a en charge les problèmes de sécurité, ancien adjoint de Christian Estrosi à la mairie de Nice et actuellement président du conseil général des Alpes-Maritimes) – La démarche proposée est pragmatique, elle se fonde sur la réalité du terrain. Il ne s’agit pas de mettre les maires sous une sorte de tutelle […] Il ne s’agit pas non plus de confier aux polices municipales des missions qui relèvent aujourd’hui de la police nationale. Il s’agit d’une expérimentation fondée sur le volontariat. C’est la raison pour laquelle elle sera réservée aux polices municipales d’une certaine importance,
[…] En réalité, il importait de combler une lacune. Comment aurions-nous pu ignorer dans une loi d’orientation et de programmation les 23 000 agents de police municipale qui concourent aujourd’hui à la sécurité de notre pays ? Dans ma ville, qui a la plus grande police municipale de France, ces agents procèdent à 60 % des interpellations, d’après ce que m’a indiqué le procureur Éric de Montgolfier.
Remarque : Outre une erreur de chiffre, M. Ciotti semble ignorer que les agents de la police municipale ne sont pas là pour procéder à des interpellations. S’ils le font, c’est en flagrant délit, comme pourrait le faire n’importe quel citoyen. Je me demande si le procureur de Nice, M. Montgolfier confirme ces 60%…
M. Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur. Premièrement, je considère comme des acteurs essentiels de la sécurité les 18 000 agents de police municipale que compte notre pays, auxquels il faut ajouter 2 000 gardes champêtres et 3 000 agents de surveillance de la Ville de Paris.
Deuxièmement, nous ne modifions pas la répartition des compétences entre les services de sécurité dépendant de l’État et les polices municipales…
Troisièmement, la qualité d’agent de police judiciaire est attribuée aux directeurs de police municipale, dès lors que les effectifs dépassent 40 agents…
Quatrièmement, cette modification permet d’améliorer concrètement la collaboration absolument nécessaire entre les services de l’état et les polices municipales.
Avec ces quatre constats, il me semble avoir fait le tour de la question, même s’il est toujours possible de complexifier le problème.
Mme Delphine Batho – Ce qu’il faut, monsieur le ministre, c’est une police territorialisée, une police de quartier. […] Il existe plusieurs modèles d’organisation à travers le monde. En Grande-Bretagne, par exemple, de manière très intéressante, les élus locaux participent à la direction locale de la police, qui est une police d’État. Le seul endroit au monde où l’on ne réfléchit pas à la question de la police de proximité, de la police communautaire comme on l’appelle en Amérique du Nord, ou de la police de quartier, c’est malheureusement la France.
[…] En outre, le volontariat est fictif. Le maire n’aura pas le choix. Il sera en quelque sorte victime d’une double peine : d’un côté, il subira les réductions d’effectifs de la police nationale ; de l’autre, il sera confronté à la pression des habitants inquiets. Il aura donc le couteau sous la gorge.
Vous dites, monsieur le ministre, qu’il n’y a pas de dérives de la police municipale, que celle-ci n’aura pas à sous-traiter les prérogatives de la police nationale. C’est faux ! L’article 32 ter n’a de sens que par rapport à l’article 32 quater, lequel donne la possibilité aux nouveaux agents de police judiciaire de la police municipale de procéder à des contrôles d’identité. Le commissaire de police n’aura qu’à demander au directeur de la police municipale de placer ses agents à telle heure et à tel endroit pour procéder à des dépistages d’alcoolémie ou encore pour faire des contrôles d’identité, ce qui placera la police municipale dans une relation plus compliquée avec la population.
Voilà autant de raisons de supprimer cet article.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec – […] Je vous soupçonne, monsieur le ministre, d’engager cette démarche qui consistera, sans débat, sans référence institutionnelle, à nous placer dans des stratégies d’exercice de pouvoirs régaliens sur le territoire de nos communes. Si vous avez la légitimité de le vouloir, pour ma part je ne le souhaite pas, parce que le mandat de maire est plus important dans son lien avec les citoyens que dans la volonté de suppléer les pouvoirs régaliens de l’État.
Vous avez tort d’ouvrir ce débat au travers d’un article de cette nature.
M. Manuel Valls –  Deux acteurs sont concernés, la police municipale et le maire. […] Il y a moins de policiers municipaux qu’il n’y a de postes à pourvoir. […] La question de l’armement sera posée un jour. Si on refuse que les polices municipales soient armées, on risque de les voir disparaître à terme, à moins d’accepter d’être en contradiction avec ce qu’est le rôle d’une police municipale.
En ce qui concerne les textes de loi qui ont été présentés par votre prédécesseur, Nicolas Sarkozy, il a été souvent dit que le maire devait être placé au cœur du dispositif. Or je m’aperçois que c’est le contraire qui se produit. Vous êtes en train de redonner à l’État un pouvoir sur le maire en matière de sécurité […] Je suis convaincu que le juge constitutionnel se penchera sur la question. jean-yanne-sketch-permis-de-conduire.jpg
(L’article 32 ter est adopté.)
Remarque : Comme disait Jean Yanne dans un sketch célèbre : « Qu’est-ce qu’on peut perdre comme temps en formalités, hein !… »
_______________________
A lire, Polices municipales : mythes et réalites, de Laurent Opsomer.
Le 15 février : Sur les questions que devraient se poser les policiers, il ne faut pas manquer le billet Si j’étais policier…, de l’avocat général Philippe Bilger.
______________________________________________________________________
Boulets rouges sur la garde à vue a été lu 1.295 fois en 3 jours et a suscité 33 commentaires. Christophe | le 11 février 2010 à 22:27, nous dit que des représentants de la police et de la gendarmerie siègeaient dans le Comité Léger. Alors, ils ont été très discrets…
Pour ceux qui s’intéressent au bras de fer (très relatif) entre les Etats-unis et l’Europe à propos du « fichier Swift », ce sujet avait été traité sur ce blog (ici) en septembre 2009.

