C’est fait, la garde à vue est devenue le truc branché : tout le monde en parle. Et d’aucuns s’en donnent à cœur joie. Il y a celui « qui y est passé », qui nous raconte son expérience, forcément malheureuse. Et les autres, qui regrettent presque leur manque de pratique. Puis il y a ceux, nombreux, qui voient là l’occasion de casser du flic. Flics qu’on n’entend d’ailleurs pas, claquemurés qu’ils sont dans leur devoir de réserve. Ou via un représentant syndical, qui menace gravement de renoncer à la qualité d’OPJ. Un chantage bien platonique.
La réforme est en marche.
Même Pasqua est d’accord : « L’application actuelle de cette mesure est inadmissible dans une société démocratique. Pour moins que rien, on place en garde à vue des adolescents de 13 ou 14 ans. Trop de gens sont détenus dans des conditions ignobles, enfermés dans des cellules infectes, sans avoir le droit de se laver, y compris des femmes. Je suis favorable à la présence d’un avocat dès la première heure de garde à vue… C’est indigne de la République. La garde à vue est une mesure de sécurité que l’on ne doit appliquer que si les gens risquent de s’enfuir, de porter tort aux autres ou à eux-mêmes. Ce n’est pas sérieux de s’en servir dans d’autres circonstances. Il faut donc réformer ce système.»
On ne peut pourtant pas suspecter le personnage d’angélisme !
Pour ce qu’on en sait, dans le projet que nous mitonne la garde des Sceaux, deux mesures phares seraient envisagées:
– Une « audition libre » de quatre ou six heures lorsque l’enquête concerne un délit puni d’une peine égale ou inférieure à cinq ans d’emprisonnement.
– La présence de l’avocat dès la première heure et à la douzième heure avec communication des auditions du suspect.
La première mesure est intéressante pour les gens qui répondent à une convocation de police, mais inapplicable lorsqu’il s’agit d’une arrestation. Quant à la seconde, je ne suis pas sûr qu’elle corresponde aux critères de la Cour Européenne qui veut – au minimum – la présence effective de l’avocat lors des « interrogatoires ».
Mais les policiers (certains seulement) sont contre la présence de l’avocat. Comme s’ils craignaient de s’y frotter. Ainsi ce responsable du syndicat Synergie qui a déclaré « que les avocats sont des électrons libres qui ne sont pas soumis à une hiérarchie, qui n’ont aucune déontologie, qu’il n’existe aucune transparence sur leurs conditions de rémunération et que l’on peut craindre en cas d’accès au dossier que l’avocat livre des informations à la famille ou aux amis du gardé à vue, remettant en cause l’efficacité de l’enquête ». Citation reprise dans la question écrite de Mme Valérie Rosso-Dubord (JO du 23 fév. 2010, page 1890), au ministre de la Justice. Qui pour l’heure n’a pas répondu.
Aussi, pour ne pas heurter de front ces… bien-pensants, le projet de réforme se transporte en aval de la garde à vue et prévoit que les déclarations faites à l’OPJ en l’absence de l’avocat ne pourront pas servir de base à une condamnation.
Il s’agit là d’une véritable bombe : la fin programmée de la culture de l’aveu.
D’autres syndicalistes sont plus positifs – mais ils partent un peu tard. Ainsi, Unité SGP Police lance une sorte de référendum en demandant aux OPJ de répondre par oui ou par non à six questions. La première me paraît capitale. Elle revient à se demander si l’OPJ applique une garde à vue pour les nécessités de l’enquête dont il a la charge ou pour obéir à l’ordre de ses chefs…
Hélas, la réponse est dans la question. Ainsi, Le Républicain Lorrain rapporte qu’un policier a été mis sur la touche pour refuser d’obéir à des directives qui ne correspondaient pas à l’idée qu’il se faisait de son métier. Finalement, il a déposé plainte pour harcèlement contre sa hiérarchie. « En tant que chef et officier de police judiciaire, il avait la responsabilité des procédures : il a refusé de cautionner certaines choses. [Il] a parfois refusé de mettre des gens en garde à vue, comme le lui permet le code de procédure. »
La garde à vue existe depuis la nuit des temps. Il y a quelques dizaines d’années, non seulement l’OPJ pouvait utiliser cette mesure contre les suspects, mais aussi contre les témoins ou toute autre personne, sans avoir à se justifier. Et le délai, pour certains crimes concernant la sûreté de l’État, pouvait aller jusqu’à quinze jours.
À y réfléchir, les abus étaient rares. Je n’ai jamais entendu un OPJ menacer quelqu’un de garde à vue.
Alors, qu’est-ce qui a changé ?
Lors d’un repas de vétérans, il y a une dizaine de jours, un ami, directeur honoraire de la police nationale, a marmonné : « Parfois, ils exagèrent un peu nos jeunes collègues. »
C’est le maître mot : l’exagération.