Pic et pioche autour de la garde à vue

Depuis que la CEDH (Cour européenne des droits de l’homme) a mis les pieds dans le plat, déclarant grosso modo que la présence de l’avocat est nécessaire dès la rédaction du premier procès-verbal sérieux, chacun s’en donne à cœur sept-nains_tititendresse_centerblog.jpgjoie dans les récriminations et les jérémiades. Par ordre d’entrée en scène, on a eu les avocats, les syndicats de police, le Premier ministre, la Garde des sceaux (mais du bout des lèvres), et aujourd’hui ce sont les magistrats.

Pour éviter, dans plusieurs affaires, que leur procédure ne soit retoquée par la CEDH, les juges d’instruction du tribunal de Bobigny enjoignent les policiers de faire venir l’avocat des suspects dès le début de la garde à vue.

Aussi sec, les policiers refusent. Ils s’arc-boutent, brandissent le Code de procédure pénale, et refusent tout net d’appliquer ces instructions.

Même sans être versé dans les coups tordus, on comprend bien que ces magistrats n’ont pas agi sans arrière-pensée, et que les policiers, en revanche, semblent avoir foncé tête baissée.

À moins qu’ils n’aient sauté sur l’occasion pour engager un bras de fer avec les juges. Car les heurts ne sont pas rares entre ces derniers et les commissaires de la PP. Comment pourrait-il en être autrement entre des juges qui sont censés être indépendants et une police très centralisée et sous la houlette d’un préfet !

Mais dans cette histoire, qui a raison ?

En 1996, lorsque le directeur de la PJ parisienne, le commissaire Olivier Foll, avait refusé son assistance au juge Eric Halphen pour effectuer une perquisition au domicile des époux Tibéri, il avait été muté à l’Inspection des services, le cimetière des éléphants, comme on l’appelle – qui, vu le nombre de directeurs qui y pantouflaient, n’avait jamais autant mérité son nom que dans ces années-là. Pour se défendre, Foll avait argumenté que le juge ne lui avait pas adressé de réquisition écrite et ne l’avait même pas informé du lieu de la perquisition. L’affaire était allée jusqu’en cassation, et la Cour lui avait donné tort, confirmant la décision antérieure : le commissaire Foll s’était rendu coupable d’un manquement grave à sa fonction.

Une décision compréhensible, car, comme le rappellent les magistrats de Bobigny, les policiers, en tant qu’officiers de police judiciaire, sont placés sous leur autorité directe, et ils ne peuvent recevoir leurs ordres de personne d’autre. Ils sont donc tenus de répondre à leurs diligences.

Mais cette fois, les policiers sont sûrs de leur fait. Ils se reportent à la loi, et refusent d’exécuter des flic_grognon_lessor.jpginstructions qui n’existent pas aujourd’hui dans le Code de procédure pénale. La secrétaire générale du Syndicat des commissaires allant même jusqu’à déclarer que les juges veulent les pousser à la faute et qu’il n’y a pas lieu d’obéir à un ordre illégal. Un vieux principe militaire, rarement appliqué, je dois le dire, au sein de la Grande maison. Ainsi, lorsqu’un Pichon dénonce l’illégalité du fichier STIC, il se retrouve mis en examen et aucun syndicat n’accepte de prendre sa défense.

Pour en revenir à cette fronde qui s’est déroulée il y a quelques jours en Seine-Saint-Denis, pas facile de savoir qui est dans le vrai.

Les juges s’inquiètent à juste titre, car de nombreuses procédures risquent d’être entachées de nullité, au moins partiellement, du fait de la décision de la CEDH, laquelle déclare la garde à vue à la française contraire à la Convention des droits de l’homme. Mais à l’identique, un OPJ qui convierait un avocat hors des créneaux prévus par le Code de procédure pénale* (30 mn dans les 24 premières heures de GAV), ne commettrait-il pas un acte irrégulier et sans doute fautif ? Autre motif de nullité…

Alors ?

En fait, aujourd’hui, les OPJ sont tenus d’agir en conformité avec le Code français et en contradiction avec le droit européen. Situation pour le moins inconfortable, même si la majorité du corps préfère fermer les yeux tant peu de policiers sont disposés à modifier leurs méthodes de travail, et à accepter la présence de l’avocat durant la garde à vue. C’est un peu la politique de l’autruche. Et pour des poulets… Il va bien falloir s’en sortir et avoir le courage de légiférer. Comment un pays qui se targue (à l’excès ?) du principe de précaution pourrait-il accepter que par négligence ou faiblesse des criminels voient demain leur condamnation annulée !? Et je ne suis pas sûr que ce changement puisse attendre la réforme annoncée de la procédure pénale…

Le rapport du Comité de réflexion sur la justice pénale, remis au président de la République en septembre 2009, ne règle d’ailleurs pas vraiment le problème. Il suggère en effet le maintien d’un entretien d’une demi-heure avec l’avocat dès le début de la garde à vue, puis un nouvel entretien au bout de douze heures, avec cette fois un accès aux procès-verbaux d’audition, et enfin la présence de l’avocat en cas de renouvellement.

La CEDH y trouvera-t-elle son compte ? Pas sûr, car ce qu’elle exige, c’est la présence de l’avocat dès l’audition d’un suspect.

En revanche, messieurs les magistrats, ce comité met un point bouc-emissaire_ougen__umourcom.jpgfinal à votre tutelle sur les policiers. Car il annonce carrément la couleur : « Le système actuel qui prévoit que la police judiciaire est exercée sous la direction du procureur de la république, sous la surveillance du procureur général et sous le contrôle de la chambre de l’instruction est satisfaisant. Il a toutefois été jugé qu’il serait opportun que la loi précise que les officiers de police judiciaire agissent toujours sous le contrôle de leurs chefs hiérarchiques ».

Enfin, pour les juges d’instruction, ça n’a pas grande importance, puisqu’ils auront disparu.

* Voir les différents billets dans la catégorie garde à vue.
____________________________________________________________
Les risques liés aux scanners corporels a été lu 37.373 fois en 3 jours et a suscité 74 commentaires – et quelques mails désagréables dans lesquels on me reproche mon incompétence, avec des réflexions du genre « de quoi qui se mêle ! » Mais je persiste et signe. C’est visiblement un sujet qui fâche, mais entre nous, j’adore ça.

Les nouveaux détecteurs de mensonges

L’interrogatoire de papa est-il mort ? Alors que la culture de l’aveu est sans cesse remise en cause, se dirige-t-on au contraire vers un aveu scientifique, quasi irréfragable ? Va-t-on lire nos pensées à livre ouvert, cerveau_droit_gauche_encyclopedie-atypique-incomplete.1261050123.jpgcomme l’envisagent les partisans des neurosciences, qui souhaitent adapter l’imagerie médicale aux besoins de la justice ? C’est probable. Il va falloir se faire une raison, demain, aux empreintes digitales, aux empreintes génétiques, il faudra ajouter les « empreintes cérébrales ». Ainsi, il en sera fini de nos souvenirs et de notre vécu, de ces petits riens qui font notre mystère, notre personnalité, car notre cerveau, lui, ne saurait mentir.

Ce n’est pas une projection futuriste, mais un avenir, tout proche, sur lequel se penchent non seulement les scientifiques, mais aussi les décideurs, et bien sûr les affairistes.

Le Centre d’analyse stratégique, organisme rattaché au Premier ministre, qui a pour mission, comme chacun le sait, « d’éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en œuvre de ses orientations stratégiques en matière économique, sociale, environnementale ou culturelle », a organisé un séminaire regroupant des chercheurs, des médecins, des magistrats… Dans sa note de veille de décembre 2009, qui fait le point sur cette technique, il est utilisé le terme « neuroloi » (traduction du néologisme anglo-saxon « neurolaw »), qui serait le mot générique pour désigner l’ensemble des travaux touchant aux neurosciences (pharmacologie, neuropsychologie et imagerie cérébrale). Il s’agit, nous dit-on en résumé, d’utiliser la science pour mieux évaluer la véracité des propos tenus par une personne mise en examen et de débattre des perspectives éthiques et légales qui doivent accompagner cette utilisation.

Ce n’est pas de la science-fiction. Plusieurs pays ont déjà recours à ces méthodes pour vérifier les dires d’un suspect ou évaluer sa responsabilité. Aux Etats-Unis, un nouveau détecteur de mensonges a fait son apparition. « Un appareil issu des laboratoires de neurologie américains qui sonde les pensées (…) en analysant le fonctionnement des neurones », nous dit Gilbert Charles, dans L’Express. Deux sociétés américaines commercialisent cette technologie, qui, d’après le dirigeant de l’une d’elles, serait fiable à 95 %.

À l’heure actuelle, il semble toutefois que deux techniques s’affrontent. L’une basée sur l’électroencéphalogramme (l’empreinte cérébrale), et l’autre, sur l’imagerie médicale, les IRM. La première serait acceptée dans certains états américains comme une preuve scientifique, au même titre que les empreintes digitales ou génétiques. Tandis que la seconde, basée sur les techniques de pointe d’imagerie, serait la méthode de demain.

On est loin des polygraphes des années 1920, les fameux détecteurs de mensonges, que l’on pouvait paraît-il tromper, ou qui ne faisaient pas de différence entre un trouble dû au stress, un oubli ou une dissimulation volontaire.

En Inde, l’année dernière, et pour la première fois, une femme a été condamnée pour meurtre sur la base de cette nouvelle technologie. Elle aurait empoisonné son fiancé en tartinant son hamburger avec de l’arsenic.  Et n’aurait pas réagi à la phrase « J’ai acheté de l’arsenic ». J’espère qu’il y avait d’autres preuves dans le dossier… En attendant, elle clame toujours son innocence.

Il semble que pour arriver à faire parler les machines, on ait découpé le cerveau en zones d’activités, un peu comme, à une autre époque, on avait décrété que les bosses du crâne correspondaient à certaines tendances fortes de la personnalité d’un individu. Comme science, la phrénologie a vécu, qu’en sera-t-il des neurosciences et de la neuroloi ?

les-revelations-du-visage.jpg

Les sénateurs se sont également intéressés à la question. En mars 2008, ils ont organisé l’audition publique de spécialistes sur le thème « Exploration du cerveau, neurosciences :  avancées scientifiques et enjeux éthiques ». Les propos sont complexes et la lecture du compte-rendu d’audience n’est pas aisée, mais tout le monde semble d’accord pour reconnaître l’existence d’un codage de l’activité cérébrale. La question étant de savoir s’il faut utiliser les IRM à des fins judiciaires. Et dans ce cas, s’interroge non sans humour le scientifique Hervé Chneiweiss, « qui passera le test ? l’accusé, les membres du jury, le juge, les témoins, les policiers ? »

Après tout, il a raison : tout le monde peut mentir.

En tout cas, il est amusant de constater qu’à l’heure où tout un chacun s’évertue à claironner que la culture de l’aveu a vécu, on s’ingénie à mettre sur pied des techniques qui feront de l’aveu non dit et non écrit, une preuve formelle.

Et si l’on peut espérer limiter ainsi le nombre d’erreurs judiciaires, on ne peut que s’en réjouir. La crainte, évidemment, c’est que notre société ne s’enfonce un peu plus dans le délit d’intention : si la machine confirme que vous voulez zigouiller votre patron, allez, au trou !

De nos jours, les enquêteurs demandent toujours plus à la police technique et scientifique, c’est souvent un avantage, mais n’est-ce pas un peu au détriment de recherches plus traditionnelles ?

Et parfois, je me demande à quoi vont ressembler les policiers de demain…

__________________________________________________________
Tarnac : la marmite du diable a été lu 2.263 fois en 3 jours et a suscité 26 commentaires. Pour ceux qui en souhaitent plus, je me permets de citer ce tout petit livre (7 €), au titre impossible : La terrorisation démocratique, par Claude Guillon, aux éditions Libertalia. Un autre son de cloche.
En ce qui concerne la gare Saint-Lazare, dont il a été question dans un billet précédent, les choses se sont arrangées, avec des annonces régulières pour expliquer aux passagers que la présence des policiers et des agents SNCF est uniquement destinée à mieux canaliser la foule et à éviter les bousculades. Du coup, les choses se déroulent dans une bien meilleure ambiance que le premier jour de grève. Et même les policiers sont souriants. Comme quoi, quelques mots et un sourire, ça change tout !

Indépendance de la justice : depuis Ben Barka, rien n’a changé

44 Ans après l’enlèvement de Ben Barka, le parquet bloque les mandats d’arrêts internationaux délivrés par le juge d’instruction. Quelques jours après les déclarations théâtrales du ministre de l’Intérieur sur la responsabilité brasserie_lipp_janhansonphoto.jpgdes magistrats dans la mort de la joggeuse de Milly-la Forêt, ceux-ci demandent à MAM de réaffirmer une fois pour toute l’indépendance de la justice. Or, le 30 septembre 2009, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) n’a pas dit autre chose. Elle a proclamé, dans une résolution adoptée à l’unanimité, la nécessité d’une justice indépendante du pouvoir politique. Et elle fustige la France sur la réforme de sa procédure pénale, notamment la suppression du juge d’instruction.

Dans cette résolution les parlementaires n’y vont pas par quatre chemins. Voici l’article 1 : « L’Assemblée parlementaire souligne l’importance fondamentale, pour l’État de droit et la protection de la liberté individuelle, de protéger à travers l’Europe les systèmes de justice pénale de toute ingérence motivée par des considérations politiques. »

Et les petites phrases s’accumulent : l’indépendance des juges doit être inscrite dans la Constitution des États… Elle doit être effective en veillant au recrutement, au système disciplinaire, aux possibilités de dessaisissement, et à de bonnes conditions matérielles ou de rémunérations…

L’allemande Sabine Leutheusser-Schnarrenberger a examiné la procédure de plusieurs pays représentatifs de la justice pénale en Europe. Dans son rapport, elle estime qu’en France et en Allemagne, où les procureurs sont liés à leur hiérarchie, les juges et les avocats de la défense doivent pouvoir jouer un rôle plus actif au cours de l’instruction. En revanche, au Royaume-Uni et en Italie, où ils jouissent d’une grande indépendance et où la défense a accès au dossier dès le début de la procédure, le rôle des juges peut être plus limité.

independance-juge-APCE.jpg

Le communiqué de presse résume la résolution de l’Assemblée, qui invite notamment…

•    le Royaume-Uni, à finaliser sans plus tarder la réforme du rôle du Procureur Général (Attorney General) visant à renforcer la responsabilité de celui-ci devant le Parlement, et à stopper la réduction des ressources affectées à l’aide juridique.

•    la France, à revoir le projet de suppression des juges d’instruction, et si celui-ci est confirmé (et que leurs compétences sont transférées au ministère public), à renforcer l’indépendance des procureurs.

•    l’Allemagne, à créer un système d’autonomie de la justice en s’inspirant des conseils de la magistrature existant dans la plupart des États européens, ainsi qu’à abolir la possibilité pour les ministres de la justice de donner des instructions au parquet sur des cas individuels.

•    la Fédération de Russie, à adopter une série de réformes visant à réduire les pressions politiques et hiérarchiques exercées sur les juges et à mettre fin au harcèlement des avocats de la défense afin de combattre le « nihilisme juridique » dans le pays.

Il est intéressant de noter que cette résolution de l’APCE encourage trois pays à faire quelque chose pour améliorer l’indépendance de leur justice et tente de décourager la France de faire quelque chose qui risque d’empirer la situation – en l’occurrence la réforme de la procédure pénale telle qu’elle est envisagée dans le rapport Léger.

On sait bien que cette assemblée n’a qu’un pouvoir de recommandation… Mais lorsque les représentants de 47 pays, c’est-à-dire de 800 millions d’Européens, s’expriment d’une seule voix pour réclamer une justice plus indépendante, notre devoir n’est-il pas d’écouter et de réfléchir !

On dit que l’intelligence n’a pas de certitude, alors on peut s’interroger… Certes, on peut l’améliorer cette justice tant décriée, mais finalement, malgré ses couacs, elle n’est peut-être shadok.pngpas si mauvaise puisqu’en dépit des pressions politiques, des raisons d’Etat, le dossier Ben Barka n’est toujours pas refermé…, grâce à l’acharnement des juges d’instruction. Et d’ailleurs, sans eux, le procureur aurait-il délivré des mandats d’arrêts internationaux ?

Cette réforme qui doit marquer le quinquennat présidentiel, notamment par cette mesure phare qui consiste à supprimer le juge d’instruction tout en laissant les procureurs sous la houlette de l’autorité politique, va-t-elle vraiment améliorer les choses ? A-t-elle été réfléchie ? En a-t-on mesuré toutes les conséquences ? Et d’ailleurs sera-t-elle pérenne, par exemple en cas d’alternance politique ?

Lisez donc cette résolution de l’APCE, et peut-être, comme moi, vous vous direz qu’on rame à contre-courant.

Qu’on est en train de nous mouliner une réforme rétrograde.

_____________________________________________________

Un résumé de quelques lignes de l’affaire Ben Barka, sur ce blog dans La PJ de papa.

__________________________________________________________________________

Le dernier billet, Du marchandage au plaider-coupable, n’a été lu que 675 fois en 2 jours, avec 5 commentaires. Sujet sans intérêt ou mauvaise analyse de ma part…

Les étrangers face au mouchardage

Une agence bancaire du LCL appelle la police pour arrêter l’un de ses clients malien, et d’après le site Rue89, de grandes surfaces, de grandes enseignes commerciales, agissent de même. Pas pour arrêter des voleurs, mais simplement pour signaler des étrangers en situation irrégulière. coup-de-pied_picsou.1251620354.jpgOn peut se demander si ces gens agissent par esprit civique, par crainte des foudres de la loi ou pour des motifs moins avouables…

Et les policiers qui interviennent, le font-ils à bon escient ?

En fait, pour répondre à la dénonciation du banquier, ceux-ci disposaient de deux possibilités :
– soit, ils se fiaient à sa seule parole, et dans ce cas leur intervention ne semble pas légitime, car une simple dénonciation ne vaut pas flagrant délit ;
– soit, ils prenaient le temps de vérifier et d’obtenir confirmation de l’objet de la dénonciation, et dans ce cas leur intervention se justifiait par l’existence  d’ « une ou plusieurs raisons plausibles » d’un délit (Cass. 6 juillet 2007).

Ce qui revient à s’interroger sur les modalités qui entourent l’interpellation d’un étranger…

Dans une préfecture – La Cour de cassation a tranché de façon très nette : pas de prétextes, pas de subterfuges, pas de coups fourrés. Pour que l’intervention des policiers soit régulière, il faut que la personne se présente spontanément ou en exécution d’une convocation qui expose clairement la mise en œuvre d’une mesure d’éloignement.

Dans un commissariat ou une gendarmerie – Il en est de même. Ainsi, des gendarmes qui avaient saisi l’opportunité d’une convocation en vue de l’examen du dossier de mariage d’un étranger pour l’interpeller en vue de son placement en rétention, ont été désavoués par la Cour de cassation (11 mars 2009). Conditions d’interpellation irrégulières, ont dit les juges.

Chez un commerçant – La question ne devrait pas se poser. Dans le cas du Malien dénoncé par son banquier, le juge des libertés et de la détention a assimilé cette situation aux deux précédentes et il a décidé de le relâcher.

Lors d’un contrôle d’identité – Les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de répondre à toute réquisition d’un officier de police judiciaire en fournissant les pièces ou documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France (article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile).

La loi reconnaît donc à un OPJ le droit de contrôler un étranger, mais la question qui se pose est la suivante : Comment savoir qu’il s’agit d’un étranger ?

En effet, une jurisprudence constante interdit au policier de se fier à des critères physiques, comme la couleur de la peau, la langue, l’accent, les vêtements, etc. Pour faire simple, un contrôle d’identité effectué dans le seul but de déterminer qu’une personne n’est pas de nationalité française n’est pas légitime (sauf cas particulier du contrôle Schengen).

En revanche, si le policier est en possession d’éléments extérieurs qui permettent de présumer de l’existence d’une infraction à la législation sur les étrangers, son intervention est justifiée au sens de l’art. 78-2 du Code de procédure pénale. Le fait par exemple de circuler dans un véhicule immatriculé à l’étranger semble être un élément suffisant.

Dans les autres hypothèses où le contrôle d’identité serait effectué sur présomption d’un délit d’une autre nature, ou sur réquisition du procureur de la République, ou pour prévenir une atteinte à l’ordre public (ou même lors d’un contrôle relatif au respect de la législation du droit du travail), la découverte « fortuite » de la situation irrégulière de l’étranger équivaut alors à un flagrant délit.

Mais les contrôles de ce type ont souvent bon dos… En racontant tout ça, je prends d’ailleurs des risques, car on patouille dans la demi-teinte et l’hypocrisie. À tel point qu’en 2006, une longue circulaire interministérielle (Justice, Intérieur) donnait aux forces de l’ordre toutes les ficelles pour arrêter les étrangers sans se mettre dans une situation considérée comme illégale…  On y précisait par exemple que la convocation adressée à un étranger devait « proscrire toute indication mensongère (…)  sans pour autant donner d’indice révélant le risque d’intervention d’une mesure de rétention et de reconduite ». Et de fournir des exemples-types de convocation. Certains y ont vu là des indications faites aux forces de l’ordre pour détourner l’esprit de la loi. Et la Ligue des droits de l’homme, le Syndicat de la magistrature et plusieurs associations ont porté l’affaire devant le Conseil d’État. Ils ont été déboutés.

En fait, la volonté politique de contrôler l’immigration sauvage trouve ses limites dans la liberté d’aller et venir librement et dans l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. shadoks.gif

N’empêche que ces… collaborateurs de police, qu’ils soient fonctionnaires (pour eux, c’est une obligation légale), banquiers, commerçants ou opérateurs téléphoniques, nous mettent mal à l’aise. Ils semblent se fondre trop facilement dans un paysage qui se banalise : la dénonciation de son prochain.

Cour d’assises : vers la suppression du jury populaire ?

Youssouf Fofana, l’auteur principal de l’affaire dite du gang des barbares, a été condamné à la peine maximale. Mais pour ses complices, l’accusation n’ayant pas retenu l’intention de tuer, les peines ont été plus légères. cour-dassises-de-paris_lexpress.1249731285.JPGDécision de justice qui n’a satisfait ni la famille d’Ilan Halimi ni la communauté juive. Or dans notre code, il appartient à l’avocat général de demander justice au nom de la société – et non à la partie civile. Aussi, lorsque la garde des Sceaux annonce publiquement son intention de faire appel d’une décision de justice rendue au nom et par le peuple français, on est dans le brouillard. Doit-on rendre justice ou vengeance ? S’agit-il d’intérêts particuliers, comme le dit l’avocat pénaliste Thierry Lévy (Le Monde du 15 juillet 2009 : « La politique des intérêts particuliers s’est introduite dans les prétoires ») ? On ne peut l’exclure en écoutant le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qui, après avoir dénoncé une justice trop clémente, reconnaît qu’il s’agit là d’ « un geste d’apaisement ».

Mais que se passerait-il si le jury de la Cour d’assises, constituée en appel, prononçait des peines moins sévères ? Sûr qu’il y aurait un parlementaire pour réclamer la suppression du jury populaire. Comme on en a trouvé deux pour déposer une proposition de loi afin de modifier au plus vite les règles du huis clos qui s’appliquent aux mineurs, pour permettre un second procès en public.

Mais le jury populaire a-t-il encore sa raison d’être ?

En Suisse, il va disparaître pour incompatibilité avec le nouveau Code fédéral de procédure pénale qui doit être opérationnel en 2011. Le Canton de Genève, qui jusqu’alors faisait de la résistance, vient de s’aligner sur les autres cantons en acceptant cette modification constitutionnelle à plus de 64 % des votants.

En Belgique, à la suite d’une condamnation de la Cour européenne des droits de l’homme (Aff. Richard Taxquet), la discussion est ouverte. 68 % des citoyens sont favorables au jury d’assises. Et si le ministre de la Justice assure qu’il doit être maintenu, il est probable qu’il ne sera conservé que pour les affaires les plus importantes – ce qui revient à correctionnaliser des dossiers criminels.

A contrario, au Japon, le jury populaire qui avait été abandonné en 1943 se voit aujourd’hui réhabilité. Le gouvernement estime en effet que le retour du jury populaire dans les procès criminels doit « renforcer la démocratie » et permettre « au citoyen de se percevoir comme un sujet non plus gouverné mais qui gouverne ».

Et en France ? juge_intimeconviction.1249731418.jpg

Si le comité Léger envisage une profonde réforme de la Cour d’assises, il ne préconise pas la suppression du jury populaire. En revanche, il soutient la doctrine du « plaider coupable » : si le suspect reconnaît les faits qui lui sont reprochés, la peine encourue est automatiquement abaissée d’un cran. Mais la décision serait toujours prise par un jury populaire – qui devrait donc condamner ou acquitter (selon son intime conviction) un accusé qui a reconnu sa culpabilité… ! Toutefois, pour éviter que cette procédure ne s’applique par exemple à un Youssouf Fofana, les crimes les plus graves en seraient exclus.

Je crois qu’avec l’affaire du gang des barbares, le jury populaire a du plomb dans l’aile. Et au vu des liaisons dangereuses qui s’établissent au fil du temps entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire, on se trouve à la limite d’une justice idéologique, une justice de mauvais souvenirs – et l’on est en droit d’être inquiets. Surtout si l’on en croit le gouvernement japonais qui, lui, veut rétablir le principe du jury populaire pour renforcer la démocratie !

Si Madoff avait été français…

On nous dit qu’en France une telle escroquerie n’aurait pas été possible ! Qu’il existe des règles, des contrôles, des sauvegardes, etc. N’empêche qu’une sicav monétaire (dynamique) comportant une part importante de « Madoff » était commercialisée en Europe et qu’un certain nombre de nos compatriotes vont y laisser des plumes.

shadoks-a-la-rame_leocatfree.1246351736.gifD’abord, si Bernard Madoff avait été français, il ne serait pas encore jugé.
Comme c’est le cas du trader Jérôme Kerviel qui en janvier 2008 a fait perdre environ 5 milliards d’euros à la Société générale, poursuivi pour abus de confiance. Mais du bout des lèvres, dans une qualification juridique tirée par les cheveux.

Pour Madoff, c’est différent. Il récoltait des fonds qu’il utilisait pour servir un rendement confortable aux gens qui lui confiaient des fonds… Une sorte de ronde où chacun d’ailleurs se bousculait pour entrer. En fait, à sa manière, ce bonhomme avait réinventé le système par répartition de nos caisses de retraite…

Donc s’il avait été français, il aurait été mis en examen dans le cadre d’une information judiciaire au long cours pour… pourquoi au fait ?

Escroquerie ou abus de confiance* ?

L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale…

L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque…

Je penche pour l’abus de confiance, mais ce n’est qu’un avis personnel. Vous me direz, cela n’a guère d’importance… Enfin si quand même, car l’escroquerie est punie de 5 ans d’emprisonnement tandis que l’abus de confiance est puni de 3 ans.

Donc, si Bernard Madoff avait été français, il aurait encouru une peine comprise entre 3 et 5 ans. Bon, on lui aurait probablement trouvé des circonstances aggravantes pour rallonger la sauce, mais on aurait été bien loin des 150 ans de prison dont il vient d’écoper.

Et je me demande comment on aurait fait pour nous expliquer que cet escroc d’envergure ne risquait finalement guère plus qu’un jeune qui aurait eu la mauvaise idée de se laisser embarquer dans une bande de loubards de banlieue !

Puisque la loi sur les bandes organisées dont nos députés débattent actuellement envisage une peine de 3 ans d’emprisonnement…

On peut en déduire que par cette accumulation de nouveaux délits, assortis de sanctions de plus en plus disproportionnées, le législateur rend la Justice de notre pays de moins en moins lisible. Ce qui ne doit pas être le but recherché.

Autrement dit, il rame à côté de la barque.

______________________________________________________
*
Art. 313-1 du CP : L’escroquerie est le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L’escroquerie est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende.
Art. 314-1 du CP : L’abus de confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
L’abus de confiance est puni de trois ans d’emprisonnement et de 375.000 euros d’amende.

Flash-back sur l’affaire d’Outreau

csm_logo.1240731832.pngDans ces années-là, plusieurs affaires de pédophilie font la Une des journaux. Et une sorte de psychose s’installe dans divers pays d’Europe. À deux doigts de la schizophrénie. Ainsi, l’hebdomadaire britannique News of the world plonge dans les fichiers de police et publie chaque dimanche une liste de 50 noms d’individus condamnés pour pédophilie, sans se soucier de savoir s’ils ont purgé leur peine ou s’ils se sont amendés. En France, on n’en est pas là, mais on voit des pédophiles partout. Le milieu des enseignants est particulièrement exposé aux dénonciations calomnieuses, comme Alain H., le mari de la directrice d’une école maternelle qui est resté plus d’un an derrière les barreaux avant d’être lavé de tout soupçon.

C’est dans cet environnement que tout a démarré, en décembre 2000. Les services sociaux de Boulogne-sur-Mer signalent aux autorités que certains enfants pourraient être victimes d’abus sexuels de la part de leurs parents. Ces faits se dérouleraient chez les D., dans un quartier HLM de la ville d’Outreau. Attention à la suite : Le couple aurait loué ses quatre enfants à des créanciers pédophiles pour éponger leurs dettes. Le succès financier de cette opération aurait fait baver d’envie le voisinage, et, par un effet boule de neige, un certain nombre de familles leur auraient emboîté le pas, transformant du coup ce quartier populaire en véritable champ d’orgies pédophiliques. Certaines de ces orgies auraient même été filmées et les cassettes revendues… Au total, une quinzaine d’enfants de quatre à douze ans auraient ainsi été loués à de riches pédophiles par des parents indignes.

Cela paraît suffisamment crédible (!) pour que le substitut du procureur décide l’ouverture d’une information judiciaire. L’affaire est confiée à Fabrice Burgaud, un tout nouveau juge d’instruction. Et la machine judiciaire se met en marche : enquêtes, arrestations, perquisitions, auditions… Au total, 17 personnes, hommes et femmes, seront mises en examen et écrouées. On trouve parmi elles, un huissier et son épouse, une boulangère, un chauffeur de taxi, un prêtre… Quant aux enfants, ils sont placés dans des familles d’accueil. Mais, malgré l’obstination du petit juge, peu à peu le dossier s’effrite. En vrai, il n’existe aucune preuve formelle, mais simplement des déclarations, des on-dit… À l’arrivée, le dossier est vide, lamentablement vide. Mais les magistrats du TGI de Boulogne-sur-Mer n’ont pas le courage de se désembourber. Ils essaient de rabibocher la procédure. En 2004, la Cour d’assises acquitte sept des accusés et condamne les autres à des peines diverses, jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle pour la plus sévère. L’année suivante, après une nouvelle enquête, tout le monde est acquitté et, fait exceptionnel, le procureur général de la cour d’appel de Paris, Yves Bot, vient à la barre (avant même que le verdict ne soit rendu) pour exprimer « ses regrets » aux accusés. Quelques heures plus tard, le Garde des sceaux, Pascal Clément, présente ses excuses au nom de l’institution judiciaire. Et le président de la République, Jacques Chirac, se fend même d’une lettre adressée personnellement à chacune des personnes concernées. Une bérézina judiciaire.

Les parlementaires reprennent le flambeau et créent une fabrice-burgaud_franceinfo.1240731468.jpgcommission d’enquête. Ils décident d’entendre tous les protagonistes de cette affaire. Leurs auditions, retransmises en direct sur la chaîne des assemblées, sont suivies par des millions de français. Le juge Burgaud reste droit dans ses bottes. Il reconnaît toutefois qu’il n’est pas sûr « d’avoir mené une instruction parfaite », mais pas un mot de regret, pas une excuse pour tous ces gens dont la vie a été brisée, ni pour cet homme de 33 ans qui s’est donné la mort en prison.

jerome-kerviel.1240731479.jpgCertes, on peut se demander pourquoi il est le seul à être pointé du doigt ! Ce n’était qu’un maillon de la chaîne judiciaire – mais le maillon principal.

Aucun rapport entre cette affaire et celle du trader Jérôme Kerviel. Mais avez-vous remarqué la ressemblance entre ces deux hommes ? Ressemblance physique, mais surtout comportementale : aucun des deux ne semble comprendre ce qu’on lui reproche ! Ils sont persuadés d’avoir fait leur boulot correctement.

Mais au résultat, il existe une sacrée différence : l’un a fait perdre des milliards à sa banque, il a fait de la prison et il sera jugé ; l’autre a fait perdre des années de vie à d’honnêtes gens, et il passe en conseil de discipline.

Et que lui ont dit ses pairs ? « Si tu recommences, t’auras une fessée ! »

___________________________________________

Une partie de ce texte provient de La petite histoire de la  PJ (ici).

Petit essai sur le terrorisme

Les uns après les autres les journaux reviennent sur l’affaire de Tarnac pour dénoncer le décalage entre une éventuelle tentative de dégradation de lignes SNCF et la procédure exceptionnelle utilisée, visant une organisation terroriste.

shadok-cerveau_castaliefr.1239954564.jpgEt la ministre de l’Intérieur fait front, affirmant que « ce ne sont pas les journaux qui rendent la justice ». Certes, mais si la presse en l’occurrence n’est pas dans son rôle, il faut biffer Zola des manuels scolaires. Il est vrai qu’après son fameux « J’accuse ! », l’écrivain-journaliste a été obligé de s’exiler… mais ses cendres sont au Panthéon.

Ces jeunes gens du plateau de Millevaches n’ont pas le profil d’un Carlos ou d’un Rouillan. On n’y peut rien. Alors, terroristes ou pas ?

Mais juridiquement, c’est quoi le terrorisme ?

Oserais-je dire que juridiquement le terrorisme n’existe pas ! Il y a des règles internationales, européennes, mais pas une définition unique, claire et précise. La Convention de Strasbourg de 1977 envisage : « tout acte grave de violence dirigé contre la vie, l’intégrité corporelle ou la liberté des personnes et tout acte grave contre les biens lorsqu’il a créé un danger collectif pour les personnes ».

En France, l’article 421-1 du Code pénal1 reprend certains des mots de cette convention, mais le sens du texte diffère assez nettement. Et l’expression « acte grave » est remplacée par l’énumération des infractions concernées. À part les excès de vitesse (là, je fais du mauvais esprit), tout y est : les atteintes à la vie, les armes, les explosifs, les vols, les extorsions de fonds, les destructions, les dégradations et détériorations, l’informatique, le recel, le blanchiment d’argent, le délit d’initié, etc.

Le législateur n’a pas voulu créer d’infractions spécifiques. Il a préféré une notion subjective appliquée à des crimes et des délits déjà existants. Il appartient donc aux autorités judiciaires de déterminer au cas par cas si tel acte délictueux est considéré comme un acte terroriste. Ce qui change à la fois les conditions de l’enquête (garde à vue, surveillances, juridictions…) mais aussi les peines encourues. Si les faits incriminés sont inscrits dans le tableau des infractions ciblées, le juge n’a qu’une question à se poser : l’auteur de l’acte revendique-t-il un caractère politique ?

zola-pantheon_assemblee-nationale.1239954658.jpgLa France n’est pas une exception. La plupart les États ont fait du terrorisme un acte criminel de droit commun, en se dotant d’un arsenal juridique hors du commun.

Lors de la discussion des lois antiterroristes, certains députés ont rappelé que sous l’Occupation les résistants étaient qualifiés de terroristes. Tant il peut s’avérer difficile de distinguer le terrorisme d’une lutte pour la libération ! Et personne ne s’est mis d’accord, ni chez nous ni ailleurs, sur une définition.

Dans la Revue de science criminelle, David Cumin, Maître de conférences à l’université Jean-Moulin, Lyon-III, estime qu’il est impossible de parvenir à une définition objective du terrorisme, mais il en donne l’approche criminologique suivante : « Relève du terrorisme l’acte isolé et sporadique de violence armée commis dans un but politique en temps de paix contre des personnes ou biens protégés. Est terroriste l’auteur d’un tel acte, quelles que soient la composition du groupe auquel il appartient et l’idéologie qui l’anime ».

Cette définition s’applique-t-elle à Coupat et à ses acolytes ? On peut en douter. N’est-on pas en train de « banaliser » le terrorisme ? Supposons que ces bandes de banlieues qui font si peur à Monsieur Sarkozy deviennent plus virulentes, plus dangereuses pour la société, ne pourrait-on pas dénicher derrière leur action une volonté politique qui en ferait des terroristes ? Et la procédure exceptionnelle deviendrait alors le tout-venant.

Toujours dans la Revue de science criminelle, Philippe Mary, professeur ordinaire à l’École des sciences criminologiques de l’Université Libre de Bruxelles, se pose la question de la différence entre le terrorisme et la délinquance urbaine. Pour lui, le terrorisme se caractérise par son aspect « grande criminalité » (des malveillances contre la SNCF ?). Mais ce qui rapproche ces deux types de criminalité, c’est que dans les deux cas, il s’agit de phénomènes indéfinis. Traités le plus souvent dans l’urgence, ils génèrent une politique de gestion des risques, dans laquelle la sécurité apparaît comme une fin en soi. « Une telle évolution de la notion de sécurité est le signe de passage d’un État social à un État sécuritaire », affirme-t-il.

Sur 57 propositions en matière de lutte contre le terrorisme présentées au sommet de l’Union européenne tenu à Bruxelles, en mars 2004, plus de la moitié n’avait que peu ou rien à voir avec le terrorisme.

Dans un récent rapport au Sénat2, Robert Badinter déclare : « Nous n’avons pas été, à ce jour, capables d’avoir une définition internationale du terrorisme. Ceci pour des raisons éminemment politiques. Si on regarde les textes existants, on trouve des définitions faites par « raccroc » (…) Quand on regarde de très près les textes et notamment le texte fondateur de la Cour pénale internationale, on trouve une définition du terrorisme qui paraît acceptable : on considère comme crime contre l’humanité les actions décidées par un groupement organisé, pas nécessairement un État, ayant pour finalité de semer la terreur, dans des populations civiles, pour des motifs idéologiques. Les attentats du 11 septembre 2001 constituent une de ces actions… »

Dans une résolution du 14 janvier 2009, le Parlement européen « se préoccupe du fait que la coopération internationale dans la lutte contre le terrorisme a souvent abouti à une baisse du niveau de protection des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, notamment du droit fondamental au respect de la vie privée, à la protection des données à caractère personnel et à la nondiscrimination (…) ».

En France, une loi du 13 février 2008 autorise la coluche_forumdoctissimofr.1239955291.jpgratification d’une convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme. Elle oblige les États à incriminer certains actes perçus comme pouvant conduire à la commission d’infractions terroristes, même si l’acte terroriste n’est pas commis. Il en va ainsi du recrutement et de l’entraînement de futurs terroristes, ou encore de la provocation à commettre des infractions terroristes.

Certains pays doivent donc adapter leur législation. Pour nous, c’est inutile, on est à la pointe du combat, puisqu’on en est à poursuivre une bande d’anars3 qui auraient eu l’intention de tenter de détruire des caténaires de la SNCF.

Coluche, tu nous manques !

______________________________________________

1/ L’article 421-1 du Code pénal sur légifrance (ici)
2/ Le rapport de Robert Badinter sur l’Union européenne et les droits de l’Homme sur le site du Sénat (ici)
3/ La cellule invisible sur ce blog (ici)

« Older posts Newer posts »

© 2025 POLICEtcetera

Theme by Anders NorenUp ↑